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Légionnaire toujours...

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Deux ans au Groupement d'Instruction de la Légion étrangère, 1971 - 1973

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Lieutenant-colonel (er) Jean-Pierre RENAUD
président du CHMEDN


 

A cette époque, l'instruction des légionnaires se faisait au Groupement d'Instruction de la  Légion étrangère (GILE 1) dans deux garnisons corses, Bonifacio et Corte. Le GILE faisait partie du 1er Régiment étranger dont la base était à Aubagne. Ma première affectation Légion fut donc Bonifacio où je rejoignis la citadelle de Montlaur perchée sur la partie rocheuse du bout de l'île face à la Sardaigne. La citadelle avait la particularité d'inclure au bout de son domaine militaire surplombant la mer le cimetière du village de Bonifacio, si bien que les villageois pouvaient accéder librement aux tombes de leurs familles en traversant la citadelle. La garnison regroupait une compagnie d'engagés volontaires du GILE (la 1re) et deux

 

compagnies du Groupement opérationnel de la Légion étrangère (le GOLE). L'autre partie du GILE, à Corte, comprenait une deuxième compagnie d'instruction d'engagés volontaires (EV), la compagnie d'instruction des cadres (CIC) et la compagnie d'instruction spécialisée (CIS). Le nombre de sections à l'instruction au sein des compagnies d'EV variait en fonction du nombre d'engagés. Les effectifs en hiver étaient toujours plus importants que ceux de l'été. Le froid arrivant, on se pressait plus aux postes d'engagement. Aussi les effectifs de la première section que


(1) Le GILE avait quitté sa garnison de Sidi-bel-Abbès en 1962 pour s'installer en Corse .


La citadelle de Bonifacio

l'on me confia compta un effectif de 85 dont 1 officier, 1 sous-officier adjoint, 3 sous-officiers chefs de groupe, 3 caporaux-chefs ou caporaux, 3 fonctionnaires-caporaux et 74 engagés volontaires (EV). Je n'avais jamais connu avant mon arrivée à la Légion la fonction de fonctionnaire-caporal que nous appelions les « fout-fout» ; ils avaient été sélectionnés dans la section d'EV précédente ou même deux sections plus tôt. Il fallait qu'ils fassent un temps de « fout-fout» avant de rejoindre un peloton d'élève caporal à Corte. Un temps précieux, qui nous permettait de confirmer la valeur de l'individu. Que l'on veuille bien s'imaginer la chambrée de section avec les 74 EV, les 3 caporaux-chef ou caporaux et les 3 fout-fout, 80 personnes! Certains lits métalliques étaient étagés sur 3, un bel exercice physique pour monter et descendre du lit ! Cet imposant effectif avait naturellement des répercussions sur toutes les activités : les temps de distribution et de réintégration de l'armement, le nombre de séries de tir, etc. Il fallait donc se lever plus tôt, revenir plus tard, etc. Chaque EV disposait d'une armoire individuelle métallique dans laquelle son paquetage était rangé façon Légion avec un pliage millimétré, en particulier, sur la seule étagère de l'armoire où figurait la «télévision» : le linge de corps enveloppé d'une serviette blanche avec, au dessus, à chaque angle, une épaulette tradition (corps vert, tournante rouge, franges rouge). Un morceau de carton derrière la serviette aidait à maintenir verticalement «1'écran» de la «télévision».

L'habillement

La tenue était le treillis mIe 47. Il me semble aussi que même la deuxième tenue en dotation pour chaque EV était une tenue mIe 47 et non le treillis satin 300. Je me souviens d'une anecdote à propos des rangers pour l'un de nos EV. Un géant d'origine allemande, de plus de deux mètres de haut nous arriva et, chaussant du 52, il lui fallut attendre un bon mois pour disposer de ses rangers. En attendant, il faisait tout en
 

espadrille, l'ancien modèle des chaussures de sport que j'avais découvert dix ans auparavant au 9e RCP. Pour revenir à ce type de treillis, ce fut un des meilleurs en qualité de résistance aux ronces et autres obstacles du terrain. Les sections d'EV faisant leur instruction pendant la saison chaude voyaient le pantalon de treillis remplacé par un short taillé dans des pantalons couleur beige (celui de l'ancienne tenue de sortie en toile au repassage pénible). Si bien qu'en tenue de sport, EV et cadres avaient un bronzage bien caractéristique ! Sur la splendide plage de Palombaggia, on repérait tout de suite un cadre de l'instruction pour son bronzage démarrant à mi-mollet et terminant dix centimètres au-dessus du genou. Pour l'hiver, les cadres pouvaient se faire retailler une capote kaki en trois-quarts par notre «tailleur» compagnie, un vieux légionnaire d'origine polonaise capable, lors d'un égarement haut en couleur, de surpiquer un paquet de cigarettes dans une couture.

