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Un siècle d'urbanisme à Diego Suarez - 2ème partie : Une ville à deux têtes

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Mercredi, 11 Décembre 2013

La « Direction de l’Intérieur » de Diego Suarez

Ville nouvelle, destinée à assurer la présence française dans l’Océan Indien, Antsirane a été créée par les militaires pour les militaires. Comme le dit le géographe Rossi: « La construction de la ville a donc été dictée uniquement par des considérations stratégiques ». Cependant, l’activité économique engendrée par la présence de l’Armée va attirer une population civile qui ne fera que croître avec la colonisation de tout le pays en 1895.

Cette dualité entre la ville militaire et la ville civile va marquer durablement la gestion et le développement urbain du chef-lieu du Territoire de Diego Suarez.

Du Commandant Caillet au Gouverneur Froger

Après le traité Franco-Merina de 1885, la première installation française est celle de la Dordogne, gros navire-ponton, affecté au service de Diego Suarez en juin 1885, qui servira de résidence au premier « commandant supérieur » du nouvel établissement, le capitaine de frégate Caillet. Voici la description que donne De Mahy de cet « établissement » : « nous avons mis pied à terre au village d’Antombouck ou Antsirane, composé d’une vingtaine de paillottes malgaches, abritant une population très pauvre, de cent vingt ou cent cinquante habitants. A gauche du village, le casernement de nos soldats, très bien conditionné [...]Au-dessus du village s’élève un plateau qui s’étend vers le sud. Sur le rebord du plateau, deux fortins dominent le village et la rade ». Ces casernements, nous dira plus loin De Mahy « ont été faits par les hommes de la Dordogne et par la troupe au moyen des débris du transport l’Oise, naufragé en février dernier à Tamatave. Bref, on a tiré parti de tout, le mieux qu’on a pu ». Dès l’origine, le village civil a donc coexisté avec les installations militaires. Dans sa conversation avec François de Mahy, le commandant Caillet évoque le développement... futur, de la nouvelle colonie française, où les militaires occuperaient Cap Diego alors que la ville se développerait sur le village malgache : « C’est là, sur le cap Diego, que devraient être placés, selon M. Caillet, les premiers établissements du futur arsenal : hôpital, casernement, fort, parc à charbon etc. La ville marchande occuperait la place du village malgache que nous avons visité la veille, et les environs. L’eau de l’aiguade d’Antsirane est excellente... » Mais « il n’y a encore rien de construit au Cap Diego, sauf un petit quai en pierres, qui a été fait par un créole de Bourbon, sous la direction du commandant Caillet » (François de Mahy). Il fallut attendre les instructions du 28 août et du 2 septembre 1886 qui préconisaient l’occupation des hauteurs qui dominent la baie au sud, pour que le Commandant Particulier Caillet décide de grouper toute la partie active de la garnison de Diego Suarez à Antsiranana, en vue de l’exécution des travaux de fortification et de défense de l’Etablissement. La double vocation, militaire et commerciale de Diego Suarez s’impose donc dès les débuts de l’installation française mais elle se fait- difficilement- sous l’autorité des militaires. Difficilement parce que, déjà, l’argent manque.

Un correspondant anonyme de la Société de Géographie commerciale insiste sur les difficultés pour faire rentrer l’argent, qui provient exclusivement des droits de douane : « Le commerce de Diego Suarez se plaint des droits de douane exorbitants que l’on paye à l’entrée et à la sortie ». Aussi, pour échapper à ces taxes, les navires marchands débarquent -ils leur chargement dans le port d’Ambodivahibe, contrôlé par les Merina d’Ambohimarina : « Il y a tout avantage à débarquer en pays hova parce qu’on peut s’arranger avec le chef de la douane et payer moins ! » Et le correspondant de la Société de Géographie suggère : « à mon avis, on devrait déclarer Diego Suarez port franc pour toutes les marchandises excepté les alcools, et autoriser le commandant particulier à mettre sur l’entrée des alcools un droit qui serait versé dans une caisse destinée à subvenir aux divers travaux hygiéniques nécessités par les conditions climatériques du pays, à entretenir un service de voierie, à créer un lazaret pour les quarantaines... à construire un aqueduc destiné à amener l’eau et à établir un service de bateaux chalands allant verser en dehors de la rade les immondices et les détritus, animaux et végétaux, qui empoisonnent sa plage ».
Nous voyons donc que, dès sa naissance, se posent les deux problèmes auxquels est confrontée la future ville d’Antsirane : la prééminence militaire et les sources de financement.

