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La pièce de pierre la plus triste et émouvante du monde...

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samedi 27 avril 2013

 

Je n’ai jamais mis les pieds en suisse. Je n’aime pas assez le chocolat et je n’ai pas suffisamment de liquidités pour songer aller en mettre à gauche alors que j’en manque déjà au milieu ; mais j’aime bien la Suisse, va savoir pourquoi. A cause de sa tradition historique de neutralité politique et miliaire, succédant à sa fondation par le plus celte des peuples celtes, les Helvètes ; à cause de son image stéréotypée de lenteur ; à cause de son caractère multilingue ; à cause du choix d’avoir fait de ce territoire une Confédération (étymologiquement, un « serment devant dieu de compagnons de même rang ») plutôt que de proroger les liens de dépendance féodaux en vigueur sur tout le reste du continent ; à cause de la propension de ce pays à livrer des prix Nobel ; à cause de Guillaume Tell, de la viande des Grisons et du fromage à Raclette, du fait que le Tir y soit un sport national, à cause de Blaise Cendrars, de ses soldats mercenaires émérites… et de la sculpture du Lion de Lucerne.

Les mercenaires Suisses, ça ne date pas d’hier. A partir du XVème siècle, les voilà a sillonner l’Europe à la demande des plus grands chefs d’états, qui leur confient l’instruction de leurs troupes. Charles VIII crée le premier la Compagnie des Cents Suisses, première unité permanente au service d'un souverain étranger : bon, au départ, c’est plus par orgueil et goût de la démesure, cette compagnie étant davantage un corps de parade plutôt que militaire ; mais ça sonne le départ d’une tradition française suivant laquelle, à partir de là, le roi s’entourera de suisses pour assurer sa protection personnelle. C’est à la fois un moyen de s’assurer de l’incorruptibilité de la garde royale - son expatriation l’éloignant de possibles collusions politiques, personnelles ou morales aux possibles révoltes ou coups d’état – comme de compter sur un professionnalisme exemplaire, une fidélité sans faille, et enfin, une technicité militaire parmi les plus réputées du continent. On dit d’eux que les mercenaires suisses « ont la qualité des gens de guerre ». De fait, une sorte d’accord bilatéral unit la France à la Suisse sur ce mode simple : tandis que le petit pays fournit ses meilleurs soldats pour assurer la protection du Roi du grand, le grand assure de tout son pouvoir politique et militaire la sécurité globale du petit.

A la fin, Louis XIII créé définitivement le corps des « Gardes Suisses », mettant officiellement fin à la tradition du mercenariat. En temps de paix, la fonction principale de ce régiment est d'assurer la garde intérieure du palais, veillant jour et nuit sur la personne du roi, l'accompagnant dans tous ses déplacements. Dépositaires des Sceaux du Roi et gardiens des Joyaux de la Couronne de France, ils forment dès lors le deuxième corps permanent étranger, les Gardes du Corps incluant une compagnie écossaise depuis Charles VII (le roi de Jeanne d’Arc, qui entérinera ainsi « l’Auld Alliance » de 882 passée entre la cour d’Ecosse et Charles III). Les Gardes Suisses demeurent cependant un régiment d'infanterie qui combat en première ligne. Logé chez l'habitant, ce corps d'élite maintient une réputation de discipline et une régularité du service, en temps de paix comme à la guerre.

C’est avec Louis XIV que le régiment Suisse se met à prendre une véritable ampleur : à l’insu des cantons suisses, de nombreuses compagnies franches qui coûtent moins cher sont levées en masse jusqu’à la fin de son règne où le calme politique de la période, exempte de tout soulèvement armé d'importance, ne rend plus nécessaire le maintien d'une garde personnelle pléthorique n'ayant quasiment plus qu'un rôle cérémoniel.

Le XVIIIè siècle verra donc la fusion des Gardes Suisses avec les Gardes Françaises pour former une brigade en charge de la « garde extérieure ». À partir des années 1770, les Suisses sont même employés pour diverses travaux tels que l’assèchement des marais entourant Rochefort.
Lors de la révolution, alors que les Gardes Françaises prennent le parti du peuple et participent aux évènements révolutionnaires, la maison militaire du roi de France est supprimée… à l'exception des gardes suisses.

