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Christophe Lafaye: « la guerre en Afghanistan est la première guerre sans nom du XXIème siècle »

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Auteur d’une thèse sur le génie en Afghanistan, Christophe Lafaye a une formation d’historien. De 1994 à 1998, il a passé sa licence à Bordeaux 3 avant d’effectuer une maîtrise sur la chute de Dien Bien Phu et la 3ème DBLE. À cette occasion, il a recueilli des témoignages oraux et il a consulté des journaux de marche. En 2000/01 il écrit son DEA d’histoire sur l’histoire du 5ème REG. Il a effectué également son service militaire au 1er RE d’Aubagne. De 2002 à 2010, il travaille dans le secteur culturel à Besançon. Ayant envie de faire autre chose, il décide de monter un projet sur le génie en Afghanistan, en s’appuyant au départ sur les deux régiments du génie de la région : le 19ème à Besançon et le 13ème à Valdahon. Il est déjà un habitué des conflits coloniaux et il a pu se familiariser avec les savoir-faire du génie. Il retrouve également le même vocabulaire. Réserviste depuis septembre 2010, il se met en disponibilité du service public pour une enquête de terrain qui durera trois ans où il recueillera plus de cent témoignages. Il s’entretiendra également avec les généraux Irastorza et Georgelin. À Besançon pour un cycle de conférences sur la guerre en Afghanistan, il a accepté de répondre longuement à nos questions, abordant le travail de l’historien, l’armée française, l’Afghanistan, les questions de Défense, les enjeux tout au long d’une interview passionnante.

Pour faire son travail, Christophe Lafaye s’est concentré sur tous les domaines de compétence. Il a constitué de véritables fonds d’archives pour l’occasion, grâce aux données collectées. Il était donc à la fois historien et archiviste. Dans le traitement des sources, il reconnait que sa méthode était un peu particulière : « j’étais aussi un sociologue car j’analysais des recueils de vie mais j’étais également un anthropologue car j’étudiais l’institution de l’intérieur. » Sa démarche a été bien accueillie par les militaires : « j’avais un statut de chercheur tout en étant un officier de réserve. J’avais donc les clés, les codes pour comprendre et les mettre en confiance. Grâce à mon autonomie de chercheur, ils savaient que je ne venais pas de la hiérarchie. » Il a cependant rencontré certaines limites notamment à la Légion car certains légionnaires ne comprenaient pas toujours le but de la démarche. L’historien nous raconte cette anecdote où à la fin de l’entretien, un légionnaire lui dit : « ça va mon lieutenant, j’ai bien parlé ? »« Je savais donc qu’il m’avait dit ce que je voulais entendre. Je ne pouvais donc pas me servir de son témoignage. » Quand on lui parle d’histoire immédiate et du possible problème du recul, l’historien est catégorique : « que cela soit de l’histoire ancienne ou de l’histoire contemporaine, la problématique est toujours la même. Le recul est un non-sens. L’historien doit toujours critiquer les sources et nuancer ses conclusions. » Il est en tout cas persuadé que la guerre en Afghanistan a un avenir dans la recherche même s’il est plus difficile de mobiliser des sources : « l’historien devra aussi avoir une démarche d’archiviste. Il est très important par exemple de dater les photos et de noter les personnes présentes sinon elles n’ont aucune valeur. » Pour Christophe Lafaye, le tout est de savoir où les chercher et où les collecter : « il faudra de la volonté sinon on perdra la mémoire de ce conflit », un conflit qui fait partie d’une des nombreuses opérations extérieures menées par l’armée française au XXIème siècle.

Quand on évoque l’Afghanistan, on parle souvent de guerre sans forcément faire attention alors y a-t-il une différence sémantique avec l’opération extérieure ? Christophe Lafaye souligne qu’un autre historien Jean-Charles Jauffret parle d’une 4ème génération du feu pour l’Afghanistan tout en précisant : « d’un point de vue technique, on n’était pas en guerre. L’armée française agissait au sein de la FIAS sous mandat de l’ONU puis de l’OTAN mais la mission a évolué. Dans certains secteurs, son action était assimilable à des opérations de guerre. » D’ailleurs dans les témoignages qu’il a pu recueillir, les soldats parlent bien d’opérations de guerre. Mais l’historien précise que cette différence sémantique pose très concrètement des limites sur le terrain notamment quant aux règles d’engagement : « les sapeurs ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient et les talibans savaient en tirer parti. » Le conflit n’en reste pas moins le plus dur et le plus éprouvant pour l’armée française depuis l’Algérie : « on a eu des combats de haute intensité et le conflit est exceptionnel par le nombre de militaires qui y ont participé. Les soldats, en instance de départ, se préparaient à faire la guerre» tout en précisant : « la guerre en Afghanistan est la 1ère guerre sans nom du XXIème siècle. » Pour l’historien, on n’est pas dans le même registre comme au Rwanda ou en ex-Yougoslavie : « le vécu est différent. Les soldats n’ont pas vu et ressenti la même chose. En ex-Yougoslavie, on était une force d’interposition. » Cela n’enlève toutefois rien au mérite des militaires français qui ont participé à ces opérations, ne manque-t-il pas de nous préciser.

