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LIBRE OPINION : Lettre à un politique qui s’interroge….

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Dimanche, 02 Mars 2014

Par Bernard MESSANA, Officier général (2S)…..

Le malaise des armées

Tu m’as demandé ce que je pensais du « malaise » qui rongerait actuellement nos Armées, et j’ai quelque peu hésité à te répondre. Crois-tu vraiment que je puisse avoir un avis serein face à ce qui est qualifié de « démantèlement » de notre appareil militaire ! Démantèlement délibérément mis en œuvre pour éponger quelques-unes des dettes d’un appareil d’État en faillite !

Le constat est en effet irréfutable : Droite et Gauche ont, à tour de rôle, ruiné notre Pays au cours de ces dernières décennies. Aujourd’hui contraintes aux économies, elles ont choisi de réduire en priorité l’outil militaire. Pourquoi lui ? Parce que l’on sait que les Armées, obéissantes et muettes, se plieront à la volonté politique. Pas de grèves à redouter, plus de putsch à craindre… L’opération sacrificielle est sans risque.

L’atrophie de notre Défense
Sans risque ? Sauf à prendre délibérément celui de la faiblesse. En 2019, au terme de l’actuelle loi de programmation, la France ne consacrera qu’un peu plus de 1% de son PIB à sa défense. C’est là plus de deux fois moins que ce que recommande l’OTAN, dont nous sommes membres à part entière. C’est donc qu’en regard des ambitions toujours affichées par nos dirigeants, notre défense ne sera plus crédible. L’arrogance du discours ne masquera plus l’évidence. En atrophiant notre défense, on se sera condamné à réduire nos ambitions.

Tu souris. Quels redoutables ennemis suis-je donc en train d’inventer à nos portes ? Ce que je qualifie « d’atrophie » n’est sans doute à tes yeux qu’une nécessaire et louable adaptation de notre outil militaire à nos besoins, eux-mêmes définis en fonction des menaces.

L’effarante contradiction du Livre blanc
Et pour toi les menaces sont celles que le Livre blanc 2008 avait déjà identifiées, et qui se sont « amplifiées » comme l’écrit le président de la République dans sa préface au Livre blanc de 2013. Mais alors, comment comprendre que face à des menaces qui se sont « amplifiées », on puisse non seulement conduire à terme des réductions d’effectifs décidées en 2008 - 54 000 personnels, (54 000 chômeurs de plus, soit dit en passant) -, mais y rajouter, pour la période 2014-2019, une nouvelle suppression de 24 000 postes ? Quelle effarante contradiction !

Et comment donc comprendre que pour contrer des menaces « amplifiées », non contents de supprimer des effectifs, on gèle aussi le budget, en prétendant le « sacraliser ». En fait, chaque année l’inflation fera son œuvre d’érosion, et l’on sait l’étonnante volatilité de ces ressources dites « exceptionnelles » censées abonder l’enveloppe.

Des arguments qui ne convainquent pas
Tout cela t’a été dit et redit par une multitude de responsables. Mais tu te contentes généralement de réduire au silence les contestataires en affirmant par exemple, avec hauteur, que ce que le Pays consacre à sa Défense fait d’elle la plus forte d’Europe, au même niveau que la Britannique. Et une des plus fortes du monde, tant qu’à faire. De plus, clairvoyant et péremptoire, tu précises qu’il y a aussi des menaces économiques, et qu’il est impératif pour l’indépendance de notre pays de retrouver, par des économies drastiques, comme celles faites sur la défense, tout à la fois l’équilibre financier et la croissance.

Cela est vrai. Mais insuffisant pour justifier une Défense en peau de chagrin.

D’abord parce que j’aurais accepté sans joie, mais sans mot dire, les réductions d’effectifs, - 78 000 postes, en cumulant les décisions de messieurs Sarkozy et Hollande -, si les économies ainsi faites avaient été véritablement consacrées, comme prévu, au rétablissement des finances de l’Etat. Tu sais qu’il n’en est rien. Elles ne font qu’autoriser, sur la même période, l’ouverture de 70 000 postes dans l’Éducation nationale. Paraphrasant un propos célèbre, je me permettrai de te dire que tu n’auras pas une meilleure Éducation nationale en la gorgeant d’effectifs inutiles,- la Cour des comptes te l’a déjà signifié clairement-, et tu auras une Défense lourdement amoindrie.


