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La mystique de la Légion étrangère

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EMMANUEL HECHT - Les Echos | Le 13/07/2001

A Aubagne (Bouches-du-Rhône), l'immense place d'armes du 1er régiment étranger est écrasée par le monument dressé à la gloire de la Légion étrangère. Un socle en onyx supporte un globe terrestre sur lequel sont gravées en lettres d'or les étapes de son épopée. Le monument est flanqué de quatre statues de légionnaires, ultimes témoins de la conquête de l'Algérie, des campagnes du second Empire, de celle du Tonkin, des faits d'armes du régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE), l'un des plus cités de l'armée française.

La stèle a été inaugurée en 1931, à Sidi Bel Abbes, à l'époque où ce bourg algérien était le berceau, la « maison mère » de la Légion, sa « ville sainte (...) une sorte de Vatican par lequel tout légionnaire devait passer apprendre son catéchisme et où les anciens revenaient pour se ressourcer spirituellement », comme le dit l'historien américain Douglas Porch (1). En septembre 1962, la guerre d'Algérie terminée, le monument a été rapatrié à Aubagne, en même temps que les cercueils du général Paul Rollet, le « père » et patron de ce corps d'élite dans les années 30 ; du prince Aage, légionnaire appartenant à la famille royale du Danemark, et du légionnaire Zimmermann, dernier tué du conflit. Il constitue toujours « le centre de gravité des cérémonies régimentaires, un lieu de pèlerinage régi par des rites, édifié dans une caserne baptisée "Voie sacrée", transformée en une sorte de sanctuaire » (1). « Adieu, adieu/O Bel Abbes, lieu vénéré de nos aïeux/Nous garderons/La tradition et combattrons pour la gloire du fanion », chante le 1er régiment étranger d'infanterie.

Le général Rollet, craignant la disparition de la Légion, menacée tout au long de son existence par l'institution militaire elle-même, s'employa à lui forger une tradition, une mythologie, qui lui conférerait une légitimité inexpugnable. Mission accomplie. La place d'armes d'Aubagne est copiée sur celle de Sidi Bel Abbes. Elle est traversée, elle aussi, par une sorte de voie sacrée qui conduit jusqu'à la montagne. « La conception de l'architecture d'Aubagne suit la logique de l'art cistercien, tel que l'a défini l'historien Georges Duby », suggère André Thieblemont, qui nous accompagne dans cette visite. Le style cistercien (1130-1240), dont l'abbaye de Cîteaux est l'emblème, est chiche en décors, pour mieux accompagner le voeu de pauvreté et l'aspiration à l'ascèse absolue des cisterciens. Ici, l'ascèse est celle du combattant, respectant strictement la liturgie enseignée ici.

André Thieblemont est un guide précieux. Jeune lieutenant frais émoulu de Saint-Cyr, il a commandé une section de légionnaires dans le Sahara pendant les dernières années de la guerre d'Algérie. Son poste contrôlait les routes vers le Sud. Peu de combats. « Là, on m'a appris à faire des murs avec des pierres sèches. A la fin des hostilités, à Aïn Sefra, on a construit une piste. » Son récit fait songer à celui du lieutenant Drogo, dans « Le désert des Tartares », de Dino Buzatti : « Le fort était silencieux, noyé dans le plein soleil de midi, sans un seul coin d'ombre. (...) Tout le long du chemin de ronde du bâtiment central, à la crête des murs et des redoutes, on apercevait des dizaines de factionnaires, le fusil sur l'épaule, qui marchaient méthodiquement de long en large, chacun ne parcourant que quelques pas. Tel le mouvement d'un pendule, ils scandaient le cours du temps, sans rompre l'enchantement de cette solitude qui semblait infinie. »

André Thieblemont a poursuivi sa carrière militaire hors de la Légion, dans « le régime général », selon l'expression consacrée. A la retraite, le colonel (ER) s'est mué en anthropologue, l'acteur d'hier en spectateur (2). Pour lui, les légionnaires sont, derrière « les présentations lisses sur papier glacé », d'abord de grands bâtisseurs. Depuis toujours. Dans les années 1850, le colonel Carbuccia, à la tête du 2e étranger, découvre la ville de Lambèse, l'ancienne capitale de Numidie, dans l'Est algérien. Il fait relever le mausolée du préfet de la légion Tertia Augusta et lui présente les honneurs avec son régiment. Les légionnaires assainissent les marais dans l'Algérois. Ils bâtissent leur ville, Sidi Bel Abbes. Ils construisent des routes, le fameux tunnel de Foum-Zabel, au Maroc : 60 mètres de long, 8 de large et 3 de haut , sans moyens mécaniques... Sans discontinuer. Jusqu'aux pistes d'aviation tracées en Polynésie et à la reconstruction, par le génie, des ponts de Bosnie et du Cambodge, des routes au Kosovo.

