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De Gaulle à Aïn Témouchent : le commencement de la fin

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10-12-2011 

 

C'est l'armée qui a tout essayé pour tromper De Gaulle et lui  faire croire que l'intégration des Algériens est possible. Une option que le général avant son arrivée au pouvoir en 1958 jugeait  irraisonnée. Mais son premier voyage á la même année allait influer sur ses décisions, lui qui confessait en privé qu'il fallait en finir avec le bourbier algérien.

Le «Je vous ai compris» lancé du Forum d'Alger suscita la confusion parmi la foule de  français et d'arabes qui scandait «Algérie française». Le Président de la Ve république mettra alors le paquet, selon son propre propos.

Il mobilisera, comme ne l'ont  jamais fait avant lui ses prédécesseurs, toutes les ressources de l'hexagone pour mener de front la guerre contre la rébellion et le train de réformes sociales qui visait à réduire les inégalités entre les autochtones et les Français. Une année après, des rapports contradictoires lui parviennent sur la situation de la colonie.

«L'Algérie ne bascule pas vers la France. Elle refuse le statu quo, l'intégration…» soulignent ses informateurs. Le 16 septembre 1959, c'est le fameux discours où, pour la première fois, il parle clairement d'autodétermination puis d'une Algérie algérienne «amie  avec la France dans le cadre de la communauté».

C'est dans cet état d'esprit  que De Gaulle effectuera au mois de décembre 1960 une tournée qui débutera par la ville d'Aïn Témouchent. Dans ses discours, il continue cependant à entretenir le flou pour ne pas heurter la sensibilité de l'armée et accentuer le désespoir des ultras.

 La cause est  entendue. Le voyage  qu'effectuera le Président  français en cet hiver de l'année 1960 ne servira  en définitive qu'à conforter le projet de concrétisation du principe de l'autodétermination dont les proches du général redoutaient l'imminence.

Les irréductibles du Front de l'Algérie française (FAF) et du Front national pour l'Algérie française(FNAF) dont faisait partie Jean-Marie le Pen s'accrochent à leurs dernières illusions et veulent impressionner  le Grand Charles en lui offrant le spectacle d'une Algérie réconciliée où les deux communautés peuvent  vivre en harmonie.

Ils vont vite déchanter dès la première étape de la visite du chef de l'état français à Aïn Témouchent, une localité considérée pacifiée et acquise au slogan gaulliste «Algérie algériennea.

Il est vrai que la forte présence d'une bourgeoisie coloniale protégée par une armada de militaires avait donné à la cité du vignoble un air faussement  tranquille. Mais la réaction de la population musulmane fut aussi violente que massive, à la mesure des longues frustrations accumulées pendant 130 ans d'occupation.

Aïn Témouchent  se soulèvera  et personne jusqu'au jour  d'aujourd'hui ne peut dire si le mouvement de colère s'est déroulé de manière spontanée  ou s'il a été le fruit d'une préparation conduite par le FLN. Cinquante années ont passé et des voix s'élèvent encore pour s'approprier le leadership des manifestations témouchentoises  du 9 Décembre 60  lesquelles, suivies des sanglantes émeutes des 10, 11, 12 et 13 décembre, ont indiscutablement participé à l'accélération  de l'histoire. Kader Kalleche, médaillé de la résistance, a écrit un livre sur les événements de Décembre.

Il  témoigne : «Les manifestations de Décembre 60 ont été, dés  le début, récupérées par le FLN. Elles n'ont pas été décidées par celui-ci…»  

A  Aïn Témouchent – nous avons visionné les images de l'INA  (Institut national des Archives de France) montrant  l'arrivée du général – il n'y avait pas de drapeaux algériens sur la place de la mairie au moment  où  De Gaulle  a quitté la ville ; ce n'est qu'après son départ au cours de l'après-midi  que des manifestants musulmans chauffés par les «fidaiyines» du FLN ont brandi l'emblème national et semé le désordre dans toute la ville.  

Avant la venue de l'illustre hôte français, les partisans de l'Algérie française avaient confectionné leurs calicots et juraient  de se faire entendre. Les militaires de leur côté ont mobilisé des camions GMC pour transporter vers la place de la Mairie les musulmans des fermes et du douar Moulay-Mustapha. Le FAF (front de l'Algérie  française)

cherchait en vérité à démontrer au général  De Gaulle que l'intégration était possible et que son projet d'autodétermination  ne faisait pas l'unanimité. Afin d'impressionner De Gaulle  et le faire renoncer à son référendum, les colons libéraux comme le maire Armand Orséro  prônent l'entente  entre les deux communautés.

