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Légionnaire toujours...

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Le Caporal de Rakkha.

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Le Matin. 26/04/1931

 

Tandis que l'on fêtait le centenaire de la légion étrangère, deux scènes se .présentèrent à ma mémoire avec la force des images qui ne s'oublient pas, qui subsistent, intactes, vigoureuses dans le jet des souvenirs confus que porte toute sa vie avec lui un voyageur.

Elles sont revenues me hanter, ces jours derniers, lorsque le hasard me fit piloter un légionnaire à travers Paris. Il était gauche, enfantin, miraculeusement astiqué.

Il n'était pas à sa place. Et son dépaysement, sa gène me faisaient penser sans cesse au cadre vrai des hommes tels que lui.

Ainsi je revis tout d'abord une longue route, pierreuse, cahoteuse qui allait de Deraa à Soueïda.

C'était en avril 1926, alors qu'une colonne allait reprendre une seconde fois la capitale druse.

Les troupes étaient parties dans la nuit et je les rejoignais en automobile jusqu'au premier bivouac.

Il apparut vers midi, fouillis de petites tentes blanches perdues dans les broussailles. Sous la toile relevée pour que l'air circulât, les hommes, recrus de fatigue et de chaleur, dormaient côte à côte. Les files de corps bruns, dans leur sommeil massif, avaient la force et la poésie brutales de la terre ardente'.

Seul, au milieu de cette immense lassitude, un groupe de soldats veillait, fourbissant des armes, poussant des mulets vers une fontaine. Mais bien plus encore que cette activité, leur aspect força, fascina mon attention.

La patine de leurs visages, leurs sombres regards, l'audace et la dureté de leurs fronts avaient un relief saisissant. Soudain, comme un mulet glissait, l'un d'eux jura en russe et un autre en allemand.

Du coup, je compris. Ils appartenaient à la légion.

La légion Ce mot, pour tout homme sensible au mystère, au courage, au hasard, a un pouvoir prestigieux. Hypnotisé, je les regardais passer.
Ils allaient carrés, lents. Leurs figures étaient fermées comme autant d'énigmes. Leurs yeux étaient absents.
Ils marchaient tête nue, malgré le soleil, tranquilles; maussades, muets. Ils venaient de se battre au Maroc. Ils recommençaient en Syrie. Que leur importait ? Ils avaient choisi un terrible métier qui était pareil partout.

Par quel mystérieux enchantement ces Allemands se faisaient-ils si bien tuer pour la France ?

Pourquoi ces Russes voulaient-ils mourir sur les pentes du Djebel ? Personne ne l'a expliqué, personne ne l'expliquera.

Six mois après, je partais en avion de Der-es-Zor, sur les bords de l'Euphrate, où j'avais été l'hôte de l'escadrille et du capitaine méhariste Muller, roi du désert de Syrie, pour gagner Alep.

Nous suivions les méandres du vieux fleuve lorsque le jeune sergent pilote qui me conduisait me fit signe qu'il avait des difficultés avec son moteur. Apercevant un minuscule village, accroché à une boucle de l'Euphrate, au milieu du désert, il se posa près de lui.

11 y avait là une section de la légion et, par bonheur, une équipe de mécaniciens d'aviation.

Tandis que ces derniers s'occupaient de notre appareil, leur adjudant nous conduisit à la baraque Adrian où logeaient les gradés, c'est-à-dire lui, le sergent et le caporal des légionnaires, tous deux Français.

Ces derniers se trouvaient déjà à la cantine, en train de boire du porto, le seul vin qui leur restât, car le ravitaillement était en retard. Ils nous accueillirent chaleureusement, surtout le caporal.

Malgré son bas grade, il devait avoir soixante ans environ. Il était chauve, chétif d'aspects et des moustaches très soignées ombrageaient une bouche fine, sinueuse, intelligente..

Sa conversation me surprit davantage encore que son physique étrange.

Vous êtes à Rakkha, me dit-il, l'ancien séjour de plaisance du khalife Haroun-al-Raschid.

Et dans un langage choisi, avec une érudition souriante, il me parla du grand souverain arabe,
du khalife légendaire. Il me fit voir les ruines de son palais, dont on apercevait encore les lourdes murailles crénelées et parmi lesquelles on trouvait des restes de poteries admirables, couvertes de fleurs d'une miraculeuse fraîcheur.

Puis, cet étrange caporal mit la conversation sur des hommes politiques, sur des savants, sur des écrivains illustres. Il en discourait avec une information surprenante.

De temps en temps, il lissait sa moustache et souriait. Et le sou- rire était plus énigmatique encore que ses paroles.

Lorsque gronda le moteur de notre avion et que je m'apprêtai à monter dans la carlingue, il me
dit.  Je ne peux vous confier mon nom. Je le regrette. J'aurais bien voulu que vous disiez bonjour de ma part à tous les amis dont je viens de vous parler.



J. Kessel.


Traduction

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