AALEME

Légionnaire toujours...

  • Plein écran
  • Ecran large
  • Ecran étroit
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size

Les exilés républicains espagnols des Régiments de Marche des Volontaires Étrangers.

Envoyer
Mémoires, thèses et habilitations

Les exilés républicains espagnols des Régiments de Marche des Volontaires Étrangers. Engagement, présence et formation militaire (janvier 1939-mai 1940)

Los exiliados republicanos españoles de los Regimientos de Marcha de Voluntarios Extranjeros, presencia y formación militar (enero 1939-mayo de 1940)

 
Stéphane Leroy
 
Mémoire de Master Recherche « Monde ibérique et ibéro-américain » préparé à l’Université Nancy-II sous la direction conjointe de Marie-Sol Ortola (département d’espagnol) et de Didier Francfort (département d’histoire). Soutenu le 3 juillet 2007.
 
 
À partir de la fin du mois de janvier 1939, les nombreux républicains espagnols réfugiés en France représentent pour les autorités un poids économique et un danger pour la sécurité intérieure. Les camps de concentration érigés en hâte dans le sud-est et le sud-ouest du pays et destinés à les « héberger » se révèlent vite insuffisants. Tous ceux qui souhaitent rester en France sont alors soumis à des obligations militaires. De nombreux combattants rejoignent ainsi les 21e, 22e et 23e Régiments de Marche des Volontaires Étrangers (RMVE). À la différence des 11e et 12e Régiments Étrangers d’Infanterie, les 3 RMVE sont mis sur pied uniquement pour la durée de la guerre. Les engagés sont donc libérables dès la fin des hostilités. Ils portent le titre officiel « d’Étrangers Volontaires pour la Durée de la Guerre – EVDG –, au titre de la Légion étrangère »1. Ces « régiments temporaires » sont composés de trois bataillons à trois compagnies, ainsi que de diverses compagnies de services : une de commandement2, une hors rang3 une d’accompagnement4, une régimentaire d’engins et une de pionniers5. Chaque bataillon dispose de son propre état-major.

L’objectif de ce travail de Master était de comprendre qui étaient les hommes appartenant aux RMVE, d’éclairer leur engagement, ce qu’ils ont apporté aux régiments et, dans une moindre mesure, leur vécu. Deux types de sources ont été utilisés. Le matériau principal est constitué de listes d’engagement originales des RMVE et de circulaires administratives. Celles-ci sont conservées au Centre de Documentation Historique de la Légion étrangère (CDHLE), Quartier Viénot, à Aubagne. Consultables depuis une dizaine d’années, elles sont riches d’informations. Leur étude a été complétée par celle du fonds du Service Historique de la Défense (SHD) à Vincennes, qui recense surtout des documents administratifs.

L’analyse a été menée en trois moments : les conditions de l’incorporation, l’étude des listes d’engagement et la formation militaire.

 

Les conditions de l’incorporation

L’incorporation des Espagnols dans ces régiments répond à un double besoin. Dans la perspective d'une guerre contre l'Allemagne, les autorités françaises veulent d’abord régler le problème de la surpopulation des camps. Ensuite, conscientes qu’elles disposent de combattants aguerris qu’elles peuvent utiliser selon leurs besoins, elles aimeraient mettre à profit leur expérience militaire. Selon le colonel Morel6, il aurait été possible de former deux divisions autonomes exclusivement espagnoles, ce qui aurait représenté un apport qualitatif et quantitatif non négligeable. Les Espagnols le désiraient indéniablement, mais, comme le remarque le jeune lieutenant à la Légion Jean-Pierre Hallo, leur réputation pâtit de la propagande franquiste, ce qui peut expliquer que leur souhait n’ait pas abouti7. Dès avant 1939, cette réputation n’était déjà guère excellente au sein de la Légion, où les Espagnols étaient peu nombreux. Mais après la guerre civile, ils sont typiquement perçus comme des agents communistes et anarchistes visant à semer le trouble. Par conséquent, le contingent espagnol est limité à 4 000 engagements au total et à un quota de 14 % par unité8. Néanmoins, cette limite est abandonnée à l’été 1939 face à l’afflux de plus en plus important de candidats espagnols à la Légion9. Malgré les réticences des uns et des autres, les exilés gagnent progressivement le respect de leurs chefs, dont certains pensent que « bien encadrés, ces engagés fourniraient de bon combattants 10». Ils seront par la suite appréciés à leur juste valeur, pour leurs qualités de soldats et leur courage. Les témoignages de leurs supérieurs abondent en ce sens.

