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Aux origines de l’infanterie portée et de la cavalerie blindée : les compagnies montées et la cavalerie de la légion étrangère en Afrique du nord (1881-1939)

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Le haut commandement a longtemps considéré la Légion étrangère comme une troupe encombrante, notamment pendant la conquête de l’Algérie, tout en lui confiant des missions délicates. Victime de sa mauvaise réputation, en grande partie due aux généraux de l’armée d’Afrique, le nouveau corps militaire doit gagner la confiance et l’estime du commandement. Il lui fallait donc faire ses preuves, payer le prix fort au combat pour devenir une troupe française à part entière. Les théâtres d’opérations nord-africain et syrien vont offrir aux unités de Légion un champ d’expériences, inédites et innovantes, qui leur permettent de se distinguer parmi les autres troupes impliquées dans la conquête coloniale. C’est ainsi que ces soldats réputés lents à la manœuvre vont devenir tour à tour fantassins « portés » puis cavaliers et porter à leur crédit des succès tactiques entre la fin du XIXe siècle et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. En effet, quelques officiers de Légion, avisés et perspicaces, perçoivent le problème posé par l’emploi de l’infanterie sur le champ de bataille – dans les colonies en général, en Afrique du Nord en particulier – en raison du manque de mobilité et d’autonomie qui explique les difficultés pour exploiter l’avantage acquis par la cavalerie. Quel corps serait capable de suivre et de soutenir, le moment venu, les cavaliers ? En bref, comment associer la mobilité de la cavalerie à la solidité de l’infanterie, sinon en créant un corps d’infanterie montée ? Le théâtre nord-africain se prête à une expérience déjà tentée pendant la campagne d’Égypte en 1799 avec la mise sur pied d’un « régiment de dromadaires ». Après bien des hésitations et des tâtonnements, le commandement se résout à créer des compagnies montées qui vont rapidement se distinguer entre 1881 et la fin de la « pacification » du Maroc, en 1934. Entre-temps, le Parlement adopte une proposition de loi autorisant la création d’un régiment étranger de cavalerie qui dote la Légion d’une unité, adaptée au théâtre d’opérations méditerranéen.

LES COMPAGNIES MONTÉES (1881-1939)

La première compagnie « montée » de Légion, composée exclusivement de fantassins, est créée pendant la campagne du Mexique en février 1866. Équipée de mulets, elle constitue, pendant les derniers mois du conflit, une unité de contre-guérilla avec pour mission de couvrir les opérations d’évacuation du corps expéditionnaire français, harcelé par les Mexicains. De retour en Algérie, cette « compagnie franche » est dissoute. Quinze années plus tard, le commandement, confronté à la révolte de Sidi Bou-Amama dans le Sud-Oranais et au revers subi par la colonne du colonel Innocenti le 19 mai 1881, se penche à nouveau sur le problème de l’emploi de l’infanterie dans le type de guerre imposé par un ennemi rusé et mobile.

Afin de contraindre les dissidents à accepter le combat, il faut disposer d’une troupe capable de parcourir de longues distances en territoire hostile. Le choix de l’animal capable de transporter les hommes et les équipements se porte sur le mulet, préféré au chameau – résistant, au pas lent mais excellent coursier dans la hamada et l’erg saharien –, en raison de sa cadence très régulière. En effet, il se déplace à une allure proche de celle du pas de l’homme, soit à une vitesse moyenne comprise entre 5 et 6 km/h. Le colonel de Négrier, commandant de la Légion étrangère depuis juillet 1881, chargé de la pacification de la région de Géryville, met en place un dispositif tactique adapté au « pays de la soif ». Le groupe léger ou échelon de manœuvre, composé d’un détachement de cavalerie, d’un goum et d’une section montée, est destiné à pallier l’infériorité de la cavalerie dans les colonnes. Au sein de ce groupe, l’infanterie montée, formée d’une section de légionnaires triés sur le volet, a pour mission d’accrocher les dissidents et de les forcer à combattre. Il convient de souligner que cette unité reste avant tout une troupe d’infanterie. Cette unité se distingue par sa puissance de « marche d’infanterie », associée à celle du mulet qui assure le contact avec la cavalerie pendant les longues recherches ou poursuites qui pouvaient durer plusieurs jours. Car, selon le colonel de Négrier, « le problème n’est pas d’aller vite, c’est d’aller longtemps et loin... Nous nous battons à coups de kilomètres. Il s’agit de marcher » . Un dispositif tactique calqué sur ce modèle est adopté pour la colonne d’Aïn-Séfra avec une compagnie de 100 hommes montés sur la base d’un mulet pour deux légionnaires. Le groupe léger doit pouvoir parcourir jusqu’à 150 km en quarante-huit heures.

