AALEME

Légionnaire toujours...

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2013




Travaux d’une mission d’information relatif à une revue capacitaire des armées.

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Lettre d'ici et d'ouest - 23

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Dimanche 28 juillet 2013


Qui sommes-nous?

 

L’un de nous entendait récemment:  “Vous faites partie de ceux qui indisposent tous les  purs qui ont l’amour de la Légion étrangère, quand vous prenez, à tort ou à raison, la liberté d’étaler vos pensées sur un blog qui est une indécente exhibition de vos positions politiques ou de vos états d’âme  de donneurs de leçons. C’est d’autant plus regrettable que vous pouvez faire de l’ombre, sans vous en rendre compte, à la bonne presse dont bénéficie actuellement la Légion; de plus, vous n’avez aucun droit d’utiliser l’appellation de « légionnaires »”.

 

Rien que ça…

 

Nous pourrions faire de l’ombre… « sans nous en rendre compte » car   pour cause de QI anormalement bas, sans doute, nous serions incapables de réfléchir et de ne pas « nous en rendre compte » !  Comme ces blogs pourraient « indisposer les purs »…  c’est-à-dire – pensons-nous – ceux parés de vertu et habillés de lin blanc dont nous ne sommes pas, par « l’indécente exhibition de nos positions » nous sommes invités, en mode subliminal à nous taire. Nous voilà devenus impurs. Quant à l’utilisation de l’identité légionnaire, il a osé répliquer à son “très honorable interlocuteur” que lorsque on a eu l’honneur, contrairement à d’autres, de porter le “Képi Blanc”, on est légionnaire à vie. N’est-ce pas là l’un des principes fondateurs de notre esprit de corps ?  Constitutifs de la grande famille légionnaire,  nous ne connaissons pas de familles dans lesquelles  les membres admis à la retraite en seraient exclus pour cette simple raison. Serait-il nécessaire de produire l’obsolète « certificat de bonne vie et mœurs » pour obtenir l’imprimatur, l’autorisation d’écrire et publier? Et au nom de qui ou de quoi ?

 

La presse, qui nous a « à la bonne » n’hésite jamais, ou si rarement, à faire état de l’appartenance présente ou ancienne, voire supposée, à notre Institution,   du coupable d’une quelconque forfaiture.  Nous devons certes « être à la bonne » mais par notre excellence et non en allant manger dans la main des faiseurs d’opinion.

Dès lors, pour quelles obscures raisons devrions-nous nous exclure du champ républicain du débat citoyen ?  Pour acheter la bienveillance de quelle entité ? De quelle presse ?

 

Évidemment, il existe  dans tous les domaines de l’activité humaine des bornes, des jalons, des limites à ne pas dépasser que ce ne soit, outre   le respect de la loi, des conventions,  qu’au titre de la bienséance, de la bonne éducation, du respect d’autrui.

Mais le fait d’être des anciens légionnaires, ce qui nous est demandé d’assumer dans la continuité de l’honneur et de la fidélité  qui nous ont guidés (cf. code d’honneur de l’ancien légionnaire),  ne doit pas nous empêcher de nous exprimer librement parce que nous ne nous trouvons pas soumis au même devoir de réserve que celui que nous avons observé tout au long de notre vie active, au service de la Légion et de la France. L’une et l’autre   nous ont fait hommes libres et notre blog n’a pas  vocation à distraire, mais bien à  faciliter le contact et l’échange d’idées entre nous, “légionnaires officiers”. A cette fin nous utilisons tout naturellement l’opportunité fantastique qui nous est donnée par les moyens de communication modernes.

 

Il est certain que nous rencontrons ici ou là des blogs tenus par des anciens de la « maison » qui nous laissent parfois pantois. Si le niveau de ce qui y est écrit est lamentablement en dessous de ce que l’on peut espérer de la part d’anciens légionnaires,  personne n’a le droit de poser une muselière à leurs auteurs qui n’ont de comptes à rendre qu’à la hiérarchie de leurs consciences et, en cas de transgression de la Loi, à celle des tribunaux et des articles du code pénal.

 

Mais ne nous voilons pas la face, ne cachons rien au chat. Nous pensons   que ce qu’on peut lire de ci de là faisant des allusions quelquefois lourdes à l’extrême-droite ou au monde islamique est de nature à pouvoir laisser supposer à tort, par le fait que cela soit écrit par quelques anciens légionnaires, chez des esprits un peu obtus ou simplement étroits, que c’est là une tendance de l’Institution. Et il faudrait alors, pour ne pas donner matière à penser à des gens qui ne réfléchissent que  jusqu’au bout de leur nez, ne plus écrire, ne plus parler, ne plus débattre ou exposer ses idées si l’on croit qu’elles peuvent intéresser quelques personnes? Sans mettre tout le monde dans la même musette  et en faisant la part des choses, reconnaissons que ce serait l’installation d’une sorte de bien-pensance, si convenue  certes, par les temps qui courent…

 

En ce qui nous concerne, nous ne saurions être exhibitionnistes et nous observons comme principe essentiel, dans nos propos, de ne jamais critiquer négativement   tout ce qui peut toucher  de près ou de loin notre chère Légion, même si parfois nous pouvons marquer notre désaccord avec telle ou telle position concernant les anciens dont nous faisons partie. Nous ne commentons pas la Légion d’active si ce n’est pour la louanger, selon nous à sa juste et excellente valeur.  Nos propos peuvent soulever des débats entre nous, voire des polémiques, nous en sommes conscients car nous évitons, tout simplement, de parler de la pluie et du beau temps mais nous avons la prétention de ne pas rester muets. Nous prétendons avoir l’avantage  de connaître le légionnaire mieux que d’autres… nous en tirons fierté et profit.   Trop de choses dans ce monde en  permanent changement nous bouleversent et nous font réagir, c’est un choix personnel.

 

La Légion  peut   être considérée comme un bien universel, mais elle est avant tout  une institution française qui appartient, subséquemment,   au peuple français donc à tous et, à Dieu ne déplaise, aux légionnaires. 

 

D’autres qui s’arrogeraient le titre de son exclusive propriété, seraient des usurpateurs.

 

Christian Morisot                                                                          Antoine Marquet

Signature MOMO                                                                                              Antoine


Lettres d'ouest - 21

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Dimanche 14 juillet 2013

J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent. L’Ecclésiaste

Quelle peut bien être la motivation de notre ami Antoine, du lointain de son “ailleurs”, de nous faire part de son agacement vis-à-vis de certains comportements sans concession, affichés   par certains d’entre nous, anciens légionnaires ?

“Certains d’entre nous”? Mais au fait, pourquoi  “d’entre nous” puisqu’ils ont choisi  une forme d’exclusion volontaire, et que pour faire partie de leurs « corporations », il faut être muni d’un sauf-conduit  justifié par des origines nationales ou géographiques ou un temps passé dans  certains régiments ?

Comment me serait-il possible, malgré une vie quasi entière  passée à la Légion, de devenir   membre d’une de ces amicales particulières des légionnaires parachutistes ou des légionnaires Chinois de Paris ? Il y a bien eux… et les autres !

Antoine explique au mieux ce choix de paraître comme “un état dans l’état”, même si la base de leur identité reste tout de même notre glorieuse Légion étrangère.

Fort de ce constat,  je ne pouvais que demander à mon ami    de faire montre de compassion, cette vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir une réaction de solidarité active, ce qui sous-entend d’être détaché de soi-même, sans quoi on peut aisément  la confondre avec l’apitoiement et sa composante, la complaisance. De même, cette compassion envers autrui peut être confondue avec la pitié, au sens moderne du mot et sa connotation de … condescendance.

Ca fait un grand bien de lire « tout haut » ce que beaucoup “d’entre nous” pensent tout bas, surtout que je sais que c’est écrit sans acrimonie ni jalousie et  n’avons-nous pas choisi d’être légionnaires nous plaçant nous-mêmes sur un plan que d’autres ne peuvent pas atteindre ?

 

« Memento mori »

Je sais que certains vont me vouer aux gémonies, mais je le disais déjà en activité de service, car depuis trop  longtemps que ça me tarabuste, me turlupine ; alors je l’écris sans animosité aucune, mais je l’écris.

A l’instar de Carnot avec les révolutionnaires,  Lazare “l’organisateur de la victoire”, pas Sadi venu plus tard… le colonel Bernelle a procédé à l’amalgame des nationalités au sein de la Légion étrangère, après la cuisante défaite des forces du général Trézel  face à Abd el-Kader, et dont les bataillons nationaux de la Légion se rejetaient la responsabilité. Le bien-fondé de cette décision a été démontré par l’échec, Dieu merci, d’une tentative de création  de bataillon espagnol, et n’a plus jamais été remis  en question.

Mais s’il  est vrai que structurellement l’amalgame a toujours prévalu, on ne peut pas nier la propension – pendant un temps et même dans la Légion moderne - des ressortissants à certaines nations à se réunir entre soi. C’était vrai à telle enseigne  que nombre de légionnaires s’exprimaient plutôt en allemand, par exemple, qu’en français. L’aquarelle célèbre de Rosenberg représentant une scène de soulographie que d’aucuns appellent « les quatre ivrognes » s’intitule en fait « Le chant de la patrie ». Ce sont des Hongrois qui, groupés, chantent, attablés au foyer, leur lointain pays. « En service on parle français » entendait-on souvent, asséné avec force par un cadre ! Cette habitude a eu tendance à disparaître,   le recrutement allemand s’étant tari. Remplacée un temps par le recrutement britannique qui avait pris la même fâcheuse habitude,elle semble être aujourd’hui l’apanage des originaires de l’Europe de l’est et de l’orient extrême. Si les premiers maitrisent assez rapidement la langue française, outil intégrant de référence, ce n’est pas le cas des seconds, hélas !

Mais d’autres particularismes  qui peuvent, dans une certaine approche, être vus ou ressentis comme réfractaires à l’unité légionnaire, se sont fait jour à notre grand dam, bien qu’ils aient reçu, en leur temps,  le nihil obstat de la part des  autorités compétentes, comme un ouvrage littéraire avant impression.

Je veux parler de ce désir de démarcation au sein même de la communauté mondialement connue et reconnue, c’est-à-dire respectée, qu’est la Légion étrangère.

C’est ainsi qu’en 1976 a été créée l’amicale des anciens légionnaires parachutistes. Vint ensuite, bien plus tard, l’amicale du 2ème régiment étranger d’infanterie, puis celle des Chinois (de Paris ?), des Coréens… probablement d’autres que j’ignore.

Il est clair et hautement respectable que toutes ces amicales recherchent le bien commun, et leurs membres sont fiers à juste raison de leur appartenance à la Légion, mais sont-elles réellement nécessaires telles qu’elles se présentent dans leur spécificité ? Etre simplement légionnaire ne suffit plus ? Quel légionnaire non chinois ou « apparenté » aurait l’idée saugrenue d’appartenir à une amicale où la conversation ne se fait probablement qu’en mandarin et rarement en français ?  On  me rétorquera  que dans les amicales allemandes probablement, il ne doit y avoir que des Allemands. C’est vrai, mais c’est en Allemagne. Dans une amicale britannique, sur les terres de Sa très gracieuse majesté,  il est légitime qu’il y ait une majorité de britanniques. A Paris la donne est différente. Quel autre, non breveté parachutiste, oserait proposer sa candidature à être membre de l’AALP, cette énième compagnie de notre cher 2ème REP ?  L’image est osée, je sais, et je m’en excuse auprès de tous mes camarades, mais tout cela me fait penser à ces lessives qui prétendent laver plus blanc que blanc…

On perçoit comme un désir de surenchère dans l’excellence.

