2015
50 ans d'Opex en Afrique
Histoire d'un légionnaire au Maroc - 1912
La Légion Etrangère en Extrême-Orient (1883-1897)
De nos jours, huit emblèmes de formations étrangères au service de la France arborent la mention "Extrême-Orient" ou "Indochine". En particulier, celui du 5e REI, le "vieux régiment du Tonkin", porte sur sa soie les inscriptions "Camerone 1863", "Sontay 1883", "Bac Ninh 1884", "Tuyen Quang 1885", "Lang Son 1885", "Indochine 1945-1946 et 1950-1954". Ces noms de batailles ou de campagnes attestent le rôle primordial tenu par la Légion Etrangère dans les combats livrés par l'Armée Française sur la terre d'Asie.
Sans s'apesantir sur la description des affrontements, les pages qui suivent se proposent de décrire l'existence des soldats étrangers dans la péninsule.
La Conquête
Le 19 mai 1883, la mort du capitaine de frégate Henri Rivière au combat du pont de Papier près de Hanoï place les troupes françaises du Tonkin dans une position délicate. Dans un élan patriotique, la Chambre des Députés vote un crédit de 5.500.000 francs et ordonne l'envoi de 3.000 hommes "afin de venger ses glorieux enfants".
Parmi les unités ainsi dépêchées au Tonkin figurent quatre bataillons de Légion qui vont s'illustrer lors de la conquête de ce territoire. Quittent tout d'abord l'Algérie :
- le 1er Bataillon de Légion Etrangère (1er BLE) du chef de bataillon Donnier embarqué le 27 septembre 1883 sur le "Tonkin" et débarqué en Baie d'Along le 8 novembre suivant. Il constitue avec deux bataillons des 1er et 3ème Tirailleurs Algériens un régiment de marche.
- le 2e BLE du chef de bataillon Hutin embarqué les 27 et 30 novembre 1883 à bord de l'"Européen" et du "Châlons". Le premier navire touche les rivages tonkinois le 8 février et le second le 25 du même mois.
Désormais, avec deux interruptions de 1914 à 1920 et de 1941 à 1946, la noria des renforts légionnaires va fonctionner entre l'Algérie et le Tonkin jusqu'en 1955. Les 1.400 soldats étrangers composant les deux premières unités envoyées en Asie sont contents d'aller se battre dans un pays qui va les changer des arides djebels du Sud Oranais et correspond à leur avide désir d'aventures guerrières. Ils sont armés du fusil modèle 1874 et dotés de la tenue de campagne avec un képi à couvre-nuque et un casque insolaire. Ils portent au cou les fameuses cartouchières Négrier avec 14 paquets de munitions. Leurs chevaux de dotation sont embarqués avec eux. La traversée est longue et monotone car les militaires du rang ne sont pas autorisés à descendre aux escales et sont soumis à un service à bord rigoureux, à base de rassemblements, inspections, théories, maniements d'armes et même classes à pied sur le pont du bateau. Inaugurant une tradition qui va se perpétuer, à Port Saïd cinq Russes surnommés "les mangeurs de chandelles" désertent.
A l'escale de Singapour, les hommes accoutumés à l'Afrique comprennent qu'ils entrent dans un autre monde en voyant des nuées d'Asiatiques ravitaillant le paquebot en charbon. Haïphong les déçoit car cette petite bande de terre concédée à la France en 1874 ne comporte que quelques bâtiments. Les soldats du 1er BLE remarquent surtout "le cimetière édifié sur une digue très basse et proche de la rizière, emplacement qui occasionne la remontée des cercueils lors de la hausse de la nappe phréatique".
Le voyage d'Haïphong à Hanoï s'effectue par la Canal des Bambous à bord de canonnières ou de chalands traînés en remorque par une chaloupe remplie de Tonkinois. Les légionnaires sont très étonnés par les dents laquées et les chignons de ces autochtones et aussi par le fait que leur sexe n'est pas apparent à première vue. Ils engagent des paris à ce sujet et, afin d'empocher éventuellement la mise, vont constater "manuellement" la féminité ou la masculinité de l'objet de l'enjeu. Habitués à la sécheresse algérienne, les nouveaux débarqués contemplent avec stupéfaction les rizières, les cocotiers, les villages abrités derrière les haies de bambou. "Le paysage est peuplé de myriades d'êtres humains tous semblables, actifs, silencieux, voûtés sur la terre, en essaim d'insectes".
Hanoï leur semble une jolie ville, surtout la cité chinoise. Cantonnés à la citadelle et percevant une prime quotidienne de 20 centimes, ils sont nourris "d'une manière aussi variée que copieuse". Seuls, les chevaux arabes refusent de manger du paddy. Les premières sorties en ville se traduisent par un très vif engouement pour la cuisine locale et aussi par une abondante consommation d'alcool de riz qui ne vaut que 33 centimes le litre. Aussi quelques soldats étrangers doivent être ramenés ligotés à la citadelle par des patrouilles de marsouins.
A cette lointaine époque, les Alsaciens-Lorrains composent 45% des effectifs des corps étrangers. Les originaires des provinces perdues, très patriotes, sont fiers de porter les armes pour la France "même si le Tonkin est très loin de la ligne bleue des Vosges". Toutefois, leur ardeur à servir est tempérée par la rudesse, voire la brutalité, de leurs gradés. Ainsi l'un d'eux s'entend répondre par un sergent : "Si tu n'es pas content de trouver des asticots dans ta gamelle, tu n'as qu'à t'engager à la légion hollandaise ou chez Ménélik (1)". En outre, les Alsaciens-Lorrains acceptent mal d'être placés sous les ordres d'Allemands, à qui ils cherchent querelle lorsque ceux-ci entonnent des chansons d'outre-Rhin. L'encadrement des quatre premiers BLE envoyés en Asie est surtout formé d'officiers, de sous-officiers et de caporaux provenant des régiments de tirailleurs ou des bataillons d'Afrique ainsi que des garnisons métropolitaines et n'ayant donc aucune connaissance du milieu légionnaire.
En décembre 1883, l'état-major du Corps Expéditionnaire "dérangé" par les "débordements" des légionnaires à Hanoï les envoie au combat munis de quatre jours de biscuits, de 144 cartouches et d'un casque en liège insolaire recouvert d'une étoffe brune. Ils prennent la route de Sontay, ville tenue par 25.000 réguliers chinois ou Pavillons Noirs. Le 15 décembre 1883, l'assaut est donné et le légionnaire Minnaërt (2) plante le drapeau français sur la muraille de la citadelle, où il entre en même temps que le commandant des fusiliers-marins. La Légion déplore dix tués dont le capitaine adjudant-major Melh, premier officier de la Légion tombé en Indochine. Les soldats étrangers récupèrent trois étendards noirs flottant sur la citadelle, ce qui fait dire à l'un d'eux : "Ils ont étendu leur lessive". En outre, ils s'emparent de nombreux trophées ; le soir de leur entrée dans la ville, ils dansent déguisés en mandarins. Ils ont été surpris par le courage de leurs adversaires, mais horrifiés par les mutilations que ces derniers ont fait subir à leurs camarades blessés. Dès lors, ils se livrent à des représailles sur les captifs. La présence des 800 auxiliaires tonkinois du chef de batailon Berteaux-Levilain entraîne tout d'abord les sarcasmes des rudes légionnaires étonnés par leur aspect exotique et assez peu guerrier. Ce sentiment évolue rapidement étant donné l'ardeur au combat manifestée par les Asiatiques.
Le 2e BLE arrive en février 1884 en compagnie du général de Négrier. Ce dernier, qui a commandé la Légion en Algérie, jouit dans le corps d'un très grand prestige. Un légionnaire écrit à ce sujet : "Nous étions sa Légion, il comptait sur nous, nous allions lui prouver que nous étions dignes de sa confiance et de son estime". En 1884, de Négrier déclare aux Etrangers lors de l'embarquement du 3e BLE : "Vous autres légionnaires, vous êtes soldats pour mourir, je vous envoie où l'on meurt". Sous ses ordres, le corps va s'illustrer. Les 1er et 2e BLE devant prendre Bac Ninh, le général de Négrier dit alors au lieutenant-colonel Duchesne du 1er Etranger : "A la Légion, l'honneur d'entrer dans Bac Ninh". Les Etrangers prennent successivement Dap Cau puis le 12 mars 1884 la citadelle. Le légionnaire Minnaërt, encore lui, pénètre le premier dans la forteresse. Plus tard, la Légion avançant vers Phu Lang Thuong est arrêtée, car elle ne dispose pas de sampans pour franchir le Fleuve Rouge. Le tirailleur tonkinois Quan Nhan plonge et va récupérer avec ses camarades trois embarcations sur la rive opposée distante de 100 mètres. Au cours de ces opérations, chaque unité étrangère est accompagnée de 200 coolies dont 8 brancardiers.
Le 1er juin 1884, deux compagnies du 1er BLE vont occuper Tuyen Quang sur la Rivière Claire. L'avance de cette colonne est ponctuée de nombreux cas d'insolation car "tout homme qui ôte son casque deux minutes tombe foudroyé". Les fièvres du pays sont terribles et souvent mortelles. En outre, les corps vêtus d'effets de drap sont couverts de bourbouille et de dartres annamites bien que chaque homme ait perçu un éventail en papier. La petite garnison sous les ordres du chef de bataillon Dominé du 2e Bataillon d'Afrique comprend les 5e et 2e compagnies du 1er BLE (capitaines de Borelli et Moulinay), ces deux formations étant placées sous l'autorité du capitaine Cattelin, et la 8e compagnie du 1er Régiment de Tirailleurs Tonkinois commandée par le capitaine Dia. La canonnière "La Mitrailleuse", la 1re section et la 2e Batterie bis d'Artillerie de Marine, 8 sapeurs du 4e Génie, 11 infirmiers et ouvriers de la 15e section soutiennent les légionnaires et les tirailleurs tonkinois. Ces derniers sont rejoints par leurs épouses et leurs enfants venus sans autorisation le 23 décembre alors que la position est sur le point d'être encerclée.
Du 23 janvier au 3 mars, la garnison défend la citadelle contre les assauts de 20.000 réguliers chinois et Pavillons Noirs. A diverses reprises, les hommes du capitaine Cattelin sont impressionnés par le courage de leurs frères d'armes asiatiques.. Ainsi des tirailleurs se joignent aux 25 légionnaires tireurs d'élite qui abattent les Chinois comme "au tir à la foire", les coups réussis étant signalés, du moins au début du siège, par une allègre sonnerie de clairon : "le Rigodon". Le capitaine Dia est d'ailleurs tué d'une balle au front au cours d'une opération de ce type. De même, les combattants du 1er BLE commentent favorablement la conduite de Pierre, l'interprète chinois du commandant Dominé, atteint mortellement par un obus en circulant dans la citadelle. Egalement, à plusieurs reprises, un caporal tonkinois se dévoue pour porter des messages en se laissant descendre au fil du courant de la Rivière Claire. Revenu à son unité, il repart le 21 février avec une lettre demandant des renforts, car "bientôt les forces et la santé de mes hommes pourraient trouver leur terme" écrit le chef de la place.
Le 16 février, la colonne de secours du colonel Giovanninelli s'est déjà mise en route. Elle comprend entre autres unités une compagnie et demie du 1er BLE qui l'a rejointe à Phu Doan. Après un très dur combat le 2 mars 1885 à Hoa Moc, qui coûte aux Français 27 officiers et 600 hommes tués ou blessés, la citadelle de Tuyen Quang est libérée le lendemain. Pratiquement, "à un moment ou à un autre, tous ses défenseurs ont été touchés, éraflés, brûlés ou commotionnés. Sur 390 légionnaires, 32 sont morts et 126 blessés ; seuls 180 sont encore en état de combattre". Ce fait d'armes est resté l'un des plus éclatants de la Légion. Le capitaine de Borelli écrit peu après un émouvant poème : "A mes légionnaires qui sont morts".
Alors que Tuyen Quang est encerclé, les autres formations étrangères ne sont pas restées inactives. Le 3e BLE du chef de bataillon Schaeffer est arrivé au Tonkin en janvier 1885. Il forme avec le 2e BLE du commandant Diguet et le 2e Bataillon d'Afrique, le 4e Régiment de Marche de la 2e Brigade sous les ordres du général de Négrier. Cette dernière doit agir contre l'armée chinoise du Kouang Si occupant la région de Lang Son. La ville est atteinte le 13 février, le 2ème BLE en tête de la colonne va cantonner dans la citadelle. Les deux bataillons étrangers marchent ensuite sur Dong Dang "porte de la Chine". Celle-ci est atteinte par la 4e Compagnie du 2e BLE qui dynamite le monument le 7 mars (3). Le 3e BLE quant à lui prend part le 23 mars à l'attaque des cinq forts de Bang Bô en territoire chinois. Un légionnaire qui signe Bon Mat écrit alors que "les soldats étrangers trouvent normal d'envahir la Chine avec 3.000 hommes car de Négrier les accompagne". Toutefois, les Français se heurtent à de tels obstacles qu'ils sont contraints de revenir à Lang Son sous la protection des légionnaires qui à plusieurs reprises doivent contre-attaquer à la baïonnette pour sauver la situation.
