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Mali. La Légion dans l'antre d’Aqmi

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mercredi 13 mars 2013

Jeudi 7 mars, dans la vallée de l’Ametettai. Au premier plan, le poste de commandement français, surmonté d’une parabole satellite. Derrière, le potager planté par les hommes d’Aqmi. A l’arrière-plan, un hélicoptère Puma (à g.) et deux Tigre. | Photo Alvaro Canovas

En s’emparant du sanctuaire des islamistes, les Français ont mis la main sur leur arsenal… et même leur potager.

De notre envoyé spécial dans les Iforas Régis Le Sommier avec Didier François - Paris Match

Le caporal a été tué près de cette dune de sable. » Il est 10 heures du matin, le jeudi 7 mars, au coeur du massif des Iforas, dans le nord-est du Mali. Le soleil tape déjà si fort que Jean- Yves Le Drian doit placer la main en visière pour observer le point que désigne le colonel Desmeulles, commandant des légionnaires du 2e Rep. Il s’agit du piton de roche noire où le caporalchef Cédric Charenton est mort, cinq jours plus tôt, au cours d’un des combats les plus violents auxquels l’armée française ait été confrontée ces dernières années. Le vent brûlant fait voler une poussière ocre et collante ; quand il accorde un répit, des nuées de mouches entrent en action. La température frôle déjà les 40 °C. « Vous considérez que la zone est sécurisée ? » demande le ministre de la Défense, qui a tombé la veste dès sa descente d’avion pour effectuer sa première visite sur le front. « Le génie est passé, tout est nettoyé », lui répond le colonel. Ils étaient 300 djihadistes à défendre cette vallée d’Ametettai. En quelques années, ils l’avaient méthodiquement transformée en forteresse. Les soldats français l’ont baptisée le « donjon ».

En effet, depuis le début de leur intervention au Mali, à Tombouctou, à Gao ou à Kidal, c’était chaque fois le même scénario. L’ennemi quittait les lieux avant l’arrivée des soldats. Et, malgré les performances des systèmes de détection et d’écoute, ceux-ci finissaient par se demander où il pouvait bien se terrer. Le 19 février, des éléments de la brigade Serval sont accrochés lors d’une mission de reconnaissance à l’ouest de la vallée. Au bout de cinq heures et demie de combats intenses et malgré l’intervention en renfort des Forces spéciales, l’ennemi ne cède pas un pouce de terrain. Un soldat français et quelques dizaines de djihadistes perdent la vie au cours de l’assaut. Curieux ! Pourquoi vouloir se cramponner à un chaos de roches volcaniques de 60 kilomètres sur 90 au milieu du désert ? Les éclaireurs décrochent. Ils ont noté que cette zone, silencieuse jusqu’à présent, bruissait d’ondes électromagnétiques lors de l’accrochage. On a compté jusqu’à 40 téléphones portables activés d’un coup. Certaines communications remontent jusqu’à l’Europe. Après analyse des conversations, le général Barrera, qui commande la brigade Serval, acquiert la conviction que l’Ametettai est bien le sanctuaire des combattants d’Aqmi. En quelques jours, il met au point son plan de bataille. Le 26 février, les Français passent à l’attaque à l’ouest.

Au même moment, 1 000 soldats tchadiens lancent l’assaut à l’est. L’ennemi est pris en tenaille mais ne recule pas. Un véhicule de l’avant blindé (VAB) saute sur une mine, son chauffeur est blessé. Les tirs fusent de toutes parts. Une balle vient se loger dans le casque d’un para qui en réchappe miraculeusement. En face, les djihadistes subissent des pertes mais résistent. Une heure après le commencement de l’assaut, le verrou qui protège l’entrée de la vallée n’a toujours pas cédé. Ils disposent de solides défenses, notamment des canons de 14.7 camouflés en haut des crêtes, des sortes de mini-bunkers avec vivres, eau et munitions, à la manière des Viêt-cong. A l’est, les Tchadiens piétinent aussi. Ils ont d’abord foncé bille en tête, mais les snipers d’Aqmi les ont cueillis avant qu’ils ne pénètrent dans la vallée : balles dans la tête à des distances de plus de 800 mètres !