Une armée en « mode survie »
Ensuite que la réduction des ambitions, certes inavouée dans le discours, apparaît clairement dans les chiffres : En 2008, le contrat opérationnel était de 30 000 hommes, aujourd’hui il est de 15 000. Le vivier de forces projetables, de l’ordre de 120 à 130 000 hommes en l’an 2000, est ramené à 66 000 hommes. Les sénateurs te l’ont dit brutalement, tu auras ainsi des Armées « juste insuffisantes ». Le CEMA qui s’en est allé laisse des Armées « en mode survie ». Triste bilan …

Des menaces multiformes connues
Enfin le tableau des risques et menaces présenté par le Livre blanc, d’une grande qualité rédactionnelle, et d’une profondeur stratégique incontestable, ne permet toutefois pas de répondre aux besoins très concrets de ceux qui ont mission de dissuader, protéger, intervenir, et qui souhaitent savoir « contre qui, où, par où, quand, et comment ».

Ce dernier point me préoccupe, et je vais me permettre de le développer quelque peu, en appelant un chat un chat. En fait je crains que ton esprit ne soit profondément influencé par une vision trop minimaliste de la menace. En effet, très vite après la guerre d’Algérie, nos Armées ont été engagées en Afrique dans des actions multiples qui ont eu en commun de nous confronter à un adversaire courageux, manœuvrier, mais considérablement surclassé par nos moyens. Dès lors tu l’as réduit à la dimension d’un combattant illuminé coiffé d’un chèche, vêtu d’une gandourah, et armé d’une Kalachnikov, sur lequel nous aurions facilement le dessus, même en agissant « à l’économie ». Voilà pourquoi, malgré la forte réduction de notre appareil de défense, tu estimes que nous sommes encore, et pour longtemps, largement en mesure de vaincre.

Pourtant cet adversaire, s’il en trouve les moyens, peut faire avec nous jeu égal, et même nous surclasser. Il nous l’a démontré en certaines occasions, pieusement « oubliées ». Alors il conviendrait que descendant de l’Olympe stratégique où conduit le Livre blanc, tu veuilles bien examiner avec les yeux du fantassin, dans « les 50 derniers mètres », la menace du présent, celle d’un adversaire qui évolue et progresse quand nous baissons la garde. En voici quelques illustrations, réelles ou provocatrices.

Partons de la plus proche : à très court terme, sur notre sol, la centaine de zones de non-droit où l’État n’est plus admis abritera plusieurs centaines de djihadistes revenus de Syrie. Véritables bombes humaines « dormantes », elles attendront le signal…
Un peu plus loin, dans les Balkans, la Bosnie s’insurge et se défait, retrouvant ses divisions confessionnelles. Dans la même zone, le Kosovo et l’Albanie sont qualifiés d’états islamo-mafieux, sources de conflits pour les observateurs.
Et puis voilà que l’Ukraine s’embrase… Encore plus loin, au Maghreb, le Sud tunisien est gangrené par des djihadistes venus de Libye.
L’Algérie surarmée qui vient d’acheter sur étagère près de 400 chars lourds se cherche un ennemi extérieur pour dépasser ses déchirements intérieurs prévisibles…Le Maroc entame en 2014 une augmentation de 20% de son budget défense sur 4 ans…
Le chaudron libyen bouillonne, et ses voisins nous pressent d’assurer l’indispensable « service après vente ». Des hordes de pillards narco-islamiques sillonnent les espaces sahariens. Ne venons nous pas d’assurer le Nigéria de notre soutien dans son « combat » contre Boko-Haram ?
Au Mali, notre amitié pour le Touareg suscite de plus en plus l’ire d’un Sud noir majoritaire.
En RCA, faute d’avoir éliminé les hordes musulmanes de la Seleka qui ont pillé et disloqué ce pays, nous nous sommes attirés la colère de 90% de la population, chrétienne ou animiste. Quant aux Seleka, ils vont gangrener le Sud tchadien peuplé de Saras chrétiens, ou rejoindre le Soudan en guerre. De plus, dans cette RCA où l’Etat n’existe plus, une « mission pour la reconstruction administrative » ne serait-elle pas aussi nécessaire que des contingents onusiens ?

