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La France assume sans moyens, ni alliés

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24 Janvier 2013  Par

Frédéric Pons


Afrique. Avec des capacités limitées et le soutien mesuré d’autres États, la France engage au Mali une mission difficile, de longue haleine, à la fois militaire et politique. Deux inconnues : le jeu de l’Algérie et l’appui international.

La France n’avait pas d’autre choix que d’intervenir, sans plus attendre, contre les islamistes du Mali. Ils menaçaient de déferler vers le sud, jusqu’à Bamako, la capitale, pour transformer ce pays de 1,2 million de kilomètres carrés et de 15 millions d’habitants en émirat islamique au coeur du Sahel. L’Algérie n’avait, elle aussi, pas d’autre choix que de riposter vite et fort contre les terroristes responsables de la prise d’otages massive du 17 janvier sur le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas. Elle devait protéger ses intérêts vitaux (la production de gaz) et dissuader, par le sang, un regain de terrorisme islamiste sur son territoire. Ces deux dossiers lient, intimement, Paris et Alger. Même s’il reste beaucoup de contentieux entre les deux pays, et de vraies ambiguïtés du côté algérien, les intérêts sont communs face à la menace islamiste.

Dans l’affaire d’In Amenas, l’Algérie a réagi avec les seules méthodes adaptées, malgré le très lourd bilan de l’assaut : 37 otages étrangers tués (dont un Français, trois Américains, deux Roumains, trois Britanniques, six Philippins, sept Japonais), une trentaine de terroristes éliminés. À l’origine, la quarantaine d’assaillants avait pris le contrôle d’un site abritant près de 790 personnes, dont 134 étrangers de 26 nationalités ! La plupart ont pu s’enfuir, juste avant l’assaut.

Alger ne pouvait ni attendre ni négocier, face à des terroristes suicidaires qui n’avaient aucune intention de négocier ni de se rendre. Le traitement réservé aux premiers otages occidentaux tombés entre leurs mains le prouve. Quelques-uns avaient été ceinturés d’explosifs. D’autres étaient tués en essayant d’aider les plus faibles. Parmi eux, le Français Yann Desjeux, un des héros de cette prise d’otages (lire page 33), comme ces employés algériens qui protégèrent leurs collègues étrangers.

En négociant, Alger risquait d’encourager d’autres actions terroristes et de perdre l’acquis de vingt ans de lutte antiterroriste. Né dans la guerre de libération contre les Français, endurci par les affrontements fratricides qui ont rythmé son demi-siècle d’indépendance, éprouvé au feu de l’atroce guerre civile menée contre les islamistes entre 1992 et 1999 (150 000 morts), le régime algérien est marqué par une double culture de violence et d’opacité (lire page 35) qui lui a permis, une fois encore, de tenir le choc.

Cette riposte brutale s’explique aussi par le défi stratégique lancé au régime par ces Signataires par le sang, un groupe issu de la guérilla islamiste des années 1990 et 2000 (Groupe islamique armé, Groupe salafiste pour la prédication et le combat), affilié à Al- Qaïda, commandé par un vétéran du terrorisme algérien, Mokhtar Belmokhtar. Surgis des immensités qui bordent le Tassili N’Ajjer, aux confins du Niger, du Mali et de la Libye, les terroristes ont frappé au coeur de la richesse algérienne, les hydrocarbures (90 % des revenus de l’État, 30 % du PIB algérien). Par cette cible inédite et le nombre des otages, ils ont franchi un seuil qui appelait cette riposte radicale.

Paris n’avait pas d’autre choix que d’apporter son appui à Alger, alors que Londres, Tokyo, Ottawa, La Haye et même Washington s’interrogeaient ouvertement sur les méthodes musclées du régime algérien. Ce soutien français à l’Algérie est stratégique, comme l’appui algérien à la France au Sahel. D’ores et déjà, l’autorisation de survol de l’Algérie par les avions militaires français, la fermeture des frontières et l’échange de renseignements facilitent l’opération Serval, avec l’espoir d’aider au règlement du dossier des huit otages français retenus dans l’immensité de l’adrar des Iforas, aux confins algéro-maliens. Cet appui devra se confirmer dans la durée — ce n’est pas encore sûr, tant Alger a joué un rôle ambigu dans la région, notamment auprès des groupes islamistes. Jusqu’en décembre dernier, le régime refusait toute intervention étrangère au Mali. Abdelaziz Bouteflika l’avait dit à François Hollande, les 19 et 20 décembre, lors de sa visite d’État à Alger. La mission interafricaine de soutien au Mali, pourtant autorisée par la résolution 2085 votée le 20 décembre au Conseil de sécurité de l’Onu, n’était pas la bienvenue. « Pas d’opération militaire internationale au Sahel », avait dit Bouteflika. Hollande s’était voulu rassurant : « Pas un seul soldat français au sol ni en première ligne. »

En regroupant leurs forces à Kidal, Gao et Tombouctou pour foncer vers le sud, les djihadistes étrangers et les islamistes maliens ont exploité à fond cette position de principe de l’Élysée, assurés que la France ne s’engagerait pas sur le terrain, comme le répétaient les autorités françaises. Taraudé par d’éventuelles accusations de “néocolonialisme” et par sa volonté obsessionnelle de rupture avec la “Françafrique”, François Hollande a ainsi ouvert, sans le vouloir, un boulevard aux islamistes.

Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) connaissaient aussi la lenteur de la mobilisation de la force interafricaine. Son déploiement au Mali n’était pas attendu avant septembre ou octobre 2013. Ils avaient perçu, enfin, les réticences d’Alger sur ce dossier, d’où le leurre d’Ansar Dine, qui fit croire aux émissaires algériens qu’un dialogue était possible, alors que les islamistes préparaient leur offensive, avant d’enfoncer, sans coup férir, la “ligne de front”. La surprise à Paris a-t-elle été si totale qu’on le dit ? Comme si aucun moyen de renseignements — français ou américain — n’était alors dirigé vers le nord du Mali… C’est improbable. La France aurait-elle laissé faire pour mieux légitimer une intervention qui devenait inévitable ? La rapidité de la réaction française, le 11 janvier, montre que des scénarios de frappe étaient prêts. Les militaires n’attendaient que le feu vert politique.

La poussée islamiste et la détermination française ont bousculé l’Algérie, soudain obligée à un virage à 180 degrés. Alger s’est déjà engagé à mieux surveiller son interminable frontière sahélienne : 2 600 kilomètres, de la Mauritanie au Niger. Contrôler cette ligne imaginaire tracée dans le sable, la rocaille et les épineux est évidemment impossible, mais la surveillance peut être améliorée, en “traçant” les trafics (drogues, armes, clandestins) qui alimentent les trésors de guerre d’Aqmi, d’Ansar Dine, du Mujao, à Tindouf (avec le Front Polisario), In Salah, Tamanrasset, Djanet, les grandes cités carrefours du Sud saharien.

L’annonce de la fermeture des frontières ne signifie pas grand-chose dans l’immensité du territoire concerné, mais le survol de l’Algérie par des avions militaires français est plus sensible. On n’en aurait rien su sans la bourde de Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. En annonçant ce soutien direct de l’Algérie, il a mis Bouteflika dans l’embarras, ouvert la polémique à Alger et sans doute dopé des réseaux déjà bien enfiévrés par la guerre au Mali. Les islamistes ont à leur tour été surpris par la foudre française. Dès les premières heures de l’opération Serval, leurs colonnes de pick-up Toyota surarmés encaissent des coups terribles et doivent se disperser. Les renforts français arrivés en urgence du Tchad, du Gabon, de France les repoussent vers le nord. Le 21 janvier, après dix jours de déploiement, 3 150 militaires français étaient engagés dans l’opération Serval, dont 2 150 sur le territoire malien. Ils ont repris le contrôle des passages sur le fleuve Niger, de l’aéroport de Mopti-Sévaré, des villes de Diabali et Douentza. La phase suivante vise à « la reconquête de tout le Mali », assure Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense. Quelle ambition ! Le nouvel objectif, la ligne Gao-Tombouctou, se situe à près de 900 kilomètres à vol d’oiseau au nord-est de Bamako, et Kidal, le fief des islamistes, est à 1 200 kilomètres.

Le coup de patte de Serval a aussi créé un électrochoc dans les pays africains, jusque-là trop lents à se mobiliser. Les premiers bataillons de la mission africaine sont arrivés à Bamako, avant-garde d’une force qui devrait compter de 3 300 à 5 000 hommes, placés sous le commandement du Nigeria.

La France est toujours seule au sol, mais une demi-douzaine de pays occidentaux, dont les États-Unis et le Canada, fournissent des moyens logistiques appréciables. Ces États sont trop heureux de ne pas devoir s’engager en première ligne. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Nation-cadre dotée des forces et de l’expertise nécessaires sur ce théâtre, la France n’a pas besoin de contingents danois, allemands, polonais ou roumains. Cette multinationalité ne ferait que compliquer son action sur le terrain. La magie des coalitions multilingues appartient au passé. Pour l’efficacité, ce n’est pas plus mal.

La France fait maintenant face à deux défis majeurs pour éviter l’enlisement. Sur le plan militaire, elle doit assurer le démarrage opérationnel de la force interafricaine, en soutien des Maliens, afin de se replacer en deuxième ligne. L’armée française connaît bien ce type de mission. C’est l’une des meilleures au monde pour ce travail. Sur le plan politique, elle doit éviter de se laisser entraîner dans les querelles internes maliennes, alors que certaines unités ou milices veulent déjà régler des comptes avec les “collaborateurs” des islamistes. Les Arabes et les Touaregs sont visés.

La crise fait resurgir d’anciennes rivalités ethniques, de part et d’autre de la “frontière intérieure” que forme le Niger, malgré le brassage des populations. Les Français vont devoir contrôler ces forces antagonistes, cohabiter mais sans couvrir les exactions. La situation rappelle à beaucoup de militaires le pénible “syndrome Rwanda” de 1994.

En évoquant les « ennemis terroristes criminels » du nord du Mali, une rhétorique maladroite et simplificatrice, François Hollande et Laurent Fabius ne facilitent pas les choses. Les Maliens du Nord — Touaregs, Arabes, Songhaïs —, qui ne se reconnaissent en rien dans la charia et les méthodes islamistes, sont sous le choc. Pour préparer l’avenir et se retirer en bon ordre, le jour venu, la France doit au contraire faciliter la réconciliation, sans ignorer que les dirigeants du Sud portent une part de responsabilité dans l’éclatement du pays et l’effondrement de l’État.

En cinquante ans, Bamako n’a jamais su vraiment gérer ses vastes territoires du Nord ni faire preuve d’équité et de justice à l’égard des Touaregs, ce qui explique qu’une partie de la jeunesse touarègue a succombé à l’argent et à la propagande islamistes. Reconstruire l’État et le lien national malien est un chantier de longue haleine. Est-ce bien la responsabilité de la France ? Si elle le faisait, Valéry Giscard d’Estaing aurait alors eu raison en parlant, à mauvais escient, de « néocolonialisme ».

Photo © DR


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