De Gaulle, revêtu de son habit de général de brigade,  était accompagné d'une centaine de journalistes de la presse française et étrangère. Il prononcera une allocution avant d'aller sous la pluie se mêler à la foule des musulmans pour serrer des  mains. Les manifestants français en colère tentent d'arracher aux «Arabes» les bannières où s'étalent les mots honnis : «Algérie algérienne». Le mot d'ordre  

«Algérie algérienne» repris naïvement  par la foule de musulmans était en fait celui des gaullistes. On pouvait jusqu'à l'année 2009  découvrir ce slogan sur une plaque en marbre placée près de l'esplanade de la place du 9 Décembre, laquelle plaque fut changée depuis,  suite  à une démarche que nous avons (l'auteur de ces lignes et un ami historien) entreprise  auprès de l'ancien secrétaire local de la section des anciens moudjahidine á qui il fallait expliquer la portée du slogan «Algérie algérienne»  dont le FLN ne voulait pas.

Ce projet d'union illustré par «Algérie algérienne» représentait dans l'esprit des réformateurs gaullistes la solution politique au problème algérien, mais il revêtait une toute autre signification pour les manifestants témouchentois qui l'assimilaient à l'indépendance. A telle enseigne que la manipulation échafaudée par le 2e bureau a mobilisé des  adolescents et  même  des adultes chargés de distribuer des tracts célébrant l' «Algérie algérienne».

 Pour ces jeunes, l'Algérie algérienne était le contraire de  l'Algérie  française. Leur sincérité et leur courage ne peuvent être mis en doute.

Le quiproquo n'a pas échappé au visionnaire qu'était Charles De Gaulle. Aïn Témouchent la «pacifiée» se révéla au fond réfractaire à tout compromis. L'indépendance fut son seul credo.

Elle le prouvera en administrant un retentissant désaveu aux tenants de la politique d'intégration. Dans ce contexte, nous voulons bien souscrire aux professions de foi de quelques-uns des protagonistes qui soutiennent la thèse de l'agitation spontanée, mais cela revient à dénier au FLN  et à l'OCFLN toute emprise sur le mouvement.

Ce qui paraît improbable. Les militants de l'époque admettent  le fait que l'arrondissement de Aïn Témouchent était érigé en zone militaire en raison d'une forte concentration de colons et que toute agitation militante de la part du FLN eût été suicidaire en raison du quadrillage des forces d'occupation.

Une situation qui, forcément, confinait à l'action  feutrée, à la clandestinit d'autant que les nervis du 2e bureau et la Main rouge montaient la garde. Il est facile dans ces conditions et a posteriori de faire dans la récupération  pour s'attribuer des lauriers tressés par la population témouchentoise toute entière.

L’impossible troisième voie
Entre 1992 et 2007, nous avions, à travers plusieurs contributions, relaté sur la foi de témoignages  comment a été vécue cette journée historique.

Nombre de personnes dont certaines sont décédées nous ont fait part de leur sentiment. Les unes affirmant qu'au matin du vendredi 9 décembre à 11 h 45, lorsque le président de la Ve République apparut sur le perron de l'Hôtel de ville d'Aïn Témouchent sous une fine pluie,

hormis quelques échauffourées  entre musulmans  et Européens, aucun incident grave n'a été signalé. D'autres  ont déclaré que c'est au cours de l'après-midi qu'une  grande ferveur s'est emparée des  principaux quartiers de la ville, notamment l'ex-boulevard Négrier où résidait le chahid Chouiref Salah, Diar el Mahaba (la cité de l'Amitié), cité Moulay Abdelkader, Douar el Balini, Saint rock etc.

Les clameurs fusaient des habitations arabes et les drapeaux  vert, blanc et rouge étaient déployés pendant qu'à Alger et dans plusieurs villes de l'ouest, des affrontements éclataient entre les deux camps, faisant de nombreuses victimes. Au niveau de la capitale, le bilan est lourd. Plus de 123 morts et près de 600 blessés. De  Gaulle confie  qu'il est prêt à en finir.

Le voyage couvert par un grand nombre de journalistes de divers pays a été houleux et contre- productif pour l'Etat français au plan international.

«Algérie algérienne», voilà un slogan qui n'a convaincu ni  le général  ni  les défenseurs de la troisième voie. Michel Debré, le Premier ministre, et  tout l'état-major d'Alger accrochés au mythe de l'Algérie française sont désespérés. Il faut revenir au discours du 16 septembre 1959 pour déceler les prémices de la politique d'abandon que De Gaulle dévoilait habilement, alternant le chaud et le froid, et contre laquelle luttaient secrètement  un groupe de  généraux de la  grande muette ; ces mêmes hommes qui vont prendre la tête d'une émeute vite réprimée par les forces loyalistes.

Massu est limogé et remplacé par le général Crépin. En  juin 1960, les négociations de Melun échouent et la «Paix des braves» est rejetée par le GPRA.

