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Légionnaire toujours...

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La mort du soldat.

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Le Figaro 25/05/1898.

 

Je viens d'assister, à Saint-Philippe du Roule, au service célébré pour le. repos de l'âme du capitaine Louis Flayelle, de la légion étrangère, chevalier de la Légion d'honneur, tué au combat de Vohingezo (Madagascar), le 12 mars, avec le lieutenant Montagnole, des tirailleurs algériens, et trois hommes de troupe. Une heure plus tard, dans la même église, une messe était dite à la mémoire du lieutenant d'infanterie Gallet, tué à la prise de Sikasso, avec le lieutenant Soury, de l'infanterie de marine.

Le capitaine Flayelle était l'un de mes meilleurs, l'un de mes plus chers camarades de Madagascar. Nous nous étions embarqués ensemble sur le Yang-Tsé, pour cette terre lointaine d'où il ne devait pas revenir. Nous avons vécu longtemps dans l'intimité d'une existence de plein air, où chaque jour m'a fait apprécié davantage la noblesse de son cœur et l'élévation de son esprit, délicat, généreux et cultivé.

Bien souvent, depuis lors, je pensais à la joie de' retrouver, à sa rentrée en France, riche du souvenir des belles actions, cet admirable soldat que, durant une campagne ininterrompue de plus d'un an et demi, la confiance des chefs et l'entraînement passionné du devoir militaire avaient conduit à travers les aventures les plus émouvantes et les plus diverses; j'attendais impatiemment la voix affectueuse, au parler pittoresque, qui me dirait ces pages inédites de l'épopée coloniale, si exaltante pour la jeune âme héroïque d'un Flayelle, soutenu contre les fatigues et les découragements par la noblesse et l'utilité de l’œuvre patriotique à laquelle il collaborait avec tant d'autres vaillants obscurs ou couverts de gloire, les champions de la mère patrie au Tonkin, au Soudan, à Madagascar, partout où progresse le drapeau d'une France qui se réveille aux grands espoirs.

Ce n'est pas de sa bouche, maintenant, que j'entendrai le récit de tant de belles choses réalisées loin de la gloriole boulevardière assurément, il ne fallait point attendre de lui, si modeste, l'énumération des actions d'éclat accomplies au premier rang de ses légionnaires, seuls témoins de son intrépidité; et chacun dans l'armée sait ce qu'il vaut, ce témoignage, en matière de bravoure, une vertu qui dispense de toute autre les cerveaux brûlés de la légion; •̃ Les coups terribles, portés et reçus dans cette guerre aux barbares, ce n'est pas de cela, j'en suis bien sûr, qu'il aurait eu plaisir à me parler, cet. homme de grand cœur, aussi pitoyable à la détresse des populations fanatisées qu'il était paternel à ses braves troupiers, ménager de leur existence et soucieux dé leur bien-être. Mais avec quelle fierté, j'ensuis certain, il m'aurait fait connaître dans leurs moindres circonstances les ruses qu'il s'ingéniait à trouver pour prendre, sans coup férir, le contact avec les rebelles auxquels il parvint souvent à imposer l'autorité du nom français par des paroles de confiance qui assuraient plus vite et plus définitivement que les balles Lebel la prise de possession d'une région soulevée !

Une mission pacifique de ce genre, je vous l'assure, est rude à réaliser en présence des Sakalaves qui n'ont rien des mœurs courtoises dont Fontenoy nous a laissé la tradition chevaleresque embusqués parmi les rochers ou cachés derrière les arbres (c'est dans une forêt que Flayelle a trouvé la mort, comme les héros du Yen-Té), ces guerriers vous tirent à brûle-pourpoint d'innombrables coups de fusil, à quoi, bien souvent, on réplique seulement par des charges à la baïonnette; c'est le meilleur moyen de les mettre en déroute.

Le capitaine Flayelle avait pour le tir si souvent inoffensif de ces Malgaches un mépris tout spécial et dont je trouve la piquante expression dans une lettre écrite, avec sa bonne humeur coutumière, presque à la veille du jour où il allait tomber sous le feu d'un ennemi si souvent abordé avec cette témérité dédaigneuse

« La bande des Baribés, écrivait-il, a fêté notre arrivée par l'exécution de son répertoire le plus varié sur l'ancive (trompe guerrière).Quelques virtuoses du snyder se sont exercés, sans succès, à tirer sur des oiseaux invisibles qui planaient à vingt mètres au-dessus de nos têtes. Les mêmes artistes nous ont accompagnés, le 24 au matin, pendant cinq ou six kilomètres, en faisant beaucoup de bruit et aucun mal. »

Quelle que fût la longanimité du capitaine, il fallait parfois cependant en venir aux mains; on y allait carrément, mais le sang-froid du chef ne se démentait jamais dans le feu de l'action et, l'affaire terminée, son premier soin était de soustraire les vaincus aux cruautés inutiles des troupiers excités par la griserie du combat.

