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Compte rendu d’audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

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Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeudi 21 mai 2015

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 62

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

La séance est ouverte à quinze heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Au nom de la commission, je remercie le général de Villiers qui, pour nous rejoindre, a dû écourter une réunion, à Bruxelles, avec ses homologues de l’Union européenne et de l’OTAN.

Le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 suscite de nombreuses questions et nous avons déjà procédé à deux auditions sur le sujet : celle, ce matin, de M. Bodin, secrétaire général pour l’administration, qui nous a apporté des éléments de réponses sur le montage financier ; celle aussi, hier après-midi, du ministre de la Défense.

Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées. Je vous remercie, en premier lieu, de me donner une nouvelle fois l’occasion de m’exprimer devant vous. C’est toujours un plaisir de sentir l’intérêt que porte votre commission à nos préoccupations de défense – je le dis sincèrement. Je vous remercie pour cette relation de confiance entre vous, parlementaires, et nous militaires. C’est un signe fort du lien entre la Nation et son armée.

Si l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) était prévue, c’est bien la dégradation du contexte sécuritaire national et international qui l’a accélérée et qui a conduit le Président de la République, lors du conseil de défense du 29 avril dernier, à décider de maintenir déployés, dans la durée, 7 000 soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, de réviser la cible des déflations, d’augmenter le budget de la défense et d’abandonner l’incertitude des recettes exceptionnelles au profit de ressources budgétaires.

Ces décisions, en matière budgétaire et d’effectifs, sont celles que je souhaitais, en accord total avec le ministre de la Défense et les chefs d’état-major d’armées. Si nous avons été entendus, c’est aussi grâce aux soutiens apportés par les parlementaires et singulièrement par les membres de votre commission.

Mme la présidente Patricia Adam. Les membres de la commission des Finances aussi.

Général Pierre de Villiers. Certes, votre commission n’a pas l’exclusivité de ce soutien, mais vous avez largement votre part et, avec votre appui, le redressement de l’effort de défense permet de maintenir une cohérence entre les moyens qui nous sont donnés et les missions qui nous sont confiées. Vous trouvez là l’idée maîtresse de l’argumentation que j’ai faite valoir auprès du Président de la République.

Dans le cadre de la LPM, nous avions défini un modèle complet d’armée, certes taillé au plus juste – je vous l’ai dit déjà plusieurs fois –, mais cohérent et adaptable. C’est grâce à ces qualités que nous avons pu, jusqu’à présent, remplir les missions qui nous ont été confiées. C’est grâce à ces qualités que nous pouvons maintenant l’actualiser à l’aune d’un nouveau contexte. Nous nous livrons à un exercice de densification d’un modèle toujours pertinent et que nous voulons plus robuste, c’est-à-dire à la fois adapté à un contexte sécuritaire qui s’est durci et prenant en compte les missions nouvelles que nos armées doivent désormais assumer.

Pour remplir les missions qui me sont confiées, l’augmentation du budget de la défense est plus qu’un besoin, c’est une nécessité. Je ne mésestime pas l’effort que cela représente pour la Nation dans le contexte économique actuel, mais ce n’est pas une faveur faite aux armées, c’est la preuve que notre pays, dans un monde de plus en plus imprévisible et menaçant, veut demeurer maître de son destin. C’est l’honneur de la France de prendre cette décision courageuse.

Renforcer le budget de la défense est nécessaire : sans les ajustements proposés par le projet de loi d’actualisation de la LPM, nous ne serions bientôt plus en mesure d’assurer correctement la totalité de nos missions ni de conserver notre modèle d’armée, notamment pour la période 2016-2019. Pour vous le démontrer, j’articulerai mon discours en trois parties : je reviendrai, dans un premier temps, sur les facteurs qui mettent sous tension nos armées et justifient l’actualisation de la LPM, puis sur la réponse qu’apporte précisément le projet de loi, enfin sur trois points d’attention.

L’actualisation de la LPM était prévue pour 2015 – de même qu’une autre aura lieu en 2017. Trois éléments la justifient : la protection du territoire national, les opérations extérieures et le soutien aux exportations.

J’évoquerai d’abord les missions des armées qui concourent directement à la protection du territoire national. Au-delà, bien sûr, de la dissuasion nucléaire, que je n’évoquerai pas ici et qui n’est pas concernée par l’actualisation, ces missions comprennent la protection des approches maritimes et aériennes de notre territoire – à laquelle concourent quotidiennement plusieurs milliers de marins et d’aviateurs – ainsi que l’engagement de nos soldats sur le sol national pour protéger la population.

Sur le territoire national, jusqu’à 10 000 hommes ont été déployés en quelques jours, en janvier dernier, après les attentats parisiens. Ce déploiement sans précédent s’inscrit désormais dans la durée avec l’opération Sentinelle. L’emploi de ce volume de troupes déséquilibre actuellement les armées, et singulièrement l’armée de terre : la préparation opérationnelle a été réduite, des engagements internationaux ont été annulés, des relèves modifiées ; en outre, des soldats ont eu leurs permissions diminuées, voire supprimées, certains entamant en ce moment leur troisième rotation, ce qui correspond parfois à douze semaines d’engagement – sur seize – depuis la mi-janvier. C’est considérable. Qui assumerait cette charge sans faire valoir ses droits individuels ? Nos militaires, ces jeunes Français que vous croisez dans Paris et dans vos circonscriptions, le font sans se plaindre. C’est mon devoir de vous le dire : ils méritent la reconnaissance de la Nation, ils méritent en tout cas les moyens de leurs missions – c’est un minimum. Les armées n’ont pas de syndicat ; leur seul syndicat, c’est la voix de leurs chefs et donc, en l’occurrence, aujourd’hui, devant vous : la mienne.

Soyons clairs : cet engagement n’est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Le volume de forces engagées sur le territoire national s’ajoute en effet à celui en opérations extérieures, dans le cadre des missions permanentes, aux forces de présence et de souveraineté. Au total, à l’heure où je vous parle, environ 37 000 soldats sont déployés dans ces missions et dans la durée – je prends ici en compte, bien sûr, les missions de protection. On ne peut pas aller au-delà sous prétexte que les militaires ne se plaignent pas.

Sur l’emploi des armées sur le territoire national en protection de la population, la réflexion doit être poursuivie : quel cadre, quelles missions, quelle coopération avec les forces de sécurité intérieure, quels équipements ? Un rapport sur le sujet, sous l’autorité du Premier ministre, a été commandé par le Président de la République. Il permettra, je l’espère, de mieux définir l’emploi des forces déployées à l’intérieur de nos frontières.

Deuxième justification de l’actualisation de la LPM : les opérations extérieures. Plus de 8 000 hommes et femmes de nos armées sont actuellement déployés en opérations extérieures. Ils remportent d’indéniables succès opérationnels. L’actualité la plus récente nous le montre encore avec le bilan de l’opération qui, au nord du Mali, a conduit, lundi matin, sous mon commandement, à mettre hors de combat le principal chef opérationnel touareg d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelkrim le Touareg, ainsi que l’adjoint d’Iyad Ag Ghali chargé de la police religieuse et des éliminations ciblées d’opposants, Ibrahim Ag Inawalen. C’est un exemple emblématique, car la disparition de ces deux terroristes porte un coup sévère à nos adversaires. C’est aussi un exemple qui montre la qualité de notre renseignement militaire, de nos capacités de planification, de nos capacités d’action. Il montre la qualité de la boucle – vertueuse : renseignement, suivi de la cible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et neutralisation au bon moment, au bon endroit, avec les bons modes d’action et les bons moyens.

Au-delà du volume de troupes, la pression opérationnelle exercée par les OPEX sur les armées est accentuée par deux facteurs principaux.

Le premier facteur concerne les élongations. Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aéroterrestres avec une surconsommation de leur potentiel. La zone d’opération au Sahel, on ne le dit pas assez, représente à elle seule près de huit fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions et nos hélicoptères arrivent sur leurs objectifs, et nécessite deux fois plus de moyens de communication qu’un autre théâtre. Autre illustration de ces élongations : l’évacuation de nos ressortissants par la marine, le mois dernier au Yémen, s’est déroulée à 5 000 kilomètres de nos frontières.

Le deuxième facteur est la dureté des théâtres et des opérations. Les conditions d’engagement sont extrêmes pour le personnel comme pour les équipements. Au nord du Mali, du fait de la chaleur – quelque 45 degrés –, chaque homme consomme chaque jour plus de douze litres d’eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du nord du Mali et de la latérite centrafricaine, conjugué aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de température de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels. Pour les vecteurs aériens, notamment les hélicoptères, ces conditions extrêmes provoquent une dégradation majeure des ensembles mécaniques. En outre, quelque 20 % des matériels terrestres de retour de l’opération Barkhane sont irrécupérables.

Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et compte tenu de leur âge, le maintien du niveau d’engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont ceux des avions de transport tactique et de patrouille maritime, des hélicoptères de manœuvre et des véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l’entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel.

Il faut avoir à l’esprit l’état réel de nos équipements : lors de mon déplacement à Tessalit, il y a une quinzaine de jours, j’ai embarqué dans un véhicule de l’avant blindé (VAB) livré en… 1983. Si nous ne réagissons pas, notre efficacité et notre capacité à durer seraient rapidement compromises. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d’Irak et, plus récemment, d’Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes s’imposent et avec d’autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc est que sur le flanc sud de l’Europe.

En effet, aujourd’hui, ce sont Daech et le terrorisme islamiste radical qui continuent à se déployer en s’appuyant sur une propagande mondiale puissante ; ce sont environ 1 600 Français partis combattre à l’étranger et dont le retour, réel ou potentiel, accentue la menace à l’intérieur même de nos frontières ; c’est AQMI et les groupes armés terroristes de la bande sahélo-saharienne (BSS), qui se jouent de la porosité des frontières pour se camoufler, puis agir – mais nous venons de leur faire mal ; c’est Boko Haram, qui déstabilise la région du lac Tchad et terrorise la population ; c’est le risque de connexion entre les groupes armés terroristes des différents théâtres : AQMI au Sahel, Daech et Jabhat Al-Nosra au Levant, Boko Haram au Nigeria, sans parler des Shebabs de Somalie ; c’est la crise ukrainienne, qui fait peser le risque du retour de la guerre en Europe : l’évolution de la situation y reste mouvante et incertaine ; c’est la misère, qui pousse des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe.

Ne nous payons pas de mots : la guerre, l’affrontement sont de retour de façon durable, avec une multiplication de crises de plus en plus violentes qui nous menacent très directement.

Le troisième et dernier élément qui justifie l’actualisation de la LPM touche aux exportations. C’était un point d’attention de la LPM et, nous pouvons l’affirmer, c’est un pari réussi. Je fais référence aux ventes de Rafale à l’Égypte, au Qatar, probablement à l’Inde, mais aussi d’une frégate à l’Égypte et de différents matériels au Liban. L’augmentation des exportations d’armements est significative. Nous pouvons collectivement en être fiers : c’est le fruit d’années d’efforts et ce sont autant de succès pour « l’équipe France » qui consolident l’équilibre et la soutenabilité de la LPM, tout en renforçant notre plateforme industrielle de défense.

Les armées ont pris leur part dans ces réussites avec, en amont, la participation aux travaux de conception et de définition du besoin, puis la crédibilité opérationnelle apportée aux équipements sur les théâtres d’opérations. Les armées contribuent également, par la qualité des relations internationales militaires qu’elles entretiennent de par le monde, à faciliter les négociations. Les armées participent également à l’accompagnement de ces marchés. Nous devons prendre en compte cette mission nouvelle, qui comprend notamment la formation des équipages, des pilotes et des maintenanciers.

L’impact sur l’équipement de nos forces doit également être considéré. Je prendrai deux exemples concrets. Le prélèvement d’une frégate multi-missions (FREMM) pour l’export impose de prolonger trois frégates anciennes pendant un an chacune. Cela représente une charge de 212 équivalents temps plein (ETP) pour la période 2016-2019, effectifs auxquels s’ajoutent trente-cinq marins affectés au soutien à l’export. De la même manière, l’exportation de Rafale impose, entre autres, un surcroît d’activités et donc la nécessaire prolongation d’un parc de six Mirage 2000C pendant quatre ans. Vous le voyez, ces contrats d’exportation ont, pour les armées, un effet sur les effectifs, le fonctionnement et la formation ; ils ont donc un coût financier. L’actualisation de la LPM doit intégrer ces paramètres.

Aussi, pour résumer cette première partie, je retiens, sur la base d’une LPM sans marges : un engagement massif sur le territoire national, lequel remet en cause le format cible de nos armées ; des opérations extérieures qui usent les matériels ; enfin des exportations qui impliquent de nouvelles charges pour nos armées. L’actualisation de la LPM doit donc répondre à ces problématiques ; c’est l’objet de ma deuxième partie.

La réponse apportée par le projet de loi est à la fois capacitaire et organisationnelle : elle n’est possible qu’avec des ressources budgétaires adaptées.

Elle est d’abord capacitaire et se décline en trois domaines principaux : les effectifs, les équipements et le maintien en condition opérationnelle du matériel.

La mise en œuvre du contrat protection a montré la nécessité de pouvoir disposer d’effectifs militaires en nombre suffisant. Vous le savez, le Président de la République a décidé de réduire de 18 750 postes la déflation des effectifs du ministère d’ici à 2019. Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’une augmentation des effectifs, mais bien d’une moindre baisse ; nous aurons en 2019 moins de militaires professionnels qu’en 1996 avant la professionnalisation. Ce n’est donc pas une inversion, mais une moindre déflation. Elle marque cependant une réelle inflexion de tendance et une mise en cohérence entre le constat sécuritaire et les conclusions qu’il faut en tirer, entre les missions et les moyens.

Cette décision desserre l’étau des effectifs et nous permettra une remontée en puissance rapide de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 soldats, afin de conserver la capacité à maintenir dans la durée les 7 000 hommes que j’ai évoqués, impliqués dans l’opération Sentinelle. Elle donne en outre la capacité permanente d’aller, si besoin et sur court préavis, jusqu’à déployer 10 000 soldats pour quatre semaines. À travers la force opérationnelle terrestre, qui est aussi le réservoir pour les OPEX, c’est donc bien aux unités de combat que va la priorité en effectifs. Pour la première fois depuis cinquante ans, on va recréer des compagnies de combat dans les régiments.

Cette dynamique bénéficie également à l’ensemble des armées. Environ 1 000 postes seront consacrés au domaine du renseignement et de la cyberdéfense. L’actualisation de ces besoins est incontournable. Traquer des terroristes et anticiper au plus tôt leurs attaques, se protéger contre les attaques cyber de Daech, telle celle qui a ciblé TV5 Monde au mois d’avril, retrouver la trace d’un otage, comme ce ressortissant néerlandais au milieu du désert malien – toutes ces actions nécessitent des moyens matériels perfectionnés et des ressources humaines de grande qualité.

Une dernière part des effectifs préservés permettra aux armées, directions et services, de répondre aux besoins nouveaux liés principalement au soutien des exportations et au renforcement de la protection des sites militaires, mais également de limiter les risques dans la conduite de leurs plans de transformation, en évitant un « bourrage » par des effectifs non identifiés dans les déflations.

La moindre déflation d’effectifs a un coût en matière de masse salariale, de formation, de vie quotidienne – je pense en particulier à l’infrastructure –, d’équipement et d’entraînement de ces militaires. Ce coût doit aussi prendre en compte la rénovation de notre système de réserve qui devient indispensable pour aider à répondre aux nouveaux défis. Les réserves font partie intégrante de notre modèle d’armée professionnelle. Je suis pour ma part persuadé que leur développement pourrait contribuer davantage encore à la cohésion nationale. Elles doivent participer, plus et mieux, à de nouvelles missions comme, en particulier, la protection du territoire. Il faut une réserve plus jeune, plus réactive, et plus attractive. Cette actualisation va dans la bonne direction, là aussi, sur ce plan.

Effort sur les effectifs, développement de la réserve, effets induits par le soutien à l’exportation nécessitent au total un financement de 2,8 milliards d’euros pour la période 2016-2019.

En ce qui concerne les équipements et le maintien en condition du matériel, si le cap d’un modèle complet d’armée pour 2020 reste inchangé, nous avons dû, là encore, nous adapter au nouveau contexte en portant notre effort sur la modernisation de nos capacités de renseignement et cyber, sur les frappes dans la profondeur, sur la mobilité et sur la protection des forces. C’est surtout le bon moment pour intégrer les enseignements de nos engagements des trois dernières années au Sahel, au Levant, en République centrafricaine et ailleurs.

Nous devons veiller à quatre aptitudes principales – ce ne sont pas les équipements qui dictent les choix, mais les aptitudes dont doit disposer le chef militaire sur le terrain. Des mesures capacitaires prévues par le projet de loi viennent les appuyer pour un montant total de 2 milliards d’euros : 1,5 milliard d’euros pour les équipements et 500 millions d’euros pour l’entretien programmé des matériels.