Dès lors, Bou-Amama perd l’avantage de la mobilité qui lui permet de bénéficier de l’effet de surprise dans une zone de relief difficile d’accès. En effet, le nouveau dispositif tactique est testé avec succès dès le printemps, après le revers subi le 26 avril 1882 par la section montée de Légion au combat du Chott-Tigri. Les légionnaires affrontent un adversaire très supérieur en nombre. Ils se comportent en cavaliers, font le coup de feu sur leurs montures, rapidement surclassées par les chevaux arabes, et subissent de lourdes pertes. Désormais les « montés » mettront pied à terre pour combattre, après avoir rempli la première de leurs missions qui consiste à chercher le contact avec l’Arabe fuyant et le plus souvent insaisissable. En 1884, le commandement décide de conserver deux compagnies montées de Légion, celle d’Aïn-Séfra au 1er régiment étranger, celle de Géryville au 2e régiment étranger. Cependant la reconnaissance officielle de ces unités tarde à venir. Quelques années plus tard, à l’issue de la campagne du Soudan, la bonne tenue de la compagnie montée – réclamée dès 1892 par le colonel Archinard – convainc le haut commandement de l’utilité de cette infanterie atypique. Une instruction du ministère de la Guerre, en date du 12 juillet 1894, donne son statut aux compagnies montées du Sud-Oranais. Toutefois, leur emploi improvisé dans le corps expéditionnaire envoyé à Madagascar se révèle contre-productif. L’adoption du système d’un mulet pour trois hommes use la monture ainsi que le cavalier et réduit sensiblement le rayon d’action de l’unité et, dès lors, son efficacité en campagne.

DES CONFINS DU SUD ALGÉRIEN AU MAROC (1900-1939)

S’enfonçant dans le Sud, les compagnies montées continuent inlassablement de soutenir la cavalerie dans les confins algéro-marocains devenus leur terre d’élection. Alors que l’occupation du Sahara, longtemps différée, reprend en 1901 avec les troupes spéciales de méharistes qui vont faire merveille contre les Touaregs , les légionnaires chargés d’escorter les convois, traversant les régions insoumises, effectuent en outre des tournées de police destinées à prévenir les incursions des tribus venues du Maroc. En effet, l’agitation reprend dans le Maroc oriental où l’autorité du sultan est ébranlée à l’annonce des accords territoriaux conclus en 1902 entre la France et l’Empire chérifien qui établissent la délimitation des frontières dans les territoires du Sud. Les Beraber, les Doui-Menia se joignent aux Oulad-Djerid pour former une harka forte de 8 000 hommes en vue de repousser les Français. Au lendemain de la première alerte de Taghit en juillet 1903, où la garnison est dégagée contre un parti de 3 000 dissidents, les compagnies montées sont sur le pied de guerre.