Pourtant, début 1939, las de la guerre, de nombreux Espagnols hésitent à s’engager. Pour les inciter à signer, la France forme les RMVE sans clairement leur expliciter qu’ils servent dans la Légion à laquelle beaucoup sont hostiles11. En outre, il est préconisé que si les « ex-miliciens » s’engageaient, ils devraient être isolés12. Il n’est cependant pas précisé quelles sont les conditions de cet « isolement ».

 

Analyse des listes d’engagement

Les documents du CDHLE, que ce travail a commencé à recenser, forment le corpus principal de l’étude. Il s’agit du seul fonds où l’on trouve des listes d’engagement nominatives, qui ont permis une étude prosopographique13 inédite. Elles sont réparties entre sept cartons, dont trois pour le 22e régiment, mais les listes les plus complètes concernent certaines unités des 21e et 22e régiments. Ce fonds regroupe également de nombreuses circulaires et notes de service, qui renseignent sur l’activité et la vie des régiments de marche. Il ne recense malheureusement pas tous les registres d’incorporation des RMVE, dont certains ont pu être égarés, et d’autres détruits à la suite de la campagne de France afin d’éviter que les antifascistes ne soient renvoyés dans leur pays en cas de capture. Ainsi, dans l'état actuel des recherches, il est impossible de reconstituer l’ensemble des effectifs des régiments de marche. Devant le nombre néanmoins conséquent de documents à dépouiller et afin d’avoir un panel d’étude varié, l’analyse s’est concentrée sur un échantillon qui illustre la diversité des informations recueillies. 

Malgré les problèmes rencontrés et les limites des documents, les renseignements recueillis ont permis de réaliser plusieurs séries d’études nouvelles et de dessiner les principales caractéristiques des engagés espagnols. Nous connaissons systématiquement leurs noms, prénoms, dates et lieux de naissance, dates et âges d’engagement, ainsi que leurs professions. Si le chercheur peut révéler les noms et prénoms, il ne peut divulguer les dates de naissance, cette condition visant à protéger l’anonymat des légionnaires. 

Une des premières tâches a été d’isoler les natifs espagnols. Certains se réclament de la nationalité espagnole mais sont nés en France ou dans d’autres pays. Le recensement du nombre total d’Espagnols, commencé en Master, est toujours en cours. Mais selon un document d’archive non daté, environ 13 340 hommes souscrivent un contrat pour les RMVE en 1939, la plupart après la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne le 3 septembre14. Les Italiens y sont majoritaires, avec 18 %. Suivent les Espagnols avec 17 % et les Polonais avec 15 %. Ces nationalités sont représentatives des événements politiques européens de l’entre-deux-guerres et de la fuite des opposants politiques devant le fascisme et les annexions allemandes.

Les dates d’engagement relevées sont éparses. Elles s’étendent d’octobre 1939 à juin 1940, soit après la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne : 18 et 28 octobre ; du 13 au 19 novembre 1939 inclus ; 1er février, 5 mars, 22 et 26 mai, 2 juin 1940. Ces dates montrent que le recrutement était permanent et a perduré jusqu’à la veille de la capitulation française. Il est donc raisonnable de penser qu’il nous manque des dates d’engagement.

Associées aux dates de naissance, les dates d’engagement permettent de calculer l’âge au moment de la signature du contrat. Celui-ci varie de 18 à 44 ans. La moyenne se situe entre 25 et 30 ans. Au vu de leur âge, la majorité des Espagnols des RMVE a exercé un métier avant de s’engager, comme en témoignent les professions déclarées. Il s’agit d’emplois humbles, manuels pour la plupart : chauffeur, mécanicien chauffeur, agriculteur, cultivateur, ouvrier, manœuvre et commerçant sont les plus récurrents.

D’autres données permettent de brosser un portrait plus complet de certains Espagnols : « postes » occupés, rapport à la « langue française », « expériences militaires », Espagnols ayant pris part à la guerre civile, identification des réfugiés venant des camps, et volontaires inhumés dans divers cimetières français.