Cette envie de différenciation ne s’arrête pas là. Des amicales d’anciens de la Légion deviennent des « amicales d’anciens combattants de la Légion »,  alors que tous les membres d’une troupe combattante, sont a priori des combattants, à moins que l’on m’oppose « les gros de la cuisine » et les lustrines des bureaucrates… certaines entrent ouvertement dans une sorte de dissidence puis, à peine on grave dans le marbre d’un mur  le nom des morts au combat d’un régiment, qu’un autre, toutes affaires cessantes (?) lance une souscription pour l’érection du sien. Mais quid de tous les autres ? Ceux des régiments éteints, oubliés ?  Les morts plus anonymes dont les tombes, mal entretenues, parfois sans nom, renferment des visages oubliés ?

Pourquoi a-t-on abandonné le monument de Saïda aux bonifaciens, par la volonté d’un seul, décidant par-là du devenir du patrimoine commun? Il camperait bien au centre de la Caserne de Chabrières… Naguère le registre des décès était confié à la niche du monument aux morts de la Légion à Bel Abbès, d’autres ont leur  nom  sur les murs de la crypte du musée, ou à Puyloubier ; tous ont laissé leur souvenir dans la poussière des djebels, dans les calcaires indochinois ou dans le delta, certains dans les tranchées de 14, dans les terres chaudes du Mexique, au Dahomey, à Madagascar… bref, partout où le combat a fait et fait signe. Alors à quoi bon toutes ces marques extérieures d’excellence qui ne sont accessibles qu’à certaines catégories de légionnaires ? Quitte à radoter, je répète : et les autres ? Et ces dizaines de milliers d’autres depuis 1831 ?

Jeudi dernier aux Invalides, l’étendard du REC recevait une citation à l’ordre de l’armée;   l’emblème du REP une nouvelle palme, lui aussi, et une deuxième fourragère. Notre musique ponctuait la cérémonie. Quel hommage grandiose rendu aux légionnaires dans ce temple du soldat. J’eusse aimé en être ! Mais en dehors des touristes débraillés sous les arcades et dans les galeries supérieures qui y assistait ? Les anciens de l’AALP essentiellement… 

Un temps je me suis réjoui de voir l’amicale de Vaucluse, composée en grande partie d’anciens du Royal étranger, présidée par un capitaine parachutiste,   un ancien camarade sous-officier à la 2 du REP.

Après tout, Jeanpierre n’a-t-il pas été lieutenant au 6ème étranger et Chenel au 5, pour ne nommer que ceux-là ? Et puis le quartier de Calvi ne porte-t-il pas le nom d’un  cavalier qui donna sa vie à la tête du 2ème BEP?...

More Majorum… mais la 13 le proclame aussi depuis les glaces de Narvik jusqu’aux   sables des déserts.

La grande famille Légion est bien trop importante, significative, une, indivisible pour qu’il puisse y avoir ceux qui s’installent au centre  et la masse de tous les autres qui, comme des cousins de province en visite, n’auraient droit qu’au bas-bout de la même table.

Antoine Marquet

 Antoine


Géopolitique de la Légion étrangère - 11 juillet 2013

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« LES TROIS COUPS »

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C’est assurément M. Chirac qui, en « suspendant » le service national en 1996, a frappé le premier coup. Pour certains, cette décision parfaitement inattendue était bien dans le style d’un Président très « sous-lieutenant de cavalerie ». Pour d’autres, il ne s’agissait là, en fait, que de pure démagogie. De plus, comme on allait très vite le réaliser, cette « suspension » était du modèle « haut et court » puisqu’elle condamnait, dans sa pratique, tout retour en arrière. Elle était enfin en parfaite contradiction avec un livre blanc à peine édicté- en 1994- qui déclarait que le service national était « un cadre nécessaire », qu’il était « le meilleur gage de l’attachement de la nation et des citoyens à leur défense », et qu’il « renforce ainsi la dissuasion ». La décision de M. Chirac ne suscita cependant que très peu de réactions. L’institution militaire resta muette, ou presque, devant cette mesure, et pourquoi s’en étonner ? Débarrassé de la menace de « l’ennemi rouge », le quotidien de nos Armées, à cette époque, n’était plus fait que d’« actions extérieures » auxquelles nos appelés ne pouvaient, en droit, participer, sauf à tourner la loi. Va donc pour l’Armée de métier ! Quant aux politiques, de quelque bord qu’ils fussent, pudiquement, ils détournèrent les yeux. « Plus démagogue que moi, tu meurs ! », aurait pu dire l’un d’eux. On organisa donc l’agonie, puis les funérailles de ce « service inutile » et, en une dizaine d’années, parfois difficiles, naquit l’Armée de métier. L’encadrement militaire s’y dévoua avec ardeur, intelligence, et humanité. On ne put toutefois en dire autant des décideurs administratifs et des porteurs de programmes d’armement dont les hésitations volontaires, la lenteur organique, les incompréhensions parfois feintes, et les intérêts peut-être ambigus, finirent par créer ce qu’on appela joliment la « bosse budgétaire », que les responsables s’évertuèrent à pousser devant eux, exercice après exercice, léguant ainsi à leurs successeurs le soin de la traiter.
 
Avec toute l’énergie que les observateurs lui ont reconnue, M. Sarkozy porta le deuxième coup. Assez peu « amateur » lui-même de la « chose » militaire, traitée avec une souveraine condescendance, il choisit d’y appliquer, avec le Livre Blanc de 2008, le type de réforme structurelle que, crise régnant, il fallait se décider à mettre en œuvre. La potion fut rude, au-delà même de ce que les plus pessimistes redoutaient. Un quarteron de contrôleurs généraux s’attacha à en définir le contenu, que l’on peut résumer en deux volets : suppression de postes, et mutualisation des soutiens. La suppression de postes, colossale, toucha 54.000 personnels, c’est-à-dire bien au-delà des directives de la RGPP, fixant le non- remplacement d’un poste sur deux pour les personnels quittant le service actif. Un complément généreusement évalué y fut rajouté, peut-être basé sur les suppressions prévues dans les autres grands corps de l’État qui, on le savait par avance, n’obéiraient pas. Quant à la mutualisation des soutiens, déjà autrefois expérimentée, le plus humble de nos caporaux savait que, pertinente conjoncturellement, elle ne pourrait fonctionner dès lors qu’on voudrait en faire une loi générale. Et cela, effectivement, ne fonctionna pas. Cet échec global de la réforme de M. Sarkozy fut d’ailleurs dénoncé dès mars 2012 par M. Hollande alors candidat à la présidence, stigmatisant sans détour « l’absence de cohérence » entre le Livre Blanc de 2008, la loi de programmation, et la RGPP, entraînant un « fort sentiment de confusion et de désordre » et la « grande insatisfaction des personnels ». Dès lors il convenait de prendre la juste mesure de cette insatisfaction des personnels, née bien sûr de la brutalité des mesures appliquées, mais aussi de la manière humiliante dont elles avaient été annoncées.
 
D’abord avec le mensonge absurde du politique promettant une augmentation régulière du budget défense dès 2012. Ensuite par l’attribution au contrôle général des Armées, sorte de corps de plus en plus étranger au sein de la défense, de tâches de direction et d’organisation à fort impact social dépassant manifestement son entendement. Uniquement soucieux de rentabilité, résolument hermétiques à la dimension humaine des questions de Défense, les personnels de cette institution suppriment, modifient et créent en fonction de critères abscons qui, parfois, provoquent l’éclosion de monstruosités du type Louvois, système désastreux de paiement des soldes, qualifié par le Ministre d’« atteinte à la dignité de l’institution militaire ».
 
Le troisième coup se fit un peu attendre. Puisque M. Hollande, désormais président, avait dénoncé l’échec sarkozien, et annoncé un nouveau Livre Blanc, n’était-ce pas là promesse de correction des erreurs sarkoziennes ? Eh bien non ! Au terme d’un « enfumage » au lourd parfum d’agit-prop du temps jadis, où l’on feignit de s’indigner des plans assassins de Bercy, des médias complices saluèrent soudain la douteuse victoire d’un prétendu lobby militaro-industriel qui, avec l’onction présidentielle, avait réussi à déjouer les basses manœuvres des financiers. La Défense serait sauvée, et l’effort à son égard serait maintenu, claironnaient les « experts » ! Alors parut le nouveau Livre Blanc et furent annoncées les décisions à venir, constituant ce troisième coup qui, pour l’Armée de Terre en particulier, peut être considéré comme funeste. Aux 54.000 suppressions de postes voulues par M. Sarkozy s’ajouterait en effet une nouvelle suppression de 24.000 postes décidée par M. Hollande. Quant aux budgets, plafonnés à leur niveau de 2012, et artificiellement abondés d’obscures recettes exceptionnelles, on estime qu’ils pourraient conduire, au terme de la future loi de programmation militaire (LPM), à une Défense passant progressivement du niveau actuel, -moins de 1,6% du PIB, à environ 1,2%. C’était là, exactement, ce que planifiait Bercy.

À ce stade, on peut donc raisonnablement penser qu’au sein des Armées, l’insatisfaction va devenir audible. Mais au moins, ce Livre Blanc de 2013, et ces nouvelles mesures annoncées, malgré leur dureté, ont-elles enfin mis un terme à cette « confusion » et ce « désordre » que M. Hollande dénonçait ?

Sans surprise, la haute hiérarchie militaire a répondu par l’affirmative, et l’on a pu noter que dans sa présentation du Livre Blanc, le Ministre avait tenu à citer nommément chacun des Chefs d’État-Major (CEM), les présentant ainsi comme des collaborateurs acquis à l’entreprise. Mais c’est un « oui » de grognard que le CEM de l’Armée de Terre a semblé exprimer pour sa part, en invitant à « serrer les rangs et les dents », tandis que celui de l’Armée de l’Air adjurait stoïquement d’être « unis pour faire face ». En fait les CEM entérinent ainsi, avec l’esprit de discipline inhérent à leurs fonctions, la baisse des ambitions de la France, celles-ci restant toutefois, selon M. Hollande, à « un niveau élevé ». Les Armées vont perdre des effectifs, verront leurs moyens et leur entraînement se réduire, mais « je veillerai – a promis M. Hollande par son 60ème et dernier engagement de campagne – à ce que les Armées disposent des moyens de leur mission ». Dès lors les choses, effectivement, semblent claires : M. Hollande ayant décidé de réduire encore davantage les moyens des Armées a ainsi signifié la réduction du contrat opérationnel d’intervention. On fera « moins », avec « moins ».

À ceux qui en seraient scandalisés, un des omniscients conseillers de cabinet ministériel saurait certainement rappeler qu’il n’y a absolument pas péril en la demeure, et que les moyens des Armées sont encore aujourd’hui toujours bien proportionnés aux menaces qui nous concernent. La dissuasion « sanctuarisée », et même sanctifiée, étant censée nous couvrir face aux risques étatiques, et protéger nos intérêts vitaux, nos adversaires du quotidien sont à notre pointure. Malgré une suppression de 54.000 postes, ne sommes-nous pas intervenus, vite, fort, et bien, en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali ?