Deux mois plus tard, le 2 septembre, la 22e compagnie montée du 2e régiment étranger s’illustre au combat d’El-Moungar. Les 111 légionnaires, chargés d’escorter les chameaux d’un convoi de 2 000 hommes, sont surpris en terrain découvert par un millier de guerriers. Acceptant le combat, ils vont résister et repousser pendant sept heures les assauts répétés des Marocains. La pénétration au Maroc oriental se poursuit jusqu’en 1911 à partir d’Aïn-Séfra où le colonel Lyautey est chargé de soumettre les tribus les plus belliqueuses. Le commandant du territoire (militaire) décide de s’appuyer sur les deux nouvelles compagnies montées, dont une rattachée au 1er régiment étranger, créées au printemps 1904 pour assurer la défense de la nouvelle frontière. Jusqu’en 1908, les Berbères des confins algéro-marocains ne se manifestent pas en dépit de l’avancée des Français après la crise de Tanger, l’occupation de Casablanca en août 1907 et l’offensive lancée par le général Lyautey au nord-est en direction d’Oujda. La guerre éclate dans l’Atlas impénétrable, lorsque les Beraber et autres redoutables Chleuh, farouchement indépendants, se soulèvent. Ils vont opposer aux troupes françaises une longue résistance jusqu’aux dernières opérations dans l’Atlas qui s’achèvent en 1934. Quant aux légionnaires des montées, ils vont rayonner dans toute la région à partir du ksar de Bou-Denib enlevé le 14 mai 1908 aux Berbères qui est aussitôt fortifié. Il faut se préparer à affronter Moulay-Lhassen qui vient de lancer l’appel à la guerre sainte dans le Tafilalet tout proche. De surcroît, les deux régiments étrangers doivent adapter leur organisation aux opérations de pacification exigeant à la fois une mobilité accrue et une dispersion dans des postes d’où les unités rayonnent au cours de tournées de police destinées à « montrer sa force pour en éviter l’emploi », selon la formule de Lyautey. Parmi les quatre compagnies montées, celle du capitaine Rollet – surnommé familièrement « Père espadrille » – est mise à contribution en mai 1911 dans la colonne du général Gouraud, chargée de dégager Fez assiégée par les tribus révoltées contre le sultan.

Pendant la Première Guerre qui survient alors que la pénétration est loin d’être achevée, Lyautey ne peut compter que sur de maigres effectifs pour tenir le Maroc, une vingtaine de bataillons, alors qu’il avait disposé de 70 000 hommes en 1913 . Les légionnaires vont devoir monter la garde aux nouvelles frontières de l’Empire dans des missions sans éclat. Insérées dans les trois groupes mobiles de Taza, de Fez et de Bou-Denib, les compagnies montées sont de toutes les grandes opérations. Dès 1915 et jusqu’à la fin de l’année 1916, il faut réduire le soulèvement des Branès, au sud de Taza, alors que pointe une nouvelle menace au sud sur l’oued Ziz où la 2e compagnie montée se bat à l’entrée du défilé de Foum-Zabel. Le Rif n’est pas en reste ; il s’agite à l’appel d’Abd el Malek, descendant d’Abdel-Kader. La fin du conflit en Europe ne signe pas autant la fin des épreuves pour ces unités chargées de porter tout le poids de la défense des positions chèrement gagnées. En 1919, les tournées de police des montées permettent de tenir la région de la haute Moulouya. Une nouvelle page de leur courte histoire s’ouvre en 1920 lorsqu’elles participent à l’encerclement et à la pacification de la montagne rebelle.

La réorganisation comme le renforcement de la Légion étrangère accroissent sensiblement les effectifs mis à la disposition du résident général du Maroc. La création de trois régiments, les 3e et 4e régiments étrangers d’infanterie ainsi que le 1er régiment étranger de cavalerie, dont le premier escadron est créé à Saïda en décembre 1920, facilite la création de nouvelles compagnies portées. Âge d’or de la vieille Légion, les années marocaines sont aussi, pour les montées, le temps de la pacification marquée par la reprise des combats contre des tribus insoumises qui vont permettre d’améliorer la tactique ébauchée au début du siècle. Entre juin 1923 et juillet 1926, la réduction de la tache de Taza d’abord, la guerre du Rif ensuite, occupent les unités montées des trois régiments. De plus, les Chleuh du Haut-Atlas qui n’ont pas désarmé se montrent menaçants et sont prêts à s’allier aux dissidents du Tafilalet. La guerre se prolonge jusqu’en 1933 alors que la motorisation décidée par le colonel Catroux signe déjà l’arrêt de mort des montées. Toutefois, la conquête du Tafilalet permet de surseoir à la dissolution des compagnies jugées encore efficaces en montagne et dans le Grand Sud.

