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En souvenir des Garibaldiens tombés pour la France

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26.06.2015

Celine Ggoncz (en rouge), avec les autres porte-drapeaux de l'Association des Garibaldiens le 30 septembre, 2014 à Paris

Par Gilles Pécout

Ce samedi 27 juin, un ministre français se trouve en Meuse pour honorer des soldats italiens. Aux confins de la Lorraine et de la Champagne, à peu de distance de Verdun, le secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants et de la mémoire y rappellera le sacrifice de ces soldats italiens tombés entre décembre 1914 et mars 1915, avant même l’engagement officiel de l’Italie dans le conflit.

En mai 2015, l’Italie vient en effet à peine de commémorer le centenaire de son entrée dans la Première Guerre mondiale… un an après les principaux belligérants européens. C’est le 24 mai 1915 que le gouvernement du roi Victor-Emmanuel III a décidé de rompre la neutralité pour déclarer la guerre contre l’Empire austro-hongrois et rallier le camp de l’Entente. Jusqu’alors, la participation au conflit des 6 millions d’Italiens et le sacrifice des 680 000 victimes militaires ont surtout fait l’objet de commémorations en Italie même. Le nouveau président de la République, Sergio Mattarella, s’est ainsi déjà rendu Vénétie Julienne sur les champs de batailles du Monte San Michele, le principal et plus meurtrier théâtre de guerre italien.


Or, loin des hautes terres frioulanes où s’élève le mémorial de Redipuglia, il est aussi une mémoire française de la guerre italienne. Ou plutôt, de la guerre des Italiens qui a précédé celle de l’Italie. Alors que le président du Conseil Salandra proclame la neutralité de l’Etat le 3 août 1914, des Italiens décident de s’engager avec les Français. Les immigrés italiens déjà présents sur le sol français sont les premiers à franchir le pas. Ces volontaires italiens s’enrôlent en nombre, 5 000, dans la Légion étrangère dès août 14. Mais c’est de la péninsule qu’arrive le souffle décisif. Ricciotti Garibaldi lance la croisade : il est l’un des deux aînés du grand Giuseppe Garibaldi le champion de l’Unité italienne au XIXe siècle et « héros des deux mondes » qui avait fait de l’engagement armé volontaire national et international sur plusieurs continents le principe de son action politique et le ressort de sa légende romantique.

Le sacrifice de Garibaldi

Trop âgé pour combattre lui-même, Ricciotti envoie ses six fils défendre la République française contre les Empires, à l’instar de leur grand-père venu combattre les Prussiens à Dijon en 1870. Commandée dès novembre 1914 par le lieutenant-colonel Giuseppe Garibaldi - Peppino, pour le distinguer de son prestigieux aïeul - la légion des garibaldiens qui portent en vareuse et sous l’uniforme français leur mythique chemise rouge est envoyée en Argonne, en Lorraine, avant de se replier vers la Champagne et d’achever sa course à Bar-sur-Aube à la fin de l’hiver 1915.

Deux des petits-fils de Garibaldi trouvent rapidement la mort dans l’épaisse forêt de l’Argonne : Bruno dans les combats de Noël 1914 et Costante, lors de la bataille du 6 janvier 1915. Alors que les corps des frères Garibaldi sont rapatriés en grande pompe en Italie, la plupart des volontaires italiens sont d’abord enterrés dans le petit village meusien de Lachalade avant d’être déplacée à la nécropole italienne de Bligny dans la Marne.

Là où reposaient initialement les chemises rouges, s’élève maintenant un monument. C’est à Lachalade devant ce bas-relief flanqué des deux portraits en médaillon des enfants Garibaldi que le Secrétaire d’Etat français accompagné des autorités diplomatiques italiennes s’inclinera ce samedi de juin 2015 en souvenir des garibaldiens tombés pour la France. Il présidera ensuite la cérémonie du centenaire des combats de l’Argonne à l’ossuaire de la Haute-Chevauchée.

« La dernière guerre pour la paix »

Cette discrète halte garibaldienne n’est pas anecdotique. Elle dit beaucoup de la mémoire de la Première Guerre des Italiens et de celle qu’ils partagent avec les Français. Elle souligne qu’à l’heure où les Italiens commémorent sans faste mais avec solennité le centenaire de l’entrée en guerre de 1915, il est bon de rappeler que l’Italie n’a pas vécu les dix mois de sa neutralité aux marges du conflit européen. Même si l’opinion et la classe politique dans leur majorité étaient favorables au non-engagement, le fort débat qui opposa neutralistes et « interventionnistes » dans les journaux et les milieux intellectuels signa l’immersion dans le conflit européen.

Mais ce débat qui porta surtout la voix des bellicistes les plus agressifs, publicistes comme Mussolini ou poètes comme D’Annunzio, aura longtemps été la cause d’une damnatio memoriae en Italie. La mémoire italienne de la Première Guerre mondiale ne pouvait s’affranchir de celle de la crise de l’Etat libéral, de la faillite du socialisme et surtout du fascisme dont on reconstituait la genèse dans le « Coup d’Etat » de mai 1915. Après tout, n’étaient-ce pas les fourriers du fascisme qui avaient précipité l’Italie dans le conflit en provoquant le ralliement majoritaire et soudain à la guerre d’une chambre des députés naguère encore neutraliste ? Et ces mêmes fascistes qui une fois au pouvoir avaient récupéré le souvenir des sacrifices de guerre et l’image de la « victoire mutilée » d’une Italie trahie par ses alliés de la veille ?

L’histoire des garibaldiens laisse se profiler une autre mémoire : celle des progressistes et des démocrates, en grande partie pacifistes, qui se sont engagés pour mener une guerre défensive des nations contre les empires. La dernière guerre pour la paix. Cette mémoire justifierait à elle seule que le Comité interministériel pour le centenaire de la Première Guerre mondiale ait retenu 2014 comme début des commémorations alors que le pays cent ans auparavant comptait toujours parmi les neutres.

L’amitié franco-italienne

Mais l’épopée des garibaldiens -qui sera suivie par l’arrivée d’autres combattants italiens réguliers sur le front français à la fin de la guerre- se joua aussi au nom d’une amitié politique internationale dont le cœur reste la relation franco-italienne. En venant en Argonne les garibaldiens ont ajouté un maillon à la chaîne de solidarité qui les liait à la France issue de la Révolution de 1789, en songeant aussi que des volontaires français avaient combattu au XIXe siècle dans les guerres du Risorgimento, ce vaste mouvement politique et militaire qui aboutit à l’unité italienne.

Alors que le volontariat armé international connaît en 2015 un triste regain d’actualité au Moyen-Orient autour de la soumission et de l’instrumentalisation des personnes, le souvenir et l’histoire des garibaldiens venus combattre en France au début de la Première Guerre illustrent la grandeur d’un engagement armé international qui se veut « diplomatie des peuples » et postule que la pérégrination en armes est une catégorie de la conscience politique.

Cette autre façon de faire de la politique par l’aventure guerrière pour la paix ne considère ni les armes comme une fin ni le sacrifice de sa propre vie comme un absolu. Cet engagement relève d’une alchimie que l’Europe de 1848 avait parfaite avant que la Première Guerre mondiale ne vienne durablement la dissoudre : celle qui fait du combat libéral et démocratique pour les peuples frères un impératif en considérant qu’il n’y a alors pas de cause plus internationaliste que celle d’une nation quand elle est menacée par un empire.

Gilles Pécout est historien de l’Italie et titulaire de la chaire d’histoire contemporaine de l’Ecole normale supérieure (ENS, Ulm). Il est actuellement recteur de l’académie de Nancy-Metz.


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