AALEME

Légionnaire toujours...

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2010





 
Le colonel Cambas avait été élevé en France et parlait notre langue admirablement; militaire par occasion, comme beaucoup de ceux qui nous combattaient et que l'amour de la liberté avait armés contre nous, il appartenait, ainsi que Milan, à cette classe des licenciados qui comprend à elle seule presque tous les hommes l 's plus instruits et les plus influents du pays. Excellentes gens, l'un et l'autre, et qui eussent fait honneur même à une autre armée, car pour leurs soldats, je ne crois pas les calomnier beaucoup en disant que les trois quarts n'étaient que des bandits.
 
Nous étions arrivés ainsi dans un petit pli de terrain, à quelque distance de la hacienda, où se tenaient le colonel Milan et son état-major.
 
« C'est là tout ce qu'il en reste? » demanda-t-il en nous apercevant. - On lui répondit que oui, et, ne pouvant contenir sa surprise :« Pero non son hombres, s'écria-t-il, son demonios. » Ce ne ont pas des hommes, ce sont des démons! Puis, s'adressant à nous en français: « Vous avez soif, Messieurs, sans doute. J'ai déjà envoyé chercher de l'eau. Du reste, ne craignez rien; nous avons déjà plusieurs de vos camarades que vous allez bientôt revoir; nous sommes des gens civilisés, quoi qu'on dise, et nous savons les égards qui se doivent à des prisonniers tels que vous. »
 
On nous donna de l'eau et des tortillas, sorte de crêpes de maïs dont le bas peuple au Mexique se sert comme de pain, et sur lesquelles nous nous jetâmes avec avidité.
 
Au même moment arrivait le lieutenant Maudet, couché sur un brancard et entouré d'une nombreuse escorte de cavaliers; d'autres blessés venaient après lui.
 
La nuit était tombée tout à coup; sous les tropiques, le crépuscule n'existe point non plus que l'aurore, et le jour s'éteint comme il naît, presque sans transition. En compagnie de nos vainqueurs, nous fîmes route vers leur campement de la Joya, où nous arrivâmes assez tard; il y régnait une grande émotion, et les blessés encombraient tout. Là, malgré la parole du colonel Cambas, nos armes, qu'on nous avait laissées d'abord, nous furent enlevées; il fallait s'y attendre; on nous réunit alors à nos camarades faits prisonniers avant nous.

Epuisés par la fatigue et par la souffrance, noirs de poudre, de poussière et de sueur, les traits défaits, les yeux sanglants, nous n'avions plus figure humaine. Nos vêtements, nos chapeaux étaient criblés, percés à jour; les miens pour leur part avaient reçu plus de quarante balles; mais par un bonheur inouï, durant cette longue lutte, je n'avais pas même été touché.
 
Comment en étions-nous sortis sains et saufs? Nous ne le comprenions pas nous-mêmes, et les Mexicains pas davantage; seulement le lendemain je me tâtais les membres, doutant encore si c'était bien moi, et si j'étais réellement en vie.
 
Tel est ce glorieux fait d'armes où 65 hommes de l'armée française, sans eau, sans vivres, sans abri, dans une cour ouverte, sous les ardeurs d'un soleil meurtrier, tinrent en échec pendant plus de dix heures près de 2000 ennemis.

Grâce à leur dévouement, le convoi fut sauvé. Lentement il remontait dans la direction de Cordova et n'était plus qu'à deux lieues de Camaron, lorsqu'un Indien, qui de loin avait assisté aux opérations militaires de la journée, vint annoncer qu'un détachement français avait été enveloppé dans la hacienda, que les Mexicains étaient en nombre et qu'ils barraient la route. Il était alors cinq heures environ, et la 3e compagnie était presque anéantie.
 
Outre les grosses pièces d'artillerie de siège, les fourgons du Trésor, les prolonges et les voitures de l'intendance militaire, chargées de matériel et de munition, le convoi traînait à sa suite une foule de charrettes du commerce et près de 2000 mules portant les provisions des cantiniers civils; cela faisait un défilé interminable, que ralentissait encore le mauvais état de la route.
 
Dans ces conditions, toute surprise devait être fatalement désastreuse: le capitaine Cabossel, des voltigeurs, chargé de la conduite du convoi, n'avait avec lui que deux compagnies du régiment étranger et point de cavalerie; il fit halte aussitôt et dépêcha un exprès à la Soledad pour réclamer de nouvelles instructions; il reçut l'ordre de revenir sur ses pas.
 