Parmi les diverses citations à l'ordre du jour dont il a été honoré, je relève celle du mois d'avril 1897, « pour la bravoure et le sang-froid dignes des plus grands éloges dont il avait fait preuve, le 6 février 1897, eh dirigeant sous un feu très vif l'escalade du village fortifié de Nossi-Bé, en dirigeant ensuite la poursuite des rebelles et en provoquant ainsi plus de 3,000 soumissions en deux jours M.

Et la première en date félicitait le capitaine de s'être jeté tout équipé dans une rivière torrentielle,, pour sauver un de ses légionnaires; on l'en retira lui même inanimé ce fut peu de temps après que je lui serrai la main pour la dernière fois.

Il a été tué le 12 mars dans la forêt de Vohingezo, contre laquelle il marchait à la tête d'une colonne de tirailleurs malgaches, avec une pièce d'artillerie de montagne appuyé seulement d'un détachement 'de légionnaires qu'il conduisait pour la première fois le délabrement et le dénuement de ceux de sa compagnie n'avaient pas permis de les mettre en marche et le capitaine n'avait emmené que son ordonnance, le soldat Griseur, dont la conduite a été au dessus de tout éloge dans ce combat si dramatique.

Après une marche forcée, à la faveur de la lune jetant une clarté douteuse sur la brousse inexplorée, la colonne atteignait vers onze heures du soir la lisière d'une forêt où se cachait l'ennemi. Ici je laisse la parole à l'officier qui, dans une lettre profondément touchante par la simplicité du récit et l'émotion sincère, a pieusement transmis à la famille quelques détails sur les derniers moments du capitaine Flayelle

Bientôt on a la certitude que les rebelles sont avertis leurs sentinelles fuient devant les éclaireurs, et des feux s'allument sur la montagne en face. On arrive devant un bois qui paraît impénétrable, tant l'obscurité est devenue profonde. La colonne arrêtée, l'avant garde se déploie.

Le capitaine veut attendre le jour avant d'attaquer, mais le lieutenant Montagnole s'est engagé au milieu des abatis avec deux éclaireurs. C'est le signal d'une décharge générale et que l'on évalue à 200 coups de fusil. Le capitaine lance les légionnaires sur les traces du lieutenant. Il traverse avec eux les abatis, mais il est difficile de pousser de l'avant, car on ignore absolument le terrain; on ne voit que les coups de feu qui vous aveuglent, et la fusillade à bout portant est tellement intense que les hommes n'entendent rien. On ne sait pas ce -qu'est devenu le lieutenant. Une voix dans le fourré crie aEn arriérel » Mais le capitaine, avec un geste superbe, et de toutes ses forces « Mais non pas en arrière En avant!» » A ce moment, il tombe frappé de deux balles, l'une au poumon, l'autre à l'abdomen. Il tombe à la renverse en disant à son ordonnance, qui, quittant le convoi, s'était portée à ses côtés dés les premiers coups de feu: «. Griseur, je suis mort L'ordonnance s'est agenouillée près de lui: « Où ça ? Au côté; » répond le malheureux blessé. « Attendez, je vais vous transporter en arrière pour vous faire panser; ce n'est peut-être pas si grave que cela. » Il appelle des légionnaires à l'aide et, à trois, ils le transportent à travers les abatis, malgré la demande du capitaine qui veut être laissé sur place. La colonne n'a pas de médecin; deux infirmiers, aidés de Griseur, le pansent de leur mieux. Cela ne va pas sans quelque, douleur. « Vous me faites souffür, dit-il, laissez-moi mourir ». A l'ordonnance qui parlait à voix basse a No parlez pas à voix basse, ce n'est pas la peine, j'entends tout ce que vous ditès. » Au lieutenant Defer qui vient lui demander comment il va.: «Laissez-moi mourir! » dit-il encore. Blessé 1\' cinq heures, le capitaine s'éteignait doucement à sept heures quarante, après trois ou quatre contractions de la bouS'il avait peu parlé, il avait paru conserver sa pleine lucidité. Son regard était resté clair jusqu'au dernier moment. Les deux balles étaient mortelles la première, entrée dans la région du cœur, restée dans la plaie et déterminant une hémorragie la seconde, perforant le foie et sortant par le dos. On avait (Griseur) apporté vers cinq heures et demie le corps du lieutenant Montagnole, déjà froid. Il avait reçu sept balles.