La première aptitude consiste à garder l’initiative. Dans la bande sahélo-saharienne, nos opérations aéroterrestres nécessitent de disposer d’une grande réactivité pour conserver l’initiative. Nos actions combinent hélicoptères de transport de troupes et hélicoptères d’attaque. Le potentiel de nos parcs est actuellement insuffisant pour tenir le rythme des opérations. Pour y remédier, l’acquisition d’hélicoptères est primordiale. Le projet de loi prévoit d’anticiper l’acquisition de six NH90 et de valider la tranche conditionnelle de sept Tigre supplémentaires. Maîtriser le processus de ciblage, s’assurer de la précision des tirs et maîtriser les effets collatéraux, sont aussi des savoir-faire qui font la différence sur le terrain. C’est l’objectif de l’acquisition de pods de désignation laser de nouvelle génération pour nos avions de chasse. De la même façon, l’achat de matériels, comme celui de jumelles de vision nocturne complémentaires, permettra à nos forces spéciales de conserver leur avantage technologique au combat. Il s’agit ensuite – c’est la deuxième aptitude – d’accroître la mobilité de nos forces. Du fait de la dispersion des théâtres et de leur étendue, face à un ennemi fugace, nous devons renforcer nos capacités de mobilité stratégique et opérative. Elles sont, vous le savez, particulièrement sous tension. Le besoin sur les théâtres en transport tactique et en ravitaillement en vol est supérieur de 50 % à ce que prévoient les contrats opérationnels du Livre blanc. Nos avions de transport tactiques sont vieillissants et d’un fonctionnement très coûteux. L’urgence de la situation ne permet pas d’attendre plus longtemps la montée en capacité tactique des A400M. Par ailleurs, le vieillissement de la flotte de ravitailleurs fait peser un risque sur l’action aérienne. Il est donc de première importance d’acquérir quatre avions de transport tactiques Cl30 et d’avancer la livraison des trois derniers MRTT.

Troisième aptitude, il convient d’optimiser l’endurance et la disponibilité de nos matériels. Pour cela, nous devons consolider le soutien logistique avec un effort nécessaire pour l’entretien du matériel – que nous appelons « entretien programmé du matériel » –, indispensable à la régénération des équipements les plus sollicités. Le projet de loi prévoit d’affecter 500 millions d’euros, pour la période 2016-2019, à la régénération des matériels fortement sollicités en opérations. C’est un minimum, car, actuellement, nous consommons plus vite que nous ne sommes capables de régénérer. C’est pourquoi cette somme est vitale pour le maintien des capacités opérationnelles de nos armées.

La quatrième et dernière aptitude revient à anticiper nos engagements grâce à nos capacités de renseignement, de surveillance et de maîtrise des espaces matériels et immatériels. La nécessaire anticipation stratégique et tactique passe notamment par l’observation spatiale avec l’acquisition, en coopération avec l’Allemagne, d’un troisième satellite pour le programme de la composante spatiale optique (CSO). Elle passe également par des capacités d’écoutes tactiques. Ces capacités amélioreront la surveillance des vastes zones d’opérations et l’appui direct des forces au contact, ainsi que les actions de ciblage.

Au-delà de ces aptitudes essentielles, nous devons aussi répondre à l’urgence de ruptures de capacités réelles ou potentielles. Nous le faisons avec des mesures de cohérence opérationnelle qu’il ne nous est plus possible de reporter, comme l’achat de lots OPEX pour les Rafale, la régénération des véhicules blindés légers, l’acquisition d’un quatrième bâtiment de soutien et d’assistance hauturier et d’un bâtiment multi-missions supplémentaire. La mobilité, l’initiative, l’endurance et l’anticipation : toutes ces aptitudes ne valent que si elles sont mises en œuvre par des hommes et des femmes compétents au sein d’une organisation performante. Cela m’amène à aborder, après ce premier volet capacitaire de la réponse, le volet organisationnel, sous-tendu par la transformation des armées, directions et services, qui continue et représente elle aussi un enjeu de cohérence, une exigence de réussite et un gage d’avenir pour notre outil de défense.

Les objectifs de rationalisation et de réforme interne demeurent. Vous pouvez compter sur moi et sur les chefs d’état-major d’armée pour maintenir les objectifs définis par le projet CAP 2020. Il s’agit toujours d’optimiser nos capacités opérationnelles et d’affûter notre organisation générale. Ne croyez pas que ce que nous avons obtenu grâce à l’actualisation de la LPM nous permettra de ralentir le rythme de ces projets de transformation, bien au contraire : nous irons au bout.

La transformation concerne toutes les armées, directions et services. Vous connaissez les différents projets mis en œuvre par chacun : « Au contact ! », pour l’armée de terre – nouveau projet cohérent, rationnel, adapté à la nouvelle situation –, « Horizon Marine 2025 », pour la marine, « Unis pour faire face », pour l’armée de l’air, « SCA 21 », pour le service du commissariat des armées, « SSA 2020 », projet ambitieux pour le service de santé des armées, « projet DRM », pour la direction du renseignement militaire, « projet Quartz », pour la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI), « SEA 2020 », pour le service des essences des armées, « SIMu 2019 », pour le service interarmées des munitions. Je les cite tous pour montrer qu’un modèle d’armée est bien un tout cohérent, entre nos trois armées et toutes les directions et services. Tous ces projets sont en marche autour de trente-deux chantiers ministériels.

Ces projets visent en particulier : à rationaliser le soutien, l’environnement des forces et de nos organisations, sans fragiliser l’efficacité opérationnelle ; à rénover notre modèle des ressources humaines – nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, avec un vrai « dépyramidage », un modèle plus souple dans la gestion des carrières, plus attrayant par des parcours professionnels mieux adaptés aux besoins opérationnels des armées, en renforçant la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération – ; ces projets visent enfin à optimiser des structures de commandement ; objectif symbolisé par le regroupement du ministère à Balard et qui concerne tous les états-majors.

La transformation, c’est, en somme, un nouveau logiciel de fonctionnement des armées, directions et services, avec, en prime, un recentrage encore plus marqué sur le cœur opérationnel.

Au total, j’affirme avec gravité que l’effort humain et financier que comprend ce projet de loi nous donnera les moyens d’atteindre ces objectifs.

Je souhaite à présent vous livrer mes points d’attention – ma troisième et dernière partie –, au nombre de trois : la préparation de l’avenir, le budget et le moral de nos soldats.

Les décisions que nous prenons dans le domaine de la défense engagent toujours l’avenir sur le long terme. Aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait – et ce qui s’est passé ces dix dernières années incline à la modestie. Préparer l’avenir, c’est notre devoir vis-à-vis des générations futures. Le tragique du monde pourrait de nouveau changer les configurations actuelles. La défense des Français doit être globale et sans maillon faible. Ultime garantie de la nation, elle doit s’adapter à toute surprise stratégique. Face à un très large spectre de menaces, l’équilibre entre les cinq fonctions stratégiques décrites dans le Livre blanc – protection, dissuasion, intervention, connaissance et anticipation, prévention – ne doit pas être remis en cause, comme l’a souligné devant vous le ministre de la Défense lors de son audition d’hier. Le danger existait en effet d’un déséquilibre de l’intervention au bénéfice de la protection.

Pour assurer la cohérence d’ensemble, je reste attentif à l’adéquation entre les missions et les moyens, que j’ai évoquée ; à l’adéquation entre les besoins et les ressources – on touche là à la question des ressources exceptionnelles, et le Président de la République a tranché en sécurisant l’essentiel des ressources en zone budgétaire ; enfin à l’adéquation entre le physique et le financier, là où, parfois, la seule approche comptable peut provoquer des dégâts dévastateurs.

Voilà qui me conduit à mon deuxième point d’attention : le budget.

En dépit d’un abondement en ressources, l’équation financière reste tendue : nous avons obtenu plus de crédits – 3,8 milliards d’euros –, mais nous devons remplir davantage de missions – comme le déploiement de 7 000 hommes sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités. C’est, entre autres, l’enjeu des plans de transformation dont je vous ai parlé.

Depuis ma dernière intervention devant vous, nous avons conjuré plusieurs risques que laissaient craindre la tension sur les effectifs, les hypothèses d’export et le montant des ressources exceptionnelles. Toutefois, des préoccupations subsistent : le surcoût des opérations extérieures et intérieures, le tempo d’arrivée des ressources et les conséquences des contrats d’exportation.