Cinq ans après la fin de la guerre du Rif, le quart des territoires sous protectorat français depuis 1912 échappent encore à son autorité. Les tribus dissidentes tiennent en effet le cœur de l’Atlas, le Tafilalet, le massif imposant du Sahro et l’Anti-Atlas de même que les bordures sahariennes. Le contrôle par la troupe des accès de la montagne n’empêche pas les razzias au cours des incursions périodiques des bandes. L’encerclement du Grand Atlas est minutieusement préparé par une série d’opérations lancées entre juillet 1931 et janvier 1932 qui achèvent la réduction complète du Tafilalet. La compagnie du 3e Étranger du groupe des confins, aux ordres du général Giraud, se déploie à partir de Bou-Denib pour effectuer de longues reconnaissances sur la hammada du Guir, tandis que les autres fantassins de la Légion du groupe mobile de Marrakech, sous le commandement du général Catroux, se lancent à l’assaut du massif derrière les goumiers et les partisans afin d’économiser le sang des troupes régulières. Après le revers subi lors de l’assaut donné le 28 février 1933 au massif du Bou Gafer, les légionnaires de la 1re montée du 2e Étranger sont à nouveau en première ligne, le 9 août, au violent combat du djebel Kerdous qui clôt la campagne. La soumission de l’Anti-Atlas en 1934 et le rétablissement de la paix au Maroc marginalisent cette infanterie montée sur mulet alors même que la motorisation est en marche, assurant une plus grande mobilité et une autonomie dans la manœuvre. Leur histoire s’achève en 1950 avec la dissolution dans l’indifférence générale – si l’on fait exception des « anciens » – des deux dernières montées devenues mixtes pendant la Seconde Guerre mondiale. La motorisation des régiments d’infanterie de la Légion commencée en 1944 avec le programme de réarmement, décidé à la conférence de Casablanca le 24 janvier 1943, est désormais achevée.

LE 1ER RÉGIMENT ÉTRANGER DE CAVALERIE (1920-1939)

La conduite exemplaire des régiments étrangers dans la Grande Guerre, notamment le rôle modérateur du régiment de marche de Légion étrangère (RMLE), stationné à Mourmelon pendant les mutineries de mai et juin 1917, impressionne ses détracteurs de la veille. On doit au général Mordacq, alors chef de cabinet de Georges Clemenceau, la proposition de renforcement notable de la Légion. Le projet de loi, portant création d’armes spéciales dans les divisions de Légion étrangère envisagées comme « noyau de l’armée nouvelle », est appuyé par Lyautey, confronté au défi de la pacification dans un Maroc en ébullition. Le parlement amende le projet de loi ambitieux pour ne retenir que la création du seul 1er régiment étranger de cavalerie, écartant ainsi l’idée d’une division de Légion étrangère disposant des quatre armes, soit l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie et le génie. Le légionnaire, enfin signalé comme fantassin digne d’intérêt, doit le prouver, parmi les engagés volontaires qui se pressent dans les bureaux de recrutement depuis la fin du conflit mondial. L’armée Wrangel, repliée sur Constantinople, va fournir des contingents d’anciens combattants « blancs » sans emploi. Mais l’épisode de la révolte des trois brigades russes du camp de la Courtine, en septembre 1917, comme la conduite pour le moins douteuse des membres de la Légion des volontaires russes – peu motivés et surtout marqués par les actes d’indiscipline et les mutineries –, est encore dans toutes les mémoires. Aussi Paris hésite-t-il à accepter dans les rangs de la Légion des Russes, dont la loyauté ne serait pas assurée. Entre le 1er novembre 1920 et le 1er avril 1922, le renfort inattendu de 2 437 rescapés de l’armée Wrangel qui contractent un engagement rend possible la mise sur pied rapide à effectif complet du régiment de cavalerie à cheval prévu par l’état-major. Le général Niessel, commandant le 19e corps à Alger, va même jusqu’à évoquer la menace d’une recrudescence des désertions.

