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La fascination Clemenceau

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Le Monde.fr | 28.11.2014

Georges Clemenceau à son bureau, rue Franklin à Paris.

Le 11 novembre, à l'occasion du quatre-vingt-seizième anniversaire de l'armistice de la première guerre mondiale, le président François Hollande déposait une gerbe devant la statue de Georges Clemenceau au rond-point des Champs-Elysées à Paris. A ses côtés, le premier ministre, Manuel Valls, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, et le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, rendaient également hommage à celui que l'on surnommait « le père la victoire ».

Au terme de cette cérémonie traditionnelle instaurée par le général de Gaulle, en 1944, le premier ministre se rendait au musée Clemenceau, 8, rue Benjamin-Franklin, dans le 16e arrondissement à Paris. Pour Manuel Valls, qui, du temps où il était ministre de l'intérieur, avait sur son bureau une photo de celui que l'on surnomma « le premier flic de France » lors de son passage Place Beauvau, de 1906 à 1909, cette visite revêtait une importance particulière.

Suivi par un cortège de photographes, le premier ministre pénétrait dans ce qui fut la dernière demeure du « Tigre ». Cet appartement de cinq pièces avec vue sur la tour Eiffel dans lequel il vécut durant trente-cinq ans jusqu'à sa mort, le 24 novembre 1929, fut également son lieu de travail et de réception.

Georges Clemenceau (1841-1929), qui avait toujours refusé de vivre dans les appartements officiels auxquels lui donnait droit sa fonction, vivait vers la fin de sa vie avec des moyens modestes. La propriétaire de l'immeuble s'était engagée à ne pas augmenter le loyer de l'appartement. Néanmoins, à sa mort en 1925, ses héritiers ne purent s'entendre et mirent l'appartement en vente. Clemenceau s'était alors résigné, malgré son âge avancé, à vivre à l'année en Vendée, où il louait une petite maison. Cet éloignement inquiétait beaucoup son entourage.

Sélection d'archives du Musée Clemenceau

Un village à son nom dans l'Arizona

C'est alors que James Stuart Douglas, un riche entrepreneur d’origine canadienne, racheta l'appartement pour l'offrir à Georges Clemenceau. Ce grand admirateur du « Tigre » bâtit le village aujourd'hui disparu de Clemenceau, près de Phoenix dans l'Arizona, aux Etats-Unis. Le Musée Clemenceau a conservé les titres de la Clemenceau Mining Corporation et de la Bank of Clemenceau qui firent sa fortune.

Fait peu connu ou oublié, Clemenceau fut l'un des rares hommes politiques français de son temps à parler parfaitement l'anglais. A 25 ans, il partit aux Etats-Unis où il trouva un poste d'enseignant. Ses chroniques envoyées au journal Le Temps racontent une Amérique qui se relève à peine de la guerre de Sécession (1861-1865). Georges Clemenceau se maria avec Mary, une Américaine avec laquelle il eut trois enfants.  

Le musée revient sur les différentes facettes de sa personnalité. Son courage et sa pugnacité : les 655 articles qu'il a consacrés à la défense du capitaine Dreyfus furent réunis dans sept volumes – Clemenceau a eu l'honnêteté d'inclure les trois premiers articles dans lesquels il mettait en doute son innocence. Son autorité et sa fermeté :  les articles de presse rappellent comment il est devenu « briseur de grève » après avoir donné la troupe pour mater la révolte des vignerons du Languedoc en 1907. Son ouverture d'esprit et sa sensibilité : sont exposés des tableaux et des photos de son ami Claude Monet, sa collection d'objets d'art d'Extrême-Orient, un exemplaire de sa pièce de théâtre Le Voile du bonheur (1901) ou encore sa correspondance amoureuse avec Marguerite Baldensperger.

On retrouve Clemenceau dans ses moments les plus durs : lors de sa longue traversée du désert après avoir été injustement mis en cause dans l'affaire du scandale du Panama (1893), après avoir été la cible d'un attentat anarchiste en 1919 ou après son échec à l'élection présidentielle de 1920. Ses moments de gloire et sa popularité sont bien sûr mis en avant : le manteau qu'il portait lorsqu'il rendait visite aux soldats dans les tranchées occupe une place de choix dans cette exposition.