« On est allé chercher l’ennemi à la fourchette à escargot. On a même manqué de grenades »

Vers 19 h 30, la situation s’aggrave, lorsque, par une manoeuvre habile, les Groupements armés djihadistes (Gad) parviennent à couper en deux la colonne tchadienne et à en isoler une partie au fond d’un corridor. Du haut des crêtes, la partie de ball-trap commence. Le bilan est lourd : 26 soldats tchadiens tués, plus de 60 blessés. C’est alors que les paras et la Légion entrent en action. Par une manoeuvre audacieuse, ils investissent à pied la vallée par le nord : 9 kilomètres de crapahute, avec 40 kilos sur le dos, pour parvenir en haut des crêtes. « Ils pensaient que l’Occidental allait se fatiguer, fatiguer, mais nous sommes arrivés à pied et ils ont craqué », explique le colonel Bertier, un des stratèges de l’opération.

« On est allé les chercher à la fourchette à escargot », ajoute-t-il avec délice. On croirait entendre Bigeard. Comment ne pas penser ici au héros de Diên Biên Phu ? Le relief, semblable à l’Algérie dont la frontière n’est qu’à 50 kilomètres, la manoeuvre des paras, la marche forcée, l’attaque par les hauteurs, l’ennemi qu’on surprend et le langage du colonel, c’est du pur Bigeard. Derrière ses petits yeux plissés, Bertier jubile de la comparaison. « Les tirs avaient lieu à 10 mètres, 3 mètres certaines fois, reprend-il. C’était presque du corps-à-corps. » La première crête conquise, on passe à la suivante. Chaque fois qu’un Groupement tactique interarmes (GTIA) est bloqué, dans les airs les hélicoptères Tigre se chargent de neutraliser la position ennemie. Sapeurs, chars, artillerie, transport, jusqu’à l’aviation de chasse puis le génie, toute la panoplie des armes françaises est utilisée dans l’opération. Mais, au final, c’est l’infanterie qui fait la différence, des hommes à pied, méthodiques, courageux, déterminés. L’ennemi profite de la moindre crevasse pour se planquer. A la fin, les soldats français manqueront même de grenades…

Par 40 °C à l’ombre avec 40 kilos sur le dos, les combats ont été harassants A 10 heures du matin, sous une chaleur à peine supportable, les hommes du PC transmission se tiennent informés des opérations en cours dans les vallées voisines. (Photo Alvaro Canovas)

En progressant, ils vont de découverte en découverte : caches d’armes, garages camouflés pour réparer les pick-up, jusqu’à des postes de soins enterrés où gisent des cadavres dont certains ont été perfusés, avant que leurs camarades ne les abandonnent dans leur fuite. Côté tchadien, on a repris le dessus. Les hommes délogent un à un les djihadistes. Coriace, cet ennemi n’a pas peur de mourir et il a bien l’intention d’emporter un maximum de soldats avec lui. Acculé, un djihadiste déclenche sa ceinture d’explosifs sur des caisses à munitions. Pour leur dernier baroud, les combattants d’Aqmi avaient tout prévu, un solide système de défense mais aussi une logistique impressionnante pour assurer leur survie. S’ils ont choisi l’Ametettai, c’est que la vallée dispose d’eau toute l’année. Ici, l’expression « or bleu » prend tout son sens. Au bas du promontoire rocheux duquel le ministre de la Défense redescend pour s’adresser aux soldats et les féliciter, on trouve même un potager. Le jardinier d’Aqmi est un bien piètre cultivateur. Les rangs d’oignons ne sont pas droits. Certains plants de tomates poussent au milieu des allées.