Les régiments étrangers d’infanterie fournissent les futurs cavaliers des quatre premiers escadrons qui prennent garnison à Sousse entre octobre 1920 et janvier 1923. La nouvelle unité de cavalerie légère et de reconnaissance en garnison à Sousse fait partie de la brigade de cavalerie de la division d’occupation de la Tunisie. Sa mission principale est identique à celle qui est dévolue aux compagnies montées du Maroc : assurer le maintien de l’ordre. Bien que le rôle de la cavalerie soit remis en question par l’état-major – alors même que de nombreux régiments sont transformés en unités-cadres sans emploi –, le maintien du 1er REC constitue une exception. S’il est vrai que cette arme de rupture et de poursuite, chargée d’éclairer, de reconnaître, de combattre et d’exploiter, a été marginalisée pendant et par la guerre de position entre septembre 1914 et la rupture de 1918, il n’en demeure pas moins qu’elle peut encore rendre des services sur les théâtres d’opérations extérieures. La cavalerie à cheval permet les reconnaissances profondes avant que l’utilisation de l’avion d’observation ne rende obsolète outre-mer son emploi comme arme stratégique. Cependant, malgré ses handicaps, l’arme s’intègre dans les groupes mobiles qui s’appuient sur le réseau de postes bien approvisionnés en fourrage, équipements et autres munitions.

LE TEMPS DES DERNIÈRES CHEVAUCHÉES

Le cheval, concurrencé par le chameau et le mulet, rend des services appréciables dans la dernière phase de la pacification de l’Afrique du Nord aux confins du désert et dans les massifs montagneux où sa mobilité lui permet de se déplacer sur tous terrains. Mais la liberté d’action du cavalier souffre des conditions de son rôle au sein des dispositifs car il lui est difficile d’opérer en troupe autonome. Les instructions tactiques prescrivent la liaison intime avec les autres armes afin de conclure par un combat « classique » d’infanterie, auquel le cavalier légionnaire participe en s’accrochant au terrain. Mais la cavalerie peut aussi enlever la décision au cours de charges brutales comme ce fut le cas à plusieurs reprises au Maroc et en Syrie. La rapidité d’action, permettant l’effet de surprise en montagne, explique le maintien d’escadrons à cheval dans l’entre-deux-guerres. Le 3e escadron reçoit le baptême du feu dans le Rif en juillet 1925, avant d’illustrer, le 30 septembre, à la prise d’une mechta située près d’Ain-Ouekara, la supériorité de la cavalerie en terrain découvert. Le peloton du lieutenant Solomirsky charge au grand galop, saute à terre avant que les Rifains prennent la fuite.

Au Levant, la révolte druze qui couve depuis la défaite en 1920 de l’émir Fayçal contraint le haut commandant à envoyer des renforts à Beyrouth. Les victoires d’Abd el Krim sur les Espagnols d’abord, sur Lyautey ensuite entre avril et juin 1925, sont autant d’encouragements pour les partisans d’un soulèvement nationaliste dans le monde arabe. Le 4e escadron est dépêché en Syrie après le massacre de la colonne Marchand, le 18 juillet 1925. Débarqués le 20 août, les 160 légionnaires sont aussitôt dirigés sur le djebel druze, avant de se joindre à la colonne du général Gamelin qui a décidé de fixer des unités dans le village de Messifré en vue de dégager la garnison assiégée de Soueïda. Le 17 septembre, l’escadron résiste aux assauts de milliers de cavaliers fanatiques, avant d’être secouru par des renforts venus de Chalalé. Deux mois plus tard, du 20 au 24 novembre, à Rachaya dans l’ancien château fort, construit par les croisés, aménagé en citadelle aux côtés du 1er escadron du 12e Spahis et d’une centaine de gendarmes libanais, les légionnaires réussissent à repousser avec succès les Druzes. Ces combats d’infanterie sont menés dans la grande tradition de la Légion mais ils ne peuvent entièrement satisfaire des cavaliers. Le Maroc leur offre bientôt l’occasion de se lancer dans les grandes chevauchées dont ils ont été privés.

Pendant la campagne du Maroc, la coopération et la liaison entre les unités à cheval et les éléments motorisés deviennent la règle. Les formations automobiles poussent en avant en terrain découvert, quand les cavaliers montés ouvrent le chemin en terrain couvert ou coupé. Compagnies montées de Légion et escadrons du REC participent parfois en liaison au sein des colonnes marocaines entre 1930 et 1934. Ainsi, dans le sous-groupement Suffren qui opère dans le Sud en janvier 1932, les 3e et 4e escadrons sont engagés au côté de deux compagnies montées. En février 1932, au cours d’un raid dans l’Anti-Atlas, la bonne articulation entre les 4e et 5e escadrons motorisés du 1er REC et les unités à cheval permet d’emporter les positions réputées inexpugnables d’Icht et d’Akka. Les cavaliers opèrent habituellement en flanc-garde en restant à bonne distance des citernes du REC : la combinaison des unités décuple les possibilités de manœuvre en augmentant le rayon d’action ainsi que la mobilité des colonnes enfoncées dans ces contrées désolées.

