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Les vrais enseignements des Opex

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Par le Général (2S) THOMANN - (Article paru dans Le Monde du 17 juillet 2012)-

Alors que, sans même attendre les conclusions du nouveau Livre Blanc, les difficultés budgétaires vont conduire à planifier  une nouvelle attrition des effectifs et des moyens des armées, il faut s'interroger sur un discours qui commence à fleurir ici et là dans les cercles initiés et moins initiés : celui de l'échec de la projection de forces, c'est-à-dire du déploiement de forces terrestres dans la gestion des crises, et, concomitamment, celui des vertus de la projection de puissance,  qui permet par les seules frappes , chirurgicales ou massives, de conduire à résipiscence un adversaire terrestre sensé ployer sous l'effet destructeur d'un feu délivré à distance par des vecteurs de haute technologie.
Pour compenser l'absence d'engagement au sol, la panacée serait de compléter la projection de puissance par l'emploi de forces spéciales qu'il conviendrait donc de développer tandis que l'on taillerait allégrement dans ce qui nous reste de forces terrestres conventionnelles.

Tout ceci mérite examen, car il en va d'un potentiel abandon de capacités qui relève de la manipulation intellectuelle.

Certes, la projection de puissance sans la projection de forces présente deux avantages majeurs pour les autorités politiques :

- le premier est, par le non-engagement de forces au sol, de limiter au maximum la prise de risque et l'enlisement, ce qui, au royaume du principe de précaution,  apparaît comme l'alpha et l'omega de l'intervention militaire,
- le second est de donner la priorité budgétaire aux capacités  aériennes et aéronavales, sanctuaires de la haute technologie et donc de la supériorité occidentale et, accessoirement, moteurs d'une industrie de défense qu'il est indispensable de soutenir et conforter compte tenu de son impact économique.

Pour étayer ces deux idées fortes, deux arguments apparemment irréfutables : l'exemple de l'engagement en Libye et l'orientation prise récemment sous la contrainte budgétaire par les Etats-Unis qui ont clairement affiché la priorité qu'ils accorderont dans le futur à la projection de puissance au détriment de leurs capacités de projection de forces. Les Etats-Unis considèrent désormais qu'il convient de limiter au maximum le "footprint", l'empreinte terrestre et toutes ses malédictions, et de se contenter d'utiliser les éléments terrestres "indigènes" favorables, en les aidant directement au sol par des actions ciblées des seules forces spéciales. Lesquelles ne nécessitent pas d'effectifs pléthoriques et ont,  du fait de leur caractère "spécial", l'immense mérite de mener des actions confidentielles et ne nécessitant aucune explication auprès de l'opinion publique, que ce soit pour la décision de leur engagement, leur emploi ou leurs éventuelles pertes. Secret d'Etat bien commode pour des politiques confrontés aux charmes de la démocratie d'opinion.

Cette approche des questions de défense a donc de quoi séduire les cercles politiques occidentaux, mais elle s'appuie sur des analyses biaisées, sciemment ou non, pour en faire la solution à notre problème d'adéquation entre ressources et moyens.

Que peut-on en effet observer?

- sur le plan opérationnel, la seule supériorité des feux n'a jamais permis de vaincre un adversaire résolu, en particulier dans les conflits asymétriques. Israël en a fait la douloureuse expérience au Liban. Par ailleurs, sans engagement au sol, il n'y a pas de contrôle réel de la situation et la liberté d'action des autorités politiques intervenant dans la crise est totalement tributaire de l'agenda et du bon vouloir des forces terrestres autochtones soutenues, comme cela a été le cas pour l'intervention en Libye. On peut ajouter à cette carence critique  l'absence  totale de maîtrise du désordre qui suit inéluctablement toute bascule politique dans une région en crise, avec en corollaire l'épineuse question du contrôle  des armements amassés par le pouvoir déchu : les flux d'armes détenues par Kadhafi et qui alimentent désormais les irrédentistes et islamistes sahéliens en sont une belle illustration. Limitée à la seule projection de puissance, la "victoire" est porteuse de bien des déconvenues... En fait ce n'est pas dans le déclenchement d'une intervention mais bien dans la gestion du vide qui s'ensuit que se joue le salut de la population que l'on aspire à soutenir dans sa quête de liberté et ce vide ne peut être géré sans force terrestre de sécurité.