C’est ici que se joue le plus célèbre épisode de l'histoire de la Garde suisse, qui prend la défense du palais des Tuileries au cours de la journée du 10 août 1792 : ce jour-là, outre quelques aristocrates et quelques domestiques du palais mal armés et un certain nombre de membres de la Garde Nationale, le palais est protégé par 950 gardes suisses. Seule une compagnie de 300 hommes est restée dans sa caserne pour escorter un convoi de grains en Normandie, peu de jours auparavant. L’ironie de l’histoire veut que ces 950 hommes défendent cependant un palais vide, puisque le roi, qui avait été contraint de déménager de Versailles pour s’y réfugier avec sa famille en 1789, s’en est enfui en secret dès juin 1791 pour tenter de rejoindre Montmédy.

Ce fameux 10 août 1792, les révolutionnaires prennent donc d'assaut le palais. Des combats éclatent spontanément après que la famille royale ait été exfiltrée des Tuileries pour se réfugier avec l'Assemblée nationale législative.

Les gardes suisses, à court de munitions, sont débordés par des adversaires en nombre supérieur. Une note écrite par le roi, qui a été retrouvée, ordonnait cependant aux gardes suisses de se retirer et de retourner dans leurs casernes, mais ceci fut seulement pris en compte après que leur position fut devenue intenable.

Le corps principal des Gardes suisses bat en retraite à travers le palais et se retire à travers les jardins à l'arrière de l'édifice. À ce moment-là, ils sont dépassés en nombre, près de la fontaine centrale, morcelés en petits groupes et taillés en pièces. Les Gardes restés dans le Palais sont pourchassés et tués, de même qu'un certain nombre de domestiques et courtisans ne pouvant se mêler à la foule. Des 950 Gardes suisses présents aux Tuileries, environ 600 sont tués au combat, ou en tentant de se rendre aux attaquants. Environ 60 sont faits prisonniers à l'Hôtel de Ville et sont massacrés là-bas, d'autres meurent en prison des suites de leurs blessures ou sont tués durant les massacres de Septembre qui s'ensuivent.

Une centaine de Gardes aurait survécu ; l’un des officiers supérieurs est toutefois jugé, mais il est guillotiné en septembre avec son uniforme rouge. Deux officiers suisses survivent et par la suite parviennent à devenir des officiers supérieurs des armées napoléoniennes, tandis que quatre régiments d'infanterie suisse sont employés par Napoléon Ier, à la fois en Espagne et en Russie.

 

Sous la Restauration, les Bourbons font finalement à nouveau appel à des troupes suisses : deux des huit régiments d'infanterie inclus dans la Garde Royale de 1815 à 1830 sont formés et peuvent être considérés comme les successeurs des anciens Gardes suisses. Mais cette fois, lorsque le palais des Tuileries est envahi lors des Trois Glorieuses, les régiments suisses, craignant un autre massacre, ne seront pas utilisés.

L'initiative de créer un monument au titre de Mémorial de cette journée fatale du 10 août est prise par Karl Pfyffer von Altishofen, un officier des gardes qui se trouvait en congé à Lucerne à l'époque des événements. Il commence à recueillir de l'argent en 1818 et finit par engager le sculpteur danois Bertel Thorvaldsen pour donner corps à un projet : de courant néoclassique, ce formidable artiste se distingue de ses contemporains par une technique extrêmement réaliste basée sur l’exploitation rigoureuse des Canons de beautés antiques Grecs, avec des éléments de mise en avant de leurs caractéristiques principales - musculature puissante et développée, grande taille et droiture des corps - qui lui ont valu de s’illustrer en Italie durant seize années consécutives.

Thorvaldsen confiera finalement la taille de son projet de « lion » au sculpteur allemand Lukas Ahorn, qui en exécutera la taille monumentale - il mesure dix mètres de long sur six mètres de haut - entre 1820 et 1821, à même la roche de la falaise d'une ancienne carrière de grès près de Lucerne. Le « Lion de Lucerne » est né. Le monument porte une dédicace latine, Helvetiorum Fidei ac Virtuti (À la loyauté et à la bravoure des Suisses) : un lion mourant y est présenté empalé par une lance, couvrant un bouclier portant la fleur de lys de la monarchie française ; un autre bouclier à côté de lui porte les armoiries de la Suisse. Une inscription sous la sculpture répertorie enfin les noms des officiers et le nombre approximatif des soldats morts (DCCLX, soit 760) et survivants (CCCL, soit 350).
Les unités suisses seront définitivement supprimées le 11 août 1830 ; les derniers vétérans de ces régiments dissous intègreront la légion de Hohenlole, assignée à la Légion Etrangère qui sert alors, en 1832, en Algérie.

Traduction

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