Mais le grand défi, dans les années 1930, porte sur le problème posé par la transformation des escadrons. En effet, le 1er REC joue un rôle précurseur dans la motorisation de la cavalerie de l’armée d’Afrique. L’expérience marocaine a convaincu le haut commandement de l’urgence et de l’utilité de disposer d’un matériel moderne pour agir en toutes circonstances. Les demi-mesures qui ont prévalu pendant la dernière phase de la pacification du Maroc ont démontré l’obsolescence de procédés tactiques hérités des guerres coloniales. Mais le Maroc a aussi servi de ban d’essai. Le 5e escadron, dès 1933, expérimente en opération des camions blindés tous terrains Panhard, pour la première fois dans l’armée française. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le parc disparate des blindés comprend les automitrailleuses de découverte White-Laffly, ainsi dénommées parce montées sur deux types châssis américains construits sous licence par Renault, et des voitures blindées de prise de contact Berliet équipées de quatre roues motrices fort utiles dans le « bled ». Avec des moyens réduits le 1er REC se prépare, avec le 2e régiment étranger de cavalerie, à une longue et inattendue veillée d’armes, avant de participer en 1944 à la libération de la France.

CONCLUSION

La filiation entre les compagnies montées et les escadrons de cavalerie de la Légion traduit la capacité d’adaptation de ce corps, reconnu en tant que subdivision d’arme en 1928 dotée d’une inspection confiée au général Rollet. Si le mulet – le fameux et familier « brèle » du légionnaire – gagne ses lettres de noblesse, les montées peuvent s’enorgueillir d’avoir été le fer de lance de la pénétration française dans l’Atlas et les régions du Sud marocain. L’introduction du moteur entraîne leur transformation en compagnies montées motorisées avant de devenir les célèbres compagnies portées de l’après-Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, la cavalerie connaît la même évolution en devenant une arme blindée. Désormais la Légion étrangère, à défaut de se constituer en division ou grande unité, dispose d’une infanterie motorisée capable de soutenir les blindés. En 1939, alors que se dessine une organisation et une doctrine d’emploi de l’infanterie portée et de la cavalerie blindée, la modernisation de la vieille Légion est en marche.

Notes

[1]

André-Paul Comor, La tradition du recrutement étranger : un long débat entre pouvoir politique et haut commandement, Mélanges offerts à Jean-Claude Allain réunis par Jean-Marc Delaunay, à paraître.

[2]

Bureau d’information et historique de la Légion étrangère (BIHLE), Journaux de marche des régiments étrangers et des compagnies (1866-1950).

[3]

Texte adopté le 20 mai 1920 par les députés et le 30 juillet au Sénat. Cf. BO, no 210-1922 du 5 août 1920.

[4]

Jean-Charles Jauffret, Georges Gugliotta, Les compagnies montées de la Légion étrangère, mémoire de maîtrise sous la direction du Pr Pierre Guiral, Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, 1972, p. 24-26. La seule étude complète sur le sujet.

[5]

Ibid., p. 29.

[6]

Pierre Denis, L’évolution des troupes sahariennes française, thèse, Rennes, 1969.

[7]

Les articles 4 à 7 du traité de Lalla Marnia du 18 mars 1845 concernent la question de la frontière du Sud. L’article 4 stipule que, « dans le Sahara (désert), il n’y a pas de limite territoriale à établir entre les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu’elle sert seulement de pacage aux Arabes des deux empires qui viennent y camper, pour y trouver les pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires ».

[8]

Le deuxième combat d’El Moungar ou Camerone des sables conduit le commandement à renoncer à l’emploi de l’infanterie portée dans les escortes de convoi alors même que la pacification est loin d’être achevée.