Il faut pardonner au conseiller. Il jongle avec des concepts, et ne sait pas que le soldat qui transpire à Tombouctou se désole, lui, de voir la semelle de ses rangers se décoller et bailler. Ils n’ont pas le même langage, et de toute façon, le soldat parle peu. Autrement, il pourrait dire à l’expert qu’en réduisant les moyens du soldat, il fait le jeu d’un adversaire qui lui, chaque jour, apprend et s’améliore. Au milieu des années 60, on réglait à  peu près tous les problèmes d’intervention en Afrique avec un détachement Guépard d’environ 300 hommes. Moins de vingt ans après, les effectifs avaient décuplé,- 3000 hommes au Tchad en 1983-, les moyens s’étaient multipliés, et déjà l’aide de certains de nos Alliés nous était précieuse. Aujourd’hui, si nous avons apparemment balayé  au Mali des hordes de djihadistes acharnés, mais sommairement armés, il nous aura fallu pour cela, outre l’essentiel de nos moyens, dont les forces pré-positionnées, l’aide indispensable de nos Alliés en de multiples domaines, y compris le combat au sol, où se sont illustrés les valeureux soldats tchadiens. Demain, il faut s’en persuader, nos adversaires auront progressé, quand nous aurons reculé. Et viendra alors le moment critique où nous serons rattrapés. Ne faudrait-il pas aussi rappeler au conseiller omniscient que malgré l’infériorité avérée de leurs moyens, nos adversaires ont su parfois nous tenir tête, et nous surprendre. Des noms comme Salal, Ati, Bedo, et bien sûr Uzbin, sont encore gravés dans certaines mémoires. De même, en 1983, la présence de l’Armée libyenne au Nord Tchad, avec des moyens supérieurs aux nôtres sur le théâtre, nous a bien contraint, nolens volens, et pendant de longs mois, à adopter une posture défensive, et définir une « ligne rouge » à ne pas franchir. Qui aujourd’hui oserait affirmer que des situations du même type sont désormais inconcevables ? Et si demain notre adversaire la franchissait cette « ligne rouge » ? Pour dissuader, il faut être crédible. Pour être crédible, il faut être fort. Le serons-nous encore demain ? Le sommes-nous d’ailleurs encore véritablement aujourd’hui ?

Nos présidents ont frappé les trois coups et le rideau s’est levé dans un théâtre où les citoyens ne se croient que spectateurs. Ils vont bientôt comprendre que la pièce qui se joue sous leurs yeux raconte l’histoire de l’effarant déclin de LEUR Défense. Déclin rythmé par des Livres Blancs. Le premier, en 1972, essentiel, affirmait que la politique militaire était « le moyen nécessaire faute duquel rien ne tient ». Le deuxième, en 1994, disant la nécessité de l’adhésion des citoyens à une « culture de défense », fut mis à mal par un Président qui, sans besoin de nouveau livre blanc, décida de la professionnalisation des Armées, et distendit ainsi le lien Armée-Nation. Le troisième, en 2008, olympien, n’eut qu’un objectif, justifier les coupes sombres dans la Défense, variable d’ajustement des comptes de l’État. Le dernier, en 2013, hâtif, a sans doute voulu, pour effacer l’empreinte sarkozienne, confirmer et amplifier les coupes sombres.

Pire encore, si les 54.000 postes supprimés par M. Sarkozy et les 24.000 de M. Hollande pouvaient être – amère satisfaction – considérés comme une « économie », l’observateur objectif n’aura pas manqué de constater qu’elle sera réduite à néant par la création de 70.000 postes dans l’Éducation nationale. Dès lors le décalage s’aggrave entre les défis, et nos moyens supposés y répondre. En 2008, le contrat d’intervention, difficile à atteindre, était de 30.000 hommes, en 2013 il n’est plus que de 15.000 hommes, et apparaît dès à présent insuffisant. Aujourd’hui nous ne pourrions plus refaire Daguet. Demain, nous ne pourrons peut-être plus refaire Serval. En tous domaines, les personnels, les moyens, l’entraînement, nous avons atteint les limites de la cohérence. Quant à « l’insatisfaction » du soldat face à la « lancinante dégradation de la condition militaire », elle s’exprime dans un violent sentiment d’exaspération que des apprentis sorciers attisent de mille manières, du prétendu comité de lieutenants « insolents, faméliques, et nuls » conspuant leurs Généraux, aux enfants de militaires homophobes, en passant par des cadres dangereusement « cathos ». Nous voilà revenus au « petit père Combes », aux « fiches », en préparation peut-être d’un prochain et inévitable « dégagement des cadres »… Si nous n’y prenons garde, le soldat, réduit à un rôle d’outil muet et mal traité, en butte à l’irrespect, va entrer en résistance, et mieux vaudrait s’en garder…

Nous avons pris le risque de la faiblesse, celui qui génère le grouillement soudain de menaces inattendues, multiformes, symptômes d’une sorte de pourrissement de l’organisme. Pour redonner l’espoir, nous espérons un sursaut. Un réveil par exemple des grandes voix autorisées, anciens responsables militaires et civils de haut niveau, qui sauront montrer un chemin qui n’est ni de droite, ni de gauche, et ignore les extrêmes, un chemin tout simplement national, patriote et rassembleur, digne de notre histoire. Un chemin de grandeur, balisé par une politique militaire cohérente et éclairée, « moyen faute duquel rien ne tient ».

Bernard Messana


Voir le défilé, ou pas.

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Dimanche 7 juillet 2013

Pour la première fois, j’ai la chance d’avoir le « sésame » me permettant d’assister depuis les tribunes au défilé militaire du 14 juillet sur les Champs Élysées. Ce n’est pas rien !   Un grand moment qui flatte, avec la plus haute intensité émotionnelle, ma fibre républicaine et mon amour pour la France.
 
Mais la fête est gâchée, je ne m’y rendrai pas et je ne regarderai pas non plus le défilé sur l’écran de ma télévision !
 
La raison de cette abstinence est entièrement provoquée par les diverses lectures       qui me montrent ce que devient aujourd’hui notre armée, attaquée de toutes parts et, en particulier, par les élaborateurs d’un   budget indigne d’une grande puissance et qui ne  permettra pas à ses forces armées dans de courts délais,  de ne plus être opérationnelles.
 
La baisse de la qualité et de la motivation des jeunes recrues menace notre Armée dans son essence  même et lui pose de réelles et graves difficultés, mais c’est surtout son budget qui la met le plus en péril.
 
Ce budget   ne correspond plus au minimum nécessaire aux entrainements indispensables avant l’affrontement à la réalité des éventuels conflits qui ne manquent pas de se présenter dans un monde dangereux en mouvement perpétuel, pas plus qu’il ne laisse supposer une amélioration des équipements si mal en point. De plus, comme pour nous empêcher de nous rassurer, des informations préoccupantes circulent…   des études diligentées   par le ministre de la Défense lui-même, sur la base de réflexion suivante: “… pour être plus tranquilles, il faut étudier la possibilité de mettre partout des civils à la place des militaires”… sauf peut-être quand il faudra aller se faire tuer, sur ordre.   France que fais-tu de ton Armée ?
 
Comment peut-on rester “l’arme au pied” alors que des baisses importantes d’effectifs ont été annoncées ?
 
Notre Armée, ces derniers temps, a été largement engagée dans des opérations difficiles et délicates et chacun sait que l’outil de la Défense est aujourd’hui à la limite de la rupture. Le livre blanc décrit la doctrine et les orientations… Les conséquentes diminutions projetées, tant sur le personnel que sur le matériel, déboucheront logiquement sur un taux d’activité des unités encore plus important, alors  que notre armée est à la limite de ce qu’elle peut supporter.
 
Certes, le moral des troupes a été singulièrement rehaussé par les succès au Mali. Nos soldats se sont affranchis des contraintes qui pesaient en Afghanistan dont on ne voyait que difficilement la nécessité. Il apparaît aujourd’hui trop clairement que notre Défense Nationale est de plus en plus « fatiguée » presque exsangue  par les coupes budgétaires et les restructurations qui lui sont imposées.
 
Mais, après le « soufflet » malien,  il est facile d’imaginer ce qui deviendra le moral des troupes, déjà bien entamé  par les  “bugs” du malfamé système “Louvois”.
 
Le constat est sans appel et chaque jour voit le bilan s’alourdir: retraite et possibilité pour les soldats de confession musulmane de prendre des repas hors des heures habituelles lors du Ramadan et des fêtes de l’Aïd el Fitr et même de bénéficier de permissions non décomptées, le tout signé du vice-amiral Jean Casabianca. A quand les permissions non décomptées lors des fêtes de Noël et de Pâques ? Ne pousse-t-on pas un peu « grand-mère dans les orties » ?
 
Les régiments tombent les uns après les autres, les effectifs fondent comme neige au soleil, le budget est rogné à son maximum, et les généraux ne protestent clairement qu’une fois affectés en deuxième section… l’envie me prend de pasticher Chevènement en proclamant : « un général ouvre sa gueule puis démissionne » !   
 

L’affaire est  sûrement   beaucoup plus compliquée que succinctement  exposée ici,  le sujet a été soulevé par la Cour des comptes, le Conseil Supérieur à la Fonction Militaire et certains blogs de militaires et d’anciens militaires ne se gênent

plus pour évoquer l’inéluctable descente aux enfers de l’Armée Française. 
Ce qui est encore plus certain encore c’est que, fidèle à mes convictions, je n’honorerai pas l’invitation qui m’est faite d’assister au défilé du 14 juillet.
Avec un tel bilan, il me parait tellement indescent de ne parader que pour faire du spectacle, demandez le programme Messieurs, Dames !     
Christian Morisot 
 
 Signature MOMO

Les ressorts de l’intervention militaire tchadienne au Mali (2013)

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28 juin 2013

Le 11 janvier 2013, l’armée française intervenait au Mali pour stopper une offensive de forces hétéroclites abritées derrière l’étendard islamiste (Aqmi, Mujao, Ansar Eddine1) qui avaient pris le contrôle du Nord en mars 20122 et menaçaient le fragile équilibre politique installé depuis à Bamako. Une semaine plus tard seulement, avant même que les forces africaines sous-régionales organisées dans le cadre de la Misma (Mission des Nations unies au Mali) commencent un déploiement timide dans les grandes villes du sud du Mali, 1 400 soldats tchadiens entraient au Mali par l’Est, après avoir traversé le Niger au nord du lac Tchad – avant garde d’un contingent promis de 2 000 hommes. Ils rejoignaient aussitôt l’armée française qui, après la prise rapide des villes méridionales du Septentrion malien (Tombouctou, Gao, Kidal), se dirigeait vers l’Adrar des Ifoghas, où subsistaient les principales bases et concentrations des forces ennemies. Là, les troupes françaises et tchadiennes menaient ensemble de durs combats. Le 2 et 3 mars, à l’annonce de lourdes pertes dans les rangs tchadiens (une vingtaine de morts et autant de blessés), répondait la revendication par l’armée tchadienne de la mort de deux des principaux leaders islamistes (Abou Zeid (Aqmi) et Mokhtar Belmokhtar (proche du Mujao)). Au moment où nous écrivons ces lignes (juin 2013), cette guerre est entrée dans une phase de conflit asymétrique : l’armée malienne et ses alliés (français et africains) sont soumis à des attaques sporadiques et à des attentats, au Mali et dans les pays voisins3 ; la France et le Tchad ont entamé le retrait de leurs troupes en avril 2013. Celles-ci doivent être remplacées par une force onusienne appelée à montée en puissance ; la mort de Mokhtar Belmokhtar a été démentie.