En ce qui concerne le surcoût des opérations, au-delà de la provision annuelle de 450 millions d’euros, le mécanisme de financement des opérations doit continuer à répondre à une logique de besoins et non à une logique de moyens avec le principe de couverture par recours à la réserve interministérielle de précaution, conformément à l’article 4 de la LPM. Une revue des opérations est en cours afin de déterminer les potentielles sources d’économies. Nous veillons à modérer les coûts des opérations en prenant en compte un juste équilibre entre les effets à obtenir sur le terrain et les moyens engagés. À ce stade, pour 2015, la prévision est au moins de 1 milliard d’euros, auquel il faut ajouter le financement de l’opération Sentinelle.

Pour ce qui est du tempo d’arrivée des ressources financières, je continue à craindre le grignotage progressif, en gestion, de nos ressources financières. Je vous l’ai dit, certains de nos matériels arrivent en fin de vie. Il n’est plus possible de les prolonger sans faire prendre des risques inconsidérés à nos soldats. Le calendrier d’arrivée des équipements ne peut être tenu que si le tempo de mise en place du budget correspondant est respecté. Il en va de l’équilibre structurel et indispensable entre les hommes, les équipements et le budget.

Je resterai vigilant sur trois domaines de fragilité en gestion et tout d’abord sur le coût des facteurs. Actuellement, la conjoncture économique est favorable et a permis de prendre sous enveloppe certaines charges additionnelles sans remettre en cause les équilibres de la LPM. Nous restons néanmoins attentifs à un retournement toujours possible de la conjoncture économique. Pour couvrir ce risque, la mission d’évaluation des conditions économiques confiée à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Contrôle général des armées (CGA) a été prolongée, et j’y suis favorable. Elle devra analyser les conséquences des derniers indices économiques de mai, ainsi que l’évolution des charges nouvelles au sein du ministère de la Défense qui viennent diminuer d’autant les économies putatives issues du coût des facteurs et du prix du carburant. L’objectif est de dégager 1 milliard d’euros par ce biais afin de contribuer à financer les dépenses d’équipement. Deuxième point de fragilité : le financement du service militaire volontaire. L’adaptation à la métropole du principe du service militaire adapté (SMA) était une proposition des armées au titre de la cohésion nationale – c’est moi qui l’ai proposée. Je crois en effet que nos armées peuvent et doivent aider les jeunes en marge des dispositifs traditionnels socio-éducatifs. Les armées sont déjà engagées dans des dispositifs d’aide aux jeunes en difficulté. Le service militaire volontaire est un enjeu de cohésion nationale. Dès lors, au-delà de la phase d’expérimentation, son coût ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Mon discours ne varie pas : à mission nouvelle, moyens nouveaux.

Le troisième point concerne les charges financières liées au soutien aux exportations, qui sont également l’un de mes sujets de préoccupation, car il est encore trop tôt pour les évaluer avec précision. J’attends d’ailleurs des industriels qu’ils soient vigilants à ne pas pénaliser financièrement les armées qui ont contribué à leurs succès. Il serait incompréhensible que nous ne bénéficiions pas de la baisse des coûts unitaires de certains équipements vendus à l’export et des retours sur le coût des programmes d’équipements à venir.

Dernier point d’attention, le moral reste pour moi un sujet majeur de préoccupation. Dans le contexte actuel, nos subordonnés ressentent parfois un double sentiment : d’une part, une surchauffe et une lassitude engendrée par l’opération Sentinelle, la livraison reportée de certains équipements majeurs et les conséquences des multiples réformes de ces trente ou quarante dernières années ; d’autre part, une condition du personnel dégradée du fait du report de permissions, du célibat géographique, de l’état de certaines infrastructures. Les décisions prises par le Président de la République ont créé un soulagement certain et une espérance réelle. Toutefois, leurs effets ne se feront pas tous sentir à court terme.

Le moral est à surveiller aussi dans le contexte de la création des associations professionnelles nationales des militaires. À défaut d’avoir été souhaitée par les militaires eux-mêmes, c’est une évolution inéluctable imposée par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Le texte qui est inclus dans l’actuel projet de loi a été préparé en totale concertation avec les armées, sur la base du rapport Pêcheur. Ce texte est équilibré en ce qu’il préserve la finalité opérationnelle des armées ainsi que le commandement de proximité. Je n’ai pas d’inquiétude à ce stade. Je n’en resterai pas moins attentif à l’application de ce dispositif, afin que la concertation ne s’oppose pas au commandement, mais que les deux se bonifient mutuellement, pour une plus grande efficacité de nos armées.

Le moral de nos armées est un sujet crucial, car ce sont les forces morales qui font la différence sur le terrain. Nous avons de formidables soldats – je ne le dis jamais assez. Ces femmes et ces hommes font preuve d’un courage, d’un sens du devoir et d’une générosité incroyables, alors que leurs conditions de vie et de travail sont souvent rudimentaires. Ils ne demandent que les moyens nécessaires pour remplir décemment les missions qui leur sont confiées. Depuis des années, ils acceptent, ils endurent, ils risquent leur vie, avec des rémunérations modestes. Nous leur devons une attention à la hauteur des sacrifices personnels, familiaux et financiers qu’ils consentent au quotidien pour protéger la France et les Français.

Mesdames et messieurs les députés, pour conclure, je dirai que le projet qui vous est proposé est bon. Je me suis battu, avec le ministre de la Défense, pour obtenir trois décisions. La première touche à la réduction des déflations d’effectifs à hauteur de 18 750 postes. La deuxième concerne l’augmentation du budget de la défense à hauteur de 3,8 milliards d’euros et le maintien du bénéfice des économies réalisées grâce à un environnement économique plus favorable, à hauteur de 1 milliard d’euros. Enfin, est acquise la consolidation du budget grâce à des ressources désormais garanties et à l’abandon de la majorité des recettes exceptionnelles qui le rendaient fragile.

Cette actualisation donne aux armées les moyens de remplir toutes leurs missions, telles qu’elles sont inscrites dans le Livre blanc et dans la LPM. Les sujets de défense dépassent les clivages entre les Français. Ils les rassemblent autour d’une communauté de destin.

Dans un contexte économique difficile, j’ai bien conscience que le Président de la République, chef des armées, a pris une décision stratégique très volontariste. Elle répond à l’état du monde et aux menaces qui pèsent sur notre pays. Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté pour mettre en œuvre ce projet. Je suis dans l’action et c’est pour cela que j’ai besoin de décisions rapides et d’un calendrier resserré.

Nous sommes en effet à un tournant stratégique de notre histoire où, pour la première fois depuis des années, nous avons l’occasion de redresser l’effort de défense. Ce tournant historique est à la mesure de la situation. Nous comptons dès lors sur votre appui pour le respect du calendrier de mise en œuvre de ces mesures d’actualisation de notre outil de défense, et de densification de nos armées.

Nos soldats, marins et aviateurs, soyez-en persuadés, demeurent fidèles à la belle devise du maréchal de Lattre, particulièrement d’actualité pour nos militaires d’aujourd’hui : « Ne pas subir. »

Mme la présidente Patricia Adam. Il est plus que nécessaire que la commission s’intéresse aux questions de doctrine. Nous allons d’ailleurs bientôt auditionner le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. De même, la Commission doit suivre de très près, avec le cabinet du ministre de la Défense, l’évolution du coût des facteurs et du fameux milliard d’euros d’économies qu’elle doit permettre. Enfin, concernant nos industriels, compte tenu de leurs succès à l’exportation, nous devons examiner le « retour » qu’ils se doivent de donner à nos forces – retour en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) ou sur les coûts des matériels ? Nous interrogerons à ce sujet les représentants du Conseil des industries de défense (CIDEF), que nous allons bientôt auditionner. Je vous rejoins en tout cas, général, sur le fait qu’elles doivent consentir un effort.

En ce qui concerne les réserves, nous avons toujours été animés de la même volonté, au sein de la commission, même si les chiffres annoncés ne se sont jamais vérifiés. Comment pensez-vous que nous pourrons y parvenir ? Y a-t-il une véritable volonté au sein du ministère de la Défense ? C’est certes celle du ministre, la vôtre et, j’y insiste, celle de la commission, mais je trouve que l’on est un peu frileux sur ces questions et que l’objectif de 2021 me paraît un peu lointain compte tenu de l’histoire des réserves en France.

Vous avez très peu évoqué les organisations professionnelles. Le texte ne prévoit la présence de ces organisations qu’au sein du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Estimez-vous que, à terme, ces organisations doivent trouver leur place au sein des conseils de la fonction militaire (CFM) ?