L'instruction, les parcours de tir réels, la visite du Père Légion.

Une bonne moitié des EV était d'origine non francophone. Il fallait donc leur enseigner le français dès le premier jour d'instruction pour qu'ils puissent comprendre l'instruction. Une

 En remontant vers la citadelle


des méthodes consistait à faire répéter comme un perroquet tout ordre reçu par l'EV ; je dois avouer que je fus surpris par ce procédé particulièrement efficace. Par ailleurs, chaque cadre officier et même sous-officier proposait à un EV de devenir son ordonnance 2 libre à elle d'accepter ou non. Celle-ci devait toujours être d'origine étrangère et non francophone. L'intérêt pour cet EV était d'avoir des cours supplémentaires de français, de recevoir une petite rétribution financière et, pour l'ordonnance du chef de section, d'être exempté de toute garde au quartier comme sur le terrain. J'eus ainsi au cours de ces deux ans des ordonnances d'origine américaine, yougoslave et polonaise. Toute l'instruction se faisait aux abords du champ de tir de Bonifacio et dans la presqu'île de Santa Manza : départ à pied, retour à pied, soit un déplacement journalier de presque 10 km non inclus l'instruction elle-même. Les mollets enflaient au fil des jours! Après la phase de formation élémentaire toutes armes (FETTA), rigoureusement identique à celle des appelés du contingent dans la Régulière, nous abordions le combat de l'équipe choc et de l'équipe feu sous la forme de drill. Dans l'instruction figuraient des parcours de tir réels que nous répétions une première fois avec arme sans cartouches à blanc, une deuxième fois avec cartouches à blanc avant de passer au parcours avec les cartouches réelles. C'est lors d'une répétition d'un parcours de tir réel que je vis un hélicoptère se poser en retrait du parcours. Surpris de voir un hélicoptère aux abords d'un champ de tir, je vis descendre le Père Légion, le colonel Le Testu 3 ... Panique à bord! M'ayant reçu à mon arrivée à la Légion et, tenu pendant une bonne heure au garde à vous dans son bureau d'Aubagne, il m'avait fort impressionné. Que venait-il faire ce jour là ?  Arrivé dans mon dispositif, se


(2) Une fonction aujourd'hui disparue.
(3) Voir ln memorium Général Marcel LE TESTU 1918-2006 dans la revue n° 51- 2e semestre 2006.

 

 Le colonel Le Testu au pas de tir (non pas celui de Bonifacio mais à madagascar; 3e REI in Képi Blan, mars 1969)

mettant derrière un tireur FM en position, il m'interpelle:

-«Renaud, vous vous êtes mis à la place du tireur FM ?»
-«Heu ... non mon colonel.»
Le Père Légion demande au légionnaire de laisser son FM sur place et de se lever. Il prend sa place ... je commence à trop bien comprendre ...
-«Renaud, prenez la place du tireur»
J'exécute et m'aperçois immédiatement que le tireur n'avait pas choisi un emplacement lui permettant d'avoir un tir efficace.
-«Alors ?»
-«Mon colonel, à l'avenir, je vérifierai chaque fois les emplacements de tir. .. »
-«Prenez toujours à votre compte les FM et les fusils de précision.»

L'entraînement commando

Dans la formation de base des EV figurait l'entraînement à la marche commando, une des épreuves du stage commando des unités de


la Régulière auquel ils n'accédaient pas. Nous entraînions néanmoins nos jeunes EV à cette marche sur un circuit en boucle de 8 kilomètres proche du champ de tir de Bonifacio. La ligne de départ était séparée d'une cinquantaine de mètres de la ligne d'arrivée. Le contrat pour les EV était de boucler les 8 km en moins d'une heure avec le sac à dos lesté à 8 kg. Quelques uns n'y parvenaient pas du premier coup. Mais, à leur arrivée, ils savaient que si le temps avait été dépassé, ils parcourraient les 50 m les séparant du départ pour recommencer dans la foulée une deuxième fois leur marche commando. Et là, comme par enchantement, ils faisaient beaucoup moins d'une heure.

Le séjour à l'Ospédale

La Légion disposait dans l'arrière pays de quelques chalets bien agréables où nous séjournions pendant une bonne douzaine de jours mis à profit pour faire du combat en zone boisée et initier nos jeunes EV à la varappe. L'ordinaire était agrémenté d'un sanglier dépecé et découpé en un rien de temps ; un sanglier égaré qui, confiant, avait trouvé comme seule issue le camp Légion! Le séjour était d'autant plus agréable pour les EV que le pouf 4 de la citadelle Montlaur nous rejoignait en GMC pour une soirée ou deux.