Ce que nous voulons ici comprendre, ce sont les ressorts de l’intervention tchadienne au Mali aux côtés de l’armée française, dans une configuration apparemment inédite. Ce pays non membre de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest4) intervient seul aux côtés de la France, massivement et en première ligne, dans un pays qui ne lui est pas riverain et est situé à 2 000 km de ses frontières. Si l’ampleur de l’engagement de la France (déploiement de plus de 3 500 militaires au sol et mobilisation d’importants moyens aériens) est nouvelle dans ce pays, qui n’avait pas connu semblable déstabilisation entre l’indépendance et mars 20125, elle se comprend assez bien : les progrès des différents groupes islamistes radicaux s’en prenant aux intérêts français dans le Sahara (enlèvement et assassinats de Français en Mauritanie, au Niger, au Mali depuis le début de la décennie 2000 (voir Grégoire, Bourgeot, 2011 et Bourgeot, 2011)) menaçaient à présent l’existence même de cet État, dont la fragile vitrine démocratique avait été pulvérisée en mars 2012 (Bayart, 2013a). Au-delà, ils mettaient en péril les équilibres politiques de pays sahéliens avec lesquels la France partage une communauté d’intérêts (culturels, migratoires) qui dépassent des enjeux économiques et stratégiques limités pour l’essentiel au contrôle de l’uranium du Niger par Areva. En outre, le cadre diplomatique mis en place au cours des mois précédents au service d’un projet légèrement différent (Bayart, 2013b) a coupé court aux débats sur la légitimité internationale d’une telle action.

Mais que viennent faire les soldats tchadiens au Mali ? Le principal argument avancé par le pouvoir tchadien est la lutte contre le terrorisme islamiste, qui constituerait une menace pour toute cette partie de l’Afrique6. Cette raison est au mieux secondaire selon nous. Malgré la proximité géographique de la crise liée au mouvement Boko Haram au nord-est du Nigeria et l’instabilité croissante de la Libye post-Kadhafi, le Tchad semble pour le moment à l’abri d’une déstabilisation de ce type. Nous voudrions montrer ici que l’intervention militaire franco-tchadienne au Mali révèle avant tout un moment de l’État tchadien caractérisé par l’hybridation d’un ethos guerrier construit dans l’histoire (précoloniale, coloniale et contemporaine) (Reyna, 1990 ; Bégin-Favre, 2008) – ou la trajectoire historique d’un État gouverné par la violence (Debos, 2009 et 2013a) – et de l’influence de la situation pétrolière qui prévaut depuis 2003 (Soares de Oliveira, 2007 ; Magrin, 2013), qui permet l’affirmation d’un leadership régional et dessine une figure originale d’insertion dans la mondialisation. Alors que l’appui de la France a, en 2006 et 2008, sauvé in extremis le pouvoir tchadien menacé de rébellions (Magrin, 2008), notre hypothèse est que l’intervention tchadienne au Mali vise à la fois l’actualisation d’une rente géopolitique externe (une nouvelle « dette du sang » vis-à-vis de la France) et la gestion d’équilibres qui relèvent de la scène politique intérieure. Le risque pour le Tchad, au-delà du coût financier et humain de l’opération, étant que cette dynamique sape les fragiles efforts de construction d’un État développementaliste auxquels on avait assisté depuis le retour de la paix dans le pays, en 2009.

Le « métier des armes » au Tchad : une longue histoire

L’intervention militaire tchadienne au Mali s’inscrit dans une histoire longue où le « métier des armes » (Debos, 2009) occupe une place centrale, notamment dans certains groupes de la population qui constituent la base du pouvoir actuel. Dans cette partie enclavée de l’Afrique qu’est le c?ur du bassin du lac Tchad, des royaumes précoloniaux à aujourd’hui, de manière continue malgré des formes différentes selon les régions et les moments, le métier des armes a constitué un statut social et un moyen central d’accéder au pouvoir et à la richesse (Debos, 2009).

L’image de l’intervention tchadienne rendue aujourd’hui par les médias qui couvrent la guerre du Mali s’inscrit dans un type bien identifié depuis des décennies en France, où il exerce notamment une fascination dans l’armée, chez certains journalistes, voire au sein du grand public. Ce type rend compte à la fois d’une forme originale de pratique militaire et d’une esthétique qui y est associée : les « guerriers du désert » intrépides, efficaces et esthétiques (treillis turban lunettes noires), spécialistes du « rezzou TGV », qui désigne une attaque menée par une colonne de toyotas équipées de mitrailleuses lancées à pleine vitesse. Cette technique a été popularisée au moment des guerres tchado-libyennes des années 1980 menées pour l’essentiel dans le Sahara, où des groupes de combattants principalement originaires de ces régions sont chargés sur le plateau arrière de pick up toyota équipés de mitrailleuses, aujourd’hui souvent garnis de chapelets de roquettes, en plus des fûts d’eau et de carburant, et lancés à pleine vitesse à travers dunes et rochers (voir par exemple Darcourt, 1999). En permettant de défaire l’armée libyenne7, pourtant très supérieure au plan de l’armement conventionnel et des effectifs engagés, cette forme de combats a suscité étonnement et admiration en occident, notamment parmi les militaires. Elle a été ensuite la forme dominante des nombreux conflits internes qui ont émaillé la décennie 2000 (Magrin, 2008), même si les avions, hélicoptères et chars dont la rente pétrolière a permis l’achat au gouvernement ont quelque peu changé la donne à partir de 2008. Ces conflits, en opposant troupes gouvernementales et rebelles (souvent originaires des mêmes ethnies ou de groupes proches) cachées dans les montagnes du Tibesti ou de l’Ennedi, à la frontière du Darfour, présentent des théâtres fort analogues à ceux de l’Adrar des Ifoghas des combats de 2013. Si les soldats tchadiens sont au Mali, c’est bien en partie parce qu’ils ont l’expérience du combat dans le désert. Mais cela n’est pas une explication suffisante. L’armée tchadienne présente au Mali et les représentations qui en sont données sont le produit d’une histoire longue.

L’histoire médiévale et moderne du Tchad peut être décrite en grande partie à travers celle de royaumes musulmans centralisés tirant leur pouvoir du contrôle du commerce à longue distance entre le monde méditerranéen et le sahel. Parmi les principaux « produits » échangés figuraient les esclaves, prélevés sur les marges méridionales non islamisés par des razzias incessantes et les armes importées. Il s’ensuivait des « guerres sans fin » (Reyna, 1990) entre royaumes rivaux, ceux-ci étant des structures militarisées et violentes (Reyna, 1990 ; Bégin-Favre, 2008). La colonisation brisa ces structures politiques, tout en réorientant l’économie et les réseaux d’échanges vers le sud. La fonction militaire garda cependant une place centrale au Tchad : au nord, le recrutement des auxiliaires et autres méharistes perpétua un horizon militaire dans le cadre du maintien de l’ordre au sein du territoire colonial (Debos, 2009). Mais c’est surtout au sud (et au Guéra), régions plus densément peuplées et aux populations perçues comme plus disciplinées, que seront recrutés un grand nombre de « tirailleurs sénégalais » lors des deux guerres mondiales.

Peu après l’indépendance, où des originaires du Sud Sara, plus éduqués, prennent le pouvoir, une rébellion éclate et s’étend rapidement aux régions musulmanes du pays (Sahel et Sahara). Ce moment ouvre une période pratiquement ininterrompue, de 1966 à 2009, où des rébellions, installées sur les différentes périphéries du territoire, mobilisées sur une base ethno-régionale autour de leaders qui s’imposent avant tout par leurs talents guerriers – les politistes parlent de factionnalisme (Lemarchand, 1986 ; Buijtenhuis, 1987) –, se battent contre le pouvoir en place. En 1979, le pouvoir échappe aux originaires du Sud. Ceux-ci alimenteront quelques rébellions dans les années 1980 et 1990. Hissein Habré, un Toubou de Faya8, prend le pouvoir en 1982. Des luttes entre factions et contre la Libye émailleront sa dictature. En 1990, il est chassé par un de ses principaux lieutenants, Idriss Déby, commandant de l’armée tchadienne lors des guerres contre la Libye, qui prend le pouvoir à l’issue d’un raid de 900 km à partir de la frontière soudanaise en 1990. Au cours des années 1990 et 2000, le pouvoir d’Idriss Déby est régulièrement contesté par les armes. La vie politique du pays s’organise au gré de cycles de rébellion, répression, réconciliation (Magrin, 2008).

Au gré de trajectoires fluides (Debos, 2008), les trajectoires des chefs et des simples combattants ne sont pas les mêmes : les premiers passent du statut de chefs rebelles à celui de ministres, ou sont intégrés dans l’armée à des grades d’officiers supérieurs, et inversement ; les seconds peuvent aussi changer de statut – d’une rébellion à l’armée régulière ou à la douane, ou à la fonction de coupeur de route quand l’absence de leader ou les rencontres de circonstance le permettent (Saibou, 2010), mais ils connaissent des possibilités d’ascension sociale plus aléatoires (Debos, 2008). Pour tous, la mort violente est un horizon toujours proche, un risque assumé. Le recrutement privilégié, quoique non exclusif, de ces combattants au sein des régions du nord et du nord-est du pays, s’explique aussi par la marginalisation de ces espaces durant les deux premiers tiers du XXe siècle (Bégin-Favre, 2008) : les taux de scolarisation y ont été historiquement faibles – le refus de l’école (Khayar, 1976) ayant constitué une forme de repli face à l’acculturation liée au modèle colonial –, les investissements de l’État, colonial puis indépendant, se sont concentrés dans le sud (Magrin, 2001), les sécheresses des années 1970-1980, les conflits ultérieurs et l’instrumentalisation des lignes de clivage entre groupes par l’État au cours des conflits des années 2000 n’ont rien arrangé (Bégin-Favre, 2008).

La question de la place de la jeunesse dans une Afrique en crise politico-économique dans un contexte de croissance démographique sans précédent, qui a servi de toile de fond à bien des conflits des années 1990-2000 (rôle des enfants soldats en Sierra Leone et au Liberia (Richards, 1996), au Congo (Bazenguissa-Ganga, 1996), en RDC (Vlassenroot, 2006), en Côte d’Ivoire (Chauveau, 2005), etc.), se pose au Tchad comme ailleurs. Dans ce pays, 300 000 jeunes arrivent chaque année sur un marché du travail (Guengant, 2012) où l’agriculture et l’élevage, qui fournissent encore 80% de la population active, ne fournissent pas des horizons très accueillants. Cette question de l’intégration sociale des jeunes s’intègre ici moins dans le cadre de conflits entre aînés et cadets, comme en Afrique de l’Ouest, que dans la perspective des conséquences de la marginalisation historique de ces régions sahélo-sahariennes du Tchad, peu favorable à la modification de traits culturels hérités : pour les populations peu ou non scolarisées d’origine saharienne (Toubou, Zaghawa, parfois Arabes), le courage est une vertu supérieure, la mort un risque assumé, la violence contre les ennemis du clan licite, tout comme la razzia, qui montrent l’habileté à survivre dans un environnement hostile. L’incapacité de l’État colonial puis indépendant à dessiner des perspectives de développement dans ces régions du Nord et de l’Est du Tchad, que les conflits successifs ne suffisent pas à expliquer, contribue à la permanence de cet ethos guerrier au sein de ces sociétés. Pour de nombreux jeunes de l’Est ou du Sahara tchadien sans qualification, le métier des armes apparaît finalement comme une option aussi raisonnable que d’autres dans des contextes incertains – la voie idéale conduisant de la rébellion à une place de soldat dans la capitale. Ce statut est relativement envié et socialement valorisé comme figure du pouvoir, car il entre en résonance avec les codes sociaux. Il donne aussi accès à des espoirs d’ascension sociale, même si les opportunités d’accumulation réelles demeurent rares et sélectives. Entendons-nous bien : nous ne postulons pas l’existence d’un lien de causalité entre un ethos guerrier intemporel, a-historique, et le rapport contemporain de ces sociétés à la violence et aux armes. Ces aspects culturels issus de l’histoire sont un registre dans lequel les acteurs contemporains sont libres de puiser, ou non, selon les circonstances. Or, le fonctionnement de l’État et du politique au Tchad au cours des dernières décennies ont été favorables à leur mobilisation.