- sur le plan capacitaire, le réalisme commande de bien mesurer ce qu'implique une augmentation du format de nos forces spéciales. Les missions de ces forces n'ont rien à voir avec celles des forces terrestres conventionnelles et ne peuvent donc s'y substituer. Dans tous les pays, la ressource humaine répondant aux exigences de ces forces hautement qualifiées est plus que limitée, sauf à en dégrader la qualité. Enfin, la formation et la préparation opérationnelle des unités sont extrêmement coûteuses. Ceci a d'ailleurs conduit en France comme au Royaume Uni à limiter drastiquement leur format à leurs capacités actuelles.

- sur le plan politique, notre siège au Conseil de Sécurité de l'ONU est tributaire de notre capacité à engager des forces terrestres dans les opérations de cette organisation. Minimiser cet atout serait fragiliser encore plus ce privilège très contesté. Faut-il rappeler que, du fait de nos contributions dans les engagements terrestres, le poste de DOMP *, poste d'influence majeure, est systématiquement attribué à un diplomate français?
Au-delà, nombre d'opérations extérieures relèvent du devoir de protéger ou du droit d'ingérence humanitaire, même s'il ne s'agit souvent que d'utiliser ces références  pour préserver des intérêts stratégiques ou de puissance : seules les forces terrestres peuvent combiner sécurisation et action humanitaire sur le terrain. On ne fait pas de l'humanitaire avec un Rafale... Par ailleurs,  est-il nécessaire de rappeler que la dégradation éventuelle de notre sécurité intérieure pourrait impliquer l'engagement de forces terrestres rompues à la gestion des crises et à la maîtrise de la violence ?

Et ce n'est pas dans la prétendue incapacité des forces terrestres  à  "vaincre" qu'il faut rechercher les causes des difficultés rencontrées dans les opérations extérieures, difficultés censées  justifier un recentrage sur la seule projection de puissance.
Le problème est plus politique que militaire.

- Au niveau international, le vague ou l'irréalisme des mandats  émis par l'ONU pour obtenir le consensus nécessaire au déclenchement d'une intervention, l'hétérogénéité des coalitions et la sous-estimation systématique des effectifs à engager pour obtenir l'effet recherché, sont autant de facteurs  limitant le réel pouvoir de décision des forces sur le terrain.
De plus, rétablir la normalité dans une région en crise exige de la constance dans la durée, ce qui n'est pas la qualité majeure des politiques occidentaux confrontés à des opinions publiques versatiles. Notons que cette durée implique une capacité de relève des unités engagées, ce qui interdit un format ne permettant qu'une stratégie du "coup de poing" ponctuel et impose de disposer d'un réservoir de forces trois à quatre fois supérieur à l'effectif à engager.

Au niveau national, la limitation de la prise de risque, que va accroître la judiciarisation des opérations, l'emploi très restrictif de la puissance de feu lorsque celle-ci est nécessaire, voire l'interdiction de sortir des bases pour ne pas subir de pertes, comme cela est le cas en Afghanistan, dégradent totalement les capacités d'action des forces terrestres.

Ce n'est donc pas l'outil qui est en cause, mais bien l'emploi qu'en font les autorités politiques occidentales et en particulier européennes. Faut-il rappeler que les forces d'intervention ne sont qu'un des moyens, certes totalement indispensable,  dont dispose la communauté internationale pour résoudre une crise et que lorsque la conjugaison des moyens ne fonctionne pas, il est vain d'espérer le succès d'une opération ?

Aussi, si nous n'avons plus le courage d'intervenir au sol et autrement qu'à "distance de sécurité", nous devons avoir le courage, même si les économies réalisées ne seront in fine qu'assez modestes au regard des gouffres budgétaires, de supprimer nos forces terrestres, car elles ont atteint un seuil en deçà duquel leur cohérence comme leurs capacités seraient plus que gravement obérées.
Mais il faudra en mesurer toutes les conséquences pour le rang et les ambitions de notre pays et de l'Europe.

Jean-Claude THOMANN
Officier général (2S)

Traduction

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