Cependant Christophe Lafaye souligne que l’opération a servi de creuset à un esprit d’interarmes d’une nouvelle génération dont a bénéficié l’opération Serval. Revenant sur son travail, il souligne le rôle fondamental du génie dans cette élaboration interarmes : « c’est la maxime : pas un pas sans appui. Le génie aide à être mobile. Il permet aux bataillons français de se déplacer. Sans le génie, pas de point d’eau par exemple. » Le génie reste toutefois un corps très sollicité et participe également à des combats de contact : « c’est un travail usant et exigeant. Il ouvre entre autres l’itinéraire à l’infanterie. Il y a peu de temps mort » d’autant plus comme il l’a souligné plus tôt dans sa conférence que le génie est en sous-effectif chronique. Il prend une très grande importance à partir de 2009 mais ce n’est pas non plus un corps d’armes spécialement connu du grand public contrairement à des régiments plus prestigieux comme les parachutistes. Pour l’historien, au sein de l’armée, on ne fait plus la différence : « l’Afghanistan a forgé un esprit interarmes de fraternité. Après il y a toujours le discours des chefs qui aiment faire la distinction mais il y a une différence entre la perception grand public, le discours des chefs et la réalité sur le terrain. » Au-delà de cet esprit interarmes, la guerre en Afghanistan aura permis à l’armée française de se moderniser.

Fallait-il cette guerre pour que l’armée française évolue ? Christophe Lafaye estime que ce n’est pas vraiment la bonne problématique : « l’armée française s’est adaptée à une menace : le retour des talibans. Elle s’est battue contre ce qui a de mieux au monde en terme de combattant dans la contre-guérilla, le terrorisme et l’utilisation d’internet. Elle s’est forgée de nouvelles compétences. » Cependant il met en garde : « rien n’est acquis. Le rythme de renouvellement est très élevé chez les soldats. » Il cite en exemple le 19ème RG où il ne reste plus que cinq soldats de cette période la plus intense de l’été 2011. « La question de la préservation des savoir-faire est posée » d’autant plus que les réductions budgétaires ne permettent pas vraiment d’avoir un matériel opérationnel. Inscrivant son travail dans le temps long et soulignant que le génie a acquis ses premiers savoir-faire très spécifiques dans les guerres coloniales, nous lui avons demandé s’il n’y avait pas des similitudes avec la guerre d’Algérie : « à chaque fois, l’armée française a dû s’adapter. La plus grande différence c’est que la guerre d’Algérie a été une guerre anti-subversive très violente avec des résultats militaires mais une défaite politique. En Afghanistan, on a mené aussi une guerre de contre-insurrection mais pas de la même manière. Il y avait un cadre légal avec des méthodes de police scientifique qui permettaient de remonter les filières. Ce n’est pas pour autant que c’est un succès. De plus les prisonniers que nous faisions étaient livrés aux afghans et rien ne garantit qu’ils n’étaient pas torturés ou exécutés. On ne sait pas ce qui se passe après. Tout comme en Algérie, on a été défaillant dès le départ en ne définissant pas correctement notre adversaire. » Il estime d’ailleurs que la contre-guérilla du XXIème siècle est encore à écrire.

On ne pouvait pas parler de l’Afghanistan sans évoquer l’opinion publique car son rôle est important. Christophe Lafaye parle d’une tension médiatique quand des soldats étaient tués : « on s’est posé des questions : pourquoi était-on là-bas ? La nature du lien Armée-Nation a changé. On a sous-estimé la capacité de résilience de la population française face à la mort de militaires. Les talibans savaient que le point faible de la coalition était l’opinion du public. C’est cette dernière qui pouvait réclamer le retour des troupes françaises. » Mais, voulant approfondir le problème, il se pose cette question : « est-ce que la population française est correctement informée ? Il faut réfléchir à : comment réintégrer un débat sur les questions de défense ? Il faut rappeler que le chef de l’État est aussi le chef des Armées. Jusqu’en 2008, les principales orientations de défense étaient prises en conseil restreint sans aucun débat à l’Assemblée. Personne ne savait ce qui s’y disait. Le 22 septembre 2008, on a le premier débat sur l’Afghanistan. Désormais, le gouvernement doit informer l’Assemblée Nationale de toute opération à l’extérieur au plus tard trois jours après son lancement, tout en précisant les objectifs, et il peut y avoir un débat. Après quatre mois d’opération, l’Assemblée vote ou non sa prolongation. Mais il y a un vrai problème politique de débat autour de la Défense et de l’intégration des citoyens à ces questions. » Au passage, il regrette que la mort de soldats soit considérée désormais comme un fait divers.

Christophe Lafaye souligne que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le grand public porte un réel intérêt au conflit afghan pour en comprendre tout le sens : « la preuve c’est qu’il y avait de l’affluence au cycle de conférences que j’ai donné. Il y a un questionnement. Après les attentats du mois de janvier, les gens se reposent des questions. On se doit de plus insuffler un esprit de défense et profiter de cet intérêt renouvelé pour ne pas le laisser retomber sans faire du bourrage de crâne. Il y a de véritables enjeux de Défense. » Il veut même aller plus loin en tant qu’historien-chercheur : « l’historien a un rôle actif à tenir dans la société civile. Il travaille sur le temps long. Il peut amener de la dynamique au débat public et il ne doit pas hésiter à y prendre part. Il faut que les historiens s’investissent. » Sa thèse doit être publiée en février 2016 aux éditions du CNRS.


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