En effet, depuis les années 1980, le basculement du pouvoir au Nord s’est manifesté par le prisme de cette situation politique où la violence permet l’accumulation et légitime le pouvoir, jusqu’à son sommet. La démocratisation formelle, consentie sous pression occidentale dans le contexte des années 1990, n’a paru pouvoir menacer le régime qu’au moment de la Conférence nationale souveraine de 1993-96. Ensuite, la légitimation par les armes a pris le pas sur les urnes – l’organisation d’élections présidentielles largement contrôlées par le pouvoir (en 1996, 2006, 2011) ayant comme double sens de satisfaire les partenaires occidentaux et de constituer des moments de mobilisation clientéliste et de redistribution. La maîtrise du pouvoir réside ainsi dans la capacité à organiser à son profit cette scène politico-militaire instable, que les soutiens étrangers successifs (venant de Libye ou du Soudan) rendent particulièrement dangereux.

La participation de Tchadiens aux conflits de la sous-région participe de cette logique. Elle s’inscrit tantôt dans les stratégies de l’État, tantôt dans celles d’individus, marquant le débordement du factionnalisme tchadien sur une scène régionale élargie. Ainsi, de nombreux Toubou tchadiens ont, après la défaite de Goukouni Oueddeï en 1982 face à Hissein Habré, rejoint l’armée libyenne, où certains sont devenus officiers supérieurs. À la fin des années 1990, un contingent de l’armée tchadienne est intervenu en RDC, à la demande libyenne, aux côtés du président Kabila contre les rébellions de Jean-Pierre Bemba, soutenues par l’Ouganda – connaissant un grave revers9 attribué par les médias aux conditions environnementales très éloignées de celles du sahel tchadien, ce déterminisme climatique devant sans doute être tempéré par la référence à l’étirement des lignes de communication et à la difficulté d’assurer la logistique sur des milliers de kilomètres sans infrastructures. Au cours des années 2000, le conflit du Darfour soudanais est entré en résonnance avec les crises politiques nationales, un système d’alliances croisées favorisant l’enrôlement d’un nombre conséquent de Zaghawas tchadiens aux côtés des rebelles darfouri (certains restant fidèles au président Déby) (Marchal, 2006 ; Tubiana, 2011). Des combattants tchadiens sont surtout intervenus à plusieurs reprises en RCA, participant à la MISAB10 à la fin des années 1990, puis surtout appuyant les « libérateurs » de François Bozizé en 2003. Alors que des combattants tchadiens fidèles à des seigneurs de guerre comme Abdoulaye Miskine entretenaient l’insécurité dans le Nord de la RCA, l’armée tchadienne apparait, jusqu’aux récents combats de décembre 2012, comme le principal rempart du régime de François Bozizé contre les rébellions successives qui le contestent (voir ICG, 2007). Le Tchad, sur un mode comparable à celui de la Libye du colonel Kadhafi, mais mineur, contribue à nourrir des conflits régionaux tout en faisant figure de pôle stabilisateur (Marchal, 2013). Ainsi, comme d’autres régions pauvres dans l’histoire, l’exportation de combattants, mobilisés selon des registres variés (via l’armée régulière, derrière un seigneur de guerre, ou à travers des stratégies plus individuelles), constitue une des formes d’insertion du Tchad au sein d’un des carrefours africains les plus troublés au cours du demi siècle écoulé.

Le Tchad et la France : le retour de flamme d’une longue fraternité d’armes

L’intervention tchadienne au Mali est aussi le produit d’une relation franco-tchadienne au long cours, dont la dimension militaire est plus importante qu’ailleurs. Le Tchad résonne ainsi d’une manière particulière dans l’imaginaire militaire français (Tulipe, 2008).

L’attrait exercé par le Sahara sur les militaires français a sa part dans cette relation particulière avec le Tchad. Ils y trouvèrent un espace d’aventure et d’autonomie relative au moment de la conquête, puis un milieu dont la configuration géographique favorisait leur pouvoir par rapport à celui de l’administration civile : primat du contrôle stratégique sur le développement économique dans l’immensité du désert…. Le Tchad resta territoire militaire jusqu’en 1920 (alors que le Sénégal était une colonie depuis 1889) ; et l’armée française continua d’administrer les préfectures sahariennes du Borkou Ennedi Tibesti cinq ans après l’indépendance, en 1965 (Caron, 2009). Les régiments de méharistes ont joué un rôle particulier dans cette histoire, popularisée à travers la littérature, comme les romans de Joseph Peyré11, ou à travers les récits d’anciens méharistes (voir par exemple Garbit, 1996 ; Besnier, 2011). Ceux-ci ne se déroulent pas uniquement au Tchad, mais ce pays, confronté à la menace de la confrérie senussiyya (très influente au Fezzan) jusque durant la Première Guerre mondiale, puis placé sur le front de la Seconde Guerre mondiale, y eut une place éminente. Il fut aussi la base de la France libre et de l’organisation de la colonne Leclerc, et à ce titre support de mémoire (Caron, 2005).

La France fut ensuite impliquée, à son corps plus ou moins défendant, dans la plupart des conflits post-indépendance du Tchad. La Légion étrangère fut déployée de la fin de 1969 à 1972 aux côtés de l’armée tchadienne pour contrer les progrès du Frolinat – obtenant des succès militaires sans lendemain, non sans infliger de lourds préjudices aux populations civiles (Buijtenhuis, 1978) –, avant que les opérations Manta (1983) et Épervier (1986) ne soient dirigées contre l’influence libyenne. La victoire contre la Libye de 1987 est celle de l’alliance entre la couverture aérienne et le soutien logistique français et l’efficacité des colonnes de toyotas des Tchadiens – qui ne sont pas sans évoquer l’actuelle guerre au Mali, les différences principales résidant dans le terrain (non tchadien), l’adversaire (des forces non conventionnelles aux modes d’organisation plus proches de ceux de groupes rebelles tchadiens que des régiments mécanisés de l’armée libyenne soutenue par l’URSS des années 1980), et les innovations technologiques (renseignements satellites, drones, etc.).

Après les conflits tchado-libyens, la France conserva une base permanente à N’Djaména avec environ 1 000 militaires et des moyens aériens conséquents (au minimum 2 Mirages 2 000, 2 transall, des hélicoptères). Quand une remise à plat de la présence militaire française en Afrique était à l’étude pour des raisons budgétaires, le contexte permettait opportunément de justifier l’utilité de cette base. Ce fut le cas d’abord face aux troubles de l’Afrique centrale (guerre et génocide au Rwanda en 1994, troubles en RCA en 1996-97) puis lors du conflit du Darfour et de ses débordements au Ouaddaï, cause d’un vaste déploiement humanitaire puis militaire international, au sein duquel la France joua un rôle important (2004-2009) 12. En avril 2006 et février 2008, l’armée française joua un rôle décisif d’appui à Idriss Déby (au minimum sur le plan du renseignement et de la logistique), lorsque des colonnes de rebelles venus de la frontière soudanaise portèrent les combats jusque dans N’Djaména (Iyebi-Mandjek, 2008). Plus récemment, au moment de la guerre en Libye (2011), puis au Mali, le dispositif Épervier se révéla à nouveau fort utile. S’il est fréquemment au c?ur de négociations franco-tchadiennes – concernant notamment les conditions financières de son maintien, dont les Tchadiens essaient de tirer le meilleur parti –, aucune des deux parties ne semble décidée à s’en passer. Idriss Déby, en insistant à plusieurs reprises au printemps 2013 sur le danger représenté par le Sud libyen, qui accueillerait à présent l’essentiel des groupes terroristes chassés de Libye, conforte ainsi la valeur stratégique du dispositif tout en présentant le Tchad comme un rempart à conforter.

Au-delà des raisons stratégiques et des souvenirs, d’autres considérations entrent en ligne de compte pour expliquer l’attachement militaire français au Tchad (Tulipe, 2008) : la possibilité de disposer d’un terrain d’entraînement en milieu désertique grand comme la France, le fait qu’Épervier émarge parmi les Opex (opérations extérieures), donc hors du budget de la Défense, mais aussi, sans doute, la perspective d’offrir un horizon de dépaysement, d’aventure et de solde élevée à ses militaires en contexte de professionnalisation des armées.

Si le Tchad résonne dans l’imaginaire militaire français, l’inverse est également vrai. La culture et l’imaginaire militaire au Tchad doivent encore aux relations avec la France, même si les anciens combattants, de moins en moins nombreux et influents, appartiennent à l’histoire : aux formations classiques accordées aux cadres de l’indépendance ont succédé des formes de coopération militaire qui essayèrent de s’adapter à l’originalité de l’armée tchadienne. Des formations à l’École de Guerre accompagnèrent des chefs rebelles devenus officiers supérieurs. Idriss Déby est diplômé de l’Institut aéronautique Armaury-La-Grange (Hazebrouck). La résilience du président tchadien réside sans doute dans sa capacité à articuler logiques militaires occidentales et registre local. Quoi qu’il en soit, le fait qu’il ait, en 2009, rebaptisé « Place de la Grande armée » l’ancienne place de l’Étoile, cœur du quartier colonial de l’ancienne Fort-Lamy, exprime non sans une certaine ironie13 les formes d’influence martiales que l’histoire de l’hexagone a exercées sur lui. 

L’intervention franco-tchadienne au Mali s’inscrit, outre ce vieux compagnonnage d’armes, dans la volonté occidentale et africaine de mettre en place une répartition des rôles dans la gestion des crises adaptées au contexte post-guerre froide. Cette ambition remonte à la fin des années 1990, quand, face à la multiplication des conflits en Afrique et au génocide rwandais – qui traduit notamment l’articulation d’un contexte de crise économique, de démocratisation et de sevrage des rentes géopolitiques de la guerre froide –, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France s’entendent sur le besoin de coordonner leurs appuis en matière de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. Le programme Recamp14 élaboré par la France en 1998, placé sous l’égide des Nations Unies et de l’Union africaine, a pour principe une contribution financière française (et, au-delà, des membres volontaires de la « communauté internationale ») à la formation et à l’équipement des armées africaines, afin que celles-ci soient en mesure d’intervenir en première ligne dans les opérations de maintien de la paix à mener en Afrique, quitte à ce que les pays occidentaux apportent un soutien logistique, en matière de renseignement, voire de couverture aérienne, selon les nécessités propres à chaque théâtre. On se situe à l’amont de la tentation contemporaine des guerres à zéro mort (occidentaux), dont l’utilisation croissante des drones par l’Amérique d’Obama est le symptôme le plus visible. Cette idée est en outre convergente avec le souhait de l’Union africaine d’accroître le rôle des institutions africaines dans la résolution des problèmes du continent.

Dans la crise malienne, cependant, la répartition des rôles n’a pas été exactement celle-là. Au cours de l’année 2012, le Tchad manifestait son ouverture de principe à participer à une force africaine régionale, mais il n’entendait pas combattre seul en première ligne, voire s’il devait se trouver au milieu d’une coalition hétérogène de pays de la Cedeao aux capacités militaires sahariennes hypothétiques (Baruch, 2013). Si nous ne connaissons pas la nature des discussions entre autorités politiques et militaires françaises et tchadiennes qui ont entraîné l’engagement tchadien, il est manifeste que l’engagement de troupes françaises au sol a servi de déclencheur, plus près de l’ancienne fraternité d’armes que de l’esprit de Recamp… Mais au moins, l’armée de l’ancienne puissance coloniale n’est pas seule. L’esprit de la participation africaine est préservé. Au sein de l’armée française, ce conflit représenterait aussi une revanche de l’armée de terre, sur un terrain et avec des alliés bien connus, sur un conflit afghan où la dépendance envers l’armée américaine avait été une source de frustration et d’échec (Guibert, 2013). Le bilan humain après près de 8 semaines de combat– 3 tués côté français, 26 morts et une cinquantaine de blessés côté tchadien (Huffingtonpost, 2013) – suggère cependant aussi bien l’asymétrie de cette relation que des manières différentes de faire la guerre, qui traduisent le rapport différent à la mort dans les deux pays.