Pendant ce temps à Alger, les activistes créent le Front de l'Algérie française présidé par le bachagha Boualem, vice-président de l'assemblée nationale. Le 14 septembre de la même année,  Raoul Salan, commandant en chef, est relevé de ses fonctions par De Gaulle. Après le procès des barricades, il accusera ce dernier de complicité avec le FLN.

Dans les deux mois qui suivront, le général opérera une grande purge au sein de l'armée devenue à ses yeux «trop bavarde». De Gaulle abat ses cartes dans le surprenant discours du 4 novembre 1960 : «J'ai décidé d'un chemin nouveau pour la France… ce chemin conduit non plus à  l'Algérie gouvernée par la métropole française mais à l'Algérie algérienne…

Une Algérie dans laquelle les algériens eux-mêmes décideront de leur destin… Cette Algérie pourra être bâtie avec ou sans la France…mais nous ne nous acharnerons pas à rester aux côtés de gens qui nous rejetteraient…»

La formule «Algérie algérienne» provoque la panique au sein de l'establishment français. Debré, le fidèle parmi les fidèles, téléphone à Paul Delouvrier, le délégué général en Algérie, pour en savoir plus. Le fossé se creuse entre l'armée et le gouvernement.  Delouvrier hué par la foule algéroise choisit de partir.

De Gaulle le remplace sans état d'âme par Jean Morin lequel est chargé dès son installation le 24 novembre de préparer le voyage que compte effectuer le général du 9 au 12 décembre afin de s'imprégner de la réalité algérienne. Le préfet d'Oran, Lambert, réunit les maires de l'ouest du pays pour leur demander : «Qui acceptera l'honneur de recevoir le général De Gaulle ?» Dans la salle, un bras se lève : c'est celui de Armand Orséro, maire libéral d'Aïn Témouchent.

Ses pairs affiliés la plupart au FAF  des ultras le fusillent du regard et la Main rouge ne tardera pas à lui envoyer des menaces de mort. Quelques jours s'écoulent avant que des émissaires débarquent de la métropole pour sonder les chefs de régiments prêts à se rebeller contre De Gaulle.

Le colonel Dufour, commandant de la 1ère REP se rend à Sidi Bel Abbès pour tenter de rallier le colonel Brothier, patron de la légion étrangère. Objectif : neutraliser De Gaulle lors de son passage à Aïn Témouchent. Plusieurs colonels donnent leur accord mais se rétractent à 48 heures du voyage.

Le projet d'enlèvement du général échoue
Le 9 décembre, De Gaulle en tenue d'apparat est accueilli par la population d'AïnTémouchent. Il parle : «Les cris et les clameurs, cela ne signifie rien. Nous ne devons pas nous attacher à des formules et à des slogans périmés.»

Dans un entretien accordé le 25 novembre 1960 à Pierre Laffont, le directeur du journal L'Echo d'Oran, c'est-à-dire deux semaines avant son départ pour l'Algérie,

De Gaulle dévoile ouvertement sa stratégie tout en demandant au journaliste de ne pas révéler des propos que le général entend inscrire dans un cadre privé. C'est seulement en 1983 que Pierre Laffont dans son ouvrage «L'expiation» évoquera la discussion.

Nous avons choisi quelques extraits qui résument le mieux l'évolution de la pensée de De Gaulle à l'endroit du problème algérien : «Il y a en Algérie une population dont tout nous sépare. Les français d'Algérie veulent bien vivre avec les arabes à la condition qu'ils demeurent dans un état de subordination.

Eh bien ! Les musulmans ne veulent plus de cet état… L'armée n'a jamais rien compris à la politique. Il s'agit, en répondant OUI au référendum, de régler l'organisation des pouvoirs publics en Algérie en attendant l'autodétermination… Si le FLN veut venir avec nous pour faire l'Algérie algérienne,

 il le peut, mais je ne crois pas qu'il vienne... Si les musulmans choisissent  la sécession, qu'ils crèvent ! Eh bien, nous regrouperons les français. Il est bien certain qu'Alger, les environs d'Alger, Oran, la ville de Bône ne sont pas arabes. Nous créerons des présidios  dans les pquels ils vivraient…»

Le 8 janvier 1961, le référendum sur l'autodétermination consacre la volonté du peuple algérien. Le 22 avril,  le général Challe prend la tête d'un putsch pour garder l'Algérie française. De Gaulle parvient à renverser la vapeur mais l'OAS finira  par briser tout espoir de coexistence entre les deux communautés.

S. M.
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*Le titre de cet article s'inspire d'un opuscule en voie d'achèvement intitulé : «Décembre 1960 d'Ain Temouchent á Clos Salembier. Le commencement de la fin.»

Traduction

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