Michel Winock : « L'autorité et le fermeté de Clemenceau, un modèle pour Valls »

Manuel Valls tient un portrait de Georges Clemenceau (1841-1929), à l'occasion d'un hommage à Mouchamps, le 25 novembre 2013.
Manuel Valls tient un portrait de Georges Clemenceau (1841-1929), à l'occasion d'un hommage à Mouchamps, le 25 novembre 2013. | AFP/DAMIEN MEYER

« Réinstaller Clemenceau à Brienne »

Le musée doit fermer ses portes à la fin du mois de novembre pour une durée de cinq mois. Les murs et les tapisseries du vestibule et de la salle de travail dans laquelle se trouve son bureau en forme de fer à cheval reposant sur huit pieds Louis XV seront rénovés et restaurés. Une partie des 5 000 ouvrages de sa bibliothèque sera dépoussiérée.

Ce projet de restauration fait suite à la reconstitution du bureau de Georges Clemenceau entreprise au ministère de la défense. Lorsque Jean-Yves Le Drian prit ses fonctions à l'hôtel de Brienne en mai 2012, celui-ci se rendit compte que le bureau qu'occupait le « Tigre » lorsqu'il fut ministre de la guerre de novembre 1917 à janvier 1920 était devenu un débarras. Dans la mesure où le bureau que le général de Gaulle occupa, en 1940, puis à la Libération en 1944, avait été conservé en parfait état, il paraissait évident à Jean-Yves Le Drian, ancien professeur d'histoire, que la mémoire de « Clemenceau soit réinstallée à Brienne ».

La reconstitution du bureau nécessitera deux ans de travail. Une entreprise de longue haleine pour les services du ministère qui ne disposaient que de deux photos en noir et blanc de cette pièce. « Nous avons dû faire un travail d'interprétation pour refaire les tapisseries, indique-t-on dans l'entourage du ministre de la défense. Nous avions les motifs, mais pas les couleurs. » En enlevant le plancher de la pièce, cinq mètres cubes de sable ont été mis au jour. Un dispositif anti-écoute qu'avait fait installer Raoul Dautry, ministre de l'armement en 1940.

Des recherches ont également été entreprises pour retrouver le mobilier. Le bureau de Clemenceau n'a pas été difficile à trouver, il se trouvait au rez-de-chaussée. En revanche, il a fallu un coup de chance pour que le dépôt de la ville de Hyères (Var) signale au ministère la présence du fauteuil de Clemenceau. Ce siège dont les accoudoirs sont surmontés de têtes de tigre avait été cédé par le Musée de la légion étrangère d'Aubagne (Bouches-du-Rhône). Un second bureau monumental est venu compléter la pièce : le « Daru », du nom de l'intendant général de Napoléon. De ce bureau de style néo-égyptien que Bonaparte promena sur les champs de bataille jusqu'en Egypte, Clemenceau fit le même usage : il consultait des cartes sur lesquelles il pouvait localiser les batteries d'artillerie de l'armée française.

 Vidéo : Interview de Lise Devinat, petite-nièce de Clemenceau

Une référence indiscutable en temps de crise

Le 17 novembre 2014, Jean-Yves Le Drian inaugurait ainsi le bureau du « Tigre ». La date n'avait pas été choisie par hasard puisqu'il s'agissait du 97e anniversaire de l’investiture de Georges Clemenceau comme président du conseil et ministre de la guerre. Au-delà de l'hommage appuyé, le discours du ministre montrait à quel point Clemenceau reste une référence indiscutable en temps de crise.