Le 28 mars, les deux BLE défendent Ky Lua contre des "nuées de Chinois", puis retraitent en bon ordre. Cependant, en traversant Lang Son, quelques étrangers ne peuvent résister à la tentation de se désaltérer avec des barils de vin et de tafia abandonnés par le Commissariat de la Marine. Le lieutenant-colonel Herbinger, qui a succédé à la tête de la 2e Brigade à de Négrier, rétorque que "15 à 20 de ses hommes se sont certes saoulés, mais qu'en tout état de cause, les responsables auraient dû briser ces tonneaux". Quoi qu'il en soit, les 1er et 2e BLE assurent l'arrière-garde de la colonne jusqu'à Chu, atteint le 1er avril.
Le 21 janvier 1885, le 4e BLE transporté sur le "Canton" débarque à Kelung (Formose). Au cours de la traversée, quelques légionnaires sont atteints du choléra. Sous les ordres de l'amiral Courbet, le bataillon refoule les Chinois au delà de la rivière Tam Sui et prend le camp de Louan-Louan. Les opérations ayant pris fin le 17 mars, il rentre au Tonkin, d'abord à Phu Nho Quang, puis à Dap Cau.
Au cours de l'année 1886, les quatre corps Etrangers vont mener une existence moins mouvementée que par le passé. Le 1er BLE renforcé par une section du Génie et 500 coolies est utilisé à des travaux de route. Le 2e BLE traque les pirates dans le secteur de Phu Long Thuong et de Thaï Nguyen. Sa 3e Compagnie se transforme en unité montée sur des chevaux locaux qui "étant donné la carrure des légionnaires paraissent de la taille d'une chèvre". Le 28 mars 1886, le 3e BLE réussit, guidé par des autochtones, l'ascension du Mont Bavi. Le 4e BLE enfin entre dans la composition d'une colonne se dirigeant vers Lao Kay, sa 2e Compagnie étant désignée pour tenir le poste.
Après trois ans de séjour dans la péninsule, les légionnaires ont pris l'exacte mesure du pays. Ils se familiarisent avec la nature tonkinoise qui exerce même une certaine fascination sur eux. Ainsi, en 1884, un caporal en route pour Tuyen Qang est sensible "au point de vue touristique de la Rivière Claire et à la douce lumière se reflétant sur l'éventail des palmiers".
Mais, sans cesse en opérations, les soldats étrangers ont peu de contacts avec la population, hormis avec les coolies qui les accompagnent en colonne ou travaillent avec eux sur les chantiers. Hommes durs, voire brutaux, ils sont habitués à rudoyer les algériens et font de même avec les asiatiques. Les moeurs étranges et la politesse cérémonieuse des Annamites les déroutent : cependant, ils apprécient leur habileté dans les travaux manuels et leur ardeur à l'ouvrage. Peu à peu, des relations se créent. En 1883, après la prise de Sontay les hommes du 1er BLE évacuent les habitants "sans bruit ni tapage". En 1885, les difficultés de ravitaillement qu'ils éprouvent à Lang Son sont résolues en partie par un réseau de "petites amies autochtones" qui vont chercher des vivres dans le delta. Le 3e BLE en 1886 se fait précéder de 100 Muongs "dans un pays qui reste à explorer". Le 16 juillet 1886, il délivre près de Hoa Binh un village dont les paysans sont fréquemment pillés par les pirates.
Le 1er janvier 1887, 7.910 légionnaires ont déjà combattu au Tonkin depuis 1883, et se sont accoutumés à coopérer avec les tirailleurs tonkinois. Petit à petit, les Etrangers ont constaté que les "demoiselles", ainsi qu'ils surnomment les Asiatiques, sont en réalité de précieux auxiliaires connaissant bien la brousse et "pouvant subsister plusieurs jours avec une boule de riz". Désormais, appréciant leur habileté à se déplacer sans bruit, ils les baptisent "les mille-pattes".
En 1887, un document affirme ; "Au Tonkin, à Formose, comme partout, les légionnaires ont été dignes de leurs devanciers. Ils ont bien mérité de la France".
En 1887, un diplomate britannique écrit : "Maintenant que les Français ont le Tonkin, il leur reste à le conquérir". Dans ce but, la Légion Etrangère, formation métropolitaine de l'Armée d'Afrique, va détacher en permanence des unités dans la péninsule. En effet, la loi du 30 juillet 1893 qui organise l'Armée Coloniale prévoit dans son article premier "l'emploi de la Légion en son sein mais seulement en cas d'expédition et en particulier s'il y a insuffisance numérique d'engagés volontaires et de rengagés français dans les corps destinés aux colonies".
Dès lors, les bataillons étrangers vont participer à la poursuite incessante de "bandes disparaissant rapidement sous la menace et réapparaissant dans une autre région avec la complicité des populations qu'elles rançonnent". Les légionnaires sillonnent le pays en créant des postes. En 1897, le 1er BLE occupe la région de Cao Bang, le 2e celle de That Khe, le 3ème cantonne à Tuyen Quang et le 4ème stationne à Lao Kay et Yen Bay. La création le 6 août 1891 de quatre Territoires Militaires articule ceux-ci en dix cercles et soixante-sept implantations militaires.
L'existence des légionnaires se partage entre l'accomplissement de colonnes "en coup de lance" et la construction de postes. Lourdement chargés, vêtus trop chaudement pour le climat du pays bien que la vareuse en molleton soit remplacée par un "cai ao" local plus léger, les Etrangers s'enfoncent dans la brousse. Alors, "la colonne devient un reptile se glissant au milieu des bosquets de bambous, les soldats conquis par le mystérieux charme de la nature ressentent un frisson d'angoisse". En opérations, l'organisation des forces respecte un panachage rigoureux entre européens et tonkinois. La mission de ces derniers consiste en la surveillance des coolies qui s'enfuient en jetant leur charge au premier coup de feu. Les légionnaires préfèrent marcher avec des tirailleurs originaires de la Haute Région qu'ils estiment plus fiables que ceux du delta. Les Etrangers placés en général à l'arrière du convoi sont souvent accompagnés par les femmes des militaires autochtones qui par jeu ont ralenti leur allure pour les rejoindre. Ils ne réussissent pas toujours à les chasser de leurs rangs, leurs injonctions ne recueillant "qu'un sourire dévoilant leurs belles dents laquées de noir et une bordée de paroles qui doivent être drôles car toutes les femmes éclatent de rire en dévisageant avec effronterie les légionnaires".
Ces colonnes sont peu efficaces. Lorsque le combat s'engage, sur cinquante Etrangers, seuls dix sont en état de se battre. Beaucoup, harassés, restent en route et sont désarmés sur le champ afin que leur équipement ne tombe pas aux mains de l'adversaire. L'un d'eux, encouragé à continuer la marche, répond à son capitaine : "Je n'en ai rien à foutre, qu'ils me coupent la tête une bonne fois pour toutes". Pour inciter leurs compagnons éreintés et gisant sur la piste à rejoindre leur poste, les légionnaires font brûler des allumettes sous la plante de leurs pieds. A ces convois ralentis par les coolies, les Etrangers préfèrent les petits détachements dont les hommes ne portent qu'une toile de tente roulée, leurs armes et 144 cartouches. Ainsi, ils arrivent parfois à surprendre les pirates. Mais en dépit des résultats relativement infructueux des grandes opérations, les soldats des quatre BLE sont toujours volontaires pour y participer. En 1895, le chef de bataillon Famin déclare que lors de la prochaine opération de Ba Chau "il n'y aura ni pain, ni vin, mais des coups de fusils à recevoir". Sur le champ, de nombreux Etrangers sont candidats pour partir avec lui. Le colonel Galliéni lors de la colonne de Lung Lat constitue un groupe spécial de cinquante volontaires de la Légion, "la colonne infernale", sous les ordres du capitaine Verreaux du 1er RE. Les légionnaires se plaignent surtout des fatigues inutiles occasionnées par les opérations à gros effectifs. De 1887 à 1909, 271 d'entre eux sont tombés au combat alors que 2.707 sont morts de maladie. En 1889, comme chaque année, les tombes du cimetière de Sontay sont relevées et les corps exhumés jetés à la fosse commune. Le commandement ne désire pas en effet agrandir le champ funéraire pour ne pas porter atteinte au moral des militaires.
En 1882, un bataillon de marche du 1er RE est formé sous les ordres du chef de bataillon Tournier. Fort de 20 officiers et de 695 légionnaires, il occupe le Haut Mékong. Il stationne en particulier à A Ki Khoai où il est doté d'un canon-revolver et d'une pièce de 80, ainsi qu'à Khong. En 1893, le lieutenant Oûm du 2e RE est affecté à la Mission Pavie. Lorsque les Etrangers ne participent pas aux colonnes avec des effectifs allant de 75 à 800 hommes, ils construisent des postes. Outre de très rudes travaux (à Tien-Phong le sommet d'un piton doit être abaissé de sept mètres pour construire les bâtiments) ils souffrent sur la frontière de Chine d'un ravitaillement insuffisant. Ce dernier est constitué en guise de "vivres frais", de macaroni et de riz, l'alimentation étant cependant améliorée par les jardins potagers et les élevages de porcs des postes. Les conditions sanitaires sont médiocres ; ainsi à Cang Poun, le lieutenant de Menditte du 1er BE note laconiquement en 1896 "19 septembre : mort d'un légionnaire de dysenterie ; 20 septembre : un tirailleur meurt de dysenterie et un légionnaire de bilieuse hématurique ; 23 septembre : un légionnaire décède de la même maladie que son camarade ; 24 septembre : mort d'un légionnaire victime d'un abcès pernicieux". Il est vrai que dans ce lieu proche de la Chine, la température enregistrée le 10 août est de 28° et de -4° le 21 décembre suivant.
Une fois le poste construit y compris le four à pain et les locaux disciplinaires (ceux de Chang Poun abritent "un hercule de foire belge, une bête fauve"), l'Infanterie de Marine vient relever la Légion qui part édifier une autre position. Aussi, un légionnaire chevronné s'écrie : "J'ai déjà fait les charpentes de cinq postes et au moment où je posais les tuiles, nous recevions l'ordre de partir pour céder notre place aux marsouins. Je n'ai jamais habité que des paillotes avec les rats, les mille-pattes pour camarades de lit". Une certaine rivalité oppose la Légion et les Troupes de Marine. Celles-ci dirigent en effet vers les corps étrangers nombre d'hommes chassés pour ivrognerie ou mauvaise conduite dont elles entendent se débarrasser. Un officier du 1er RE, Omer, déclare : "La Légion n'est pas un tas de fumier destiné à recueillir les coloniaux éliminés de leur corps pour de nombreuses fautes". En outre, les cadres supérieurs du 4e BLE se plaignent de ne pas recevoir des commandements de leurs grades, aucun n'étant placé à la tête d'un territoire militaire. Seuls, le lieutenant-colonel Donnier remplace en 1886 le général Giovanninelli à la tête de la 3ème Brigade et en 1897 le chef de bataillon Betboy assume par intérim la responsabilité du 3e Territoire Militaire (4). Pourtant nombre d'officiers légionnaires, tels les chefs de bataillon Bergougnoux, Betboy et Nouvel, se montrent très efficaces dans la répression de la piraterie. Ils savent allier les qualités militaires des légionnaires et celles des tirailleurs tonkinois "qui le 2 janvier 1887, côte à côte, la charge étant sonnée, s'élancent à l'assaut de la position de Deo Go fortement tenue par l'importante bande de Bo Giap". Plus tard, le capitaine Breton fait opérer ses Etrangers avec une milice de 100 Muongs.
Eloignés des villes, les hommes des BLE ont peu de rapports avec la population. Toutefois, beaucoup dans les postes commencent à contracter des "mariages à la mode locale". Les unions éphémères sont plus ou moins tolérées par les officiers qui "se réservent les plus belles jeunes femmes".
(1) Ménélik, Négus d'Ethiopie.
(2) Le légionnaire Minnaërt était déjà célèbre pour ses exploits tapageurs au Village Nègre et à la cantine du 1er RE de Sidi Bel Abbès. Cet établissement était tenu par l'arrière-grand-mère de l'auteur, décorée comme vivandière du Régiment Etranger lors de la campagne du Mexique. La fille de cette dernière a plus tard épousé le sergent Charles Schaâl natif de Sélestat et ancien du siège de Tuyen Quang.
(3) Sur les décombres, le général de Négrier fait afficher la sentence : "Le respect des traités vaut mieux que des portes aux frontières".