Un gouverneur civil pour Diego Suarez

Le 4 mars 1887, arrive à Diégo le nouveau « commandant particulier » du Territoire : un civil, M.Froger. Le correspondant de la Société de Géographie remarque : « il est rempli de bonnes intentions mais, malheureusement, il a les bras liés par ses instructions. Il peut et il ne peut pas. Il doit référer pour tout au ministre, et cela occasionne des retards ». Dès son arrivée, en 1887, Froger va avoir à résoudre la problématique de Diego Suarez : qui aura le pouvoir dans le Territoire ? Où trouver des moyens de financement dans une ville où tout est à faire ? En ce qui concerne la concurrence civils / militaires, Froger demande au Ministère « d’éclaircir au mieux cette situation et de mettre fin aux rivalités entre personnel militaire et civil ». La forte personnalité de Froger lui permet d’échapper en partie à l’influence militaire en regroupant tous les services civils à Antsirane et surtout, d’obtenir un budget autonome pour l’administration civile (alors que le budget de la ville dépendait jusque là du budget de l’Armée). Par une dépêche ministérielle du 4 juin 1888, l’autorisation est donnée au Gouverneur « d’établir un budget local régulier, à Diego Suarez, à partir du 1 er janvier 1889 ». Ce budget, établi essentiellement à partir des impôts et des taxes, permit d’établir les premiers équipements de la ville, mais, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, ces équipements restèrent rudimentaires. La voierie —qui avait été confiée à un entrepreneur privé, M.Chaming’s— se réduisait au ramassage des ordures dans les ruelles assez larges (elles étaient rares) pour laisser passer une charrette et à l’installation de tinettes devant les maisons (à partir de 1895 seulement). Quant à l’éclairage, il était à la charge des habitants qui devaient laisser une lanterne allumée toute la nuit devant leur porte. Cependant, avec l’accroissement de la population et par conséquent des imposables, le budget est quasiment quadruplé entre 1889 et 1894. Cela va permettre au Gouverneur Froger d’entamer un plan d’équipement de la ville, qui reste encore, cependant, étroitement dépendante des militaires. C’est ainsi que l’essentiel du service de santé dépend en grande partie de l’hôpital militaire de Cap Diégo, la ville d’Antsirane ne disposant que d’un dispensaire installé dans une baraque en bois, tenu par un médecin des colonies qui dispense les soins d’urgence. C’est l’approvisionnement en eau qui reste le meilleur indicateur du développement « parallèle » de Diego Suarez en ce qui concerne civils et militaires. Dans les premières années, une fontaine, installée par l’Artillerie au-dessus du port, est réservée aux militaires alors que la « fontaine du tamarinier », dans la ville basse fournit la population civile. Louis Brunet remarque à ce sujet, en 1888 : « à Diego Suarez, en temps ordinaire, un fonctionnaire est placé près de chaque fontaine pour surveiller et régler l’emploi de l’eau par les habitants et empêcher que personne ne puisse être servi avant les troupes... Au reste, il semble qu’à Diego Suarez tout ce qui est civil doive céder le pas à l’élément militaire ». Même chose pour le port, où les militaires disposent d’un débarcadère alors que les civils doivent débarquer à dos d’homme jusqu’à la plage !
Malgré l’étroitesse de son budget, le Gouverneur Froger, commence à développer la ville sur le plateau, jusque là réservé aux militaires, notamment par le percement de la rue Colbert, la construction de l’abattoir, du marché couvert et par l’adduction d’eau. En novembre 1890, est créée une « Direction de l’Intérieur » ayant à sa tête un administrateur colonial chargé de l’application des décrets et des arrêtés mais, de même que l’éphémère « conseil consultatif » « ces services sont tous dans un état embryonnaire » (Froger). Malgré ces « renforts », Froger doit se battre pour avoir les coudées franches : Louis Brunet constate : « Le gouverneur lui-même n’a pas toujours été considéré par le commandant des troupes comme le chef réel de la colonie. Cette question des pouvoirs non séparés est la source d’un conflit permanent, et, en tout cas, toujours latent ». Au départ de Froger, si la ville civile s’est considérablement développée, elle fait cependant triste figure à côté de la ville militaire, comme le constatera D’Anfreville de la Salle quelques années plus tard, en opposant les « superbes casernes de l’artillerie coloniale » aux maisons des particuliers souvent « faites de débris ». Beaucoup, comme Louis Brunet, pensent alors que la solution à ce conflit entre autorité civile et militaire serait résolu par la mise en place d’une municipalité : « il faudrait peut-être commencer par doter la ville d’Antsirane d’une municipalité à laquelle le chiffre de sa population lui donne droit ». Ce sera chose faite par l’arrêté du 13 février 1897, érigeant en commune les établissements de Diego Suarez.