A la même heure, le colonel Jeanningros, également prévenu par un Indien, faisait demander des renforts à Cordova. On lui expédie deux bataillons d'infanterie de marine;il en laisse un au Chiquihuite pour conserver la position; lui-même, avec la légion étrangère et l'autre bataillon, se porte en avant au milieu de la nuit, et ramasse en passant les grenadiers du Capitaine Saussier, qui prennent l'avant-garde.
 
Au point du jour, la colonne était en vue de Camaron, mais déjà l'annonce de son arrivée avait mis en fuite les Mexicains qui s'occupaient d'enterrer les morts, et Milan levait en toute hâte son camp de la Joya.
 
On rencontra, à 170 mètres environ du village, évanoui au pied d'un buisson et grièvement blessé, le tambour de la vaillante compagnie. Pris pour mort par les Mexicains qui la veille au soir avaient visité le champ de bataille et jeté parmi les cadavres de ses camarades, le froid de la nuit l'avait réveillé; il s'était dégagé peu à peu et s'était traîné droit devant lui, jusqu'à ce que la douleur et l'épuisement l'obligeassent à s'arrêter.
 
Dans la cour de la ferme, le désordre était affreux et n'attestait que trop bien l'acharnement de la lutte; partout d'énormes plaques de sang desséché, partout le sol piétiné, les murs défoncés ou éraflés par les balles; puis çà et là des fusils brisés, des baïonnettes et des sabres tordus, des sombreros, des képis, des effets d'équipement militaire, déchirés, en lambeaux, et sur tout cela du sang. Parmi ces débris, on ramassa la main articulée du capitaine.
 
Cependant les cadavres avaient été enlevés: on les découvrit plus tard séparés en deux tas distincts, ceux des Mexicains au nord; de l'autre côté de la route, ceux des Français dans un fossé au sud-ouest de la hacienda.
 


 

Une cinquantaine de Mexicains étaient déjà enterrés; mais il en restait encore plus de deux cents.

Les Français avaient perdu vingt-deux hommes tués dans l'action; huit autres, il est vrai, moururent presque aussitôt des suites de leurs blessures, et parmi eux le sous-lieutenant Maudet, qui transporté à Huatesco, succomba le 8 mai.
 
Les Mexicains s'honorèrent eux-mêmes en rendant à ses dépouilles les honneurs militaires. Il y eut de plus 19 soldats et sous-officiers blessés.
 
Chez les Mexicains comme chez nous, par une particularité curieuse, le nombre des morts fut plus considérable que celui des blessés; du reste, on remarqua que des deux côtés presque tous les hommes avaient été frappés à la tête ou dans le haut du corps.
 
Quant aux survivants prisonniers, ils suivirent d'abord la colonne mexicaine, parfois traités avec égard, souvent aussi malmenés, injuriés; mais nous n'avons pas à décrire leur odyssée à travers les villages et les forêts vierges des Terres-Chaudes, sans cesse forcés de fuir avec leurs gardiens devant l'approche des troupes françaises.
 
Pourtant le bruit de leur héroïque défense s'était répandu dans le pays et avait excité chez tous, amis ou ennemis, une admiration unanime. Les autorités françaises s'occupèrent de leur faire rendre la liberté; mais, dans le désordre incroyable où se débattait alors l'administration libérale, les négociations de cette sorte n'étaient pas aisées à conduire. Après trois long mois d'attente et de souffrances, un premier convoi de 8 prisonniers, 1lont faisait partie le caporal Maine, fut échangé contre 200 soldats 1'1 un colonel mexicains que nous avions en notre pouvoir. Dans l'intervalle, bon nombre des blessés avaient encore succombé; quelques-uns, qui n'avaient pu quitter l'hôpital de Jalapa, rentrèrent plus tard.
 
Le retour des prisonniers fut un perpétuel triomphe; dans les v iIles et les villages où ils passaient, la foule se portait à leur rencontre et les acclamait; les Indiens surtout, dont l'esprit se lrnppe plus aisément, restaient saisis à leur vue d'une sorte d'étonnement superstitieux et s'écriaient en joignant les mains: jésu-Maria, les voilà! »
 
Dès leur arrivée au corps, le chef de bataillon Regnault, qui commandait alors par intérim le régiment étranger, au lieu et place du Colonel Jeanningros, appelé à Vera-Cruz, s'empressa de rédiger un rapport circonstancié du combat de Camaron dont on ignorait encore les détails. Ce rapport très émouvant, très bien fait, parvint par voie hiérarchique jusqu'au général en chef Forey.
 