La place des armes dans le Tchad pétrolier contemporain

L’ère pétrolière inaugurée par la mise en exploitation des gisements de Doba en 2003 s’est insérée dans cette histoire fortement influencée par les fonctions militaires, mais elle en a aussi esquissé des possibilités de changement.

L’arrivée de la rente pétrolière fin 2003 a précédé de peu une recrudescence des conflits politico-militaires tchadiens, sur un mode connu par le passémais dramatisé par le contexte : des proches du régime mécontents de la décision d’I. Déby de modifier la constitution pour se représenter aux élections de 2004, alors que l’arrivée de la rente aiguisait tous les appétits, sont entrés en rébellion, avec le soutien du Soudan. Les deux pays ont disposé de ressources pétrolières importantes, dans un contexte de haut niveau des cours, pour financer à la fois des groupes rebelles dans l’autre pays et acheter de l’armement. Après les durs combats de 2006 et 200815 jusque dans les quartiers de N’Djaména, le défilé militaire d’août 2008 correspond à une démonstration de force d’un président tchadien conforté par la victoire, auquel les cours record précédant la crise financière de juillet 2008 fournissent des possibilités financières inédites. Le Tchad utilise cette année-là 50 % de sa rente pétrolière en achat d’armes (Maoundonodji, 2009) et confirme les pronostics des tenants de la « malédiction pétrolière » : la rente semble bien favoriser les « États faillis durables » (Soares de Oliveira, 2007), qui rassemblent tous les travers des États post-coloniaux et pétroliers, mais disposent grâce aux hydrocarbures de moyens de coercition illimités et d’un motif permanent de légitimation externe16. La communication présidentielle de cette période proclame sans retenue le triomphe du président et la nature de son pouvoir, qui repose sur ses vertus guerrières. En un réflexe obsidional rétrospectif, N’Djaména est entourée d’un système défensif composé d’un large fossé (anti-toyota) et d’un talus, censés empêcher l’entrée de colonnes de pick-up rebelles.

Après 2008, la situation change sensiblement. Débarrassé de menace militaire directe17, le pouvoir d’Idriss Déby semble tenté d’emprunter des formes développementalistes nouvelles (Magrin, 2013). Après des décennies de conflit et d’ajustement structurel, où la sphère du développement avait été de fait monopolisée par les grands bailleurs internationaux (Banque mondiale et Union européenne en tête) ou de grandes ONG, on assiste à un retour de politiques publiques (infrastructures socio-économiques et sanitaires, transports, aménagement urbain et du territoire, agriculture, environnement, etc.). Certes, celles-ci rencontrent de nombreuses difficultés, tant les capacités de conception et de coordination de l’État tchadien sont exsangues, et parce que les choix réalisés reflètent aussi des préoccupations politiciennes et un mode de fonctionnement clientéliste que l’on observe au même moment dans un certain nombre de pays africains, comme au Sénégal (de Jong et Foucher, 2010). Certes, une certaine brutalité n’en est pas absente, comme lors des « déguerpissements » urbains nécessaires aux projets présidentiels à N’Djaména, ou à l’occasion de mesures destinées à protéger l’environnement, qui favorisent le renforcement des contrôles sur les ruraux (Magrin, 2013). Mais le treillis cède la place au costume trois pièces à la coupe moderne. Le discours se modernise, faisant par exemple une large place aux enjeux du développement durable. Le Tchad se positionne dans le projet panafricain de la Grande muraille verte – dont le Secrétariat panafricain est installé à N’Djaména – et porte la mobilisation régionale et internationale pour le sauvetage du lac Tchad (voir Passages, 2011).

Pourquoi le Tchad s’est-il alors engagé au Mali ? Le risque islamiste au Tchad semble plutôt moins fort que dans d’autres pays sahélo-sahariens comme la Mauritanie ou même le Niger. Des ONG islamistes ont bien essaimé dans le pays à la faveur de la libéralisation politique des années 1990 (Mahamat Adoum Doutoum, 1994), mais la nature autoritaire du régime les a jusqu’à présent contenues. Des conflits intercommunautaires ont eu lieu ici et là, parfois amplifiés par la radicalisation religieuse ; ils ont pris de l’ampleur en particulier dans le Sud pétrolier (voir Magrin, 2001) et au Ouaddaï au milieu des années 2000 (Bégin-Favre, 2008), mais ils ont été contenus et ont perdu ensuite de leur intensité. En un mot, l’islamisme n’a guère pris de forme violente et politique. À 300 km de N’Djaména, la capitale de l’État du Bornou, Maïduguri, est déstabilisée depuis 2009 par un conflit sanglant opposant la secte Boko Haram à l’État nigérian (Hervieu, 2013). Dans ce bassin du lac Tchad où les circulations sont nombreuses entre populations proches, le risque d’un déplacement de l’insécurité sur le territoire tchadien n’est pas nul (Musila, 2012) – et les autorités tchadiennes ont pris des mesures préventives importantes après leur engagement militaire au Mali – il s’agit d’empêcher d’éventuelles représailles. De fait, le phénomène de Boko Haram, complexe, relève de l’imbrication de jeux de pouvoirs régionaux et nationaux propres à la scène nigériane : un débordement au Nord Cameroun ou au Tchad est hautement improbable (Saibou, 2013) ; il ne saurait donc justifier l’engagement militaire tchadien au Mali. De plus, la position du Tchad au centre Est de l’espace saharien l’a tenu jusqu’ici en marge des principaux flux de drogue et d’armes qui reliaient le golfe de Guinée à la méditerranée via la Mauritanie, le Mali, le Niger (Scheele, 2011), si bien qu’il a longtemps semblé le moins exposé de cet ensemble au risque terroriste. Cependant, l’instabilité persistante de la Libye post Kadhafi, le déplacement des groupes islamistes du Mali vers le Sud libyen et la fragilité structurelle du Sahara tchadien (voir ICG, 2011a et 2011b) sont porteurs de risques non négligeables pour l’avenir.

La crise malienne offre en fait au pouvoir tchadien une occasion inespérée, de nature très contextuelle. Au plan interne, la rapidité et les succès de l’intervention ont été d’abord plutôt bien perçus, comme l’a montré l’unanimité du soutien de l’Assemblée nationale (Hicks, 2013). Puis les pertes enregistrées, le changement de nature du conflit – d’une offensive à une lutte antiguérilla – de même que ses coûts financiers ont soulevé des interrogations dans la presse nationale, coïncidant peu ou prou avec l’annonce du retrait de l’essentiel des forces tchadiennes, à la mi-avril 2013. Les grands panneaux accueillant le visiteur à l’aéroport de N’Djaména, montrant Idriss Déby triomphant au milieu de ses soldats, treillis et symbole de commandement à la main (fouet en cuir d’hippopotame ?), sous un texte remerciant les Fatim (Forces armées tchadiennes d’intervention au Mali), dignes fils de l’Afrique et du Tchad, pour leurs sacrifices, n’est pas sans évoquer le registre martial de la communication déployée après les événements de février 2008, sous la tonalité plus joyeuse d’une guerre victorieuse à moindre frayeur et coût humain. La localisation de ces panneaux à l’aéroport interroge néanmoins : s’ils magnifient le triomphe du prince auprès de l’opinion nationale, nul doute qu’ils ne s’adressent aussi aux étrangers de passage.

En effet, à travers l’engagement tchadien au Mali, Idriss Déby donne l’impression de payer une dette pour le soutien français de 2008 tout en s’offrant aussi une petite revanche sur le nouveau locataire de l’Élysée. Parmi les quelques signes de « rupture » avec la présidence précédente, François Hollande avait souhaité, après son élection de mai 2012, introduire davantage d’éthique dans ses relations africaines : encourager les présidents élus démocratiquement, quel que soit leur bord politique affiché, socialistes (Alpha Condé en Guinée, Mahamadou Issoufou au Niger18) comme libéraux (tels Macky Sall du Sénégal, Alassane Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire), si tant est que ces qualificatifs aient du sens sur la scène politique africaine. Inversement, F. Hollande avait publiquement battu froid plusieurs dirigeants au style plus autoritaire, réélus à maintes reprises, présidents de pays d’Afrique centrale vivant d’économies extractives. Il avait snobé Joseph Kabila au sommet de la francophonie d’octobre 2012 à Kinshasa, où il ne s’était rendu qu’in extremis, s’était gardé d’interférer avec la justice dans l’affaire des biens mal acquis impliquant les familles des présidents équato-guinéen, gabonais, congolais et tchadiens, et avait fort peu diplomatiquement tardé à rencontrer I. Déby – un rendez vous plusieurs fois repoussé, qui eut lieu finalement début décembre 2012 à Paris. Se rendre ainsi indispensable à la France constitue pour I. Déby une solide assurance pour la suite. 

Last but not least, la nature du contingent tchadien n’est pas sans importance. Si peu d’informations circulent sur ce point, il semblerait que l’essentiel des troupes envoyées au Mali appartiennent à la DGSSIE19, qui joue au sein de l’armée tchadienne le rôle habituel dévolu aux gardes présidentielles en Afrique (Grilhot, 2013). Composées en grande partie de membres de l’ethnie du président ou de groupes alliés, ces troupes sont les mieux équipées et les mieux traitées par le pouvoir. L’efficacité militaire de cette armée en grande partie milicianisée a déjà été observée à maintes reprises au cours des conflits des deux dernières décennies (Debos, 2013a). Enfin, ces troupes seraient commandées par Mahamat Idriss Déby Itno, un des fils du président, jusque là plutôt discret (Le Monde AFP, 2013). Nul besoin d’être fin politique pour saisir la signification d’une telle mise en avant dans un contexte tchadien où la légitimité du pouvoir se conquiert à la pointe du fusil – alors que la question de la succession est de celle dont le président use avec brio depuis son arrivée au pouvoir pour contrôler la scène politique n’djaménoise. Dans ce contexte, la dénonciation d’un présumé complot, le 1er mai 2013, suivie d’une vague d’arrestations d’hommes politiques, de hauts fonctionnaires et de journalistes, correspond sans doute moins à une occasion saisie par le pouvoir grisé par ses succès extérieurs pour se débarrasser d’ennemis intérieurs avérés qu’à la pérennité du mode de gouvernement national, dans un jeu politique qui instrumentalise ce type de tension occasionnelle pour resserrer les rangs autour du pouvoir et se perpétuer (Debos, 2013b ; Marchal, 2013).