Plan de Diego Suarez paru en 1899 dans le Guide de l’immigrant à Madagascar

Après 1895 : qui gouvernera Diégo ?

Dès 1896, par le décret du 28 janvier « les établissements français de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte - Marie de Madagascar cessent de former des possessions distinctes et sont placés sous l’autorité du Résident Général de France à Madagascar ». En conséquence l’emploi de Gouverneur à Diego Suarez est supprimé (article 2) et « Les Etablissements de Diego Suarez, de Nossi-Be et de Sainte-Marie de Madagascar seront érigés en communes ». Quant aux Administrateurs, ils « exerceront les fonctions de Maire » (article 4). Le 6 juin 1896, le premier Administrateur-Maire de Diego Suarez, M.Aubry-Lecomte prend ses fonctions. Cependant, en ce qui concerne Diego Suarez, il s’ensuit une période de confusion pendant laquelle on ne saura pas très bien qui gouverne quoi. C’est ainsi que le Commandant supérieur des troupes, le Lieutenant-colonel d’Artillerie de Marine Brun se présente, dans le Journal Officiel de Diego Suarez du 20 juillet 1896 comme le Gouverneur par intérim de Diego Suarez puis comme le Commandant Supérieur des troupes tandis que, dans le même temps certains décrets sont pris par l’Administrateur-Principal, maire de Diego Suarez, Aubry-Lecomte. Consulté sur l’attribution des pouvoirs à Diego Suarez, le Résident-Général Laroche donne des réponses assez confuses : qu’on en juge : « La Police du Territoire de la Colonie conquis sur l’ennemi sera dorénavant assurée par l’autorité civile sous les restrictions suivantes :
1° Le maintien de l’ordre public [...] sera, dans une zone déterminée par l’autorité militaire, exclusivement assuré par cette dernière.
2° Aucune construction ne pourra s’élever, aucun commerce, aucune industrie s’exercer sans que l’autorité militaire en ait [...] donné l’autorisation [...].
3°Aucun impôt [...] ne pourra être perçu par la Colonie sur le domaine militaire sans l’assentiment du Commandant supérieur des troupes »
.
On le voit, il ne restait à l’Administrateur-Maire, pas beaucoup de latitude dans une ville qui appartenait en grande partie aux militaires ! On peut en juger par la nature des décisions de l’Administrateur-Maire parues dans le J.O de Diego Suarez et dont voici un exemple : « Par décision de M. l’Administrateur-principal, Maire de Diego Suarez, en date du 1 er juillet 1896 ; le sieur Madé-Virin est nommé Cuisinier de l’Hôpital Civil » ou celle-ci : « Par décision de M. l’Administrateur principal, Maire de Diego Suarez [...] M. le Commissaire de Police est chargé de la perception des droits de visite des porcs » ! On voit l’importance des domaines qui relevaient à l’Administrateur-Maire ! Certains arrêtés témoignent d’ailleurs de cette rivalité, comme celui pris par le Maire à propos du fort d’Ambohimarina, interdit aux civils bien que l’on ait cru comprendre que les militaires avaient perdu leurs « prérogatives » sur cette zone : à travers les lignes nous sentons l’exaspération des civils : « j’ai l’honneur de vous inviter, Messieurs, dans le but de conserver des relations courtoises avec l’autorité militaire, à vous abstenir [...] de toute immixtion dans le Territoire d’Ambohimarina ». Pour clarifier les attributions respectives des autorités civiles et militaires, il faudra une série d’arrêtés qui témoignent d’une certaine indécision chez les autorités de Tananarive.
Le règne des Administrateurs-Maires