A son tour, celui-ci voulut qu'il en fût donné lecture à toutes les troupes du corps expéditionnaire, et dans un ordre du jour daté de son quartier général de Mexico, le 31 août 1863, après avoir glorifié les braves qui avaient soutenu cette lutte de géants, comme il disait, il déclara qu'une si belle conduite avait mérité des récompenses extraordinaires.

En vertu donc des pouvoirs à lui conférés, Maine, sergent depuis son retour et déjà décoré, devait être promu au grade de sous-lieutenant à la première vacance dans le corps; Schaffner, Wensel, Fritz, Pinzinger, Brunswick, recevaient la croix de la Légion d'honneur, quatre autres la médaille militaire. Peu de temps après, le régiment étranger était rappelé en Europe; les nominations, confirmées par décret impérial, parurent au Moniteur Universel, le 9 août 1864.
 
 
Aujourd'hui le chemin de fer de Vera-Cruz à Mexico traverse Camaron et passe sur les fondations des deux anciennes maisons, en face de la hacienda en partie détruite pour l'agrandissement du village.
 
Non loin de là, à la place où dorment les héros, s'élève un tertre, surmonté d'une colonne brisée qu'entoure en serpentant une guirlande de lauriers; point d'inscription: leur gloire y supplée; c'est le gouvernement mexicain qui fait les frais de l'entretien; mais depuis le jour mémorable, pendant toute la durée de l'occupation, chaque fois qu'un détachement français passait devant Camaron, les tambours battaient aux champs, les soldats présentaient les armes, et les officiers saluaient de l'épée.

 

Remerciements

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Remerciements adressés, en public, à l’issue de la célébration de Camerone, 

au Général Bouquin, commandant la Légion Étrangère

par le Général de corps d’armée (2S) François Cann au nom des frères d’armes de la Légion.

(à Aubagne, le 30 avril 2010)


Mon Général,

 

Je voudrais, au nom des frères d’armes de la Légion Étrangère que vous avez  tenu à mettre à l’honneur aujourd’hui, vous exprimer notre profonde gratitude de nous avoir conviés à la phase la plus intime du recueillement et de la célébration du Combat de Camerone.


Votre initiative – et c’est là une première – visait à élargir l’escorte habituelle du porteur de la main du capitaine Danjou, cette année, le chef de bataillon Faulques, authentique héros du prestigieux 1er BEP d’Indochine, par la présence de trois frères d’armes non-légionnaires symbolisant la FRATERNITÉ d’ ARMES de Narvik 1940 à l’Afghanistan d’aujourd’hui, en passant par l’Indochine et l’Afrique du Nord.


L’honneur que vous nous avez fait est à la mesure de la grandeur d’âme de la Légion.  Honneur et Fidélité … on pourrait ajouter Générosité. 


Générosité car selon l’adage du Maréchal Lyautey « rien de durable ne peut se faire sans une parcelle d’amour ».  Cette parcelle d’amour, on la trouve partout dans votre vénérable Institution au cœur de vos relations humaines, qu’elles soient verticales du chef de corps au plus jeune de ses légionnaires et surtout horizontales par cet effort permanent de solidarité et d’entraide entre légionnaires en activité et encore davantage dès leur retraite.


La Légion Étrangère est un modèle de formation militaire des hommes mais elle est aussi un modèle social parce qu’on y enseigne la primauté des devoirs sur les droits tandis que notre société civile s’engage dangereusement sur l’application d’une priorité inversée : « les droits d’abord … les devoirs ensuite » ce qui ne peut conduire nos concitoyens qu’à l’incertitude, au doute et à la confusion.


Notre Pays à la chance d’avoir «  sa »  Légion Étrangère . 


Permettez-moi, mon Général, au nom de  vos frères d’armes que vous avez si généreusement honorés, proclamer haut et fort « Que vive longtemps encore la Légion Étrangère ! »


Camerone 2010 au 2° REI

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ORDRE DU JOUR N° 3.
 

 Officiers, sous-officiers, caporaux-chefs, caporaux, clairons, légionnaires et personnel civil

du 2e Régiment étranger d'infanterie,

 

Nous célébrons aujourd’hui le 147e anniversaire du combat de Camerone.