Remise des képis blancs et rythme du pas
Légion.

A l'issue de la Marche des Képis blancs, les EV recevaient leurs képis blancs au cours d'une cérémonie nocturne dans la cour de la citadelle; une cérémonie attendue par les EV, marquante dans leur engagement, inoubliable pour beaucoup, qui avait été répétée pour sa gestuelle et son chant jusqu'à la perfection.

(4) A cette époque chaque garnison Légion disposait d'un pouf; pour la Corse, il y avait donc un pouf à Bonifacio, Corte et Calvi.
(5) «Dans le chant «Les Képis blancs» : le «La rue appartient» est orgueilleux, dense, écrasant. Le «Combien sont tombés» est grave, plus sourd, presque cassé» (Extrait de la Note n° l712/RE/GILE/DLEB/SEC, Bonifacio, le 08.09.1970, capitaine Jean-Marie Sélosse, commandant le Détachement de Légion étrangère).
 

Le chant des « Képis Blancs 5» (puisqu'il nous faut vivre et lutter dans la souffrance .. .) commençait d'être appris dès la première semaine d'instruction en même temps que les cours de français; il était répété autant de fois que nécessaire pour être parfait lors de la cérémonie. Presque simultanément, les EV apprenaient le chant de leur section puis celui de la compagnie. Cela peut paraître beaucoup mais le temps ne comptant pas, les paroles étaient sues très rapidement.

D'un côté, les couleurs de la Légion étrangère -vert et rouge- avec le chiffre 2 du régiment dans la grenade

 De l'autre, la couleur de la 1re compagnie, le bleu, et celle de la 4e section, le vert


A l'issue de la cérémonie, entonnant la marche des Képis blancs, en tenue de lumière, la section rejoignait le pouf de la citadelle avec ses cadres: découverte du site, de l'ambiance, bières et chants, la grande récrée pour les jeunes EV et les cadres qui devaient obligatoirement accompagner leurs légionnaires. Un lieutenant, très ancien, n'ayant pas voulu suivre cette tradition dut rejoindre la Régulière dans les plus brefs délais. Très vite, tout déplacement à l'intérieur de la citadelle se faisait en chantant. La cadence du pas était théoriquement de 88 pas par minute contre 120 pour les autres unités. Mais 88 pas par minute apparaissait beaucoup trop rapide pour l'encadrement si bien que le franchissement de l'entrée de la citadelle démarrait à une cadence descendant parfois à 65 pas par minute ce qui faisait hurler le commandement. Nous jurions, bien sûr, de ne plus recommencer ...

La marche de fin de formation Sartène-Corte

La fin de formation des EV se concrétisait par une longue marche de 142 km. La colonne était suivie d'un GMC assurant la voiture balai, l'intendance, et la penderie où étaient soigneusement accrochés treillis de défilé et képis blancs pour l'arrivée à Corte. Selon la saison l'itinéraire variait car les trois cols à franchir étaient souvent enneigés l'hiver ; il fallait donc redescendre dans la plaine.  A l'approche du camp Légion de Corte, nous nous arrêtions près d'un torrent (Le Tavignano) pour le décrassage et revêtir treillis immaculé et képi blanc. Puis les EV franchissaient le seuil du quartier de Corte, sac à dos, fusil sur l'épaule, baïonnette au canon, en chantant et sans boiter ! Les derniers vingt à vingt cinq kilomètres de cette marche Sartène-Corte avaient été effectués en ambiance combat en appliquant le mécanisme «fixer-déborder» au niveau du groupe de combat. Nous restions une semaine à Corte pour l'affectation des légionnaires dans les corps. En attendant de passer individuellement devant un officier
 

orienteur, les EV participaient aux travaux d'amélioration du camp Légion. Chaque section d'EV avait à coeur de personnaliser son passage.

Conclusion

Ce séjour de deux ans à l'instruction constituait une mise dans l'ambiance exceptionnelle pour un officier affecté pour la première fois à la Légion étrangère. En formant de jeunes engagés, nous nous formions nous-mêmes, l'esprit Légion nous pénétrait de part en part sans nous en rendre compte. Certains jeunes officiers sortant d'Application ou arrivant d'autres corps métropolitains n'avaient pas cette chance et rejoignaient directement un régiment opérationnel, ce qui pouvait poser problème. Les affectations suivantes au sein de la Légion permettaient de retrouver quelques uns des EV formés, un grand moment d'émotion.
 

 

 

Insigne du 2e Etranger en argent offert au départ d'un lieutenant

 

 

 Numérotation de l'insigne

 

 

 

 

 

 

Portrait de légionnaire par Edmond Lajoux in Les Africains de Pierre Mac Orlan


Traduction

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