(4) En 1927, le colonel Maire du 1er RE se plaint que "la promesse à peu près formelle qui lui avait été faite de placer un officier supérieur de la Légion à la tête du territoire de Lang Son n'ait pas été tenue". Il ajoute amèrement qu'il a appris plus tard "que les coloniaux ne pouvaient admettre qu'un officier métropolitain put administrer une parcelle quelconque de nos colonies".
Le prince, la comtesse, l’ambassadeur et les képis blancs
La Légion étrangère, arme d’élite par excellence, a depuis toujours compté dans ses rangs des personnalités exceptionnelles. Originaires de la Grande Russie, trois d’entre-elles y ont marqué leur passage d’une empreinte indélébile, contribuant largement au renom de cette troupe prestigieuse. C’est leur parcours pour le moins atypique que nous vous présentons aujourd’hui.
Le prince Amilakvari
Descendant direct des seigneurs du royaume de Géorgie, le prince Dimitri Amilakvari naît à Gori le 31 octobre 1906. La révolution de 1917 obligeant sa famille à l’exil, Dimitri, alors âgé de onze ans, arrive à Istanbul avec sa mère. Il y demeure six années et fait ses études dans une institution britannique.
Le baptême du feu
En 1922, sa famille s’installe en France. Dimitri s’intéresse au métier des armes et entre en 1924 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, en qualité d’élève-officier étranger. Deux ans plus tard, il est affecté au 1er Régiment étranger d’infanterie, en Algérie. En 1929, il est muté avec le grade de lieutenant au 4e Régiment étranger stationné à Marrakech. A cette époque, l’Empire chérifien n’est pas totalement pacifié, des zones de dissidence restant à réduire dans l’Atlas. C’est ainsi que le 30 mai 1932, le 1er bataillon du 4e Régiment étranger est chargé d’occuper le plateau des Izeroualem, sur lequel a été signalée une forte concentration ennemie. Pour le lieutenant Amilakvari c’est le baptême du feu et une première action d’éclat, sanctionnée par une citation. A la tête de ses légionnaires, il participe ensuite à toutes les opérations dans le sud du Maroc. Il s’illustre encore au cours des combats particulièrement violents d’août et de septembre 1932. Nommé capitaine le 1er janvier 1937, il est affecté au 1er Étranger.
Chevalier de la Légion d’honneur
Après la déclaration de guerre, le 20 février 1940 un bataillon de marche est formé à Sidi-bel-Abbès, en Algérie et un second à Fès, au Maroc. Ils sont groupés sous l’appellation de 13 e Demi-brigade de montagne de Légion étrangère (DBMLE) destinée à combattre en Finlande. La 13e DBMLE, future 13e Demi brigade de Légion étrangère (DBLE), est finalement dirigée sur la Norvège. Volontaire, Amilakvari est affecté au 2e bataillon ou il prend le commandement de la compagnie d’accompagnement. Entre temps, il est devenu français par un décret de naturalisation. La demi-brigade embarque à Brest et cingle vers la Norvège. Le 13 mai, c’est le débarquement de vive force à Bjervik face aux Allemands qui tiennent les positions défensives. Le lendemain, bien que blessé, il participe aux combats pour la conquête du port de Narvik. Pour son comportement héroïque sur les côtes norvégiennes, il sera fait chevalier de la Légion d’honneur
Face aux troupes de Rommel
Mais en France la situation est grave. L’annonce de la demande d’armistice jette la consternation dans les rangs du corps expéditionnaire de Norvège. A son retour, Amilakvari fait partie de ces Français qui, refusant la défaite, rejoignent à Londres le général de Gaulle. Pour le chef des Français libres (FFL), il s’agit de continuer la lutte et de rallier à sa cause les pays constituant l’Empire colonial français. Suit une longue série de combats jalonnant le parcours des FFL à la recherche de soutien dans la France d’outre-mer. Après l’échec devant Dakar, les FFL rallient le Cameroun puis sont engagés en Érythrée contre les Italiens ; la 13e DBLE participe à la prise du port de Massaoua, le 8 avril 1941. D’Érythrée, Amilakvari promu chef de bataillon et ses hommes sont engagés dans la campagne de Syrie. Le 21 juin, ils entrent dans Damas. Nommé lieutenant-colonel, il prend le commandement de la 13e DBLE le 19 octobre 1941. Après la traversée de la Palestine, du Sinaï et de l’Egypte, le régiment se trouve, en janvier 1942, face aux troupes de Rommel au pied du plateau de Cyrénaïque. En juin il participe au fait d’armes de Bir Hakeim et à la sortie de la garnison encerclée ; la 13e DBLE y est en première ligne et subit de lourdes pertes. Ramenée à l’arrière pour se reconstituer, la brigade des Français libres accueille le général de Gaulle le 10 août, en Égypte. Au cours de la prise d’armes, le lieutenant-colonel Amilakvari est fait Compagnon de la Libération.
Ultime combat
Au mois d’octobre la 13e DBLE, rattachée à la VIIIe Armée britannique, prépare une attaque sur el Himeimat, à l’extrémité sud du dispositif anglais. Amilakvari doit faire man?uvrer ses bataillons pour contourner les défenses ennemies puis attaquer les flancs d’un plateau nommé « l’observatoire ». A 23h00, un premier champ de mines allemand est franchi. Le 24 octobre, à 1h00 du matin, le 1er bataillon attaque, mais il se heurte à des falaises à pic, battues par des mitrailleuses qui tirent depuis des grottes aménagées par l’ennemi et ne peut atteindre son objectif. A 5h00, le 2e bataillon parvient à prendre pied sur le plateau mais avec le jour qui se lève, les blindés allemands contre attaquent ; faute d’appui il est contraint de se retirer. Jusqu’à 9h00, l’artillerie et les mortiers ennemis se déchaînent sur les positions de la demi-brigade. Le lieutenant-colonel Amilakvari donne alors l’ordre de se porter plus en arrière pour occuper une position intermédiaire favorable. Profitant d’un instant de répit il se rase et dit à son entourage : « Lorsque l’on risque de comparaître devant Dieu, il convient de se mettre en tenue convenable ». Une heure plus tard, une salve de quatre obus l’encadre en explosant. Portant la main à son cou, il s’écroule, mortellement atteint.
Chef de guerre prestigieux, intrépide, animé d’un profond sens humain, il avait une reconnaissance infinie pour la France, sa patrie d’adoption. Il aimait à répéter à ses légionnaires : « Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a réservé : nous faire tuer pour elle ».
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La comtesse du Luart
Leila Hagondokoff, née à Saint-Pétersbourg le 6 février 1898, est issue d’une famille princière à l’esprit militaire très marqué. Très tôt elle décide de se consacrer aux blessés de guerre et aux malades. A 17 ans, elle est infirmière à bord des trains militaires russes pendant la guerre russo-japonaise puis, à 19 ans, dans les hôpitaux de la Mer Noire, à titre bénévole.
Départ forcé
En 1917, Leila épouse un de ses grands blessés, le capitaine Bajenoff, officier de la Garde impériale. La Révolution d’octobre éclate, une fusillade se fait entendre pendant la cérémonie de son mariage. Peu après, ses parents se réfugient en France tandis qu’elle s’échappe avec son mari par le Transsibérien et gagne Shanghai. Au cours du voyage elle met au monde un garçon, Nicolas. En Chine, le capitaine Bajenoff meurt rapidement des suites de blessures dont il s’était incomplètement remis. Cinq ans plus tard, elle rejoint sa famille à Paris et trouve un emploi chez Chanel.
Là ou le combat fait rage…
Le 23 août 1934, elle épouse le comte Ladislas du Luart qui encourage ses actions d’entraide. Pendant la guerre d’Espagne elle crée, non sans difficultés, une formation chirurgicale mobile. Elle comporte des tentes-hôpitaux et un centre opératoire monté sur camion et rapidement opérationnel. Afin de conserver son indépendance, elle ne porte que des vêtements civils et refuse tout grade militaire. En 1940, lors de l’invasion allemande, elle se replie en zone libre. L’année suivante, elle part pour l’Algérie où elle intervient avec sa formation sur les chantiers de la voie ferrée Méditerranée-Niger, où une épidémie de choléra s’est déclarée.
Marraine du Royal étranger
Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 en Afrique du Nord, les forces alliées entendent chasser les Allemands de Tunisie. La comtesse du Luart est en première ligne, auprès du 3e Régiment étranger d’infanterie de marche. Été 1943, la campagne de Tunisie terminée, les unités de Légion venues du Maroc regagnent leurs garnisons. L’antenne chirurgicale arrive à Rabat où le 1er Régiment étranger de cavalerie (REC) est en cours de réorganisation. Le colonel Miquel, chef de corps du Royal étranger (1er REC), l’invite à une prise d’armes organisée en son honneur. Au cours de cette cérémonie, il lui demande si elle consentirait à devenir la marraine du régiment : elle accepte sans hésiter. Pour Noël, elle fait venir des États-Unis des cadeaux destinés à tous les légionnaires du 1er REC. Mais elle ne peut procéder elle-même à la distribution, le général Juin lui ayant demandé de le suivre en Italie, où le Corps expéditionnaire français est engagé. Au cours de cette campagne, son antenne chirurgicale est très sollicitée. Madame du Luart est partout, secourant les blessés en péril.
Toujours présente pour ses légionnaires
Quelques semaines après la prise de Rome de juin 1944, le Corps expéditionnaire français est réorganisé pour intégrer le corps de débarquement en formation. La comtesse profite de ce répit pour visiter le 1er REC stationné à la frontière algéro-marocaine. A la fin de l’année 1944, l’antenne chirurgicale est engagée derrière les unités au combat. Son antenne participe ensuite à la campagne d’Allemagne et suit la 1re Armée du général de Lattre en Autriche jusqu’au 8 mai 1945. La guerre terminée, le 1er REC regagne sa garnison d’Oujda au Maroc, mais sa marraine ne peut le suivre. Ce n’est que lorsque le régiment passe à Marseille, prêt à embarquer pour l’Indochine pour Noël 1946, qu’elle le retrouve sans pouvoir le suivre en Extrême-Orient. Pendant la guerre d’Algérie, elle crée à Alger un centre de repos et de détente pour les légionnaires du 1er REC. Fonctionnant de 1956 à 1960, il peut accueillir jusqu’à 400 permissionnaires. Avec la fin de la guerre, madame du Luart doit quitter l’Algérie ; le centre est fermé. A partir de l’installation du 1er REC à Orange, en 1967, la marraine des légionnaires cavaliers honorera le régiment de sa présence à l’occasion de toutes les grandes fêtes.
Le 21 janvier 1985, la comtesse du Luart s’éteint à l’âge de 87 ans. Ses obsèques solennelles se déroulent en l’église Saint-Louis des Invalides, l’église des soldats. Elle est portée par six légionnaires du 1er REC au milieu de centaines de ses filleuls qui la pleurent comme une mère. Elle repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, à Paris.
Brigadier-chef d’honneur du 1er REC la comtesse du Luart était commandeur de la Légion d’honneur et Grand officier de l’Ordre national du Mérite.
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L’ambassadeur Pechkov
Né le 16 octobre 1894 sous le nom de Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov, il est le frère aîné de Yakov Sverdlov, un des futurs chefs de file du mouvement bolchevique, puis haut responsable de l’Union Soviétique. En 1896, madame Gorki rencontre la famille Sverdlov dont elle devient rapidement une amie proche. Afin de contourner la loi tsariste interdisant aux juifs d’habiter les grandes agglomérations de Russie, Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov se fait baptiser selon le rite orthodoxe et change de nom. Maxime Gorki, de son vrai nom Pechkov, accepte d’être son parrain et Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov devient alors pour l’état-civil, Zinovi Pechkov.
Le « manchot magnifique » !
Zinovi passe une jeunesse tumultueuse dans une Russie déchirée et aux quatre coins de l’Europe. En 1904, il émigre au Canada mais au bout de deux ans il rejoint Gorki à Capri. Arrivé en France, il est parmi les premiers volontaires étrangers à s’engager dans les rangs de la Légion étrangère pour la durée de la guerre. Le 21 octobre 1914, il est nommé légionnaire de 1re classe au 2e Régiment de marche du 1er Étranger qui monte au front. En avril 1915, il est promu caporal. Le 9 mai, il participe à la tête de son escouade à l’attaque des Ouvrages blancs sur le front d’Artois. Blessé au cours de l’action, il perd un bras et reçoit la Médaille militaire. D’autres se seraient contentés de cette première expérience, mais Zinovi Pechkov s’engage à nouveau comme 2e classe en juin 1916. Comme son handicap physique l’empêche de participer directement aux combats il a un poste d’interprète. A ce titre il est promu officier et part en mission aux Etats-Unis et en Russie. Chevalier de la Légion d’honneur en 1917, Pechkov effectue plusieurs missions diplomatiques en Union soviétique et en Roumanie. En 1920, il est officier de liaison à Erevan auprès du haut-commissaire de France dans le Caucase.