Nous célébrons l’héroïsme du capitaine Danjou et des officiers, sous-officiers et des légionnaires de la 3e Compagnie du régiment Etranger, alors commandé par le Colonel Jeanningros, dont le nom figure en en lettres de marbre dans l’escalier du poste de commandement du régiment.

Ce combat restera à jamais le symbole de la générosité et de l’engagement au service d’une famille à laquelle on se donne. La ténacité des légionnaires de Camerone qui fait aujourd’hui notre admiration était le fruit des liens étroits qui les unissaient. Elle montre la réalité de l’esprit de la famille de la légion Etrangère.

Aujourd’hui, à l’occasion de ce 147e anniversaire de Camerone, je voudrais que nous célébrions l’esprit de la famille du 2e Etranger qui fut créé voici 169 ans.

On n’a pas tous les jours l’occasion de faire Camerone, mais on a tous les jours l’occasion de se donner. Je voudrais aujourd’hui rendre hommage à l’adjudant Klos et au caporal-chef Chechulin qui sont morts cette année sous l’uniforme du 2e Etranger. Ils se sont donnés quotidiennement et jusqu’au bout et sont membres à jamais de notre famille.

Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui nous ont précédés au 2e Etranger et qui ont forgé l’esprit du régiment, cet esprit particulier fait de bienveillance et d’exigence légionnaire, de solidarité et de désir d’excellence.

Nous allons rendre cet hommage durant cette prise d’armes présidée par le général de corps d’armée Antoine Lecerf. Il nous fait l’honneur de venir célébrer le dernier Camerone de son service actif, ici dans ce régiment qu’il a commandé, après y avoir été successivement chef de section, commandant de compagnie, chef du bureau opérations et commandant en second.

Il a marqué l’histoire du régiment et aujourd’hui, sa présence illustre l’esprit de famille du 2e Etranger.

Cet esprit du Régiment n’est pas un dû ; il s’entretient et se construit lentement et chacun en est responsable, officier, sous-officier, caporal-chef, caporal, jeune légionnaire et personnel civil.

Aujourd’hui et demain, nous allons continuer à le développer.

C’est ainsi que nous nous inscrirons dans la grande histoire de notre régiment, pour remplir demain de nouvelles missions pour la gloire de la Légion Etrangère et le succès des armes de la France.


Vous ne vous battez pas à mains nues !

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Une section d’infanterie VBCI1 – FELIN2 numérisée combat avec des équipements d’une valeur d’environ 11 millions d’euros ; c’est ce que valent 700 voitures milieu de gamme ! Chaque heure de fonctionnement des équipements de cette section coûte près de 1 000 euros, non compris le prix des munitions… qui elles aussi doivent être entretenues !

Sans mettre en cause la priorité de l’efficacité opérationnelle immédiate, ces chiffres doivent nous faire tous réfléchir au professionnalisme avec lequel il faut suivre, mettre en oeuvre et entretenir nos équipements.

Or, les activités de maintenance des équipements modernes sont compliquées à organiser, et coûteuses à réaliser. Dans les opérations que nous conduisons aujourd’hui loin de France, nous devons aussi veiller à ne pas consacrer des moyens trop importants, surtout humains, à la maintenance, au moment où le volume des forces disponibles est toujours limité.

Voilà pourquoi 2010 va voir une évolution importante de l’organisation de la maintenance dans l’armée de Terre, dans le prolongement de la Politique d’emploi et de gestion des parcs et en appui de l’arrivée des nouveaux équipements.

Le Commandement de la force terrestre est responsable des parcs en service permanents et des parcs d’entraînement. Dans ses régiments, les maintenanciers, dont le nombre va diminuer en 2010 et 2011, vont se concentrer sur l’entretien préventif et les actes de réparation de faible durée, ce qui ne veut pas nécessairement dire « de faible technicité».

Les formations du matériel sont chargées des actes techniques demandant plus de temps pour leur préparation ou leur réalisation.

Leur regroupement depuis l’été 2009 au sein du Service de maintenance industrielle terrestre (SMITer) permet de mieux employer leurs moyens et de trouver un bon équilibre entre d’une part le travail en ateliers, d’autre part la préparation opérationnelle et la projection de leurs militaires, qui représentent 50 % des effectifs du SMITer.

C’est cette même répartition des rôles qui vaut sur les théâtres d’opérations, même s’il faut bien évidemment y adapter le dispositif avec souplesse.