Dans un souci d’efficacité et d’économie de temps de formation, la Légion exploite au maximum l’expérience des engagés. Certains occupent donc un poste lié au métier qu’ils exerçaient dans le civil.

Certains Espagnols sont identifiés comme venant des camps d’internement, Gurs et Argelès principalement. Une interrogation se dégage : pourquoi seulement une vingtaine d’Espagnols apparaissent-ils dans ce cas ? Cela signifie-t-il que la majeure partie l’a occulté lors de l’engagement ?

Un autre critère d’étude, le rapport des engagés à la langue française, est également intéressant à prendre en compte. Il ressort que la majeure partie d’entre eux semble parler français. Cependant, il est pour le moment impossible de déterminer leurs compétences en langue, ni les conditions d’apprentissage. Des « cours de français » ou « de langue française » sont par ailleurs prévus dans l’instruction du premier mois15

On peut également retrouver les soldats de métier et les « expériences militaires » antérieures des engagés. Les documents recensent quelques marins, mais surtout des fantassins, et font parfois état du temps passé sous les drapeaux. La mention la plus intéressante est sans conteste « service militaire et Guerre d’Espagne », qui concerne trois volontaires. Une question subsiste : pourquoi cette dernière précision n’est-elle mentionnée que pour trois hommes ? La plupart ont-ils dissimulé leur participation au conflit ? Ce type de données figure également sur d’autres listes actuellement à l’étude. Par ailleurs, le passé militaire des Espagnols permet au commandement français de résoudre un problème d'encadrement. D’après l’historique du Général Brothier, leur « expérience sur le tas 16» permet en effet de former des caporaux dans des pelotons accélérés.

Le dernier élément recueilli concerne les Espagnols tombés pendant la campagne de France et inhumés dans des cimetières français. Des noms à consonance espagnole apparaissent par ailleurs sur les listes de tombes de cimetières. L'absence de précision de nationalité et de matricule complique cependant leur identification.

 

La formation militaire des Volontaires étrangers

Enfin, les documents du CDHLE donnent un premier aperçu de la formation que le commandement militaire souhaitait dispenser aux volontaires des régiments de marche. S’ils fournissent les détails de l’organisation prévisionnelle, aucun ne précise cependant jusqu’à quel point celle-ci a été appliquée, ni la date précise du début de l’entraînement.

Le camp de Barcarès, duquel on a au préalable évacué les civils espagnols, sert de camp d’instruction. Les volontaires trouvent alors un lieu insalubre qui va être remis en état par le Génie. L’historique du Général Brothier fait état des carences en sous-officiers, ciment indispensable de la troupe. Il souligne que « les cadres de l’ancienne armée républicaine espagnole étant encore mal connus, l’essentiel fut donc fourni par des sous-officiers d’active provenant des Écoles et centres mobilisateurs dissous 17». Comme nous l’avons précédemment vu, les Espagnols vont cependant fournir le quota nécessaire de caporaux.

La formation militaire initiale commence par une période probatoire de trois mois. Les textes montrent la volonté d’une progressive évolution. Parmi les divers exercices, il était notamment prévu une instruction individuelle du fantassin le premier mois – montage et démontage du fusil, utilisation du terrain... –, une instruction en groupes de combat et des spécialisations – mitrailleurs, transmissions, pionniers – le deuxième. Faute d’équipement, l’instruction du premier mois n’a pu cependant être effectuée dans son intégralité18. Enfin, la dernière période devait aboutir à la création des régiments. Les marches figurent également en bonne place dans ce programme, l’armée française se déplaçant encore majoritairement à pied. L’itinéraire à suivre est parfois détaillé19

Après ces trois mois au Barcarès, les régiments embarquent pour un séjour d’aguerrissement au camp du Larzac, qui a pour objectif de diversifier l’instruction. Les bulletins de l’amicale des anciens du 22e régiment consultés au CDHLE fournissent des détails intéressants pour cette période20. Ce régiment arrive au Larzac le 18 avril 1940, relevant le 21e qui retourne au Barcarès. L’instruction est répartie selon quatre axes principaux : tirs, travaux de campagne, exercices de combat, exercices de nuit. Les groupes de combat en profitent pour consolider les acquis et les mettre en pratique sur le terrain.