La Légion au Maroc
La guerre terminée, l’inaction lui pèse autant que la nostalgie de la Légion étrangère. Capitaine depuis deux ans, il retrouve la Légion en 1922 pour un long séjour dans les rangs du 4e puis du 1er Régiment étranger. Ayant participé aux opérations contre les dissidents marocains sur la Haute Moulaya et à Anoufi, il reçoit en 1923 une première citation au titre des théâtres d’opérations extérieurs. Affecté ensuite à la 22e compagnie du 1er Étranger il participe à la guerre du Rif contre Abdel Krim. De nouveau blessé au Maroc en 1925, à Bab Taza, il trompe son ennui en rédigeant ses souvenirs pendant sa convalescence. Ces derniers seront publiés sous le titre « La légion au Maroc ». De nouvelles missions l’appellent à l’étranger avant qu’en septembre 1930, il ne rejoigne le Levant comme chef de bataillon au II/1er Étranger. A l’occasion d’un nouveau séjour au Maroc, il commande le 4e bataillon du 2e Étranger pour quelques mois jusqu’à un nouveau départ en Syrie pour une autre mission. En 1937, il revient au Maroc prendre le commandement du 3e bataillon du 2e Étranger. Mais le temps le rattrape et au mois d’août 1940, il quitte définitivement la Légion atteint par la limite d’âge. Il aurait pu cette fois-ci jouir d’un repos bien mérité…
Convaincre Tchang Kai-Chek
Mais l’armistice en France vient d’être signé et, sans hésiter, il rejoint l’Angleterre et les Forces française libres du général de Gaulle. Ayant eu tout au long de sa carrière militaire maintes occasions d’exercer ses talents de diplomate, c’est tout naturellement que le chef des FFL fait de Pechkov son ambassadeur en Chine auprès de Tchang Kai-Chek. Il y accueille les rescapés du 5e Régiment étranger arrivant du Tonkin en avril 1945. Après la victoire, Pechkov reste en Extrême-Orient en qualité de chef de la mission française à Tokyo où il devient un grand ami du général américain Mac Arthur. Son activité remarquable au Japon lui vaut de recevoir les insignes de Grand croix de la Légion d’honneur le 30 juin 1947. A son retour en France Pechkov, alors âgé de 80 ans, reçoit du général de Gaulle une mission particulièrement délicate : celle de se rendre auprès de Tchang Kai-Chek et de lui expliquer les raisons pour lesquelles la France vient de reconnaître le régime communiste de la Chine de Mao Tsé Toung. Il s’acquitte de cette dernière mission avec brio et à son retour prend sa retraite. Vivant seul dans son petit appartement parisien, le général Pechkov vivra des heures de profonde solitude.
Un dimanche de novembre 1966, il se sent mal. Refusant l’ambulance qui vient le chercher, il se rend en taxi à l’hôpital américain de Neuilly. Sa joie est grande quand il apprend que la femme russe à l’accueil est comme lui originaire de Nijni Novgorod. Sentant qu’il va mourir, il demande que l’on fasse venir son ami le prêtre orthodoxe prince Nicolas Obolenski qui lui fermera les yeux lorsque le lendemain, lundi 27 novembre 1966 à 21h00 il rendra le dernier soupir. Ses obsèques sont célébrées le 30 novembre en l’église orthodoxe de la rue Daru à Paris. Son cercueil est porté par huit légionnaires en tenue de parade. Sur sa tombe au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois figure une seule inscription : « Zinovi Pechkov - Légionnaire ».
Aujourd’hui encore ces trois personnalités hors du commun, par leurs actions et leur attachement à la France symbolisent bien l’amour et la fraternité qui unissent deux peuples que tout pourrait opposer, mais que les forces du c?ur et de l’amitié rapprocheront toujours.
LE "NEU-NEU" ET LA LÉGION
En septembre 1949, le G.C. 2/6 "Normandie-Niemen", basé à Rabat au Maroc, quitte ses "Mosquito" pour s’installer à Tan-Son-Nhut, près de Saïgon.
Rééquipé en P63 "Kingcobra" il opère en Cochinchine, au Cambodge et dans le Sud-Annam y effectuant des reconnaissances, des straffings et des bombardements.
L’épisode relaté s’est déroulé à une date indéterminée.
En fin d’après-midi, une patrouille, revient à basse altitude d’une intervention dans la Pointe de Ca-Mau, tout au sud de la péninsule indochinoise. Sauf au départ des missions comportant permettait d’observer facilement l’activité en zone hostile et, parfois, de débusquer des Viets qui ne nous avaient pas entendus arriver.
Un peu avant de traverser le Mékong, la patrouille aperçoit des éléments amis au contact des Viets et vire pour les survoler. Les pilotes constatent alors que les Trosol sont sérieusement accrochées. Comme nous diront plus tard les Légionnaires du 2e Bataillon Étranger de Parachutistes (2e BEP), qui étaient engagés à cet endroit, leur situation était critique : ils avaient formé le dernier carré.
Les King du "Neu-Neu" effectuent plusieurs passes avec ce qui leur reste de munitions et dégagen les éléments amis.
Dès leur retour à Tan-Son-Nhut, où leur cantonnement était voisin du nôtre, les Légionnaires ont tenu à remercier le Groupe pour son intervention. Des contacts se sont établis, les officiers des deux unités ont dégagé ensemble, les sous-officiers faisant de même.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Quelques semaines plus tard, le 2e BEP partant en opération nous propose d’inviter des pilotes à l’accompagner. Les places étant chères, il a fallu "musiquer". Finalement Thomas et moi partons une semaine crapahuter dans l’est du Cap Saint-Jacques, pour essayer de trouver un atelier de fabrication d’armement.
Un soir, nous embarquons au port de Saïgon sur un LCM et descendons de nuit le Dong-Nai pour arriver en mer au lever du jour puis faire route à l’est en longeant la côte. Transférés sur des LCVP nous sommes mis à terre dans l’après midi à 30 km à l’est du Cap Saint-Jacques.
Je suis intégré à une section du 2e BEP où nous ne sommes que trois Français : le chef de section, son adjoint et moi, le reste étant constitué d’un Italien et d’une dizaine d’Allemands. de la Compagnie Cabiro, du nom de son chef le capitaine Cabiro.
Le capitaine Cabiro dit "Le Cab" (DR)
De petite taille, dynamique, jouissant d’une autorité naturelle, Cabiro est à cette époque le plus jeune capitaine de l’Armée de terre. Jeune engagé, il avait participé à la campagne d’Italie puis à celles de France et d’Allemagne. Il a fait plusieurs séjours en Indochine, le dernier l’amenan à Diên-Bên-Phu où, très grièvement blessé, il put heureusement être évacué par air avant la chute du camp, J’ai eu la chance de le retrouver plus tard à Mont-de-Marsan où il avait pris sa retraite.
Pour en revenir avec l’opération, celle-ci fut un échec, nous n’avons rien trouvé … peut-être parce que, les renseignements étant erronés, il n’y avait rien à trouver. Néanmoins, je garde un souvenir durable de ces quelques jours passés dans la brousse avec la Légion.
Pour en terminer avec les relations entre le "Neu-Neu" et le 2eBEP il faut mentionner le vol sur Kingcobra offert au capitaine Cabiro.
Grâce à sa petite taille, l’intéressé avait pu prendre place au-dessus du moteur, dans l’espace normalement réservé à l’IFF qui avait été déposé. Il avait la tête sur les épaules du capitaine Liautard, le Commandant de la 1ère Escadrille, qui était en cette occasion son "cocher".
Pour ce vol, Cabiro a eu droit à un programme de choix : bombardement en piqué, reconnaissance à basse altitude, straffing et peut-être même au retour quelques figures de voltige. Nous l’avons extrait de son réduit, ankylosé mais heureux.
Plus tard, en 1979 à Aubagne, il eu le grand honneur de porter la main du capitaine Danjou lors de la célébration de Camerone.
Il nous a quittés en 1993.
"Combattants sans passé", Robert Markus, 2ème REP.
08/07/2013
"Ces hommes d’exception qui choisissent de servir la France avec honneur et fidélité…"
Général Christophe de Saint-Chamas, Commandant la Légion Etrangère
Legio Patria Nostra. Trois mots qui résonnent dans le cœur de tous les Légionnaires, comme ils devraient le faire dans celui de chaque Français. Quels mecs quand même ces Képis blancs ! N’hésitez pas : avec « Combattants sans passé » du Sergent Robert Markus, imaginez-vous, le temps de la lecture de son récit, dans la peau de l’un d’entre eux…
Entrez dans la peau de Robert ! Vous êtes un jeune gars, vous vivez à Maribor dans la belle Slovénie, vous êtes mécanicien et puis, non pas sur un coup de tête, car ce n’est pas votre genre, mais après mûre réflexion, vous quittez votre fille, votre mère, votre sœur, vos amis… Vous quittez toute votre vie et vous prenez un billet de train pour Marseille, pour servir la France sous le képi blanc.
Et pourtant, vous ne parlez pas un mot de français. Alors, dans un premier temps, vous jouez les ombres : « Un ordre. Que font les autres ? Je fais pareil ». Vous doutez parfois, mais dans la tête, les choses sont claires : vous atteindrez l’objectif que vous vous êtes fixé : intégrer la Légion, vaille que vaille, coute que coute. Et vous marchez ! Vous courrez ! Vous sautez ! Vous suez ! Vous vous massacrez les pieds et le dos ! Oui, vous en ch*, mais vous la fermez, même si parfois….
Lors d’une marche, vous êtes appelé auprès du Lieutenant, pour servir de radio. En sus de votre arme, de votre sac qui vous déchire déjà le dos, d’une partie des affaires d’un camarade à la peine, vous portez tout le matériel radio.
Plusieurs fois le Lieutenant s’est retourné pour me demander si tout allait bien (…) J’ai toujours répondu dignement, en serrant les dents, comme si tout allait bien. En fait, j’avais envie de jeter ce *putain* de poste de radio par terre, avec toute la force qui me restait, pour qu’elle explose en millions de morceaux !
Mais si vous avez la chance d’être un homme de la trempe de Robert, vous tenez le coup physiquement, et de plus, par une certaine forme de grâce, vous respectez d’instinct les us et coutumes de la Légion.
Alors, même si vous ne maîtrisez toujours pas le français, la récompense est au bout : vous vous coiffez du képi blanc. Vous êtes désormais un Légionnaire. Tant ont échoué ou abandonné, que vous pouvez en être fier. Oh oui !
Voici venu le temps de l’affectation. Vous restez dans un même esprit de saine ambition : légionnaire, c’est génial, légionnaire-para, ça l’est encore plus ! Donc ce sera le 2ème REP de Calvi. Ouais. Reste que, ce n’est pas vous qui décidez…
A Aubagne, accompagné de votre Lieutenant, vous vous présentez devant le Colonel du 1er RE qui va vous affecter. Votre français reste approximatif, mais vous êtes décidé :
- Où veux-tu aller ?
- Au 2ème REP, mon Colonel.
- Non, non. Toi, tu iras au 1er REC.
- Non mon Colonel. Je veux 2ème REP.
- [en fronçant les sourcils] Le 1er REC n’est pas assez bon ? Ce n’est pas la Légion étrangère ?
- La 1er REC bonne. Mais moi veux 2ème REP.
Après un coup d’œil au Lieutenant du 4ème RE, qui cache mal son sourire, le Colonel approuve. Ce sera Calvi.
Et sans transition, vous voici dans un Transall, au-dessus de la Corse, à jouer les pantins accrochés sous un bout de tissu. Rien que ça.
Je me suis quelque peu perdu dans les différentes émotions ressenties, le saut dans le vide, l’adrénaline, l’accélération du rythme cardiaque.
Il y avait l’avion, il y avait moi, l’altitude, le parachute, le saut, l’air…
Et puis, jour après jour, vous vous fondez dans votre Patria, vous progressez en français, vous vous endurcissez encore plus, physiquement, mentalement ; vous ne bronchez pas aux ordres des Caporaux, qui règnent en maîtres sur les chambrées, vous nettoyez les toilettes sans moufter, vous buvez la bière…
Evidemment, vous êtes jeune et vigoureux, cloîtré depuis des mois avec des mâles, donc certains besoins « physiologiques » de base vous titillent l’esprit (et le reste). Lors des premières sorties, vous pensez vivre l’aura du Légionnaire auprès des filles, mais, attention, les étincelles dans les yeux de certaines d’entre elles sont surtout allumées par l’aura de votre portefeuille…
Avec le nombre de b* qui étaient entrées et sorties de cette fille, on aurait pu construire une autoroute à quatre voies de Calvi à Paris…
Et puis, à l’occasion, vous jouez des biscoteaux et balancez quelques châtaignes, mais c’est de tradition légionnaire…
Comme chaque année, la fête [de Noël] a été mémorable. Des spectacles de divertissement joués par des Légionnaires sur une scène de théâtre improvisée, une ambiance festive et des têtes chaudes. Cette fois, la compétition des forts caractères avait lieu entre les Anglais et les Polonais. Une bagarre a éclaté à peine une heure après le début des festivités, mais n’a pas duré longtemps. Quelques bons coups concrets et rapides ont été échangés, agrémentés par les insultes standards anglaises « fuck you » [va te faire…] et polonaises « Kurva » [salope]. Cette « performance théâtrale » imprévue a été le centre de l’attention. Nous sommes tous restés simplement assis en les observant, le Capitaine inclus, en attendant que les coqs combattifs se calment. Puis le Capitaine leur a tranquillement demandé s’ils en avaient assez, et si nous pouvions continuer avec le dîner et le spectacle.