De la simple baïonnette au radar de contrebatterie raccordé aux systèmes d’information, vos équipements sont aussi indispensables pour la réussite de nos missions que des soldats solides, motivés et animés d’un fort esprit de corps. Et de la même façon qu’il faut entretenir la forme physique et le moral des soldats, il faut entretenir leurs équipements.

Comme le sport, la maintenance des matériels n’a pas à être une priorité, puisque c’est une nécessité vitale : on ne se bat pas à mains nues ! Vous ne vous battez pas à mains nues !

Éditorial TIM n° 213 - Avril 2010 5
Général de corps d’armée Jean-Tristan VERNA
Directeur central du matériel de l’armée de Terre.

Supplique à un ami journaliste

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Cher ami,

 

La nouvelle tombe dans les média aussi vite qu’Hutnik est lui-même tombé. C’est le droit à l’information. La France doit savoir que meurent ses enfants, même s’ils le sont d’adoption, comme lui, Slovaque.

Tu le sais, je ne suis pas journaliste mais soldat. Je ne suis pas un professionnel de la communication comme toi. J’ai peu appris à relayer des informations d’une telle portée. C’est pourquoi il faut que tu m’aides. Il faut que tu m’aides, car j’ai le sentiment que dans la précipitation du spectaculaire, on le tue une deuxième fois.
 
J’ai l’impression qu’on bafoue son patient travail avec son bataillon depuis trois mois – et pour lequel il est mort.

J’ai besoin que tu m’aides à faire sentir ce qui se passe réellement ici, à faire comprendre ce qui justifie que je laisse ma femme et mes enfants le long temps de cette mission.
 
Que tu m’aides à proclamer que malgré sa mort ce n’est pas un échec. Que tu m’aides… plutôt que tu l’aides…

Hier après-midi, Hutnik a bravement accompli son devoir, sa mission jusqu’au bout, en bon légionnaire. Ce matin, le poste annonce : « un soldat français du 2e Régiment étranger de parachutistes est tombé dans la vallée de Tagab en Kapisa, région où les Taliban sont toujours plus virulents ».
 
Voilà. Ces derniers ont gagné. A la face du monde ils sont les puissants, incontrôlables et vainqueurs.

Mais en fait, s’est-on interrogé sur ce qu’il se passe réellement dans la basse vallée de Tagab ? Ce sud Tagab où aucun occidental ne pouvait passer sans de sérieux accrochages. Ce sud Tagab où deux de tes confrères ont été, il y a cent jours, enlevés. Ce sud Tagab que notre armement permettrait de mettre à feu et à sang.

Au contraire, Hutnik et ses camarades ont réussi l’incroyable pari de s’implanter dans la zone, d’y rester, sans heurts, d’y acquérir, progressivement, la confiance de la population, de confier, petit à petit, sa sécurité à l’armée Afghane plutôt que française. A quel prix ? Celui d’une stricte discipline au feu, d’une retenue des coups portés. Celui d’un certain dédain du danger, de ne pas répondre systématiquement et de manière aveugle. Accuser le choc, ne frapper que lorsqu’on est certain, cogner peu, mais taper à coup sûr, fort et ciblé, seulement alors qu’on l’a décidé. Etre sûr pour garder la main, préférer le feu rare mais précis, neutraliser seul celui qui nous tire dessus, en être persuadé et l’accepter.

Ce travail de mesure, de patience d’un Hutnik rongeant son frein à force d’encaisser paie.
 
Les femmes et les enfants, les hommes eux-mêmes, constatent que les seuls coups assenés ne tombent que contre les vrais adversaires. Ils voient nos troupes sans volonté de détruire, maîtresses de leur force.

Alors qu’elle trouvait hier des combattants, Tagab l’insoumise cherche à présent son développement.
 
Le travail du soldat est loin d’être terminé : il faut remonter plus au Nord vers ses camarades de l’autre groupement français, poursuivre son patient travail de pacification.

Derniers tirs sporadiques, Hutnik tombe. Hutnik tombe sous les tirs des derniers groupes insurgés présents. Hutnik tombe car les Taliban sont justement de moins en moins virulents.

Aussi, aide-moi à honorer la mémoire de cet ardent légionnaire. Qu’on ne gâche pas sa dernière tâche, qu’on ne gâche pas sa mort. Qu’on n’offre pas une victoire de communication à l’adversaire fébrile. Au contraire, avec tes confrères, appuyez le dernier combat d’Hutnik. Aidez cette population qui désormais, d’elle-même, dénonce l’insurgé.
 