Au bar du mess des officiers, situé dans une ancienne maison de maître surplombant la ville d'Aubagne, l'anthropologue est rattrapé par son passé. Il est salué comme un « ancien » : « Legio patria nostra ». A l'entrée du mess, les képis noirs (réservés aux sous-officiers et officiers) ornés de la grenade à sept flammes sont posés sur un meuble. Quelques officiers parlent avec des journalistes chypriotes, venus faire un reportage pour une revue style « Vogue ».
La Légion fascine au-delà de la Méditerranée et de l'Atlantique. Les Etats-Unis et les Pays-Bas envisagent la création d'une armée du même type. « Ah, les dunes mouvantes... Le fort Zinderneuf... Les soldats de fortune sans passé... Buster Crabbe dans "Captain Gallant". Gary Cooper dans "Beau Geste". Gene Hackman dans "Il était une fois la Légion". La Légion étrangère française n'a pas sombré dans l'oubli avec la fin du générique », observe le« New York Times » (3).
Il y a quarante ans, après la guerre d'Algérie, on ne donnait pourtant pas cher de la Légion, en raison de l'engagement de certains de ses officiers du côté des putschistes. Le mythe a été plus fort. Et la Légion l'a entretenu depuis vingt ans au rythme des opérations de Kolwezi, de la guerre du Golfe, de la Somalie, de la Yougoslavie...

Un baromètre géopolitique
A Aubagne, le soleil est de plomb. Les montagnes de Provence se détachent, comme autant de promesses d'ascension de terres inconnues. En treillis, un béret vert vissé sur la tête, des légionnaires vaquent à leurs occupations. Quelques-uns, en tenue de cycliste, s'apprêtent à battre la campagne. D'autres, moins nombreux, passent en uniforme, képi blanc et chemise aux plis stricts. « Enseigner aux jeunes légionnaires à exécuter de beaux plis est une façon simple d'enseigner la notion de "travail bien fait" », explique le lieutenant-colonel Peron. Plier, prendre le pli : la pédagogie est immuable.
Dans « Jeux africains », l'écrivain allemand Ernst Jünger _ qui fut légionnaire avant la Grande Guerre _ raconte sa stupéfaction devant le rituel auquel se prête le 1re classe Paulus : « (...) avec un soin extraordinaire, [il] plia le linge suivant certains plis et le disposa en couches rectangulaires sur la planchette. Il appelait le tout paquetage et semblait entendre par là non seulement la pratique correcte de ces tours de métier, mais en général la conduite appropriée de ces lieux ».

La « conduite appropriée de ces lieux », c'est celle que devront assimiler les candidats qui se pressent ici, à Aubagne, au 1er régiment étranger, la « maison mère » de la Légion, pour devenir légionnaires (voir encadré).
Les élus, 1 sur 9, signeront leur engagement au rez-de-chaussée du musée de la Légion étrangère, qui jouxte la place d'armes, en présence des anciens les plus célèbres _ Blaise Cendrars, Curzio Malaparte, Pierre Mac Orlan, le peintre Nicolas de Staël, Louis II de Monaco et, bien sûr, des soldats héroïques _ dont les photos sont placardées.

Dans une crypte jouxtant la pièce repose la main en bois du capitaine d'Anjou, héros absolu de la Légion, figure fondatrice du mythe. C'est lui qui, le 30 avril 1863, dans l'hacienda de Camerone, au Mexique, où la Légion était engagée pour soutenir l'empereur Maximilien, résista une journée entière, avec 3 officiers et 60 légionnaires, à 2.000 Mexicains. Le soir, les 5 derniers survivants chargeaient à la baïonnette. « Ce combat est resté comme un symbole, celui de la résistance acharnée, jusqu'au bout, jusqu'au sacrifice total... », dit-on à Aubagne.
Le jugement nourrit le mythe, mais il est discuté. Alexandre Sanguinetti, ancien commando de choc, écrivait dans son« Histoire du soldat » (4) : « Nous y voyons le "beau geste" cher au Moyen Age et que nous prisons tant. Depuis nos défaites de 1814 et 1815, nous les exaltons, surtout quand ce seront des actions trop partielles pour être significatives, et qui ne sauvent que l'honneur des armes. »

Le nouveau légionnaire, lui, débute sa carrière _ son sacerdoce ? _ dans « ce symbole de la fidélité à la parole donnée, de la mission remplie quel qu'en soit le coût », dans le culte de ces morts.
S'il lui arrivait de l'oublier, les 7 règles du code d'honneur de la Légion sont là pour le lui rappeler : « Légionnaire, tu es un volontaire servant la France avec honneur et fidélité/Chaque légionnaire est ton frère d'armes quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion/(...) tu respectes les ennemis vaincus, tu n'abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes. » Et chaque 30 avril, il célèbrera, inéluctablement, Camerone.
La cérémonie débute par la lecture du récit du combat et la présentation de la main de bois du capitaine d'Anjou par un légionnaire. Cet insigne honneur a été accordé cette année au major Karl Horst Ross, à la retraite après quarante ans de service.

EMMANUEL HECHT
(1)« La Légion étrangère », Douglas Porch (Fayard). (2) André Thieblemont a contribué à l'ouvrage collectif « Culture et logique militaire » (PUF). (3) Dans « Courrier international » du 13 avril 2000. (4) « Histoire du soldat. De la violence et des pouvoirs ». Ed. Ramsay (1979).

Traduction

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