Et puis vous découvrez l’Afrique, antithèse de votre chère Slovénie… Le Tchad, la République Centrafricaine, la Gabon, le Congo, Djibouti…
Les hommes restaient tranquillement couchés devant leur cabane, dans l’ombre, sur le tapis (…) Ils regardaient autours d’eux en se grattant les c*, outils indispensables pour la fabrication d’héritiers de la pauvreté.
En Centrafrique, vous subissez le jeu de jeunes chenapans, qui empoisonnent vos tours de gardes au camp de Bangui :
Afin de protéger le garde dans le mirador des jets de pierres, un filet métallique a été installé.
Ces pestes ont rapidement inventé de nouvelles techniques plus sophistiquées pour nous embêter. Ils ont rempli des préservatifs d’urine et les ont jetés directement dans le filet de métal (…) au contact, les préservatifs explosaient…
Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, et malheur au chef de bande que vous allez attraper un peu plus tard.
L’Afrique ne cesse de vous surprendre…
Après une nuit blanche pour avoir « fait le barbelé » [forme légionnaire de « faire le mur »] et fêté votre anniversaire, vous embarquez pour un saut d’entrainement avec des paras centrafricains.
Je bataillais contre le sommeil alors qu’eux étaient apeurés à mort. (…) J’ai appuyé le front sur mes mains et fermé les yeux en pensant que j’allais pouvoir me reposer quelques minutes avant le premier saut. Erreur capitale. Dès le décollage, les soldats locaux ont commencé à chanter en chœur avec enthousiasme. J’ai levé la tête pour vérifier de mes yeux ce que mes oreilles ne pouvaient croire (…) Ils tapaient dans les mains au rythme d’une chanson d’église, semblait-il (…). Adieu sommeil. Amen.
Vous avez aussi droit au grand écart de la sortie « culturelle » :
Petit a) Il était interdit de plonger dans les profondeurs noires sans protection de caoutchouc. Si jamais le héros se présentait chez le médecin avec une maladie sexuelle, ce dernier l’aidait volontiers, en le piquant avec une aiguille énorme directement dans le plongeur téméraire. Le malheureux patient sautait de joie pendant au moins deux jours après la confrontation avec l’aiguille
Petit b) Le Capitaine a organisé une sortie au cinéma dans le centre culturel français, avec au programme le dessin animé Pocahontas. Quand nous sommes sortis du centre comme un groupe d’écolier en uniforme, nous avons été la cible de regards stupéfaits des parents…
Et puis aussi, à l’occasion, vous vous vengez gentiment d’un Lieutenant pénible, profitant de son assoupissement alors que vous conduisez le camion sur une piste. Vous visez le nid de poule et *boum* réveil mode panique du Lieutenant. Evidemment vous vous faites engueuler, mais intérieurement, vous vous marrez… (héhéhé).
Oui, lisez « Combattants sans passé » et prenez-vous pour un Légionnaire ! Dans un style simple, direct, honnête, Robert vous offre cette chance. Changez de peau, le temps d’une lecture !
Chaque jeune homme tenté par le képi blanc devrait s’y plonger, car la Légion n’est pas un choix, c’est une vocation. Pour les anciens, que de souvenirs reviendront à la surface, avec à n’en pas douter, une certaine émotion. Quant à tous les autres, ils refermeront le livre avec le sentiment d’en avoir appris beaucoup sur ce corps d’élite, si atypique, dont la France est si fière et à juste raison.
SGT Robert Markus et ADC Jean-Yves Saulnier
Et lisez aussi « Combattants sans passé » pour Robert, l’archétype du Légionnaire au sens le plus noble du terme, un type large d’épaules, clair dans sa tête, droit dans ses rangers. Un type pour qui les mots Honneur et Fidélité ont encore un sens. Un Slovène, dont la France peut s’enorgueillir de l’avoir adopté pour fils.
Robert et le Général Bidart
*
Robert Markus est né en Slovénie. Après son service militaire dans la défunte armée yougoslave, et pour des raisons que nous tairons, tradition Légionnaire oblige, il quitte sa ville natale de Maribor et s’engage dans la Légion. Affecté au 2ème REP de Calvi, il participe aux principales OPEX des années 1990 et 2000 : Tchad, République Centrafricaine, Gabon, Congo, Bosnie-Herzégovine, Djibouti, Kosovo, Guyane, etc. Il est nommé Sergent en 2001.
Robert quitte la Légion après 15 ans de service aux 2ème REP, 13ème DBLE, 4ème RE et 2ème REI. Il est marié à Aleksandra et vit dans le sud de la France.
Robert s’est lancé seul dans cette belle aventure littéraire, qui retrace ses 5 premières années de Légionnaire. Ecrit en slovène, son récit a été traduit en français par sa femme Aleksandra. Devant le succès en Slovénie (classé best-seller, et oui…), Robert poursuit l’aventure avec « Légion ; anecdotes et traditions », dont il fait actuellement la promotion dans son pays natal. On espère pouvoir le lire bientôt en français…
Portrait d’oubliés. L’engagement des Espagnols dans les Forces françaises libres, 1940-1945
16 novembre 2011
« Pour moi, cette guerre représente la continuation de celle d’Espagne, alors sans sentir plus d’attraction pour la guerre que toi, je préfère les risques du soldat en campagne, au statut humiliant de réfugié enfermé derrière les fils qui nous entourent. Je préfère le vaste horizon du champ de bataille, à l’espace limité du camp de concentration, la fraternité du combattant à l’hostilité d’un compagnon d’infortune. Et quand la guerre sera finie, si je suis vivant, je préfère pouvoir crier à la face du monde que j’ai gagné ma liberté avec un fusil à la main, plutôt que de baisser la tête si quelqu’un me demande qu’est-ce que vous avez fait pour rester inactif pendant la guerre ? » 1
- 1 Témoignage de Enrique Balleste Romerodans Antonio Vilanova, Los olvidados. Los exilados españoles (...)
1 En septembre 1939, des milliers de réfugiés espagnols sont enfermés dans les camps de rétention du Sud-ouest de la France, où le gouvernement français a décidé de les interner au début de l’année. Convaincus que la Seconde Guerre mondiale qui vient d’éclater représente la poursuite de la lutte contre le fascisme débutée en Espagne, certains d’entre eux décident de prendre les armes et de continuer à se battre. Intégrés dans la Légion étrangère française et les régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE), ils font face à l’assaut de la Wehrmacht durant la campagne de 1939-1940. Certains de ceux qui ont survécu aux combats sur le sol norvégien constituent, en Angleterre, en juin 1940, les nouvelles Forces françaises libres (FFL). En revanche, ceux qui sont restés dans les rangs de la Légion étrangère après l’armistice sont envoyés en Afrique, où ils servent dans différentes unités sous le commandement de Vichy. Dans ces unités, certains attendent une simple occasion pour déserter et gagner les FFL.
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- 5 Témime (Émile), « Les Espagnols dans la Résistance. Revenir aux réalités ? » dans Pierre Laborie e (...)
3 Les rares analyses abordant la participation espagnole à la Résistance française sont intégrées à une production historiographique plus généralement dédiée à l’exil républicain en France provoqué par la guerre civile espagnole. Production qui s’est, au reste, surtout développée au début des années 1990. À cela s’ajoute le fait que l’historiographie sur la Résistance a accusé, jusqu’à récemment, une « absence de toute référence sérieuse à la présence espagnole dans la plupart des ouvrages consacrés à la Résistance en France (…) » 5.
- 6 Sur le renouveau historiographique de la Résistance, voir : Muracciole (Jean-François), Les França (...)
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4 Même si, durant les quinze dernières années, l’historiographie de la Résistance a connu une évolution remarquable, enrichie par de nouveaux cadres d’analyse et de nouvelles problématiques, ces avancées ne se sont pas traduites en un ou plusieurs ouvrages traitant en profondeur de la participation espagnole. Pour cette raison, les recherches qui abordent le cas espagnol sont minoritaires et n’analysent que rarement la spécificité de cet engagement. La plupart des recherches se concentrent en effet sur un cadre plus vaste consacré à la participation étrangère dans la Résistance 6.Des œuvres telles que Le sang des étrangers, Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Les étrangers dans la Résistance en France, Des étrangers dans la Résistance illustrent parfaitement ce type de recherches et mettent l’accent sur l’analyse de la participation étrangère dans la Résistance intérieure 7. La participation espagnole reste donc très peu connue, négligée par la recherche et nourrie par des témoignages et « mémoires périlleuses » 8.
Antécédents : la Légion étrangère
- 9 Pour une bonne synthèse concernant la participation étrangère dans la guerre d’Espagne voir : Casa (...)
5 Le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne. Deux jours plus tard, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne. À peine cinq mois après la fin de la guerre d’Espagne, les réfugiés espagnols présents sur le territoire français sont immergés dans un nouveau conflit avec, comme ennemi principal, un adversaire déjà bien connu 9.
6 Les réfugiés espagnols, considérés à la fois comme un poids économique et une menace pour la sécurité intérieure, sont, à leur arrivée en France, séparés de leurs familles et enfermés dans des camps de rétention dans le Sud-ouest. Ils doivent choisir entre plusieurs options pour sortir de l’isolement des camps et retrouver ainsi leurs familles :
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émigrer vers un autre pays (normalement en Amérique latine) ;
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se faire rapatrier en Espagne ;
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obtenir un contrat de travail à l’extérieur des camps ;
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à partir d’avril 1939, rejoindre les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) ou signer un engagement militaire.
- 10 Gaspar Celaya (Diego), Republicanos aragoneses en la Segunda Guerra mundial. Una historia de exili (...)
7 Ainsi, sur les 500 000 personnes qui franchissent les Pyrénées en février 1939, seules 120 000 demeurent encore en France métropolitaine en mai 1940 10. Bien qu’elle ait été largement promue par les autorités françaises, l’incorporation des Espagnols dans les unités militaires françaises ne se fait pas de manière massive. Malgré tout, ceux qui ont décidé de s’engager rejoignent principalement la Légion étrangère et les RMVE, car les tentatives pour créer des unités autonomes espagnoles au sein de l’armée française ont échoué, le haut commandement français rejetant cette possibilité (contrairement à ce qui s’est passé avec les Polonais et les Tchèques), invoquant l’impact que cette initiative pourrait avoir sur les relations entre Madrid et Paris.
- 11 Dreyfus-Armand (Geneviève), El exilio de los republicanos españoles en Francia. De la guerra civil (...)
- 12 Leroy (Stéphane), « Les exilés républicains espagnols des Régiments de marche des volontaires étra (...)
- 13 Témoignage de José Pàmies Beltrán dans Secundino Serrano, op.cit.,p. 130.
- 14 « Parfois, ils ne se sont même pas posés la question, il y avait une affiche à deux colonnes : Fra (...)
8 Au total, quelque 6 000 Espagnols servent dans l’armée française pendant la campagne de 1939-1940 11. Ceux qui décident de rejoindre les RMVE le font à Barcarès entre octobre 1939 et mai 1940. Ils signent un engagement pour toute la durée de la guerre dans les 21e, 22e et 23e RMVE. Toutefois, le gouvernement français, pour encourager l’engagement espagnol, ne précise pas que ces trois unités sont intégrées à la Légion étrangère, au sein de laquelle de nombreux réfugiés ne veulent pas servir 12. L’hostilité manifestée par quelques-uns des réfugiés espagnols à l’égard de la Légion étrangère joue un rôle clé dans le refus de ces derniers à s’engager dans l’armée française. Même si certains perçoivent la Légion comme une unité à la réputation douteuse qui « ne correspond pas à leurs idéaux » 13, d’autres décident toutefois de la rejoindre. Ils signent alors un contrat de cinq ans et ne sont donc pas libérés de leur engagement après la guerre si leur service est inférieur à cette durée : pour cette raison, nombre de ces Espagnols sont restés sous les armes après la signature de l’armistice 14.
- 15 Pour l’instant, l’analyse des fichiers des Espagnols n’est pas complète. Il n’est donc pas possibl (...)