Je vous en conjure, parlez des projets d’essor qui peuvent et doivent être proposés au sud Tagab, évoquez la culture du safran qui pourrait remplacer celle du pavot, venez compléter l’œuvre de pacification par celle du développement…


… et laissez à Hutnik les fruits de son travail.

Augustin

à Tora, le 09 avril 2010

Point presse du Ministère de la Défense du 11 mars 2010

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- Intervention du colonel Benoît Durieux, commandant le GTIA Surobi d'août à janvier 2010.

Je suis le colonel Benoît DURIEUX, j’ai commandé le GTIA Surobi, le bataillon déployé en Surobi entre le mois de juillet dernier et le mois de janvier.

Très rapidement, le bataillon que je commandais était formé à partir d’une ossature fournie par le 2e régiment étranger d’infanterie qui est stationné à Nîmes. On était à peu près huit cent vingt dans le bataillon (90 % de légionnaires donc qui représentaient à peu près quatre-vingts nationalités. On avait    trois compagnies d’infanterie à 150 personnes, un escadron sur véhicules blindés légers, un escadron de reconnaissance, une petite compagnie de génie avec deux sections et puis une batterie d’artillerie avec des mortiers de 120 mm et des canons César de 155 mm.

Nous avons commencé notre mission dans le cadre de la région capitale (RCC) qui était commandée à ce moment-là par la France, par le général Stollsteiner puis par le général Druart.

Cette région était sous la responsabilité tripartite des Italiens, des Turcs et des Français. Nous nous occupions la partie nord (donc le district de Surobi à l’Est et puis le Nord de Kaboul).

Puis, à partir du 1er novembre, il y a eu la réarticulation du dispositif français et donc le bataillon s’est concentré dans la région de Surobi et dans le sud de la Tagab. Et on est resté sous les ordres du général Druart, qui avait changé de fonction puisqu’il est devenu commandant de la brigade française (la Task Force La Fayette), avec le bataillon français Kapisa au Nord en Kapisa et nous au Sud en Surobi.

Alors, un petit focus sur le district de Surobi. C’est un district qui regroupe environ 140 000 habitants (c’est une estimation, il est difficile d’avoir des chiffres exacts). Il y a un bataillon de l’armée nationale afghane (ANA) avec environ 300 militaires, et quelques centaines de policiers afghans. C’est un district qui comprend plusieurs vallées : au Sud, les vallées de Tizin et de Jagdalay, au Nord, la vallée d’Uzbeen. Au centre, la ville de Surobi qui est une ville qui a été créée dans les années 1960 autour des barrages hydroélectriques créés initialement par les Russes mais avant l’invasion soviétique. « on parle beaucoup de contre-insurrection (…) la situation était radicalement différente » Pour revenir sur la mission qu’on a remplie et la façon dont on essaie de la remplir, on parle beaucoup de contre-insurrection et quand on parle de contre-insurrection en Afghanistan, il y a des images qui reviennent et, immédiatement, on a un peu l’impression qu’on rejoue la guerre du Viêt-nam, la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie et ce n’est pas du tout le cas. La situation était radicalement différente.

Je voudrais mettre l’accent sur trois traits majeurs, à mon sens, de cette mission en Afghanistan qui permettent peut-être d’éclairer l’action que peuvent mener aujourd'hui les forces françaises, mais plus largement les forces occidentales, en Afghanistan. D’abord, il faut bien voir qu’il n’y a pas un mouvement taliban aussi bien structuré que pouvait l’être le Vietminh ou le Vietcong dans les conflits auxquels je faisais allusion. Il y a des insurgés qui sont réunis par groupuscules et qui ont chacun leurs intérêts, leur agenda, leur chef et qui n’obéissent, en réalité, à personne. Ils acceptent bien l’argent que peuvent leur donner des instances talibanes extérieures mais sinon ils obéissent difficilement. Et ils ont surtout des motivations, en réalité, économiques. Ce sont des mini seigneurs de la guerre locaux. Des minis parce que souvent, ils contrôlent dix, quinze, vingt combattants.

Le deuxième point, c’est que c’est une société très pudique et très différente de la nôtre. La population, c’est un enjeu central. Mais il ne faut pas être tout le temps sur le dos de la population. C’est une population qui a besoin de vivre de manière autonome. C’est une société très ancienne qui vit avec des règles bien établies. Il faut donc être très actif mais aussi avoir une grande forme de discrétion vis-à-vis de cette population.