Le 13 février 1897, l’arrêté 386 précise le fonctionnement des établissements qui viennent d’être érigés en communes. En voici les principales dispositions :
« Article II -La commune de Diego Suarez aura pour chef-lieu «Antsirane» et pour circonscription le territoire acquis à la France par le Traité Franco-Hova du 17 décembre 1885.
Article III : L’administrateur...exerce les fonctions de maire.
Il est assisté d’une Commission Municipale dont les membres choisis parmi les citoyens français à l’exception d’un seul pris dans la population indigène, sont nommés par arrêté du Résident Général.
Art.IV : Les membres de la Commission municipale et les adjoints sont nommés pour deux ans. Leur mandat est indéfiniment renouvelable, mais il peut aussi leur être retiré avant l’expiration du terme de deux années, par arrêté du Résident Général »
.
Plusieurs remarques s’imposent, à la lecture de ces dispositions : d’abord, que les malgaches ne sont pratiquement pas représentés dans l’Administration de la nouvelle commune. Ensuite, que la commission municipale dépend entièrement de l’autorité du Résident Général. Enfin, que l’Administrateur est un fonctionnaire. Cette position de simple relai de l’autorité centrale fera des Administrateurs-Maires l’objet de l’hostilité de leurs concitoyens, français ou malgaches, qui leur reprocheront soit leur docilité au pouvoir central, soit leurs avantages de fonctionnaires. D’autant plus que les pouvoirs exercés par l’Administrateur-Maire (sous couvert de l’autorité centrale) ont été étendus. En effet, L’Administrateur-Maire est chargé:
- de la publication des lois et règlements,
-de la sûreté générale,
-de la conservation et de l’administration des propriétés de la commune,
-du budget et de tout ce qui concerne les dépenses,
-de «tout ce qui concerne l’établissement, la conservation, l’entretien et la réparation des édifices de la commune...»,
- de la police de la commune,
-des fonctions de l’Etat-Civil,
- de la fixation des mercuriales,
- de la direction des travaux communaux... et de bien d’autres choses encore ! De plus « L’Administrateur-Maire est seul chargé de l’Administration de la Commune »(Art.19), ce qui le fera souvent traiter de dictateur ! Cependant, ces dispositions applicables à toutes les communes de Madagascar, ne seront pas toujours respectées à Diego Suarez, où la primauté de l’Armée sera encore renforcée au moment où Diego Suarez deviendra Point d’Appui de la Flotte et où le véritable maître sera le Colonel Joffre. Il faudra attendre1905 pour que les civils retrouvent un semblant d’autorité. Autorité qui sera pourtant mal perçue par une population qui ronge son frein sous la tutelle des fonctionnaires et qui ne rêve que d’une municipalité élue et non nommée. Le journal La cravache antsiranaise revendique ce premier pas vers la démocratie dans son numéro du 22 novembre 1908 « N’est-il pas temps que nous ayons un Maire et un Conseil Municipal dans toute l’acception du mot ? Pétitionnons, peuple d’Antsirane, soyons unis d’esprit et de cœur et demain les édiles élus par vos suffrages formeront le Conseil Municipal discutant, sous la présidence d’un Maire légitimement élu et reconnu, vos intérêts les plus sacrés ».
En fait, il faudra attendre 1956-57 pour que ceux que les Antsiranais traitent - avec exagération sans doute - de dictateurs laissent la place au premier maire élu de Diego Suarez, le syndicaliste d’origine réunionnaise Francis Sautron.
■ S.Reutt


Traduction

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