M. Olivier Audibert Troin. Le ministre de la Défense déclarait hier que ce rendez-vous sur l’actualisation de la LPM était aussi, sinon plus important que celui de 2013. Je partage le souci de vigilance de la présidente de la commission sur le milliard d’euros d’économies réalisées sur le coût des facteurs, et destiné aux équipements. Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons débarrassés de recettes exceptionnelles au profit d’économies qui seraient virtuelles. Vous avez à ce sujet insisté, mon général, sur le fait que vous restiez attentif aux indices économiques du mois de mai ; or, malheureusement, les taux du crédit commencent à remonter.

De même, en ce qui concerne les recettes exceptionnelles des cessions immobilières – presque 1 milliard d’euros –, nous pourrions imaginer un dispositif permettant leur sanctuarisation.

Pouvez-vous nous confirmer par ailleurs que les sas de décompression sont toujours budgétés ?

Le texte prévoit que les espaces d’entraînement s’appuieront sur des modalités nouvelles de soutien : quelles sont-elles ?

Enfin, plus important, pouvez-vous nous éclairer sur la traduction budgétaire concrète de la vente des Rafale ? La LPM 2013 mentionnait 215 avions de combat en parc, le Livre blanc, 225, et, avec l’actualisation, nous passons à 247 appareils, soit 32 de plus que ne prévoyait la LPM 2013. Or le nombre de Rafale qui devaient être livrés – 26 – est toujours le même. Doit-on dès lors ajouter 6 Mirage 2000 ? Qu’est-ce que changent pour nous nos exportations de Rafale ? Nous avons beaucoup entendu dire qu’elles allaient alléger notre engagement vis-à-vis du constructeur. Or si l’on avait 26 commandes en 2013 et toujours 26 après l’actualisation, cela ne change rien.

M. Michel Voisin. Nos prévisions, en matière de révision de la LPM, sont motivées par les événements que nous avons connus – et je tiens à rendre hommage, mon général, au travail de vos hommes et salue les résultats qu’ils obtiennent. Or la hausse de treize autres budgets de la défense en Europe, si je me reporte à la page 15 du document qu’on nous a distribué hier, obéirait à des motifs géostratégiques tout autres que ceux que nous retenons pour nous, puisqu’il s’agit pour ces pays de répondre au différend entre l’Ukraine et la Russie. À titre personnel, je pense que c’est dans une certaine mesure réveiller la guerre froide. Il me paraît difficile de justifier notre propre révision en fonction de ces mêmes considérations.

Général Pierre de Villiers. Si treize pays augmentent leur budget de défense en Europe, c’est une réelle prise de conscience. On avait tendance jusqu’à présent, en effet – et je l’ai répété pendant trois jours à Bruxelles – à constater que le monde était de plus en plus dangereux et, par conséquent, à diminuer les budgets alloués à la défense ! Les pays membres de l’OTAN se sont engagés à arrêter la baisse de ces budgets, puis à faire en sorte qu’ils représentent 2 % du PIB. Tout le monde est d’accord pour renforcer les moyens face au flanc est et face au flanc sud – terme impropre, d’ailleurs, pour ce dernier, puisque le terrorisme frappe partout, y compris au nord.

L’actualisation de la LPM n’est pas spécifiquement faite pour répondre à une menace, par exemple celle de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine, mais pour répondre à toutes les menaces ; et, si le calendrier a été accéléré, c’est d’abord à cause des attentats de janvier et de la nécessité de protéger le territoire national.

En ce qui concerne la question de M. Audibert Troin relative aux coûts des facteurs, bien sûr, il ne s’agit pas d’éviter un aléa pour retomber dans un autre. Je considère par conséquent que je dispose bien du milliard d’euros en question et qu’il engage l’équilibre entre les capacités et les effectifs.

Quant aux recettes immobilières, vous avez pu constater une augmentation par rapport à la LPM précédente. Ces recettes, comme toute recette exceptionnelle, sont liées au résultat des ventes – sur lequel je resterai très vigilant. La clause de sauvegarde a disparu – il me paraîtrait pourtant logique qu’elle soit maintenue dans le cas de recettes exceptionnelles. Les recettes issues de cessions, pour la période 2015-2019, représentent 930 millions d’euros

Pour ce qui concerne le sas de décompression, désormais, quand une opération à risque est susceptible d’entraîner des chocs post-traumatiques, il sera obligatoire. Il sera financé dans le cadre du surcoût OPEX, comme le prévoit l’article 4 du texte.

J’en viens aux espaces d’entraînement et aux nouvelles modalités d’entraînement et de soutien. Les soutiens se modernisent dans tous les domaines, qu’il s’agisse du commissariat des armées, des organismes destinés à la préparation opérationnelle ou des écoles. Nous sommes en train d’affiner le maillage territorial avec les bases de défense. Pour l’heure, ces espaces concernent l’armée de terre et sont liés à son projet « Au contact ! ». Le CEMAT a débuté sa mise en œuvre ce qui conduira à réorganiser la force opérationnelle terrestre et donc le soutien en liaison avec le soutien interarmées et les bases de défense. Je note que ce dispositif marche de mieux en mieux, en tout cas si j’en juge par le nombre de plus en plus réduit de visites qui me sont faites sur ce sujet – car on vient évidemment toujours voir son chef non pour lui signifier que tout va bien, mais pour lui signaler des dysfonctionnements.

Pour ce qui est de la vente des Rafale, ma seule référence est la LPM, mais chaque contrat a sa spécificité. Par exemple, en ce qui concerne le contrat avec l’Égypte, on nous prélève six Rafale. Mais, en 2019, j’aurai les 26 Rafale que je dois avoir. Par ailleurs, on nous a prélevé une FREMM que la marine attendait depuis des années et qu’elle était sur le point d’obtenir. Nous la récupérerons et il y aura bien six FREMM en 2019. Il est certes de l’intérêt non seulement de la marine, mais de tous d’exporter des FREMM ; mais ce qui m’intéresse, c’est le contenu physique et le contenu financier. Je ne suis pas, par ailleurs, en mesure de vous donner le détail du contrat avec le Qatar et donc de vous indiquer ses conséquences pour les armées.

Un des dangers des contrats à l’export, on l’a vu avec l’Égypte – il nous a fallu être très vigilants –, serait de « déséquiper » l’armée française pour exporter nos matériels. On a fait un effort avec l’Égypte et c’était de l’intérêt de tout le monde, mais le ministre s’est fermement engagé à ce que nous récupérions la FREMM et les six Rafale.

M. Olivier Audibert Troin. Dans la LPM 2013, 26 Rafale devaient être livrés, sur la base de contrats d’exportation comptant 40 Rafale vendus. Nous en sommes à 48 vendus aujourd’hui, sans compter ce qui pourrait se passer avec l’Inde. Quelle est concrètement l’implication budgétaire de cette manœuvre ?

Général Pierre de Villiers. Il s’agit d’une manœuvre globale, mais nos 26 Rafale et nos six FREMM seront bien livrés sur la période de la LPM. Le calendrier a évolué mais nous avons ainsi réglé le problème du maintien des lignes de production pendant les années blanches, - années qui ne prévoyaient pas de livraisons au profit des armées et durant lesquelles l’export devait prendre le relais.

M. Olivier Audibert Troin. Il n’y a donc pas d’impact budgétaire ?

Général Pierre de Villiers. C’est essentiellement un glissement de calendrier dont l’impact budgétaire, sur le plan de l’activité, du MCO et des effectifs est en train d’être évalué.

M. Michel Voisin. Concernant la hausse des treize budgets de défense en Europe, quel est le mécanisme qui nous permet d’avoir les mêmes objectifs ? Je pose la question de la défense européenne : les budgets augmentent et les objectifs doivent être les mêmes.

Général Pierre de Villiers. Il est vrai que la Pologne, l’Estonie ou l’Allemagne augmentent leur budget. Pour ce qui est du Royaume-Uni, la situation reste incertaine. En tout cas, les pays européens et les pays de l’OTAN ont compris que la France augmentait son effort de défense. Le signal a été clairement perçu.

M. Philippe Vitel. On va créer 15 399 postes : 11 000 vont être consacrés aux forces opérationnelles terrestres, 1 000 au renseignement, 1 000 à la cyberdéfense, ce qui fait 13 000 postes. Il en reste donc 2 400. En même temps, on en supprime 22 300. La déflation va donc être de 20 000 postes – sur 220 000 – pour toutes les armées en dehors de l’armée de terre. Comment cela peut-il se faire sans impact sur les capacités opérationnelles ?