9 L’engagement espagnol dans la Légion étrangère se fait en continu à partir de janvier 1939, et ce jusqu’en juin 1940. L’intégration à la 13e demi-brigade de marche de Légion étrangère (13e DBMLE) constitue le cas plus connu. Cependant, les Espagnols sont présents dans la grande majorité des unités de la Légion étrangère qui participent à la campagne de 1939-1940. Grâce à un examen de leurs dossiers personnels, il a été possible de confirmer la présence espagnole dans les 1er et 2e régiments étrangers d’infanterie (1er RE et 2e REI), qui, à partir d’octobre 1939, sont intégrés au 6e régiment étranger d’infanterie (6e REI) et au 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI), héritier du légendaire régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) qui s’était distingué pendant la Première Guerre mondiale. Ce dernier devient le 3e régiment étranger d’infanterie de marche (3e REIM) en décembre 1942. Il est le précurseur du nouveau régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) fondé le 1er juillet 1943. Les Espagnols servent également au sein du 4e régiment étranger (4e RE), créé au Maroc en 1920 et dissous en 1940, rebaptisé en 1941 4e demi-brigade de Légion étrangère (4e DBLE), ainsi que dans les rangs des 11e régiment étranger d’infanterie (11e REI) et 12e régiment étranger d’infanterie (12e REI), tous deux créés en 1939 et dissous en 1940 après l’armistice et dont les troupes servent en métropole pendant la campagne de 1939-1940. À titre d’exemple, voici quelques noms d’Espagnols ayant servi dans ces unités : Juan Benito, alias « Vicente Alsina », né à Vinarós dans la province de Castellón (1er RE), Manuel Arroyo, Jaén, province de Jaén (2e REI) ; Jesús Bastiegueta, Mundaka, province de Vizcaya (6e REI) ; Joaquín Bertrand, Figueras, province de Gérone (3e REI) ; Antonio Arreza, Almogia, province de Málaga (4e RE), José Calatayud, Valencia, province de Valencia (11e REI) et Antonio Bera, Almería, province d’Almería (12e REI) 15.
Les pionniers de la 13e DBMLE : premiers pas des Espagnols dans les FFL
10 Entre 1940 et 1943, entre 1 300 et 1 400 Espagnols servent dans les FFL.Nous ignorons encore le pourcentage d’entre eux servant sous le drapeau français pendant la campagne de 1939-1940. Toutefois, des centaines d’Espagnols qui, dès la première heure, décidèrent de rejoindre les FFL, ont été affectés à la 13e DBMLE.
11 En novembre 1939, la France et la Grande-Bretagne s’engagent au côté de la Finlande, envahie par l’Union soviétique. Le haut commandement allié approuve un plan urgent d’intervention de troupes franco-britanniques sur le territoire finlandais, mais cette intervention est annulée en mars 1940, la Finlande et l’URSS ayant mis fin au conflit. Parmi les troupes nommées pour l’expédition se trouve la 13e DBMLE, qui reste en alerte avec le reste du corps expéditionnaire français (CEF) jusqu’à l’invasion de la Norvège par l’Allemagne.
- 16 Les Grandes unités françaises de la guerre 1939-1945, historiques succincts, Vincennes, SHAT, 1967 (...)
- 17 « La demi-brigade a comporté, en particulier, environ 900 espagnols bruns, agités, difficiles à con (...)
12 La 13e DBMLE, créée en février 1940, est composée de troupes venant des régiments étrangers d’infanterie stationnés en Afrique du Nord. Commandée par le lieutenant-colonel Raoul Magrin-Vernerey, l’unité comprend deux bataillons, le premier formé à Sidi Bel-Abbès (Algérie) sous le commandement du commandant Boyer-Resses, le deuxième mis en place à Fès (Maroc) et dirigé par le commandant Gueninchaut 16. Sous les ordres du premier sert Basilio Beltran né à Aliaga, Teruel. Basilio Beltran signe son engagement dans la Légion étrangère le 5 mai 1939 à Perpignan, d’où il est directement transféré au quartier général de la Légion étrangère à Sidi Bel-Abbès. Après une période de formation, il est muté au 1er RE où il reste affecté jusqu’au 26 février 1940, date à laquelle il rejoint le premier bataillon de la 13e DBMLE, avec lequel il est déployé sur le territoire norvégien au début de mai 1940. La 13e DBMLE débarque à Bjervik (Norvège) le 13 mai 1940 avec environ 900 Espagnols dans ses rangs – un peu moins de la moitié de ses effectifs calculés à environ 2 000 hommes – et participe à la bataille de Narvik du 28 mai jusqu’au 2 juin 1940. Après l’invasion de la Hollande, de la Belgique et de la France par l’Allemagne, la 13e DBMLE et le reste du CEF sont retirés de la Norvège, la première semaine de juin, pour regagner la France en premier lieu puis l’Angleterre après l’échec breton 17.
- 18 Pons Prades (Eduardo), op.cit., p. 489-492 ; Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), op.cit.,p. 87
13 Entre le 19 et le 21 juin 1940, le gros des troupes françaises en provenance de Bretagne est concentré dans les camps de Trentham-Park, dans le comté de Staffordshire, et à Haydok et Arrow Park, près de Liverpool. À Trentham-Park, les légionnaires reçoivent la visite du général de Gaulle. Le 30 juin, de Gaulle s’adresse aux légionnaires avec pour objectif leur intégration dans les FFL qu’il vient de créer. Après le discours du général, 983 des 1 619 légionnaires du camp choisissent de rester en Angleterre et de rejoindre les FFL, le reste décide de regagner l’Afrique du Nord avec le général Béthouart. Néanmoins, le 1er juillet 1940, alors que les troupes qui ont décidé de retourner en Afrique du Nord sont à l’embarquement, un groupe d’environ 300 Espagnols refuse d’embarquer. Certains expliquent ce refus par la crainte d’être transférés au Maroc et remis à Franco. D’autres sont tout simplement fatigués de la guerre, quatre années ayant passé depuis qu’ils ont pris les armes contre les nationalistes en Espagne. Au final, nous pouvons distinguer plusieurs groupes : ceux qui décident de rejoindre les FFL avec leurs concitoyens qui ne se sont pas mutinés, ceux qui ont gagné l’Afrique du Nord et, parmi les 170 Espagnols arrêtés par la police britannique, ceux qui ont fini par s’engager dans les FFL ou sous le drapeau britannique dans le corps des pionniers de l’armée de Sa Majesté 18.
14 Parmi ceux qui ont opté pour les FFL, il y a notamment Martin Amado (Madrid), José Luis Artola (Pays Basque) et Pablo Aventin (Aragon). Le premier et le dernier rejoignent la Légion étrangère en avril 1939, alors qu’Artola avait signé son engagement pour cinq ans dans la Légion le 2 mars 1938. Toutefois, ces trois Espagnols se sont déjà rencontrés, d’abord au sein du 1er RE, sous le commandement du colonel Robert et, quelques mois plus tard, dans les rangs de la 13e DBMLE, au sein de laquelle ils ont participé à la campagne de Norvège jusqu’à ce qu’ils soient renvoyés en Angleterre. En fait, c’est à Londres, le 1er juillet 1940, que tous trois signent leur engagement dans les FFL. De ce fait, ils font tous trois partie du noyau initial des armées de la France libre.
15 Une fois leur engagement formalisé, Amado, Artola et Aventín sont incorporés dans une nouvelle unité : la 14e demi-brigade de Légion étrangère (14e DBLE), laquelle est placée sous le commandement du colonel Magrin-Verneret, au camp d’Aldershot (Hampshire) du 1er juillet au 31 août 1940. Au camp, de nouvelles recrues la rejoignent et elle est réarmée et formée pour combattre sur le nouveau théâtre sur lequel elle va être envoyée : l’Afrique. Ainsi, lorsque le 31 août 1940, la 14e DBLE est embarquée pour Dakar, il y a parmi son personnel de nombreux Espagnols, dont nos trois protagonistes Martin Amado, José Luis Artola et Pablo Aventin.
Espagnols Français libres : définition et engagement
- 19 « Instruction no 210022 relative à l’attribution des différents titres reconnaissant les services (...)
- 20 « La date butoir du 31 juillet 1943 correspond à la fusion des forces giraudistes et gaullistes, l (...)
16 Le statut de Français libre a fait l’objet d’une définition précise après la guerre, qui reste en vigueur aujourd’hui pour homologuer les services fournis par les volontaires en faveur de la France libre. Cette définition est liée à l’instruction que le ministère des Armées a approuvée le 29 juillet 1953 et qui « dispose que peuvent être considérés comme des Français libres, les militaires ayant fait parti des FFL entre le 18 juin 1940 et le 31 juillet 1943 », les agents P1 et P2 ayant appartenu avant le 31 juillet 1943 à des réseaux affiliés au Comité national français (CNF), ainsi que les évadés de France qui ont rejoint une unité ex-FFL « même après le 31 juillet 1943, pour des cas de force majeure tels que l’incarcération consécutive à leur évasion » 19. « L’instruction ministérielle précise que sont également considérés comme Français Libres les personnes qui ont été blessés ou qui ont trouvé la mort avant le 31 juillet 1943, en tentant de rejoindre les FFL, mais sans avoir régularisé cet engagement. » 20 Par conséquent, en s’appuyant sur ce texte, on considère Espagnols français libres tous les Espagnols qui se sont engagés volontairement dans les rangs de la France libre entre le 18 juin 1940 et le 31 juillet 1943.
17 S’il est vrai que l’incorporation des Espagnols dans les FFL est constante entre ces deux dates, il y a trois périodes pendant lesquelles l’engagement espagnol prend des caractéristiques particulières.
Londres, 1940
- 21 Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), op.cit.,p. 151.
18 La première vague, et la plus courte des trois, englobe les engagements faits à Londres en 1940. D’une grande importance pour son caractère pionnier, cette période a été ici présentée au travers du cas de la 13e DBMLE. Les deux autres grandes vagues formant l’épine dorsale de l’engagement espagnol dans les FFL ont lieu durant l’été 1941 après la campagne « fratricide » 21 de Syrie, et au printemps 1943 suite à la campagne de Tunisie et à la dissolution des CFA.
19 Ainsi, selon les principaux flux d’incorporation aux FFL, nous pouvons affirmer que la quasi-totalité des Espagnols Français libres ont signé leur engagement avec les FFL à l’extérieur de la métropole, principalement au Levant et en Afrique du Nord.
Levant français, 1941
- 22 SHD/GR, 16 P 9842.
20 Les incorporations des Espagnols au sein des FFL se succèdent tout au long de 1941 dans les différentes parties du territoire français libre, depuis Londres jusqu’au Cameroun en passant par l’Érythrée ou l’Égypte. Cependant, en juillet et en août 1941, les engagements se concentrent au Levant en trois points principaux : à Quastina (Palestine), à Beyrouth (Liban) et à Damas (Syrie). La plupart d’entre eux se produisent après la fin de la campagne de Syrie à la mi-juillet 1941 et ont comme destination les différentes unités qui composent la 1re division légère française libre (1re DLFL) 22. La 1re DLFL a été formée à la mi-mai 1940 au camp de Quastina (Palestine), à partir d’effectifs venant de l’Érythrée (brigade française libre d’Orient, BFO), de la Libye (1er bataillon d’infanterie marine, 1er BIM) et de l’Afrique équatoriale. Les effectifs de cette unité, commandée par le général Legentilhomme, augmentent entre juin et août 1940, principalement en raison de la contribution des légionnaires venants du 6e REI.
- 23 SHD/GR, 16 P 9842.
21 La plupart des Espagnols intégrés à cette nouvelle division sont affectés à la nouvelle 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE), héritière de la 14e DBLE qui a quitté l’Angleterre, et qui a retrouvé son nom d’origine après la dissolution de l’ancienne 13e DBMLE. Cette dernière a été transférée au Maroc en juillet 1940, mise à la disposition de Vichy, et dissoute le 4 novembre 1940. Cependant, des Espagnols servent également dans d’autres unités appartenant à la 1re DLFL, parmi lesquels le 1er BIM, comme, par exemple, le catalan Roberto Alsina. Né à Barcelone en 1913, Roberto Alsina franchit la frontière française au début de l’année 1939 et est interné au camp de Barcarès, où il signe le 27 novembre 1939 son engagement volontaire pour la durée de la guerre et est alors affecté au 23e RMVE jusqu’en avril 1940, date à laquelle il est transféré de Marseille à Beyrouth. Au Liban, il sert dans un GTE jusqu’au 22 juillet 1941. Il décide alors de signer son engagement dans les FFL et est affecté au 1er BIM 23.