Conclusion

L’intervention militaire tchadienne au Mali s’inscrit donc dans une histoire longue du métier des armes au Tchad et de proximité militaire avec la France. Si l’ère pétrolière a rendu possible la reprise de politiques publiques de développement, et, paradoxalement, ouvert des espaces de débat démocratique au sein de la société, la réponse tchadienne à la crise malienne a rappelé cette réalité nationale inscrite dans la longue durée : la prééminence des enjeux stratégique et de sécurité, garante de légitimité politique et de soutien international. Envoyer l’élite de l’armée gagner de l’argent et des honneurs au Mali – au prix de pertes plus couramment acceptées dans la société tchadienne que dans les sociétés occidentales contemporaines – est un moyen de l’occuper, tout en s’assurant de sa fidélité, en préparant éventuellement une succession dynastique, et en créant une dette à la France. Par son intervention militaire au Mali, le Tchad apporte ainsi une réponse embarrassante au discours de François Hollande20 sur la dette de sang contractée par la France envers l’Afrique pendant la Deuxième Guerre mondiale, en l’actualisant. On pressent bien que tout cela ne fait pas l’affaire de la démocratie et du développement, qui risquent de rester des enjeux secondaires. Car une guerre de cette nature, sous bénédiction internationale, dont la rente viendra s’ajouter à celle du pétrole, ne semble pas à même de favoriser la construction d’un État de droit moderne fondé sur le contrôle territorial, la fiscalité et la responsabilité politique devant les citoyens. 


Notes

1 Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Dine (« défenseurs de la religion ») ont des origines diverses. Le premier est directement issu des GSPC (Groupes salafistes pour la prédication et le combat) algériens ; le second rassemble plutôt des ressortissants d’Afrique de l’Ouest (Mauritaniens, Maliens ou Nigériens), le troisième des touaregs maliens dissidents du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ces mouvements regroupent des doctrinaires religieux et des rebelles, contrebandiers et trafiquants du désert, lesquels y trouvent une légitimation commode et / ou une couverture à leurs activités.

2 La prise des villes du Septentrion malien, marquant la défaite de l’armée nationale malienne face au MNLA, a été l’événement déclencheur d’un coup d’État mené par des officiers subalternes à Bamako, chassant du pouvoir le président Amani Toumani Touré (ATT) peu avant des élections auxquelles il ne se présentait pas. Puis le MNLA a été marginalisé par ses alliés (Aqmi, Mujao, Ansar Dine) qui ont pris le contrôle du Nord Mali.

3 Le 23 mai 2013, le Mujao et « les signataires par le sang » de Mokhtar Belmokhtar revendiquaient le double attentat perpétré au Niger contre l’armée (à Agadez) et Areva (à Arlit).

4 La Cedeao regroupe l’ensemble des pays de l’Afrique de l’ouest du Sénégal au Nigeria. Elle s’est notamment affirmée comme cadre de mobilisation de forces de maintien de la paix (ECOMOG - groupe de surveillance de la CEDEAO) en réponse aux crises de la Sierra Leone et du Liberia au cours des années 1990. Le Tchad a été admis comme observateur en … 2012, dans un contexte marqué par la dégradation de la situation au Mali et au nord-est du Nigeria qui lui est frontalier.

5 Hormis des rébellions Touareg durant les années 1960 et 1990 (voir Lecocq, 2010), qui contribuèrent tout de même aux coups d’État de 1968 et 1991, correspondant à la prise de pouvoir puis à la chute de Moussa Traoré. Après 1991 se mit en place une démocratie volontiers présentée comme modèle par les chancelleries occidentales.

6 Voir l’interview d’Idriss Déby diffusée le 14 avril 2013 sur TV5 Monde (réalisée par Charlotte Bozonnet, Xavier Lambrechts (TV5 Monde) et Bruno Daroux (RFI)).

7 Le fait d’arme le plus marquant est le raid lancé le 5 septembre 1987 par 2 000 combattants tchadiens contre la base aérienne libyenne de Maaten As-Sarra : 1 713 soldats libyens tués, 300 prisonniers, 70 chars, 30 blindés et 26 avions détruits, tout comme les deux pistes et 8 stations radar (Darcourt, 1999). Ce désastre contraindra le colonel Kadhafi à négocier.

8 Les Toubou du sud sont souvent appelés Gorane par les autres ethnies. Hissein Habré appartient au groupe Anakaza.

9 Un tiers de troupes mises hors de combat à la suite du premier engagement.

10 Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui.

11 L'escadron blanc (1931), Le chef à l'étoile d'argent (1933), La légende du goumier Saïd (1950)…

12 À la Minurcat (Missions des Nations unies en République Centrafricaine et au Tchad) s’ajouta l’Eufor (European Union Force), première opération militaire européenne de cette envergure, sous forte influence française.

13 Les troupes qui ont défendu I. Déby jusqu’au bout en 2008 étaient en grande partie des membres de son clan, alors que l’armée napoléonienne regroupait un grand nombre de nationalités européennes.

14 Rétablissement des capacités africaines de maintien de la paix. Pour en savoir plus : https://www.un.int/france/frame_francais/france_et_onu/france_et_maintien_de_la_paix/recamp.htm#ReCAMP(titre)

15 À la suite desquels des responsables de l’opposition politique démocratiques seront arrêtés, et où Ibni Oumar Mahamat Saleh, un des principaux leaders, trouvera la mort.

16 La chute du régime Kadhafi en Libye montre cependant les limites d’une telle lecture.

17 Cependant, fin juin 2012 puis en début mai 2013, deux énièmes tentatives de coup d’État fomentées par des proches du régime auraient été déjouées.

18 Qui est lui vice-président de l’Internationale socialiste.

19 Direction Générale des Services de Sécurité et des Institutions de l'État.

20 Cette rhétorique a notamment été utilisée dans le discours prononcé à Bamako le 2 février 2013.

 

Pour citer cet article

Référence électronique

Géraud Magrin, « Les ressorts de l’intervention militaire tchadienne au Mali (2013) », EchoGéo [En ligne], Sur le Vif, mis en ligne le 28 juin 2013, consulté le 01 juillet 2013. URL : https://echogeo.revues.org/13444 ; DOI : 10.4000/echogeo.13444

 

Auteur

Géraud Magrin

Géraud Magrin, Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. , est chercheur Cirad (UMR Tetis) / UMR Prodig. Il a publié récemment :
- Losch B., Magrin G., Imbernon J. (dir.), 2013. Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le programme Rural Futures du Nepad. Montpellier, Cirad, 46 p.
- Magrin G., Raimond C. (dir.), 2012. Atlas de l’Afrique. Tchad. Paris, Les éditions du Jaguar, 135 p.
- van Vliet G., Magrin G. (dir.), 2012. Une compagnie pétrolière chinoise face à l’enjeu environnemental au Tchad. AFD, Focales n°9, 251 p., novembre 2012 ; https://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/Focales/09-Focales.pdf


Lettres d'ouest et d'ici - 19 pour JEANPIERRE

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Vendredi 21 juin 2013


Un article d’Elisabeth Becker paru dans « l’Est Républicain » au sujet d’une polémique concernant le Lieutenant-colonel Pierre Paul JEANPIERRE, né à Belfort en 1912, mort pour la France à Guelma en 1958 et dont une rue de la ville   porte le nom,   fait réagir deux anciens légionnaires dans une sorte de lettre ouverte à madame Becker.

*

Non il n’y a pas de méprise Madame, nous savons que Elisabeth Becker n’est pas seulement la connue gardienne des camps de concentration nazis, celle-ci ayant été condamnée à mort et pendue en 1946, mais aussi et plus heureusement vous êtes Madame, l’une des journalistes actuelles de l’Est républicain qui, pour bâtir votre article sur la "polémique Jeanpierre"  vous référez à Henri Pouillot, ce chevalier blanc paré de vertu, cet apôtre des combats anticolonialistes qui n’a de cesse de dénoncer « le révisionnisme colonial », et s’attacher en particulier à la guerre d’Algérie.

Madame  Becker, vous débutez votre article  de manière assez équivoque ne permettant pas de comprendre d’emblée si vous êtes pour ou contre ou… « bien au contraire » !

Lors du baptême de la rue par Jean-Pierre Chevènement, maire, le 29 mai 2009,  le maire actuel n'avait   pas assisté à la cérémonie. Aujourd’hui encore, selon vous, il "botte en touche".

Depuis peu, grâce à Henri Pouillot « historien » ( !) du MRAP,   une polémique sur le bien-fondé de ce baptême est lancée, au prétexte que JEANPIERRE aurait été un tortionnaire pendant la guerre d’Algérie. Il mentionne des écrits de Douglas Porsch dans son opus « La Légion étrangère – 1831-1962 », comme caution et  les tient pour parole d’évangile.

L’attaque est grossière, mais… allons savoir ce qui se passe dans  certains esprits…

Le général François Meyer  nous  faisait récemment part de sa préoccupation de constater que toutes ces attaques sont rendues possibles par le manque de réaction de ceux qui possèdent encore la mémoire vivante mais qui, l’âge aidant, disparaissent doucement mais sûrement.

Les historiens auto-proclamés tout comme certains journalistes de tout poil peuvent prendre, sans danger d’être contredits par des témoins opérationnels, les dossiers qui leur conviennent et les manipuler à leur guise. Dans l’ambiance qui règne actuellement dans notre pays, qui s’en inquiéterait ?

De ce fait, ils font flèche  de tout bois et marchandise de toutes substances.

Tout est bon pour faire haro sur le baudet, l’animal étant celui qui n’a eu l’heur de plaire à ces nouveaux censeurs, alchimistes de  histoire qui nous refilent du plomb pour de l’or,   surtout lorsque l’incriminé ne peut plus se défendre… 

Ils se servent du climat délétère qui nous entoure et dans la fange duquel ils se vautrent pour attaquer tous-azimuts  pourvu que leur cible soit peu ou prou liée à des minorités visibles. Ils habitent le camp du Bien, s’habillent du lin blanc de la repentance, se parent de vertu et tentent d’abattre sinon l’homme - il leur manquerait le nécessaire courage - au moins sa réputation et l’idéal qu’il peut ou a pu représenter. Dans le cas présent il y a deux cadavres : celui du lieutenant-colonel JEANPIERRE et celui du 1er régiment étranger de parachutistes. Et  ces Zorros de pacotille osent venir cracher sur leurs tombes !

Poser de manière ambigüe et toute honte bue, la question de savoir si le lieutenant-colonel Jeanpierre était un héros ou un tortionnaire, semble relever de la pure injure envers un soldat qui a donné sa vie pour la France.

Il n’est pas acceptable, Madame, de laisser entendre que le 1er régiment étranger de parachutistes était constitué de deux tiers d’allemands anciens des Waffen SS ! La Légion, forte des expériences malheureuses qui ont marqué sa création en 1831, a adopté très rapidement, dès 1835 et à l’instar de Carnot avec les révolutionnaires, le principe de l’amalgame des nationalités pour créer un équilibre des origines au sein de ses unités. Une faiblesse de jeunesse   s’est transformée  en une véritable force. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que pour pouvoir parler de grande famille, Legio Patria Nostra, mélangeant plus de 140 origines nationales, il faut  que tous, volontairement, fassent abstraction de la nationalité, des origines sociales et des religions ? 

Nous ne pouvons et nous ne voulons pas laisser certaines publications manipuler l’information sans réagir,  car qui ne dit mot consent. Mais beaucoup d'esprits chagrins sont courageux comme Tartarin dans la chasse au lion et, comme dans une charade à tiroirs, ils pratiquent le mode cascade ; c’est l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’ours ! Elisabeth Becker vous retranscrivez les dires de Pouillot que lui-même se réfère à Porsch et à des témoins suisses dont on ne connait pas les noms! D’ailleurs Madame, en exégète de la pensée de Pouillot, vous utilisez les guillemets à l’envi, mais ce faisant, vous semez néanmoins à tout vent !