D’autre part, on va supprimer 5 500 postes de civils, en privilégiant le recrutement des catégories A et B. Cette mesure aura donc un impact sur les catégories inférieures. La disparition de ces postes ne va-t-elle pas entraîner une externalisation ?

J’ai le sentiment que l’action de l’État en mer n’est pas la mieux servie, alors qu’il y a aujourd’hui des menaces majeures, en particulier en Méditerranée. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, concernant l’entretien programmé des matériels, qui représente grosso modo 3,2 milliards, une hausse de 4,3 % était initialement prévue, à laquelle s’ajoutent 500 millions. Ces sommes sont-elles suffisantes par rapport à l’état des matériels qui reviennent du Mali ? Ne faudrait-il pas que les crédits soient libérés plus rapidement ?

M. Yves Fromion. Il est question de recréer des compagnies dans l’armée de terre, ce qui ne s’était pas produit depuis fort longtemps et constitue effectivement un événement. Nous restons toutefois dans le cadre d’une déflation globale et d’une manœuvre des ressources humaines au sein des forces armées. Le chef d’état-major de l’armée de terre a mis en œuvre un nouveau modèle, baptisé « Au contact ! ». Pourriez-vous nous en dire quelques mots et nous expliquer quels sont les transferts prévus entre l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air, afin d’avoir enfin des informations précises ?

S’agissant des livraisons de matériels, nous partageons votre sentiment : il est indéniable que l’affaire des 2 milliards dont vous avez parlé présente un intérêt, mais elle n’en paraît pas moins fragile. Pouvez-vous préciser le calendrier ? Nous nous interrogeons sur le coût des facteurs. Vous demande-t-on des économies supplémentaires ? Ou compte-t-on simplement sur une baisse des prix ?

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir de constater qu’il a été décidé de rebudgétiser les ressources exceptionnelles. Cela consolide l’ensemble de nos forces. Nous espérons que vous continuerez à bénéficier d’un vent favorable.

Général Pierre de Villiers. En matière d’effectifs, il faut avoir un raisonnement global interarmées. À ce stade, les 18 750 postes correspondant à la moindre déflation se répartissent de la manière suivante : 11 000 iront renforcer la force opérationnelle terrestre (FOT), principale composante de l’armée de terre. Grâce à ces effectifs supplémentaires, l’engagement durable dans Sentinelle sera tenable. Les 7 750 restants seront ventilés au sein du ministère afin de réaliser les plans de transformation des trois armées directions et services, renforcer le renseignement, la cyberdéfense et la protection mais aussi le soutien à l’export.

Il nous reste à construire finement la manœuvre tant quantitativement que qualitativement. Ainsi, nous allons poursuivre le dépyramidage, car nous sommes persuadés qu’il est vertueux, qu’un jeune peut commander qu’il n’est pas nécessaire d’attendre d’avoir cinquante ans pour occuper certains postes à responsabilités.

La manœuvre quantitative touchera toutes les armées, directions et services. Le calendrier est certes influencé par la montée en puissance de la FOT : elle doit se mettre en place rapidement, en deux ans ou deux ans et demi, mais cela ne se fera pas au détriment de la marine ou de l’armée de l’air, car la cohérence du modèle serait alors perturbée.

Le chantier, énorme, complexe, ne sera pas terminé en huit jours. Nous voudrions avoir élaboré l’ensemble d’ici au 14 juillet, pour que chaque chef d’état-major, chaque directeur, chaque service ait une vision claire de la période 2015-2019. Mon action est dictée par le souci de l’intérêt général et se déroule dans la fraternité d’armes : avec les chefs d’état-major, nous formons une véritable équipe de commandement.

Monsieur Vitel, je ne partage pas votre sentiment en ce qui concerne l’action de l’État en mer (AEM). Peut-être ne lui a-t-on pas accordé suffisamment d’importance pendant des années, mais la maîtrise des flux, de tous types, vient nous rappeler qu’elle est indispensable, y compris pour la protection de nos côtes. Vous savez que l’AEM dépend du Premier ministre. Or j’ai passé quatre ans au cabinet militaire de Matignon et je suis donc très sensible à la question. Aujourd’hui, il me semble au contraire que la fonction est consolidée. L’amiral Rogel et moi-même sommes très vigilants, car nous connaissons l’état de certains de nos bateaux : nous nous sommes battus pour inscrire le B2M, le bâtiment multi-missions, et le BSAH – bâtiment de soutien et d’assistance hauturier. Sans doute, il faut faire encore plus. Mais ces deux bâtiments n’étaient pas prévus à l’origine.

En ce qui concerne l’entretien programmé du matériel (EPM), je ne sais pas si les 500 millions d’euros suffiront, car les besoins sont importants. Nous n’avons certes eu aucun mal à convaincre sur ce sujet, car personne ne peut contester la nécessité de remettre à niveau et de régénérer nos équipements après les engagements que nous menons sur les théâtres d’opérations. Mais c’est tout de même un beau geste, et d’autant plus que les crédits avaient déjà été augmentés dans la LPM.

Ce sont donc 2 milliards qui sont consacrés aux équipements : 500 millions pour l’EPM, 500 millions budgétés en 2018-2019 et 1 milliard lié au coût des facteurs. Nous avions bâti nos hypothèses en euros courants : en règle générale, cela ne nous est pas toujours favorable, mais, cette fois, nous avons eu un coup de chance et l’hypothèse s’est révélée favorable. J’ai demandé qu’on nous laisse le bénéfice des économies ainsi réalisées, d’autant que les charges additionnelles en consomment une bonne partie. Ce milliard est indispensable pour financer les équipements en 2016 et 2017.

Considérant nos besoins capacitaires en 2016-2017, je dois flécher les économies à récupérer durant la même période au sein des programmes – 212, 178 et 146 –, pour que le train d’équipement reçoive les crédits qui conviennent. Telle est la manœuvre que nous élaborons avec le délégué général pour l’armement (DGA) et la direction des affaires financières (DAF). Nous nous sommes donnés jusqu’à la fin du mois de juin pour parachever ces travaux. Vous pourrez interroger le DGA à ce sujet.

Il faut ensuite lier cela à la gestion et au report de charge, variable importante du programme 146, qui ne se présente pas trop mal pour 2015 : cela nous aidera pour la manœuvre concernant les équipements.

M. Yves Fromion. Quand on considère la liste importante des matériels qui vont être commandés, on se demande comment ce milliard d’euros – somme intéressante, mais modeste au regard des commandes – a suffi à débloquer la situation.

Général Pierre de Villiers. Nous avons conduit notre démarche d’élaboration du besoin capacitaire en un temps record. La liste des équipements a été circonscrite et leur acquisition échelonnée dans le temps. Aux 2,8 milliards pour les effectifs et aux 500 millions d’euros pour l’EPM, il faut ajouter 1,5 milliard, indispensable à la cohérence du modèle.

M. Yves Fromion. Cette somme de 1,5 milliard d’euros paraît modeste au regard de la liste que vous avez évoquée.

Général Pierre de Villiers. La LPM était bonne, et nous n’avons pas grand-chose à y ajouter pour tenir compte des principaux enseignements capacitaires de nos engagements d’aujourd’hui. Certes, si nous disposions de 4 milliards, nous saurions les dépenser. Pour capturer un chef terroriste, j’ai été amené à reporter des opérations, souvent par insuffisance de moyens : hélicoptères, flotte tactique, drones, jumelles de vision nocturne. Le 1,5 milliard d’euros doit servir à nous procurer ces équipements.

Notre modèle était donc bien conçu. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer le nombre des opérations que nous avons menées depuis deux ans et demi. Je le mesure à l’emploi du temps de mes vacances et de mes week-ends, ce qui est un indicateur comme un autre ! Finalement, ce 1,5 milliard nous permet uniquement d’ajuster un modèle qui a fait ces preuves.

M. Philippe Folliot. Vous avez dit à juste titre que des aléas très forts caractérisaient la LPM. Ils ont été remplacés, dans le cadre de cette révision, par des aléas de moindre importance, mais qui n’en restent pas moins des aléas. C’est le cas, par exemple, du milliard d’économies sur le coût des facteurs et des recettes anticipées des cessions immobilières. Celles-ci sont soumises à un double aléa : celui du marché, qui n’est pas très porteur en ce moment, et celui lié à l’application des dispositions de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Nous avons été plusieurs, lors de la discussion du texte, à demander que le ministère de la Défense soit exclu du champ d’application de la loi, qui prévoyait de transférer gratuitement aux collectivités locales du foncier public pour réaliser du logement social.