[9]

Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc (1912-1925), Paris, 1988 ; Robert Ageron, « La politique berbère du protectorat marocain de 1913 à 1934 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1971, p. 50-90.

[10]

Jean Ganiage, Histoire contemporaine du Maghreb de 1830 à 1962, Paris, 1994, p. 399.

[11]

De même, en Syrie les 4e et 5e bataillons du 4e Étranger arrivés en 1921 se dotent d’une compagnie montée installée à Deir-ez-Zor et chargée d’effectuer des tournées de police à la frontière entre la Syrie et l’Irak.

[12]

Le lieutenant Fernand Gambiez, de la 2e compagnie montée du 2e régiment étranger, est chargé de préparer la motorisation de l’unité au courant dans le mois de mars 1930.

[13]

Le même jour, le capitaine Bournazel, l’invulnérable homme rouge, est mortellement blessé au cours de l’attaque d’un piton du massif du Bou Gafer.

[14]

Jacques Vernet (chef de bataillon), Le réarmement et la réorganisation de l’armée de terre (1943-1946), Château de Vincennes, 1980, p. 20.

[15]

J.-H. Mordacq, Souvenirs d’un témoin : le ministère Clemenceau, t. 3, Paris, 1931, p. 239-330.

[16]

Jean-Charles Jauffret, L’idée d’une division de Légion étrangère et le premier régiment étranger de cavalerie, 1836-1940, thèse pour le doctorat de troisième cycle sous la direction du Pr André Martel, Université Paul-Valéry - Montpellier III, 1978, p. 69-78.

[17]

Michel Boyer, Les Russes au service de la France : 1914-1921. Des brigades russes au recrutement russe de la Légion étrangère, mémoire de DEA, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 1997, p. 83-123.

[18]

Douglas Porch, La Légion étrangère, 1831-1962, Paris, 1994, p. 457. Le colonel Rollet lui-même s’inquiète des conséquences de l’appel à des cadres d’autres armes sur la cohésion de la Légion.

[19]

Le général Mordacq réagit vivement à la campagne menée par des parlementaires en 1919 contre la cavalerie, en faisant valoir qu’elle peut encore remplir des missions de reconnaissance, poursuivre et effectuer des raids à l’intérieur des lignes ennemies. Ce combat d’arrière-garde n’empêche pas les dissolutions d’unités et l’adoption du nouveau règlement de 1921-1923.

[20]

BIHLE, ALE, Journal de marches et d’opérations des 5e et 6e escadrons.

[21]

BIHLE, ALE, Journal de marches et d’opérations du 5e escadron.

Résumé

Français

La Légion a réussi à relever les défis qui ont mis en péril son existence dès sa création. L’adaptation aux formes nouvelles de la guerre dans les différents théâtres d’opérations explique sa pérennité. Ainsi, en Afrique du Nord, sa terre d’élection, ses officiers, jouissant d’une liberté d’action que leurs camarades des troupes métropolitaines leur enviaient, innovent en expérimentation un dispositif tactique inédit. Les compagnies montées dotées de mulets vont dans les confins algéro-marocains et dans la pénétration au Maroc jouer le rôle de fer de lance des colonnes et des groupes mobiles. En reconnaissance des services rendus pendant la Grande Guerre, la Légion est dotée d’un régiment de cavalerie à cheval rapidement motorisé puis blindé. Complémentaires, l’organisation et la doctrine d’emploi des compagnies montées et du 1er REC préfigurent celles de l’armée française après 1942.

Plan de l'article

  1. LES COMPAGNIES MONTÉES (1881-1939)
  2. DES CONFINS DU SUD ALGÉRIEN AU MAROC (1900-1939)
  3. LE 1ER RÉGIMENT ÉTRANGER DE CAVALERIE (1920-1939)
  4. LE TEMPS DES DERNIÈRES CHEVAUCHÉES
  5. CONCLUSION

Pour citer cet article

Comor André-Paul, « Aux origines de l'infanterie portée et de la cavalerie blindée : les compagnies montées et la cavalerie de la légion étrangère en Afrique du nord (1881-1939) », Guerres mondiales et conflits contemporains 1/ 2007 (n° 225), p. 37-45
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2007-1-page-37.htm.
DOI : 10.3917/gmcc.225.0037


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