Afrique du Nord, 1943
22 La deuxième vague massive d’engagements espagnols dans les FFL a lieu en Afrique du Nord française (AFN) en 1943, principalement entre mai et juillet. Généralement, les Espagnols incorporés aux FFL à cette date, ont servi dans les CFA et sont majoritairement intégrés dans la nouvelle 2e division blindée (2e DB) organisée par le général Leclerc en août 1943 au Maroc.
- 24 Muracciole (Jean-François), op.cit., p. 153-155.
23 Les CFA avaient été créés après le débarquement allié en Afrique du Nord, fin 1942, avec pour mission d’intégrer dans leurs rangs tous ceux qui avaient été rejetés par Vichy et par l’armée d’Afrique. Les personnes ciblées étaient donc les Juifs, les communistes, les gaullistes de l’AFN, les réfugiés antifascistes et, bien sûr, les républicains espagnols. Au départ, les CFA sont limités à 2 000 hommes, mais leurs effectifs dépassent finalement les 4 000 combattants. Ceux qui se sont engagés l’ont fait volontairement jusqu’à la disparition du corps en juillet 1943. Les engagements dans les FFL en provenance des CFA revêtent parfois un caractère collectif : par exemple, trois bataillons des CFA rejoignent la 2e DB et fusionnent avec les bataillons du nouveau régiment de marche du Tchad (RMT) où les Espagnols étaient déjà nombreux 24.
24 Le contingent espagnol, qui a joué un rôle important dans ces fusions, trouve ses racines dans la colonie espagnole établie en Afrique du Nord avant la guerre civile espagnole et après le flux que l’exil républicain de 1939 a apporté dans ces territoires. Cependant, un grand nombre d’Espagnols provenant de la métropole rejoint également l’AFN entre 1939 et 1940, grâce aux différents contrats signés avec la Légion étrangère française. Une partie de ces hommes est démobilisée après l’armistice et est internée dans les camps de concentration de l’AFN, où ils retrouvent des compatriotes qui y sont enfermés depuis 1939.
25 Enfermés ou incorporés aux GTE vichystes, tous sont soumis à un contrôle strict jusqu’à ce que les portes des camps commencent à s’ouvrir suite à l’avance alliée et la libération de l’AFN. En revanche, les Espagnols incorporés aux GTE ne disposent pas du statut d’hommes libres avant le 1er juin 1943, date à laquelle Giraud approuve finalement la dissolution des groupements. Une fois libérés, des centaines d’entre eux décident de rejoindre les CFA ou directement les FFL, comme José Barragán, né à Huelva, engagé dans les FFL le 23 mai 1943 et mis à la disposition du 1er bataillon de Légion étrangère de la 1re division française libre. Parmi ceux qui rejoignent les CFA puis les FFL, nous trouvons Miguel Águila, né à Cordoba, qui, après avoir rejoint en avril 1939 la Légion étrangère au camp d’Agde (Hérault), sert successivement au 2e REI, au 3e REI et à la 4e DBLE, jusqu’à ce qu’il soit intégré, avec la demi-brigade, au 1er régiment étranger d’infanterie de marche (1er REIM), qu’il quitte pour rejoindre la 9e compagnie du 3e bataillon des CFA, avec laquelle il rallie les FFL le 26 juillet 1943.
- 25 SHD/GR, 16 P 34 239, dossier de José Barragán et 16 P 4 234, dossier de Miguel Águila.
26 L’itinéraire d’un troisième Espagnol, Miguel Aguila, est un cas présentant trois intérêts : d’abord, il illustre le parcours d’un Espagnol de la métropole arrivé en Afrique du Nord où il s’engage dans les FFL. Ensuite, ce dernier a fait partie du 3e bataillon des CFA, dirigé par l’ancien brigadiste international, Joseph Putz, qui rallie la France libre avec la quasi-totalité de ses effectifs à la fin juillet 1943. Finalement ce bataillon CFA a fourni la base sur laquelle est formée la Nueve (9e compagnie du 3e bataillon du RMT de la 2e DB), largement mythifiée après la guerre 25.
27 Commandée par le capitaine français Raymond Dronne, la Nueve est au départ composée à 95 % par des volontaires espagnols. Elle est, pendant longtemps et sans aucun doute, l’unité qui a le plus souvent illustré la participation espagnole dans les FFL. Mais son histoire et l’histoire de ceux qui la composèrent ont été largement mythifiées au travers d’études et de témoignages partiaux. Ses actions durant la guerre ont été élevées au rang d’épopée à plusieurs reprises. Distinguée à Paris comme composante principale de la colonne « Dronne » qui a gagné la place de l’Hôtel-de-Ville dans la nuit du 24 août 1944, la Nueve n’a toujours pas fait l’objet d’une recherche approfondie qui permette de connaître les hommes qui la composèrent, leur origine ou encore les raisons qui les ont poussés à combattre dans ses rangs.
Conclusion
28 L’histoire de la participation espagnole aux FFL reste confinée dans les cartons de quelques archives récemment ouvertes. Cette fermeture a, sans aucun doute, contribué à valider les diverses légendes et mythes qui se sont imposées, aussi bien du côté français que du côté espagnol, après la guerre. Évacuée de l’histoire officielle et minimisée par les mémoires dominantes d’après-guerre, la participation des Espagnols à la Résistance extérieure a été longtemps oubliée par les historiens français et espagnols, mais a survécu à l’épreuve du temps enfouie dans les mémoires et les témoignages de ses protagonistes. Cette histoire attend d’être écrite par des historiens, aujourd’hui confrontés au défi de démonter les mythes sur lesquels elle s’est construite. À eux de présenter une histoire de l’exil, du travail et du combat de ces Espagnols, qui nous aidera ainsi à comprendre l’identité collective de l’exil républicain espagnol.
1 Témoignage de Enrique Balleste Romerodans Antonio Vilanova, Los olvidados. Los exilados españoles en la segunda guerra mundial, Paris, Ruedo Ibérico, 1969, p. 319.
2 Le 12 avril 1939, le gouvernement Daladier promulgue un décret instituant la création des Compagnies de travailleurs étrangers (CTE) dans le cadre des mesures régissant les lois de recrutement et la loi sur l’organisation de la nation en temps de guerre. Le décret propose aux étrangers séjournant en France et bénéficiaires du droit d’asile d’apporter à l’armée des prestations sous forme de travail en remplacement du service militaire. Après l’armistice et la démobilisation, par une loi du gouvernement de Vichy datant du 27 septembre 1940, les CTE deviennent des Groupements de travailleurs étrangers (GTE). Mais cette nouvelle loi a modifié le statut de travailleur étranger sur plusieurs aspects. Pour une analyse plus complète se reporter à : Peschanski (Denis), La France des camps : l’internement,Paris, Gallimard, 2002. Une courte synthèse se trouve sur le site : https://www.retirada.org/index.php ? id=35 (consulté le 3 juin 2011).
3 « Mutations spontanées » est la dénomination donnée par le sergent-chef catalan José Cortés aux différentes désertions des Espagnols qui décidèrent de quitter la Légion étrangère ou les CFA pour s’engager dans les FFL au printemps et à l’été 1943 en Afrique du Nord. Pons Prades (Eduardo), Republicanos españoles en la Segunda Guerra mundial, Madrid, La esfera de los libros, 2003, p. 375. SHD/GR, 16 P, José Cortés, lui même, a fait partie de ces « mutations spontanées ». Le 24 juillet 1943, il a quitté la 9e compagnie du 3e bataillon des CFA pour les FFL, où il a été affecté à la 9e compagnie du 3e bataillon du régiment du marche du Tchad.
4 Il est difficile de quantifier la participation espagnole au sein des FFL. Mais après avoir exploité en partie la sous-série 16 P du Service historique de la Défense, il est possible d’avancer un chiffre approximatif : les Espagnols auraient été entre 1 300 et 1 400 dans les FFL. Cependant, ce chiffre n’est pas définitif. L’analyse étant toujours en cours, nous serons en mesure de présenter des données finalisées au cours des prochains mois.
5 Témime (Émile), « Les Espagnols dans la Résistance. Revenir aux réalités ? » dans Pierre Laborie et Jean-Marie Guillon (dir), Mémoire et histoire : la Résistance, Toulouse, Privat, 1995.
6 Sur le renouveau historiographique de la Résistance, voir : Muracciole (Jean-François), Les Français libres. L’autre Résistance, Tallandier, Paris, 2009, p. 22 et suivantes. Une étude encore plus complète a été présentée au colloque international de Lyon, les 18 et 19 mars 2008 et publiée dans Laurent Douzou (dir), Faire l’histoire de la Résistance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
7 Courtois (Stéphane), Peschanski (Denis) et Rayaski (Adam), Le sang des étrangers, les immigrés de la MOI dans la Résistance, Paris, Fayard, 1989 ; Joutard (Philippe) et Marcot (François) (dir), Les étrangers dans la Résistance en France, Besançon, Musée de la Résistance et de la Déportation, 1992, actes du colloque qui a eu lieu à Besançon le 6 novembre 1992 ; Peschanski (Denis), Des étrangers dans la Résistance, Paris, Les éditions de l’atelier, 2002.
8 Douzou (Laurent), La Résistance française. Une histoire périlleuse, Paris, Seuil, 2005. « Qu’il s’agisse des républicains espagnols (…), des Juifs français et étrangers (…) l’historiographie est quasiment muette. », extrait de Jean-FrançoisMuracciole, Les Français libres. L’autre Résistance, op.cit., p. 22. Il existe quelques recherches qui font figure d’exception et mentionnent les Espagnols engagés dans les FFL notamment : Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), La France libre, Paris,Gallimard, 1996 et Comor (André Paul), L’Épopée de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, Paris, Nouvelles éditions latines, 1988.
9 Pour une bonne synthèse concernant la participation étrangère dans la guerre d’Espagne voir : Casanova (Julián), República y Guerra Civil, Barcelona, Crítica-Marcial Pons, 2007 ; Moradiellos (Enrique), El reñidero de Europa : las dimensiones internacionales de la Guerra Civil española, Barcelona, Peninsula, 2001 : Preston (Paul), Franco : Caudillo de España, Barcelona, Grijalbo – Mondadori, 1998.
10 Gaspar Celaya (Diego), Republicanos aragoneses en la Segunda Guerra mundial. Una historia de exilio, trabajo y lucha. 1939-1945, Zaragoza, Rolde de Estudios Aragoneses, 2009, p. 37.
11 Dreyfus-Armand (Geneviève), El exilio de los republicanos españoles en Francia. De la guerra civil a la muerte de Franco, Barcelona, Crítica, p. 117 ; Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), « L’engagement militaire des Italiens et des Espagnols dans les armées françaises de 1939 à 1945 » dans Pierre Milza et Denis Peschanski (dir.), Exils et migrations. Italiens et Espagnols en France, 1938-1946, Paris,L’Harmattan, 1994, p. 584 ; Serrano (Secundino), La última gesta, Madrid, Aguilar, 2005, p. 302.
12 Leroy (Stéphane), « Les exilés républicains espagnols des Régiments de marche des volontaires étrangers. Engagement, présence et formation militaire (janvier 1939-mai 1940) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 6/2010, mis en ligne le 13 juillet 2010. URL : https://ccec.revues.org/index3285.html. Consulté le 1er juin 2011. Exemple par unité de volontaires espagnols engagés dans les RMVE : 21e RMVE, Jesús Cachafeiro, né à Campo Lameiro, province de Pontevedra ; 22e RMVE, Juan Aragón, Villanueva del Arzobispo, Jaén ; 23e RMVE, Miguel Aparicio, Casas Ibáñez, Albacete. SHD/GR, 16 P 99598, 16 P 15858, 16 P 15548.
13 Témoignage de José Pàmies Beltrán dans Secundino Serrano, op.cit.,p. 130.
14 « Parfois, ils ne se sont même pas posés la question, il y avait une affiche à deux colonnes : Franco et la Légion. Nous avons dit non. Toutefois, nous avons eu des compatriotes qui ont signé leur engagement à la Légion. La plupart d’entre eux l’ont fait par crainte d’être arrêtés et renvoyés en Espagne. Ils ont pensé que la Légion était la meilleure option pour quitter les camps. » Témoignage de Cristobal Robles Martínez dans Florence Guilhem, L’obsession du retour. Les républicains espagnols 1939-1975, Toulouse,PU Mirail, 2005, p.140. Comparaisons des réfugiés entre la Légion et le Tercio franquiste dans Geneviève Dreyfus-Armand, op.cit., p.117.
15 Pour l’instant, l’analyse des fichiers des Espagnols n’est pas complète. Il n’est donc pas possible de confirmer la présence espagnole au sein du 5e régiment étranger d’infanterie (5e REI) établi en 1930 en Extrême-Orient pour renforcer les troupes présentes au Tonkin (Viêt-nam). L’étude complète sera présentée dans ma thèse de doctorat en 2013. Les données présentées ici sont le produit de la consultation des fichiers des Espagnols conservés au Service historique de la Défense (SHD/GR, 16 P).