L’opération Sentinelle et les nouveaux engagements ont eu pour conséquence, dites-vous, de réduire la préparation opérationnelle. Pourriez-vous nous donner quelques précisions à cet égard ? Des engagements internationaux ont été annulés. Lesquels ? Dans quel cadre ? Qu’en est-il des problèmes liés au repos et à la récupération ?

Le rapport annexé signale que la cyberdéfense fera l’objet d’un effort marqué, avec 1 000 personnels supplémentaires. Pour la première fois, il est question des capacités offensives de la cyberdéfense, alors que nous étions jusqu’à présent dans un schéma plutôt défensif. Pourriez-vous nous donner quelques éléments d’information sur ce point ?

Concernant les drones, la page 18 mentionne des « drones MALE », mais la formulation est assez floue. On ne sait pas si ce sont des Reaper et si l’état d’avancement des projets nationaux et européens en la matière permettra de faire en sorte que nous n’achetions pas sur étagère. Pourriez-vous nous apporter des précisions en la matière ?

En ce qui concerne le quatrième B2M et le remplacement des frégates de surveillance, je voudrais vous interroger sur le programme BATSIMAR, qui vient compléter les missions de souveraineté fondamentales dans notre domaine maritime.

On parle toujours de 1 000 hommes supplémentaires pour les forces spéciales. Où seraient-ils affectés en priorité ?

N’y a-t-il pas une contradiction entre l’objectif de diminution du poids des états-majors et la création d’un commandement du territoire national et d’un commandement de la formation et de l’entraînement interarmes ?

Deux cents chars Leclerc doivent être modernisés. Il me semble que nous en possédons 250. Qu’adviendra-t-il des 50 chars qui ne seront pas modernisés ?

S’agissant du transport tactique, j’aimerais en savoir plus sur les quatre C-130.

Pour conclure, quid de l’A400M, après l’accident survenu à Séville il y a quelques jours ?

M. Francis Hillmeyer. Nous apprenons que 20 % des matériels revenant du Mali sont irrécupérables et que nous consommons plus vite le matériel qu’il n’est régénéré. Cette constatation a tout lieu de nous inquiéter.

Dans quel sens doit être rénové le système de la réserve ?

Nous nous sommes récemment rendus, avec la présidente de la Commission et quelques collègues, à la Brigade franco-allemande (BFA). Nous y avons vu du matériel datant de l’époque de mon service militaire ! Dans certains camions antédiluviens, les sièges du conducteur étaient complètement défoncés. Quelle peut être l’employabilité de la BFA dans ces conditions ?

M. Jean-François Lamour. Pourriez-vous ajouter, Mon général, un point d’attention en ce qui concerne la rebudgétisation des ressources exceptionnelles ? Certes, c’est une excellente nouvelle. Mais, dès lors qu’on parle de budget, il peut être question de mise en réserve, de gel, de régulation et, parfois, d’annulation de crédits. La nouvelle ligne budgétaire de 2,3 milliards, qui devrait apparaître en septembre, risque-t-elle d’être soumise à une réserve, à un gel, voire à une annulation ? La question se posera en tout cas pour les prochains exercices, puisqu’il reste encore un peu plus de 3 milliards d’euros qui, selon la règle, sont transformés en crédits budgétaires. Savez-vous ce que cela donne pour le prochain exercice ?

Vous avez évoqué la remontée en puissance de la FOT, qui passe de 66 000 à 77 000 soldats. Si je comprends bien, cet effort sera fait sur deux exercices : 7 500 cette année et 2 300 sur l’exercice suivant. Cela veut dire que l’essentiel de l’effort en matière de moindre déflation va être demandé à la FOT. Si c’est le cas, cela implique que les autres armées, mer et air, subiront à plein la déflation qui va se poursuivre. Comment allez-vous concilier deux nécessités : la présence d’hommes sur le terrain pour l’opération Sentinelle et un lissage de la déflation pour que tout le monde y trouve son compte ?

Ma dernière question concerne le coût des facteurs. Le ministre avait évoqué, il y a quelques semaines, un coût du carburant très raisonnable, mais il n’en a pas parlé hier, évoquant plutôt une inflation basse. D’autres facteurs entrent sans doute en ligne de compte. Mais, au regard du chiffre global – 1 milliard d’euros pour la période 2016-2019 –, cela fait à peu près 250 millions par an. Puisqu’on ne vous demande pas de réaliser des économies supplémentaires, où trouve-t-on ces gains ? Comment se répartissent les coûts des facteurs ?

M. Nicolas Bays. La LPM a fixé un objectif de 40 000 réservistes. Pensez-vous que les moyens supplémentaires qu’elle affecte à la réserve sont suffisants pour en améliorer la qualité ? Ne faudrait-il pas prévoir des dispositifs incitatifs en faveur des entreprises qui embauchent les réservistes, afin que ceux-ci soient libérés plus facilement ? Être réserviste, aujourd’hui, est parfois mal perçu, voire handicapant pour une embauche. Pour l’entreprise, cela signifie la non-disponibilité du salarié.

Ne craignez-vous pas que les candidats aux recrutements pour la cyberdéfense ne soient pas de qualité ? Pour faire de la cyberdéfense et surtout de la cyberattaque, il faut des hackers de très haut niveau. On connaît le coût d’un tel hacker, dont le salaire, dans les grandes banques ou dans les grands groupes de l’internet, correspond à l’indice salarial d’un général dix-sept étoiles de l’armée française ! Comment attirer ces personnels avec des salaires qui ne correspondent pas à ce qu’ils peuvent gagner ailleurs ? Aujourd’hui, un très bon hacker chargé d’assurer la sécurité d’une banque gagne 40 000 à 50 000 euros par mois. Comment trouver les meilleurs cadres pour former ces équipes de cybersécurité ?

Général Pierre de Villiers. Nous nous sommes posé la question dès 2009, monsieur Bays, mais, jusqu’à présent, nous avons su attirer des hackers de qualité, qui ne gagnent pas autant que ce qu’ils pourraient gagner ailleurs. Quand nous avons professionnalisé l’armée en 1996, je pensais que nous n’arriverions pas à recruter dans la durée des gens de qualité pour remplacer les appelés dans certaines niches. Or je constate tous les jours qu’il y a des militaires du rang, des bacs + 2, payés au SMIC. Nous recrutons dans des domaines pointus des gens qui ne gagnent pas ce qu’ils seraient en droit d’espérer ailleurs. Ils viennent chercher chez nous des valeurs, une famille, de l’aventure, y compris en matière de cyber. Peut-être serons-nous contraints de trouver un jour des systèmes d’attractivité.

Pour ce qui est de la réserve, je ressens une conjonction de facteurs favorables, ne serait-ce que, pour la première fois, son inscription dans un projet de loi. Il s’agit d’un projet cohérent : une réserve plus nombreuse – 40 000, avec une dotation budgétaire supplémentaire de 75 millions d’euros sur 2016-2019 –, plus réactive, avec des périodes plus longues, et plus attractive vis-à-vis de la fonction publique et du secteur privé.

Nous devons par ailleurs réorganiser les réserves en profondeur, en les territorialisant, pour que le militaire engagé dans l’opération Sentinelle à Marseille soit un Marseillais plutôt qu’un Strasbourgeois. Ce serait plus intelligent, puisqu’il connaîtrait la ville et la population. C’est cela, la territorialisation, l’esprit de défense. C’est pour cela qu’on peut aller beaucoup plus loin dans la réorganisation des réserves.

Le projet est globalement cohérent. Ce qui n’y figure pas, c’est ce qu’il reste à faire : changer la loi, discuter de dispositifs incitatifs, y compris au plan économique ou social, rédiger les décrets d’application. Tout cela ne se fera pas en un jour, même s’il est toujours possible d’accélérer en cours de route. Mieux vaut, pour avoir une chance d’aboutir, se doter d’un calendrier prudent et de chiffres modestes. Notre armée professionnelle n’est pas encore totalement équilibrée, car le pilier réserve y est insuffisant. La défense du territoire, telle qu’elle se dessine, nécessitera que ce pilier ait plus de responsabilités qu’aujourd’hui, y compris dans des missions comme Sentinelle. Notre système, issu de la réserve d’avant 1996, doit définitivement faire sa mutation. Partout, je rencontre des volontaires qui sont prêts à y participer. En outre, dans les armées, certains ont besoin d’une réserve plus collective, d’autres d’une réserve plus individuelle. Tout doit être cousu main, et cela prendra du temps.