Le changement c’est maintenant !
Mon propos, fait pour inquiéter, nous éloigne grandement des doctes réflexions du Livre immaculé. Les incessants voyages du Ministre de la Défense au Sahel renforcent d’ailleurs cette inquiétude, car on les sait destinés à élaborer une nouvelle architecture d’intervention dans cette Afrique où, il y a peu, le pied de la gauche répugnait encore à se poser.

C’est donc bien que l’instant est venu de changer de pas, et qu’il faut le saisir ; le changement, c’est maintenant :

Un pacte d’efficacité
Voilà pourquoi ce qu’un président pragmatique vient de décider en matière d’économie, il faut impérativement le faire en matière de défense : Changer radicalement de politique. En économie, cela s’est intitulé « pacte de responsabilité », pour la défense, ce sera un « pacte d’efficacité ». Et les Armées s’engageront sur cette efficacité, juste contrepartie du pacte. Elles seront efficaces en matière de dissuasion,- aujourd’hui douteuse -, efficaces en matière de protection, - aujourd’hui minimale -, efficaces en matière d’intervention,- aujourd’hui limitée-. Des Armées revenues et maintenues à la hauteur des ambitions de la France, propres à « redonner à notre pays sa place et son rang » comme le proclamait M. Hollande dans son discours sur la défense du 11 Mars 2012..

Il faudrait ouvrir, dans ce pacte, trois premiers volets. D’autres viendront ensuite:

- Annuler les réductions d’effectifs prévues
D’abord l’annulation pure est simple de la mesure de réduction de 24 000 postes, qui devait prendre effet à partir de 2015. Elle serait pour nos Armées, une sorte de coup de grâce.

- Réétudier les bases de Défense
La reprise aussitôt des études, entre militaires, et aux niveaux qui conviennent, sur la mutualisation des soutiens, « usine à gaz » qui pourrait conduire à un nouveau Louvois. La mutualisation est une idée saine, à condition de ne pas l’imposer de façon uniforme et technocratique, comme l’a été la création des Bases de défense. Parallèlement, les Chefs de Corps doivent retrouver, en matière de soutien, et de logistique, l’autonomie nécessaire à leur entraînement et leurs engagements. Le cœur du métier auquel on veut réduire le soldat n’est pas logé dans ses mollets.

- Redonner aux militaires la place qui leur revient
Le Ministère de la Défense doit être reconquis par les militaires. Presque totalement absents actuellement, ceux-ci ont trop perdu d’influence dans ce qui est pourtant leur domaine de compétence. Ils s’en vexent, s’en alarment, et viennent alors le doute et la lassitude. Certes les CEM s’expriment, mais s’ils sont entendus, sont-ils pour autant écoutés ? Le moment serait assurément propice à la création d’un poste de secrétaire d’Etat, réservé à un jeune Général en deuxième section, comme avait su le faire autrefois M. Valéry Giscard d’Estaing.

Voilà. J’ai dit l’essentiel, de façon ramassée, sans détours, sans périphrases, sans circonvolutions. Ce que les soldats attendent maintenant, c’est, sans détours, sans périphrases, sans circonvolutions, les décisions de bon sens qui s’imposent.

Sinon…Certains parlent de « révolte », de « manifestations », de « résignation » ? J’avoue n’en rien savoir, et cela m’est égal. Car dans ces hypothèses la France ne comptera plus, pour sa défense, que sur une force armée amoindrie, société de services à faible motivation, et à la crédibilité douteuse. Une mécanique médiocre, introvertie, indifférente.

Traduction

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