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Les derniers compagnons de la Libération passent la main

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10.11.2012 Par Benoît Hopquin

Claude Lepeu est en règle avec Dieu depuis quelque temps déjà. Il a reçu l'extrême-onction il y a soixante-dix ans. C'était après la bataille de Bir Hakeim, en mai-juin1942. Une balle traçante de l'Afrika Korps lui avait fracassé la cheville gauche dans le désert libyen. L'infection s'était généralisée. Les médecins le crurent perdu. Un jeune curé lui donna le dernier sacrement avec un autel portatif, dans sa chambre d'hôpital à Beyrouth. "Mais ce n'était pas encore mon heure", explique aujourd'hui l'homme qui va en boitillant sur ses quatre-vingt-douze ans. Dieu attendra.
Claude Lepeu fait partie des vingt-trois compagnons de la Libération toujours en vie, sur les 1 038 promus dans cet Ordre, pendant la guerre et juste après. Il avait été décoré par le Général en personne, sur son lit d'hôpital au Liban, quelques semaines après la bataille. Le récipiendaire a la photo dans son salon parisien. "C'est bien", avait dit de Gaulle à Lepeu, ce qui était déjà une forme d'épanchement de la part du personnage.

Le 16 novembre, Claude Lepeu songera à cet instant. Ce jour-là, le dernier carré des compagnons, qu'ils soient résistants ou soldats de la France libre, se rendra avec tous les honneurs, cédant aux nécessités du grand âge et du petit nombre. Pour la plupart nonagénaires, ils passeront le pouvoir à la tête de l'ordre de la Libération. Ils cesseront de coopter dans leur rang le chancelier qui en assumait jusqu'alors la responsabilité. Ils transmettront officiellement le flambeau, lors de cérémonies organisées à l'Hôtel de Ville de Paris et aux Invalides, en présence du premier ministre, aux cinq communes qui sont elles-mêmes compagnons de la Libération: Grenoble, Nantes, Paris, Vassieux-en-Vercors (Drôme), l'île de Sein (Finistère). Ce qui nécessite une explication historique.

L'ordre de la Libération a été créé le 16 novembre 1940, en pleine capilotade de la France, alors que le pays est traumatisé par la défaite et entre dans les sombres années d'Occupation. Le général de Gaulle entendait distinguer, parfois à titre posthume, ceux qui avaient poursuivi à ses côtés la lutte. Le titre de "compagnon" récompense ainsi "les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l'œuvre de la libération de la France et de son empire". Pendant la guerre et jusqu'en 1946, pour l'essentiel, 1 038 hommes furent donc adoubés dans cette forme de chevalerie qui se voulait sans rangs, avantages ou privilèges. Furent aussi décorées 18 unités combattantes particulièrement valeureuses et cinq communes s'étant illustrées dans cette période (pour mémoire, 128 hommes de l'île de Sein rejoignirent Londres après avoir entendu l'appel de De Gaulle et Vassieux fut martyrisée lors de la répression du maquis du Vercors à l'été 1944).

La liste des compagnons tisse l'épopée de la France libre. Il recèle des noms célèbres comme Jean Moulin, Pierre Brossolette, Philippe Leclerc de Hauteclocque, Berty Albrecht, Henri Rol-Tanguy, Félix Eboué, etc. Mais émargent aussi des héros inconnus, d'André Aalberg, résistant mort sous la torture en 1943, à André Zirnheld, parachutiste de la France libre tué en Cyrénaïque en 1942. Elle compte des hauts gradés comme Pierre-Marie Koenig ou de simples pioupious comme Aloizo Waleina, un Letton engagé dans la légion étrangère. Il y avait aussi ce juif lituanien naturalisé français en 1935 du nom de Romain Gary.