En ce qui concerne la montée en puissance de la FOT, notre ambition est de recruter 11 000 soldats supplémentaires en deux ans. C’est une nécessité pour l’armée de terre puisque 7 000 soldats ont été déployés sur le territoire national et que l’opération Sentinelle est appelée à durer. Nous avons fait appel à tous les personnels disponibles de la FOT. Nous avons donc annulé 50 % des exercices centralisés de l’armée de terre. C’est pourquoi j’ai besoin d’une accélération du calendrier : nous devons commencer sans tarder, accélérer, empêcher les départs et recruter. Si, depuis quelques semaines, nous mettons en place cette manœuvre, c’est pour que les gens puissent continuer à s’entraîner, pour que les exercices puissent avoir lieu au second semestre et pour que soient rapidement rétablis les exercices internationaux que nous avons annulés en catastrophe.

Pour les ressources exceptionnelles de 2015, nous avons choisi de passer par le projet de loi de finances rectificative de fin d’année. D’ici là, pour éviter la rupture de trésorerie entre septembre et novembre, s’agissant notamment du programme 146, il y aura un décret d’avance, un dégel des crédits, puis des mesures de gestion. Je suis assez optimiste en la matière, mais je reste très vigilant. Pour la suite, c’est plus clair, puisque les crédits figurent dans le budget pour 2016.

Je milite, moi aussi, pour l’employabilité de la Brigade franco-allemande. Les matériels que vous avez vus sont ceux des unités de l’armée de terre. Loin d’être choqué que vous les ayez vus, j’en suis au contraire ravi et j’ai félicité la BFA d’avoir montré à des députés la réalité de nos armées. Jusqu’à présent, en bons soldats que nous sommes, nous mettions notre fierté à toujours mettre en avant ce qui va bien et à cacher ce qui va moins bien. Les temps changent.

S’agissant du MCO, ma priorité, c’est de régénérer nos anciens matériels, usés par le rythme des opérations et l’abrasivité des théâtres, afin qu’ils tiennent jusqu’à l’arrivée des matériels nouveaux. Avec 500 millions d’euros, ce sera juste. Nous réajusterons en gestion au fur et à mesure, si nécessaire. Je ne peux pas répondre à toutes les questions de M. Folliot, mais je peux lui dire que, de même que pour le B2M et le BSAH, je tiens aux quatre C-130 et que nous les obtiendrons. Ils représentent le minimum vital, selon les études qui ont été faites, pour remplacer les C-160. Le modèle des chars Leclerc est le même que dans les LPM précédentes où nous avions 200 chars modernisés. Il n’y a pas non plus de changement pour les frégates, les BATSIMAR. Les drones MALE sont des Reaper. Il ne faut pas confondre les douze drones MALE que nous devons avoir et le drone MALE 2025, qui est le futur drone MALE européen.

Pour faire face à toutes les difficultés qu’entraîne l’opération Sentinelle en matière de permissions, d’exercices et de désorganisation, nous avons conçu un plan d’action qui porte sur la régénération des effectifs, les conditions de vie du personnel – logement, alimentation, équipement –, décorations, indemnisation. Il comporte deux phases, la première allant jusqu’au 14 juillet, la seconde concernant davantage l’infrastructure. Nous considérons ce plan de la même manière qu’une opération. Les militaires attendent des mesures concrètes qui améliorent leurs conditions de travail.

M. Jean-François Lamour. Pourriez-vous nous éclairer sur la ventilation du milliard du coût des facteurs ?

Général Pierre de Villiers. Ce milliard vient des programmes 146, 178 et 212. Il faut faire l’exercice année par année, sur la période 2016-2019, et mettre en regard nos besoins en équipement. C’est l’exercice que nous sommes en train de faire.

M. Jean-François Lamour. Avez-vous pu identifier le lien, en termes de coût des facteurs, sur l’exercice 2014, qui était la première année de la LPM ?

Général Pierre de Villiers. Nous débattons des chiffres avec l’Inspection générale des finances, le Contrôle général des armées et Bercy. Nous avons identifié le lien entre les économies qu’ont entraînées une moindre inflation et les dépenses des « charges additionnelles », lesquelles sont de deux types : les charges additionnelles interministérielles, auxquelles tout le monde est soumis – augmentation des taxes foncières ou nouvelles normes environnementales – et les charges additionnelles plus spécifiques à la défense, comme le système TELSITE à Mururoa ou le logiciel Louvois. Nous savons à peu près répartir ce milliard sur la période et par programme, en fonction des priorités, dont les quatre C-130 et la tranche hélicoptères, qu’il faut lancer tout de suite.

M. Jean-François Lamour. Cela ne concerne que les exercices qui vont suivre, c’est-à-dire ceux de la période 2016-2019. Vous avez déterminé le volume et le fléchage du coût des facteurs, même si j’ai bien compris que, pour l’instant, vous n’étiez pas d’accord avec Bercy. Mais le lien de 1 milliard ne concerne que l’exercice. Vous n’avez pas une cagnotte en 2015.

Général Pierre de Villiers. L’IGF et le CGA doivent poursuivre leur mission pour nous indiquer si l’hypothèse est réaliste et ce que représentent les charges additionnelles. Nous pourrons ainsi, dans les mois qui viennent, affiner le schéma. Quoi qu’il en soit, 2016-2017 me semble être un exercice raisonnable. Cela étant, il ne faut pas confondre construction et gestion. En l’occurrence, nous sommes en construction. Sans doute de nombreux aléas viendront-ils se greffer en cours d’exécution, mais il me semble que l’exercice tient la route.

M. Jean Launay. En tant que rapporteur spécial de la commission des Finances, je peux vous aider sur la question du budget. Vous en avez évoqué les termes : équation financière tendue, surcoûts liés aux OPEX, tempo d’arrivée des ressources financières, etc. Mais n’y a-t-il pas un autre élément induit par l’actualité ? Je m’interroge en effet sur la portée que pourrait avoir, aux yeux de Bercy, la question des bâtiments de projection et de commandement (BPC) dans l’actualisation de la LPM.

Général Pierre de Villiers. Je n’ai pas de besoins capacitaires supplémentaires par rapport à la LPM. Je n’ai donc pas besoin de ces BPC. Il ne s’agit pas d’un dossier militaire, mais d’un dossier diplomatique, économique, politique, international. Je reste vigilant, car ce sont des bateaux militaires, mais, à ce stade, cela ne pollue pas l’exercice. Je rappelle que des garanties Coface ont été prises.

J’en viens, madame la présidente, à votre question sur les associations professionnelles militaires. Nous avions un certain nombre d’exigences et de garanties à obtenir. Nous ne voulions pas introduire les syndicats, de près ou de loin. Le ministre l’a clairement annoncé. Telle que la loi est rédigée, ce sera le cas. Nous ne voulions pas alourdir la chaîne de commandement, notamment au plan local, avec des comités Théodule qui compliqueraient encore un peu plus le métier militaire d’un chef de corps, d’un commandant de base aérienne ou d’un commandant de bateau. La concertation fonctionne bien localement. Nous ne voulions pas opposer commandement et concertation. Le projet de loi garantit tout cela.

Votre question porte sur les conseils de la fonction militaire (CFM). Nous avons longuement discuté avec les chefs d’état-major. Au départ, certains voulaient introduire les associations dans les CFM, tandis que d’autres souhaitaient les limiter au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Finalement, on en est arrivé, à la conclusion que les CFM fonctionnaient bien et que, dans l’immédiat, il était préférable de limiter la présence des associations au CSFM. Le projet de loi ne ferme pas structurellement les CFM aux associations et le décret d’application prendra en compte cette possibilité d’ouverture. Nous avons tenu à ce qu’il en soit ainsi, après avoir eu un débat en interne entre les chefs d’état-major des différentes armées.

À ce stade, je considère que c’est un bon projet, qui ne présente pas de risque pour le commandement et va créer une dynamique de concertation supplémentaire. Introduire les associations dans le CSFM va redynamiser l’ensemble, qui sera peut-être plus opérationnel. Ces associations ayant forcément plus de temps et une plus grande liberté pour étudier les dossiers, elles apporteront un plus au CSFM. En fin de compte, d’une contrainte imposée par la Cour européenne des droits de l’homme, naît ce qui peut constituer une opportunité. Je ne vous cache pas que nous avons d’abord considéré l’affaire avec circonspection, mais, tel qu’il est rédigé, le texte apporte toutes les garanties auxquelles nous tenions.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général, ainsi que nos collègues, pour la qualité de ces échanges.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.


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