Le terrorisme de la censure est aujourd’hui bien installé. Pendant que certains journalistes, pisseurs de copie, crachent sur des soldats morts pour la France, d’autres, des lions de panurge médiatiques, ne s’offusquent nullement du fait que le président algérien, un autre cobra cracheur,       passe sa convalescence à l’Hôtel des Invalides à Paris, fief des blessés de l’Armée Française. Quel manque de fierté pour ce président que de venir se faire soigner chez "ses" anciens tortionnaires, par des médecins militaires français et séjourner dans le temple de nos soldats, dans le sein même de ces ennemis tant conspués! Je l’ai vu, vieillard penaud, dans le Salon des poteries. Quel aveu terrible  sur l’état lamentable des hôpitaux de son pays.  Les Japonais diraient : quelle perte de face !

Pour l’heure, suivant la tendance totalitaire générale que l’on observe dans notre pays, qui bride la liberté d’expression, pose des bâillons ou des muselières, cadenasse les claviers d’ordinateur, empêche le débat parlé ou écrit, les juges de la pensée conforme sont en place, le tribunal est constitué. Les procès en sorcellerie peuvent se dérouler sans encombre.

Par clientélisme politique on a donné libre cours aux imaginations les plus farfelues en vue de la création d’associations dont la capacité de nuisance est inversement proportionnelle au nombre de leurs adhérents. Des électrons qui se croient libres, pour exister, « s’y agrègent » pour dénigrer leur pays. 

Non, Madame, la guerre d’Algérie n’a pas été ce que vous semblez souhaiter incruster dans la tête de vos lecteurs. Il est scandaleusement inexact  de prétendre que le général Aussaresses faisait partie  du 1er REP. Cet officier n’a jamais servi à la Légion étrangère.

Il serait intéressant et profitable que vous vous instruisiez plus avant sur cette guerre d’Algérie qui est défigurée dans sa réalité historique par les écrits « d’historiens  de rencontre» qui assènent allégrement des contre-vérités pour satisfaire leur ego, plaire à certaines franges de la population, puisque c’est tendance, et à certains partis politiques. Les citer comme références universelles ne fait de vous qu’une rapporteuse de faits non avérés. S’appuyer sur les écrits de ce triste sire c’est lui offrir une tribune dans la propagation de la haine qui l’anime et dont vous êtes ainsi le véhicule et par-là, une sorte de complice ! 

 

Christian Morisot                                                                                                  Antoine Marquet

Signature MOMO                                                                                                    Antoine

 

“Petit” commentaire pour nos visiteurs

Nous avons Antoine et moi, d’un commun accord et avec enthousiasme décidé  d’écrire à deux mains un peu à l’identique des partitions de piano à quatre mains.

Cela concerne uniquement certains sujets brûlants de l’actualité, il est bien connu qu’il y en a plus dans deux têtes que dans une seule.

Nous ne pouvons prétendre détenir la vérité, néanmoins nous essayons, avec conviction, de nous rapprocher de celle-ci sachant qu’il y a toujours un revers à une médaille.  


Du bien-fondé des amicales et de l’intolérance de certains

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Mercredi 5 juin 2013


Nous pourrions être orgueilleusement satisfaits de notre condition d’anciens légionnaires mais  nous ne sommes que  des êtres humains qu’un passage à la Légion a marqués à vie et il nous faut, dans une sorte de masochisme intérieur, créer des différences. Le choix de se fédérer en une communauté fraternelle et familiale se révèle pour beaucoup d’entre nous essentiel et montre notre attachement viscérale à une institution qui nous a tous éduqués a des degrés divers, formés et implantés dans le droit et le devoir  liés par un sens de l’honneur et de la fidélité vissé  au corps…

Mais au-delà des mots qui n’apportent aucun remède aux maux qui se présentent, nous devrions chercher à analyser correctement les problèmes qui s’imposent à notre communauté tels la rareté voire l’absence de jeunes nouveaux anciens légionnaires, l’adhésion de certaines de nos amicales à l’esprit et au corps et régler une bonne fois pour toutes ces dissidences et critiques qui ternissent notre cohésion jusqu’à se demander à quoi notre Fédération peut  bien servir?

Des pointes de désaccord apparaissent mais ne sont pas évoquées, faute de temps ou de disposition, au  cours de nos différents rassemblements. Présenter les finances c’est bien, mais il serait peut-être tout aussi judicieux de recueillir les avis de chacun sur des thèmes bien précis afin de comprendre pourquoi certaines choses semblent nous dépasser, comme la non-participation à une importante manifestation ou le retard inconscient ou pire, volontaire, du paiement d’une cotisation symbolique qui n’est là, en fait, que pour satisfaire une des closes des statuts.

En leur temps, des réunions regroupaient les présidents d’amicales ; hélas elles n’apportaient aucune évolution, chacun se questionnant sur le bien-fondé de la réunion, si ce n’était   pour se retrouver de manière conviviale pour manger, boire et s’en retourner, à l’issue, dans ses terres ; le déplacement n’était que symbolique. Il montrait une belle fidélité mais sans obligation de  résultat.

Aujourd’hui, il nous faut passer à la vitesse supérieure. Notre Président ne manquera sûrement pas de présenter son programme, excluant sans doute toute promesse, nous ne sommes quand même pas des hommes politiques, quoique, parfois… D’autorité il cherchera surtout l’adhésion de tous ses “sujets”, voilà bien une délicate affaire, et sans cesse il devra remettra le fer chaud sur l’enclume, la trempe est un art que peu de forgerons maîtrisent parfaitement sans expérience ; son prédécesseur en avait acquis une indiscutable notoriété quant à l’exécution et le nécessaire recul de perspective qui s’impose dans les situations délicates.

Des courants parfois contradictoires agitent la blogosphère des anciens légionnaires. Le courant entre anciens légionnaires séniors et anciens légionnaires jeunes a parfois du mal à passer. Les plus jeunes se considèrent parfois mal acceptés par les plus vieux. Conflit de générations ? C’est probable… « ah de mon temps… », le style de vie dans la société moderne a changé à une très grande vitesse qui surprend peut-être les plus âgés ou plus ex-gradés. Les corvées continuent d’être exécutées par ceux qui ont détenu un grade plus modeste, les « gilets verts », comme disent certains se regroupent et prêtent peu d’attention aux autres, bref, tout un faisceau de petits détails qui éloignent au lieu de rapprocher. En tout cas ces différents motifs font que le « sang nouveau » a du mal à se forger un passage au sein des amicales que les plus jeunes délaissent, alors?

Ch Mrt

 

Du bien-fondé des amicales et de l’intolérance de certains

Je viens de lire sur facebook le désarroi d’un ancien chef de peloton qui « s’est permis », le malheureux ( !), de donner de manière courtoise, sur la page d’un autre ancien,  son opinion sur un général estimé de celui-là. Il s’est fait insulter, malmener et in fine bloquer sans qu’on lui laisse « le droit de réponse ». Voilà une belle preuve d’ouverture d’esprit envers un camarade légionnaire qui a servi sous les ordres du général en question alors que celui qui poussait des cris de vierge effarouchée était déjà retraité… et probablement moins légitime à donner son avis.

Le congrès de la FSALE et donc des amicales de la Légion étrangère vient de se terminer à Orange (Vaucluse), ville légionnaire depuis plus de deux mille ans, qui a accueilli notre estimé 1er étranger de cavalerie depuis 1967, lorsque celui-ci a quitté ses fiefs nord-africains.

Au cours de ce congrès, qui a vu le départ du président de la FSALE, le général de corps d’armée Robert Rideau,   une évidence a été constatée d’un simple regard : le vieillissement des membres de nos amicales.

Voulues par nos très augustes anciens du début de l’autre siècle, elles avaient alors un rôle important. Durant de longues décennies les légionnaires rendus à la vie civile éprouvaient de très grandes difficultés à s’insérer dans la société. Tous avaient servi la France ailleurs que sur son territoire métropolitain, exception faite des combattants des deux guerres mondiales. Ils devaient donc s’adapter à une société souvent hostile et à un environnement géographique totalement différent. Trouver du travail, se soigner, se loger, survivre, n’était pas aisé…

Les amicales, ainsi que la création de la maison d’Auriol dès les années trente puis de Puyloubier dans les années cinquante, ont constitué, au profit de la communauté légionnaire un bienfait non négligeable. Tous ces anciens avaient en commun non seulement d’être légionnaires mais d’avoir fait des guerres ensemble… le monde marchait alors à la vitesse de l’homme à pied.

La métropolisation de nos régiments a changé la donne. Il y avait alors ceux qui avaient « fait l’Algérie » parmi lesquels ceux qui n’y avaient fait que l’instruction ou le brevet para et puis les autres, ceux de Corse et plus tard de Castelnaudary... De surcroît il aura fallu attendre sept années après le conflit algérien pour que la Légion soit de nouveau engagée au combat, au Tchad. Pendant cette période, courte pour l’histoire  et longue dans la vie d’un légionnaire - point de glorieux faits d’armes, point de décorations sur les poitrails vides mais qui offraient de la place pour en recevoir- l’accueil de jeunes anciens dans les amicales était froid et assez « méprisant » car ils n’avaient pas de campagnes à raconter… une sorte de légionnaires au rabais !

Les conflits modernes ont donné l’occasion aux nouvelles générations de légionnaires de se distinguer à l’instar de leurs anciens. La guerre du Golfe qui a vu le rétablissement de la croix de guerre qui n’était plus attribuée depuis l’Indochine, a dû en faire marmonner quelques anciens dans leur barbe des propos teintés d’un peu de jalousie… « ah, mais c’est que cette croix de guerre n’était pas comme les autres… » Mais voyons ! Comme si la balle tueuse portait une étiquette « Made in Indochine » ou « Made in Irak » ! Et la béance entre plus anciens et moins anciens s’est maintenue, sinon élargie. A cela sont venus s’ajouter des particularismes que je considère – de mon exclusif point de vue – superfétatoires : l’amicale des anciens légionnaires paras, celle des anciens du 2, celles des chinois… pourquoi pas celle des anciens du gaz ?  Etre ancien légionnaire, tout simplement, ne suffirait-il plus ?

De la vitesse de l’homme au pas, nous sommes passés à celle du cheval au galop, mors aux dents… les légionnaires s’intègrent de facto dans le tissu national comme tout autre citoyen, les origines nationales de nos légionnaires se sont très largement élargies, ils voyagent, se dispersent et ressentent moins le besoin de se grouper au sein d’amicales dont les membres se réunissent deux ou trois fois l’an ou bien se voient toutes les semaines pour jouer aux cartes et commenter la dernière prise d’armes dans  cette Légion « qui n’est plus comme avant… comme celle de mon temps ! »…

Tout cela me semble relever de la foutaise et de la « gueguerre » de clans qui n’ont pas lieu d’être. Et si les anciens, plus anciens, arrêtaient de prendre les plus jeunes pour des bons à rien et ceux-ci de prendre les premiers pour de « vieux, voire de très vieux cons » ?

Tous y trouveraient leur compte par le simple fait que l’union fait la force et que cette force des anciens, regroupés en amicales malgré les difficultés conjoncturelles, serait de nature à aider à maintenir la pérennité de l’idée que le Monde se fait de notre institution et à aider l’institution elle-même par la possibilité d’agir à son profit sur des sujets que les actifs ne peuvent aborder. Pour s’en convaincre, il n’est que de regarder le symbolisme de la loi « Français par le sang versé ».

Restons unis malgré les différences de nos carrières, de nos grades, de nos anciennetés, de nos combats et de nos passés.

Restons simplement d'anciens légionnaires.

 

PS. J'ai choisi la photo de notre vieux camarade le major Stock et d'un caporal-chef, ancien du 6, Boucard. Ils sont à Mayotte.

Antoine Marquet

Antoine


Un prêtre sur la ligne de front

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