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Le bœuf, l’âne et les légionnaires, par François Sureau

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François Sureau, le 13/12/2016

Une crèche italienne Italiene

Une crèche italienne Italiene / ChiccoDodiFC - Fotolia

J’aime depuis longtemps les objets miniatures, ces petits mondes de batailles, de wagons-lits ou de scènes familières, qu’ils soient sacrés ou profanes. Les miniatures nous aident à nous croire romancier. Nous nous tenons devant cette maison de poupée comme Balzac devant le salon Nucingen. Il reste toujours une traite à payer, un meuble à déplacer, un chapitre à écrire. La miniature représente l’espoir. Une maison miniature n’est jamais achevée, puisqu’elle est inhabitable et par là même se dérobe à l’impitoyable épreuve des faits qui est au monde bourgeois ce que les mortelles prouesses d’autrefois étaient à la chevalerie du Graal. Une maison miniature n’est jamais assez miniature. On peut toujours imaginer un meuble, un bateau plus petit. Ainsi la baignoire passe-t-elle de la condition de lac à celle de mer, puis à celle d’océan, cependant que le navigateur apprend l’humilité. La miniature est un puissant auxiliaire de la morale.

On peut aussi y trouver des aliments pour la misanthropie, quand elle nous tente. Le privilège des grands, disait Giraudoux dans La Guerre de Troie, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. C’est aussi le privilège gullivérien des possesseurs d’objets miniatures, qui peuvent moquer le sort des fourmis humaines, animées de passions incompréhensibles, qui prennent place en songe dans les entreponts de quelque Titanic, et s’en vont naviguer à la rencontre d’un cube de glace.

Je suis surtout sensible à la délicatesse des artisans qui les fabriquent et les réparent. Ils prennent garde à ne pas encombrer davantage un monde aussi mal rangé qu’un parlement. De tous les moyens que les hommes ont inventés pour se souvenir de leurs hauts faits, de leurs moments de gloire, la miniature me paraît le plus fin, le plus subtil. Les desservants de ce culte méritent tous les éloges. Ils ont mis tant de gloire et tant d’esprit dans si peu d’espace ; voyez la salle d’honneur du deuxième étranger d’infanterie, à Nîmes, où le combat d’El-Moungar, avec ses mille soldats, tient sur un foulard déplié. Voyez les bateaux de la compagnie de Suez, conservés rue d’Astorg, qui ont tenu dans leurs flancs les richesses du monde, et qu’un enfant pourrait anéantir. Il n’y a pas seulement, selon l’adage anglais, de la beauté dans la petitesse, mais aussi de la dignité. J’aimerais qu’après ma mort l’on pût me réduire au point de me faire traverser, sur une barque funéraire, le bassin du Luxembourg, afin que mon existence terrestre s’achève comme elle a commencé, aux antipodes de toute grandeur.

Vous l’aurez compris, entre toutes les miniatures, les crèches ont ma faveur, dont le double effet de réduction et d’expansion du monde n’est jamais aussi prenant que lorsqu’elles se rapprochent des dimensions humaines. C’est le cas des crèches de Noël de cette Légion étrangère où j’ai été heureux de servir. On peut en voir dans tous les régiments, et, près de Paris, au fort de Nogent. Les légionnaires qui les font avec tant d’amour ne sont, et de très loin, pas tous chrétiens. Et le cœur qu’ils y mettent nous fait apercevoir une autre dimension paradoxale de la crèche, et partant, de Noël. Noël, ce n’est pas essentiellement le sapin, la famille resserrée sur elle-même et cette débauche de cadeaux. C’est l’errance et l’aventure : une famille jetée sur les routes, des bergers en transhumance, des rois mages, savants venus de très loin. Noël est la fête des originaux, des irréguliers. Les légionnaires le sont par excellence. Ils sont, expliquait naguère le P. Tiberghien, l’aumônier du régiment étranger de cavalerie, à une population d’Orange qui les trouvait peut-être un peu remuants, « le bon larron ». Sans doute se souviennent-ils de leurs enfances dans des pays lointains, ou de familles abandonnées. Mais plus que tout ils voient célébrer, justifier même, cette exposition au hasard qui est le fond même, et depuis longtemps, de leur existence.

Il y a trois ou quatre ans, la crèche de Nogent était installée dans une grande poudrière. Le village de Bethléem y était reconstitué, avec des centaines de maisons, et les figurines représentant les habitants circulaient sur de petits rails de train électrique. C’était féerique, avant de devenir poignant. La Sainte Famille passait ainsi lentement de maison en maison, d’auberge en caravansérail, s’entendant partout dire qu’il n’y avait pas de place pour elle. Puis, rejetée de partout, elle arrivait pour finir à un petit fortin aux extrémités de la ville. Joseph frappait. Et la voix, à l’accent rugueux, d’un légionnaire répondait simplement : « Vous pouvez entrer. Ici, c’est la Légion étrangère. »

On trouve dans l’Évangile de la tendresse pour les soldats, mais ce n’est pas d’elle dont je veux parler. Noël, première étape, ultime refuge, n’appartient à personne. Chacun, d’où qu’il vienne, quelque foi qu’il professe, peut y trouver une consolation à la mesure de son cœur. C’est la leçon de la Légion étrangère et j’y pense chaque année avec autant d’émotion.

François Sureau

Traduction

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