Si ces différents programmes ou notes de service nous en apprennent un peu plus sur le type d’entraînement suivi par les volontaires étrangers, ils ne donnent pas de précisions sur les comportements humains. Un document du SHD précise néanmoins que seuls « des Espagnols qui avaient combattu chez eux 21» savaient utiliser les grenades à main et obus Viven-Bessières22. Le 22e rentre rapidement au Barcarès, le 30 avril 1940. L’ombre des combats se profile.

En conclusion, les divers renseignements recueillis jusqu’à présent permettent d’approfondir nos connaissances sur les Espagnols engagés en 1939-1940 – même s’il reste encore bien des zones d’ombre. Les noms et prénoms permettent une première identification. À l’avenir, il conviendra d’identifier précisément les républicains qui ont participé à la Guerre d’Espagne, même s’il est indéniable que ce fut le cas de la majeure partie de ces volontaires. Les professions et postes occupés montrent ce que ces hommes ont pu apporter aux RMVE. Cependant, les informations les plus pertinentes concernent l’expérience militaire. Dans une certaine mesure, elles esquissent une première vision intéressante de l’exploitation du potentiel des Espagnols par la Légion. L’intérêt historiographique du fonds est également renforcé par le fait que la recherche de témoins se fait plus ardue avec le temps.

Malgré cela, ces documents restent à manier avec précaution. Ils apportent beaucoup mais sont limités. Leur étude suppose donc des confrontations avec d’autres fonds, travail envisagé dans la thèse qui prolonge ce Master.

 

  • 1  CDHLE, carton dépôts des RMVE, lettre adressée au chef du Bureau des personnels de la Légion étran (...)
  • 2  Assure la vie quotidienne du régiment et regroupe des spécialistes dans des domaines variés : tran (...)
  • 3  Rattachée à l’état-major du régiment.
  • 4  Équipée d’armes collectives – mitrailleuses, mortiers, canons antichars de 25 mm… Elle était en gé (...)
  • 5  À cette époque, chaque régiment possède des éléments du Génie – pionniers – et des Transmissions – (...)
  • 6  Attaché militaire français en Espagne républicaine.
  • 7  Hallo, Jean-Pierre, Monsieur Légionnaire, l’homme et ses traditions, Limoges, Charles-Lavauzelle, (...)
  • 8  Idem.
  • 9  Ibid.
  • 10  SHAT, 7N2475, EMA, engagements étrangers, EMA1 III, Utilisation des étrangers pour la Défense nati (...)
  • 11  CDHLE, carton dépôts des RMVE, op. cit., pochette « dépôt des RMVE », sous-dossier « encadrement » (...)
  • 12  Idem.
  • 13  Étude des listes.
  • 14  CDHLE, documents non classés dans un carton : « engagements par nationalités au cours de l’année 1 (...)
  • 15  CDHLE, carton 22e RMVE : cartes, rapports, manuscrits divers, actes de décès, activités du régimen (...)
  • 16  CDHLE, carton dépôt des RMVE, op. cit., « historique du général Brothier : les Régiments de Marche (...)
  • 17  Idem.
  • 18  CDHLE, carton 22e RMVE : cartes…, doc. cit., « deuxième mois d’instruction (janvier) », 19 décembr (...)
  • 19  Carton 22e RMVE : carnets manuscrits du commandant Volokoff, combats, diversions, mutations, carne (...)
  • 20  Villiers-Moriamé (lieutenant-colonel), « Historique », in Les Ficelles, bulletin de l’Amicale des (...)
  • 21  SHAT, 34N319, RMVE : 21e (avril-juin 1940), 22e (septembre 1939-septembre 1940), 23e (mai-avril 19 (...)
  • 22  Explosif propulsé au moyen du fusil réglementaire chargé d’une balle à feuillette, ne contenant qu (...)

Traduction

aa
 

Visiteurs

mod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_counter
mod_vvisit_counterAujourd'hui2125
mod_vvisit_counterHier8156
mod_vvisit_counterCette semaine16950
mod_vvisit_counterSemaine dernière24288
mod_vvisit_counterCe mois103500
mod_vvisit_counterMois dernier347580
mod_vvisit_counterDepuis le 11/11/0919842929

Qui est en ligne ?

Nous avons 2104 invités en ligne

Statistiques

Membres : 17
Contenu : 14344
Affiche le nombre de clics des articles : 42466238
You are here ARTICLES 2010 Les exilés républicains espagnols des Régiments de Marche des Volontaires Étrangers.