Cependant, la bande avait été mise en fuite et poursuivie, mais sans grands résultats. Vers dix heures et demie, la colonne si cruellement mutilée 2 officiers et 1 légionnaire morts,,2 tirailleurs tués sur le coup et 4 légionnaires blessés, reprenait le chemin de Spaserana. Le corps du capitaine, que l'ordonnance avait recouvert d'un drapeau, était porté sur un brancard.

A six heures et demie du soir on arrivait au poste. Griseur s'occupe aussitôt de faire la toilette du cher mort. Le corps soigneusement lavé, il le revêt de ses meilleurs effets et, l'installant sous la tente, surélève le brancard. Une sentinelle veille à côté. La figure du capitaine était restée très belle, les traits reposés « On aurait juré qu'il dormait. » Le 13 au matin, on inhumait ces morts glorieux avec tous les honneurs militaires, dans le poste même de Soaserana.

Le capitaine Flayelle aura, dans le recueillement de nos pensées, la première place. Une croix en bois du pays,' sculptée par le sergent Staber, a été envoyée à Soaserana pour être placée sur sa tombe. Nous vous en adressons le dessin.

Telle fut la fin de cet admirable soldat, tout jeune encore, aussi beau garçon que brave homme et que vaillant cœur, de l'esprit le plus orné et d'un goût d'élégance raffinée que la rude existence dans la brousse mit tout d'abord à de rudes épreuves. En d'autres temps, j'aurais dit que c'était un intellectuel. Le mot ne lui conviendrait plus.

Il me suffira de noter que ce fut un Français de la belle race il en avait les vertus, comme il en montrait les agréments. Né à Remiremont, dans le meil- leur terroir vosgien, Flayelle avait beau- coup vécu à Paris, où il s'était fait de profondes amitiés dans le monde des artistes, et Mme Séverine a consacré un éloquent article à son souvenir.

« Il était de ceux qui sont d'autant mieux à leur place que la destinée les porte plus haut, a dit un de ses anciens chefs, le général Varloud. Et il n'était pas moins hautement apprécié par ses subordonnés: « C'était un vrai et magnifique soldat, plein de sang-froid dans le danger, montrant l'exemple et payant largement de sa personne, malgré sa haute taille qui le désignait aux coups. Hélas Dieu n'a pas voulu qu'il nous revint sain et sauf. Il est mort sans que l'un de nous fût près de lui, et ce nous a été un grand chagrin. »

Ainsi se termine la lettre adressée par les lieutenants qui servaient sous ses ordres au frère du capitaine Flayelle, ce frère désespéré à qui l'affreuse nouvelle est parvenue quelques jours après l'enterrement de leur mère.

Combien enviable, cependant, aux yeux de tant d'autres, le sort de cette vieille mère que la mort, franchissant de tels espaces, réunit à son eàfant l Combien préférable cette mort à ce que la vie impose à d'autres mères de soldats, au deuil effroyable de Mme de Châteauneuf-Raidon, dont le fils était le frère d'armes de Flayelle, capitaine au même bataillon de la légion et parti le même jour avec nous pour Madagascar; brave et charmant garçon qui, sur le pont du navire' en partance, prenait à tache de rassurer la famille de Flayelle, éplorée d'un horrible pressentiment: «Rassurez-vous, disait-il, je prendrai bien soin de lui s'il est malade ou blessé! » Il s'en est allé le premier, tordu par un accès de fièvre, sans que l'ami fût là pour lui fermer les yeux.

Et mon pauvre camarade, le lieutenant Rocheron, qui, après notre exploration chez les Sakalaves du Manambolo, s'est misérablement noyé à l'embouchure de de fleuve; alors que deux fois déjà, depuis mon retour, la nouvelle de sa mort, dans des rencontres avec les Sakalaves, avait été répandue et que, par deux fois, j'avais eu la mission bien douce de faire savoir à sa mère qu'il était encore vivant! Le voilà mort, lui aussi. Son corps a été retrouvé sur le rivage et enterré à Benjavilo, sous une petite croix d'ébène. Pauvre mère déchirée, dont il était toute la famille et l'unique appui, ce grand fils, tout jeune officier, plein d'avenir, sorti brillamment de Saint-Cyr et signalé déjà par d'éclatants faits d'armes Pauvre mère bretonne, abîmée dans.sa désolation, dont l'écho vient 4 chaque instant jusqu'ici me bouleverser sa dernière lettre annonçait un voyage à Paris, entrepris dans le seul espoir de m'entendre parler encore de son enfant. Pauvres mères de soldats l pauvres mères qui' survivent !

Vieilles mères au front saignant sous une» auréole de gloire, plus déchirante que la couronne du Christ, mais d'un non moins sublime symbolisme l'immolation des êtres d'élite qui versent leur jeune sang pour la sainte communauté nationale, comme celui du Sauveur a coulé sur l'Humanité tout entière.

Grosclaude.


Traduction

aa
 

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