RÉSISTANTS DE LA PREMIÈRE HEURE

La Croix de l'Ordre devient la deuxième distinction dans le protocole républicain après la Légion d'honneur, même s'ils sont nombreux à chérir cette breloque plus que la rosette. "Celle-là n'a pas été donnée à n'importe qui", explique l'un des compagnons. Pierre Messmer n'a fait graver que ce titre de compagnon sur sa tombe. Contrairement à la carte de combattant volontaire de la Résistance, qui fut décernée longtemps après la fin de la guerre avec une largesse parfois discutable, l'ordre souffre d'absences notables mais peu d'usurpations. "Tous ceux qui y sont le méritent mais tous ceux qui le méritent n'y sont pas", résume Vladimir Trouplin, conservateur du Musée de l'Ordre et depuis dix-neuf ans la mémoire du compagnonnage. Il n'est guère que la présence dans ce panthéon d'André Malraux qui soit mégotée par certains de ses pairs. Nombre de spécialistes estiment avec eux que ses prouesses de résistant étaient moins grandes que son talent à les écrire... Sans être une légion gaulliste, comprenant même quelques figures qui contestèrent son autorité de chef de la France libre, l'Ordre est attaché à la personne du Général, qui restera d'ailleurs son seul grand maître. Outre les faits d'armes glorieux, Charles de Gaulle entendait surtout saluer l'engagement précoce à ses côtés, quand il n'était encore qu'un renégat, peu considéré par les Alliés et condamné à mort par Vichy. "75 % des compagnons ont rejoint la France libre avant la fin 40 et 91% avant 1942", explique Vladimir Trouplin.

Les compagnons étaient souvent des résistants de la première heure et non de la vingt-cinquième, insoumis, réfractaires, cabochards avant d'être héroïques. Comme Claude Lepeu, qui s'est embarqué le 21juin à Saint-Jean-de-Luz sur le Sobieski, après avoir acheté dans un bistrot du port un uniforme polonais.

François Jacob a été révolté par le discours de Pétain demandant la fin des combats le 17 juin, le jour de ses vingt ans. "Ce n'était pas possible. Il fallait aller jusqu'au bout ou ça n'avait aucun sens. On ne pouvait pas composer avec Hitler", explique celui qui est devenu Prix Nobel de médecine en 1965. Alain Gayet, germanophone qui avait lu Mein Kampf et vu la montée du nazisme en Autriche, savait également à quoi s'en tenir sur les vainqueurs. Hubert Germain n'a pas plus hésité. Il passait un examen pour entrer à l'école navale de Bordeaux alors que les Allemands venaient de prendre Paris. Assis à son pupitre à bachoter dans un pays en ruine, il a constaté l'absurdité de la situation, rendu une copie blanche et s'est mis en quête d'"un endroit où se battre". Même révolte de Claude Raoul-Duval, jeune pilote "écœuré" par le soulagement qui parcourait les rangs des officiers après la demande d'armistice de Pétain, "dégoûté" par "cet abandon complet de la France". Henri Beaugé a été poussé, mais il n'en fallait pas beaucoup, par sa mère. "Tout vaut mieux que de servir les Allemands! Pourquoi pas l'Angleterre?" Ils avaient vingt ans. Ils en ont un peu plus aujourd'hui, s'éclipsent un à un, sur la pointe des pieds.

"IL FALLAIT PÉRENNISER L'ORDRE, ENTRETENIR LE DEVOIR DE MÉMOIRE"

Mercredi 24 octobre, Roland de la Poype, dernier survivant de l'escadrille de chasse Normandie-Niemen qui combattit en URSS, a tiré sa révérence. "Nous devions songer à notre succession", avoue Fred Moore, dans son bureau de la chancellerie. Celui qui sera donc le dernier chancelier de l'Ordre a notamment participé à la libération de Paris le 25août 1944 avec la 2e division blindée.

"Il fallait pérenniser l'Ordre, entretenir le devoir de mémoire", confirme le colonel Loïc Le Bastard, secrétaire général de l'Ordre depuis plus de vingt ans et lui-même fils d'un compagnon, Louis, mort au combat en janvier1945. Une loi de mai1999 prévoyait ce passage de témoin. L'Ordre sera désormais géré par le conseil national des communes "compagnons de la Libération", un établissement public à caractère administratif qui désignera un délégué général. Le conseil reprendra la gestion des très riches archives et du musée qui est situé aux Invalides. Il s'occupera également du service de la médaille de la Résistance, qui est placé sous l'égide de l'Ordre. Il organisera un certain nombre de cérémonies. "Il devra entretenir le symbole", résume VladimirTrouplin, coauteur avec cinq historiens d'un livre qui vient de sortir sur les cinq villes compagnons (La Flamme de la Résistance, éd. Cherche Midi, 350 pages, 14,50 euros).

Reste un problème à régler. Le dernier compagnon doit être enterré au mont Valérien. Un caveau lui est déjà réservé. Mais les compagnons ne se battent pas plus que ça pour cette place d'honneur. "Ça ne me dit rien, avoue Claude Lepeu. Je veux être enterré auprès de ma femme, en Sologne." D'autres se montrent aussi réticents. Avec André Gayet, ils sont plusieurs à caresser un espoir: "Etre l'avant-dernier à mourir."


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