« C’est depuis l’hôtel de Brienne que le “Tigre” a fait la guerre, à partir de 1917, et gouverné la France, jusqu’en 1920. Nous lui devons l’armistice, c’est-à-dire la victoire, et la fin d’une guerre alors inédite par les ravages qu’elle a fait peser sur les populations, les territoires et les consciences de tout un continent. Nous lui devons surtout d’avoir sauvegardé le pays de l’abîme, quand la France s’était abandonnée à douter d’elle-même. Clemenceau, animé par l’intérêt supérieur de la nation, a su la rassembler (…). Par sa volonté, sa droiture, son audace, surtout son sens élevé de l’Etat par-delà les clivages politiques, Clemenceau reste donc, cent ans après, comme l’une des plus formidables figures de cette tragique période de notre histoire. »

Homme de gauche, profondément laïque et républicain, incarnant l'autorité et la fermeté, Georges Clemenceau reste un modèle pour de nombreuses familles politiques. Pour François Hollande, la célébration du centenaire de la première guerre mondiale ne fut pas une chose facile. Difficile de se référer aux socialistes français de l'époque qui ne surent empêcher ce conflit. Dès le lancement des commémorations, le 7 novembre 2013, François Hollande saluait la mémoire de Clemenceau, insistant sur le fait que la première guerre mondiale consacra la force de la République.

Si le centenaire de l'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 2014, a donné lieu à de nombreux hommages au fondateur du socialisme français, il a également été l'occasion pour certains hommes de gauche de le comparer à Clemenceau. Dans un entretien au Monde (février 2014), Jean-Pierre Chevènement affirmait :

« Jaurès est une figure splendide, mais n'a jamais exercé la responsabilité de l'Etat. Si nous avons pu tenir de 1914 à 1918, c'est beaucoup grâce à Clemenceau. Il a été président du conseil dans le moment le plus difficile (…). Clemenceau, c'est l'énergie qui tient la France à un moment où celle-ci n'a plus son allié russe et n'a pas encore son allié américain. »

Tentatives de récupération

A un moment où la classe politique française traverse une crise majeure, la tentation de récupérer Clemenceau, modèle de droiture et de détermination, incarnant l'unité entre la République et la démocratie, est forte. A la fin de 2012, la famille de Clemenceau et le conseil d'administration du musée avaient été approchés indirectement par les plus hautes autorités de l'Etat pour savoir si l'éventualité du transfert des cendres au Panthéon pouvait être envisagée. « La réponse fut négative, tant étaient claires les volontés testamentaires du “Tigre” qui avait souhaité formellement que sa dépouille restât toujours près de celle de son père, au Colombier, en Vendée », explique Jean-Noël Jeanneney, historien et administrateur de la Fondation Musée Clemenceau, dans son ouvrage La Grande Guerre, si loin, si proche (Seuil, 2013).

A droite et à l'extrême droite, on se compare volontiers à Clemenceau. Dès sa mise en cause dans l'affaire Bygmalion, Jean-François Copé comparait sa mauvaise passe à celles qu'avaient traversées Clemenceau, de Gaulle, Chirac et Sarkozy. « La mémoire de Clemenceau a été largement récupérée par la droite au lendemain de la Grande Guerre, puis plus tard par le général de Gaulle, pour deux raisons : premièrement, l'autorité de l'Etat, que la droite a toujours défendue ; deuxièmement, le patriotisme, que Clemenceau a incarné au pouvoir en 1917 et en 1918 », rappelle l'historien Michel Winock.

Au milieu du déferlement éditorial lié au centenaire de la première guerre mondiale, Clemenceau n'a pas été oublié, tant s'en faut. Aux biographies de Jean Garrigue (Le Monde selon Clemenceau, Tallandier, 2014), de Matthieu Séguéla (Clemenceau ou la tentation du Japon, CNRS Editions, 2014) et de Pierre Miquel (« Je fais la guerre » : Clemenceau, le père de la victoire. Taillandier, 2014), s'ajoutent des rééditions de textes de Clemenceau : Sylvie Brodziak présente Clemenceau, la mêlée sociale (Honoré Champion, 2014), tandis que Marie Aynié, Mathieu Soula, Céline Piot, Jean-Noël Jeanneney et Pierre Joxe publient Clemenceau, l'intégrale des articles publiés de 1894 à 1906 dans « La Dépêche » (Privat, 2014). De nombreuses expositions sont organisées comme Clemenceau et l'Asie, actuellement présentée en Vendée, initialement au Musée Guimet. Un colloque consacré à la pensée politique de Clemenceau avait lieu la semaine dernière au Sénat. Un foisonnement qui n'en est qu'à ses débuts : la célébration autour de Clemenceau devrait continuer pendant les quatre années à venir

Antoine Flandrin

Traduction

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