“Ils pensaient que l’Occidental se fatiguerait, mais nous sommes arrivés à pied, ils ont craqué”

Le puits, en revanche, est assez sophistiqué. Dans cet univers de guerre, l’endroit bucolique redonne à l’ennemi un peu d’humanité. On l’imagine déambulant au milieu des oignons, arrosoir à la main, comme n’importe quel paysan de n’importe quel pays. « La Marseillaise » retentit. C’est Le Drian qui l’entonne, selon son habitude dès qu’il a fini de parler aux soldats. L’hymne est repris par la troupe, saccadé, façon Légion, une puissante respiration collective, à l’image du combat que les hommes viennent de mener, où l’individu ne tient que par et pour le groupe. Les visages sont maigres, creusés par la fatigue, les lèvres fendues, brûlées par le soleil, mais au fond des yeux brille une étincelle de fierté. « Je vous ai promis de la bière. Il y aura de la bière ! » lance le général Barrera à la fin de la cérémonie. « Est-ce qu’elle est fraîche ? » demande un légionnaire avec un roulement de « r » qui traduit une origine des pays de l’Est. Le drapeau tricolore claque au vent.

Les oignons d’Aqmi frissonnent. Les armes des terroristes gisent dans la cour derrière le ministre. Les légionnaires défilent devant ces trophées en leur jetant un regard de mépris. On en a trouvé 16 tonnes dans le massif, dont trois canons russes de 122 millimètres, des mitrailleuses en pagaille, plus de 1 000 roquettes et grenades, 60 000 munitions, 1 500 obus, sans oublier des quantités de fils électriques et de détonateurs pour fabriquer des IED. Mais il n’y a pas que des armes parmi le butin récupéré dans l’Adrar. On trouve aussi des sacs de riz, des paquets de sucre, des bidons d’huile, des conserves, du lait en poudre et du thé vert de Chine.

Pour la première fois depuis le début du conflit, on a fait des prisonniers

Et aussi une vieille malle noire en fer qui semble avoir voyagé longtemps. Sur son côté, peinte en blanc, Masjid al-Haram, la grande mosquée de La Mecque, surmontée d’un croissant de lune. Il y a deux mois à peine, les combattants d’Aqmi ambitionnaient, avec cet arsenal, de descendre sur Bamako et de soumettre l’intégralité du Mali à leur rêve de djihad. Dans le ciel, deux hélicoptères Tigre tournent en rond. La colonne vertébrale de l’ennemi a peut-être été brisée, mais celui-ci demeure, en petits groupes éparpillés dans le massif. Ces jours derniers, pour la première fois depuis le début du conflit, on a fait des prisonniers, une poignée pour l’instant, dont un Franco-Algérien de 38 ans, originaire de Grenoble, arrêté les armes à la main. La consigne n’est pas d’en ramener à tout prix. Au sud du massif, les Français et leurs alliés tchadiens ont repéré un groupe de combattants qui tentait de fuir à pied. Il a été « neutralisé » par les Tigre.

« Ils ne peuvent pas aller loin ni tenir longtemps, reprend le colonel Bertier, car ils n’ont plus accès aux puits. Il faut terminer le boulot. Comme je vous disais, les chercher à la fourchette à escargot ! répète-t-il, fier de son expression. Ce sont mes origines bourguignonnes qui parlent ! » Ce travail ingrat, les Français vont le faire dans les semaines qui viennent. Nettoyer la zone pour ensuite la laisser à des soldats d’autres nations d’Afrique qui, comme prévu depuis le début de l’opération, doivent les remplacer. François Hollande a annoncé que les forces françaises commenceraient à se retirer au début du mois d’avril. Mais beaucoup reste à faire. Notamment du côté de l’armée malienne, qui est loin de pouvoir prendre la place des Français. Peu formée, incapable de planifier ou d’instruire ses cadres, elle manque de presque tout, faisant ce qu’elle peut avec des armes dont certaines remontent à la colonisation. Cette armée sait qu’elle est passée près du désastre lors de l’offensive des djihadistes. Elle accepte donc, de bon gré, la formation que vont lui apporter 196 instructeurs venus de 13 pays de la Communauté européenne. C’est peu, et cette formation sera longue. La mission européenne n’entrevoit une reconquête par l’armée malienne du Nord-Mali qu’en mai 2014…Point final


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