Et puis, dernier point, c’est un peu une formule, mais libérer les cœurs et les esprits plutôt que les conquérir. Je crois qu’ils vivent très bien sans nous de toute façon. Et en revanche, ils ont besoin qu’on les aide. Et libérer les cœurs et les esprits, cela veut dire quoi ? Pour prendre un exemple, avec l’armée afghane, on a des rapports d’estime, de confiance très importants mais ce qui est très important aussi, même au niveau local – et c’est ce qu’on a essayé de faire – c’était de leur laisser le maximum de liberté, de leur donner tous les moyens d’initier des missions et ensuite de les remplir sans nous. Et le jour où nous aurons réussi à ce qu’ils remplissent parfaitement les missions sans nous, évidemment, nous aurons gagné.

S’appuyer sur les équilibres existants, le jeu du mikado .

L’Afghanistan, c’est un pays extrêmement divers et, certainement, vous aurez d’autres sons de cloche par d’autres responsables dans d’autres régions d’Afghanistan. Mais la société, en Surobi en tout cas, est une société complexe. Il n’y a pas d’un côté – pour reprendre des expressions anglo-saxonnes – les good guys et puis les bad guys [les bons et les méchants]. Il y a une société avec, d’un côté, c’est vrai, des talibans ou au moins des insurgés très fondamentalistes puis à l’autre extrémité du spectre, les partisans très loyaux du gouvernement. Mais entre les deux, il n’y a jamais de coupure, il y a un réseau continu de liens ethniques, de liens familiaux, de liens tribaux, de souvenirs communs, de projets, d’antagonismes, d’intérêts partagés. Ce qui fait qu’au final, il faut repousser au maximum la limite qui sépare ceux qui sont d’accord pour travailler à la stabilisation de la situation de ceux qui, au contraire, cherchent à envenimer les choses.

Ce dont il s’agit, c'est donc de bien utiliser la force militaire en vue d’un objectif politique local. Là aussi, il y a trois piliers à notre action. D’abord, comprendre avant d’agir. Ça paraît une évidence mais il faut vraiment ne pas taper dans la fourmilière, donc il faut essayer de voir ce qui se passe, de comprendre. Deuxième point, il y a des zones où cela se passe bien, où il faut que cela continue et essayer d’en faire des vitrines en essayant de développer les contacts les plus étroits possibles avec des gens que l’on voit régulièrement. Et donc essayer d’étendre les zones les plus stables possibles. Et, dernier point, s’appuyer sur les équilibres existants.

Cela fait référence au jeu du mikado, ce jeu où il faut ranger les petites baguettes sans les faire bouger. Pour jouer au mikado, d’abord, il faut bien saisir comment se présente l’équilibre des différentes petites baguettes entre elles. Là, c’est exactement la même chose. Si on fait un geste de travers, on risque de tout faire tomber et de perdre. Mais en même temps, parfois, un seul joli coup et on peut régler la situation de manière durable, on peut gagner assez vite. Cela fait peut-être finalement la différence avec une analogie fréquemment employée, celle de la tâche d’huile, qui est aussi valable puisque c’est quand même quelqu’un qui avait certains crédits en la matière, le maréchal Lyautey. Mais là il y a cette notion d’instabilité qui me paraît très importante.

Petit focus sur la vallée d’Uzbeen dans notre zone, parce qu’elle a pris une valeur symbolique. La situation s’est, à mon sens, bien améliorée et je crois que tous les gens qui sont sur place le disent et en sont conscients. [sur la carte à l’écran] La zone en bleu clair ne marque pas une zone qu’on serait censés contrôler parce que ce n’est pas du tout notre mission de contrôler l’Afghanistan, bien évidemment. En revanche, c’est la zone où, globalement, on se déplace sans difficulté, sans craindre des IED ou bien des attaques à chaque fois. Là, c’était en septembre 2008. Ensuite il y a eu le 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine qui, en quelques mois, a vraiment bien avancé dans cette vallée, est allé même plus au Nord. On peut considérer que lorsqu’ils partent, la situation s’est bien améliorée, notamment au sud de la vallée d’Uzbeen.

Ensuite il y a eu le 1er régiment d’infanterie qui a permis – et c’est très notable – au mois d’avril [2009], de mettre en place un combat outpost (un poste de combat avancé) [au centre de la vallée d’Uzbeen] avec, dans un premier temps, l’armée afghane qui s’est installée.

Enfin, nous sommes arrivés. On s’est installés dans ce même poste à partir du mois d’août 2009. Voilà donc quelques données assez factuelles sur la situation en Surobi, sur la mission telle que peut la percevoir et essayer de la remplir, aujourd'hui, un bataillon pendant six mois.

QUESTIONS SUR…

LA STRATEGIE / L’ARMEE NATIONALE AFGHANE


Question : Ça fait un moment maintenant que la stratégie a changé en Afghanistan et que McChrystal fait de la contre-insurrection. Ça n’a pas l’air de marcher à part une ou deux petites zones dans lesquelles la situation s’est un petit peu stabilisée, sinon il n’y a pas de véritable amélioration. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi la contre-insurrection ne marche pas aussi bien qu’on pouvait le penser ?


Colonel Benoît Durieux : Je crois que c’est très difficile de dire si ça marche ou si ça ne marche pas. A mon avis, on ne peut dire si la situation s’améliore ou pas, que sur une période relativement longue. Je vais vous donner deux éléments qui, à mon sens, sont souvent perdus de vue et qui expliquent cette difficulté à porter un regard pertinent sur l’amélioration globale d’une situation.

Le premier, quels sont les indicateurs dont on dispose ? Souvent, c’est le nombre de pertes occidentales, ou même des pertes civiles ou des pertes chez les talibans. Mais en réalité, à partir du moment où on augmente le nombre de forces présentes, il est bien évident qu’on va avoir davantage d’accrochages et donc davantage de pertes, aussi bien chez nous que chez les adversaires. Premier point.

Deuxième point, si on regarde le nombre d’accrochages, c’est pareil. Si vous regardiez le nombre d’accrochages qu’il y a eu dans la vallée d’Uzbeen, disons, depuis un an, vous constaterez une augmentation extrêmement significative par rapport à ce qui s’était passé l’année précédente. Mais pour quelle raison ? Parce qu’aujourd’hui, on y va. Si je me place du point de vue des insurgés en vallée d’Uzben, la situation s’est carrément aggravée puisque maintenant, on y va, on y est en permanence. Ils n’arrivent plus à être tranquilles. Donc cela s’est aggravé pour eux et s’est amélioré pour nous.

Dire qu’aujourd'hui la situation s’aggrave en Afghanistan me paraît assez rapide. Vraiment, il faut du temps pour porter un regard pertinent là-dessus en tenant compte de ces deux faits : un, on augmente le nombre de troupes donc, mathématiquement, cela va générer plus de combats et, deuxième point, on va dans des zones où on n’allait pas. C’est typiquement, le cas de l’offensive au sud actuellement [opération Moshtarak]. On va dans des zones où on n’allait pas et donc il y a plus d’accrochages, forcément, c’étaient des forces insurgées qui les contrôlaient.
 

Question : Sur la stratégie de McChrystal, qui repose très largement aujourd'hui aussi sur l’armée nationale afghane et sur le lead qu’elle est censée prendre – pour employer l’expression américaine – sur les opérations en Afghanistan. Est-ce que vous avez le sentiment qu’elle est en train de prendre le lead ?


Colonel Benoît Durieux : C’est certain, que le jour où l’armée afghane sera pleinement en charge et aura pris le lead, cela voudra dire qu’on aura atteint le succès. On n’en est pas encore là.

Pour notre part, nous faisions très attention à ce que l’armée afghane soit, sinon à l’initiative des opérations, du moins pleinement associée à la planification des opérations. Elle a, de toute façon, par essence, un droit de veto sur les opérations parce qu’on ne fait pas une opération sans qu’il y ait une participation significative de l’armée afghane.

Je me souviens d’une shura à laquelle j’avais participé, où la population savait qu’il y avait une opération qui se préparait et où elle nous demandait de repousser cette opération pour demander aux insurgés de déposer les armes. Je leur ai dit : « Écoutez, je suis prêt à le faire mais en tout cas, ce n’est pas moi qui décide, c’est le lieutenant-colonel afghan qui est à côté de moi et donc vous allez lui demander parce que c’est lui qui va décider. Moi, je ne suis là que pour l’aider. » Et c’est lui qui a pris la décision.

En Surobi, clairement, on s’inscrivait en appui de l’armée afghane.

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