16 Les Grandes unités françaises de la guerre 1939-1945, historiques succincts, Vincennes, SHAT, 1967 ; Caroff (capitaine de frégate), La Campagne de Norvège, 1940, Vincennes, SHM, 1955.
17 « La demi-brigade a comporté, en particulier, environ 900 espagnols bruns, agités, difficiles à conduire, mais d’un courage extraordinaire. » Témoignage du général Béthouart dans Eduardo Pons Prades, op.cit., p. 444.
18 Pons Prades (Eduardo), op.cit., p. 489-492 ; Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), op.cit.,p. 87
19 « Instruction no 210022 relative à l’attribution des différents titres reconnaissant les services rendus à la France libre et dans les Forces françaises libres », Bulletin officiel des armées, 29 juillet 1953, p. 133-134 (citée par Jean-FrançoisMuracciole, op.cit., p. 26).
20 « La date butoir du 31 juillet 1943 correspond à la fusion des forces giraudistes et gaullistes, les Forces françaises combattantes, c’est-à-dire l’armée du CFLN », Idem.
21 Crémieux-Brilhac (Jean-Louis), op.cit.,p. 151.
22 SHD/GR, 16 P 9842.
23 SHD/GR, 16 P 9842.
24 Muracciole (Jean-François), op.cit., p. 153-155.
25 SHD/GR, 16 P 34 239, dossier de José Barragán et 16 P 4 234, dossier de Miguel Águila.
Pour citer cet articleRéférence papier
Diego Gaspar Celaya, « Portrait d’oubliés. L’engagement des Espagnols dans les Forces françaises libres, 1940-1945 », Revue historique des armées, 265 | 2011, 46-55.
Référence électronique
Diego Gaspar Celaya, « Portrait d’oubliés. L’engagement des Espagnols dans les Forces françaises libres, 1940-1945 », Revue historique des armées [En ligne], 265 | 2011, mis en ligne le 16 novembre 2011, consulté le 25 septembre 2015. URL : https://rha.revues.org/7345
AuteurDiego Gaspar Celaya
Boursier du gouvernement d’Aragon, attaché au département d’histoire moderne et contemporaine de l’université de Saragosse, il prépare, sous la direction de Julian Casanova, une thèse consacrée aux Espagnols dans les FFL (1940-1945). Il a notamment publié : Republicanos aragoneses en la Segunda Guerra mundial. Una historia de exilio, trabajo y lucha. 1939-1945, Zaragoza, Rolde de Estudios Aragoneses y Prensas Universitarias de Zaragoza, 2010.
Campagne des Vosges (1944) – Septième partie
2 – Le combat de Masevaux
– Fixée comme objectif l’aile gauche du Ier Corps de Béthouart, la ville de Massevaux permet de s’assurer le contrôle du cours inférieur de la Doller dont le franchissement permet de pousser ensuite vers Thann et Cernay.
Béthouart a confié la prise de cette petite ville au Groupement de Choc du Colonel Fernand Gambiez qui s’est illustré dans la prise de l’Île d’Elbe en juin 1944. Gambiez commande alors à trois bataillons, le Bataillon de Choc du Colonel Lefort, les Commandos de France du Commandant de Foucaucourt et le Bataillon Janson de Sailly – appelé ainsi car formé de volontaires dans la cour du grand lycée parisien durant la libération de la capitale – du Commandant Gayardon. Les « Chocs » sont alors placée sur l’aile droite de la 1re DFL et doivent progresser sur Massevaux par la par la Vallée de la Madeleine, Saint-Nicolas et Stoecken. Béthouart a donné comme ordre à Gambiez de foncer sur Massevaux par surprise, à l’aide de mulets qui transporteront les mitrailleuses lourdes (12,7 mm), les mortiers de 81 mm, les canons légers de 37 mm, les munitions et le ravitaillement. Mais comme le signale Jean-Christophe Notin*, autant les commandos sont-ils maîtres dans les coups de mains sur des objectifs limités, autant vont-ils être moins à l’aise dans de plus larges manœuvres d’infanterie ».
– Le 23 novembre, placés en tête pour l’action principale, les trois groupes des Commandos d’Afrique du Commandant de Foucaucourt (3 compagnies légères de commandos), appuyés par la Compagnie lourde du Lieutenant Vinceguerra, démarrent leur marche d’approche sur Giromagny puis sur Le Bringard. Guidés ensuite par des schlitteurs (exploitants forestiers vosgiens utilisant une sorte de luge de transport appelée « schiltt ») qui connaissent très bien le terrain, les hommes de Foucaucourt se positionnent au-dessus des Sept-Sapins. Un canon de 37 mm réduit au silence les mitrailleuses allemandes, permettant aux Compagnies légères de franchir la Thur, puis de s’emparer de La Madeleine où le Colonel Gambiez peut installer son PC. Dans la nuit du 23-24 novembre, les Commandos d’Afrique marchent vers Saint-Nicolas par une pluie battante. Les Commandos ont eu ouïe dire que le SS-Obergruppenführer Karl Oberg (chef de la Gestapo et de la SS pour la France) s’y cacherait. Mais la Compagnie du Capitaine du Bellay ne trouve aucune trace de lui. Mais dans la nuit du 24-25, sur ordre de Foucaucourt, du Bellay envoie plusieurs de ses hommes sur Massevaux guidés par des civils volontaires. Gambiez apprend alors que 400 Allemands gardent Massevaux mais que le pont nord sur la Doller est toujours intact. C’est donc là qu’il décide de frapper.
Colonel Fernand Gambiez
– Le 25 novembre, les Commandos d’Afrique (moins la Compagnie Bosmelet) et des éléments du Bataillon « Janson de Sailly », reçoivent l’ordre de passer à l’attaque contre Massevaux. La première attaque est lancée par les Commandos de Villaumé et du Bellay, appuyés par des mortiers et des mitrailleuses lourdes. A 17h00, Stoecken est prise et s’y cramponne. Mais l’intervention d’un canon automoteur Sdkfz 164 « Hornisse » cause du dégât chez les commandos, détruisant la position du Capitaine du Bellay qui est tué en voulant faire une sortie. Mais Gambiez lance ses troupes à l’assaut. Malgré la présence d’une mitrailleuse MG 42 dans Massevaux, les hommes de Foucaucourt s’emparent de la passerelle au nord de la ville. Un autre groupe mené par le Lieutenant Mosseri réussit à passer par le sud à l’aide d’un civil mais un mitrailleur allemand fauche Mosseri et le Lieutenant Petitjean. Les combats font alors rage dans Massevaux et dans sa périphérie jusqu’au 26 novembre mais les Commandos d’Afrique tiennent fermement leurs positions. Mais de Foucaucout fait savoir à son chef qu’il ne résistera pas à une contre-attaque ennemie appuyée par des engins blindés et sans un appui d’artillerie adéquat. Fernand Gambiez décide alors d’envoyer le Bataillon « Janson de Sailly » en renfort.
– Le 26 novembre, alors que le Bataillon « Janson de Sailly » se met en marche, un parti de Grenadier bien appuyés par de l’artillerie pilonnent les positions des Commandos d’Afrique qui ne peuvent riposter. Le combat dure durant toute la journée mais les hommes du Commandant de Foucaucourt ne plient pas en dépit des pertes. Heureusement, l’arrivée de la 13e DBLE et de chars légers Stuart permettent aux Français de s’assurer définitivement de la prise de Masevaux le 27 novembre, même si les combats font toujours rage dans la périphérie. Mais de Foucaucourt n’a que 200 hommes restant (moins ceux de Bosmelet qui est appelé en renfort).
– Dans la nuit du 27-28 novembre, Gambiez relance la progression de ses forces qui s’enfoncent dans la Vallée de la Thur pour franchir le Col du Hundsruck, avant d’atteindre Thann. Simultanément, l’aile gauche de Béthouart et l’aile droite de Monsabert renforcent leur soudure.
6 – LE Ier CORPS PÉNÈTRE EN HAUTE-ALSACE
1 – La « Saint Louis » est sur le Rhin
– Revenons un peu en arrière. Nous avons laissé le Ier Corps d’Armée d’Antoine Béthouart à la libération de Belfort. Alors que la 2nde DIM et les éléments de la 5e DB s’emploient à libérer la ville, le Combat Command 2 du Colonel Kientz de la 1re DB (5e Régiment de Chasseur d’Afrique, 1er Bataillon de Zouaves Portés et III/68e Régiment d’Artillerie d’Afrique) dépasse Hérimoncourt. Jean Touzet du Vigier oriente alors le CC sur Morvillars afin d’empêcher toute potentielle contre-offensive allemande visant à reprendre Belfort. Mais le Colonel Kientz et ses hommes rencontrent alors une forte résistance entre Meziré et Morvillars et se retrouve bloqué. Heureusement, une colonne mixte char-infanterie du Commandant Barbier libère Montbuton, Beaucourt, Badevel et Fesches-l’église avant de pénétrer dans Grandvillars. Parallèlement, le 1er BZP investit en grande partie Morvillars mais le nord de la ville est toujours tenu par des Allemands appuyés par des canons de 88 mm et des mines.
– Une autre colonne formée par le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc (RICM) du Colonel Le Puloch prend successivement Croix, Saint-Dizier, Lebetain pour arriver près de Delle où des Allemands se sont retranchés dans les habitations. Mais les efforts combinés des Zouaves et des Marsouins, appuyés par 3 canons antichars de 57 mm permet de prendre la ville, tout en envoyant 250 prisonniers ennemis dans les lignes du Ier Corps. Le Puloch lance alors ses coloniaux sur Favrois, Courtelevant, Suarce et Jocherey, couvrant ainsi une trentaine de kilomètres sans rencontrer de fortes résistances.
– Tout à droite, le 19 novembre, trois groupements du CC 2 (de Lépinay, Gardy et Dewatre) longent la frontière suisse pour remonter vers le Rhin. Le Groupement de Lépinay s’empare de Krembs, celui de Gardy sur Rosenau, pendant que le Groupement Dewarte fonce sur Ferrette. Dans la foulée, le RICM franchit la « frontière » entre la Franche-Comté et la Haute-Alsace pour libérer le village de Seppois. Fonçant ensuite vers le Rhin, il surprend à chaque fois les détachements d’Allemands qui se rendent ou fuient devant les Français.
Pendant ce temps, le CC 2 fonce vers Jettingen. Le Peloton de Loisy du Groupement Gardy (5 M4 Sherman) et 1 section de Zouaves fait un bond de 6 km via Helfranzkirch, Kappellen et Bartenheim pour se retrouver sur la rive gauche du Rhin. Il est 19h30. Le 2nd Groupement du 68e RAA arrive alors dans la foulée et envoie les premiers obus français sur le sol allemand depuis 1940.
2 – La libération de Mulhouse
– De Lattre et Béthouart ordonnent à Jean Touzet du Vigier et à sa « Saint Louis » (surnom de la 1re DB) de foncer sans attendre sur Mulhouse, avec l’aide du RICM et du Régiment Colonial de Chasseurs de Chars (Colonel Rousseau), le tout couvert par les 3e et 4e Régiments de Chasseurs d’Afrique. Le 2/6e Tirailleurs Marocains est placé en appui. Touzet du Vigier assigne à ses Colonels les missions suivantes : le CC 1 du Colonel Aimé Sudre (2nd Cuirassiers, 1er BZP et I/68e RAA) doit s’emparer d’Altkirsch ; le CC 2 du Colonel Kientz a pour objectif Dannemarie et c’est au CC 3 (2nd Chasseurs d’Afrique et 3e BZP) que revient la tâche de foncer sur Mulhouse et de prendre l’Île Napoléon
– Le 20 novembre à 13h30, alors que les combats de la Libération de Belfort sont en cours, Jean Touzet du Vigier fait démarrer ses trois Combat Commands. Le CC 3 fonce et s’empare de Batteheim, Sausheim et Baldersheim, ce qui permet de couper la retraite aux Allemands. Les Allemands lancent une contre-attaque à Batteheim avec l’appui de dix chars. Il faut l’intervention de M10 Wolverine du RCCC pour repousser l’assaillant. Du côté du CC 2, le Groupement Gardy fonce sur Riedisheim, causant la panique dans les rangs des Allemands qui sont forcés de se retrancher dans les casernes. Les hommes de Gardy sont alors rejoints par les FFI du Commandant Winter dit « Daniel ». On se bat durement autour de la Feldpost occupée par 80 hommes qui finissent par se rendre, ainsi qu’autour de la caserne Coehorn et de l’Hôtel de Police. Les groupements de Lépinay et de Dewattre entrent à leur tour de Mulhouse pour achever le nettoyage. Le 20 novembre, presque toute la ville est libérée, exceptée la caserne Lefebvre qui tient jusqu’au 22.
– Mais pour Touzet du Vigier, la menace vient du nord car Friedrich Wiese qui a pris conscience de la situation périlleuse dans laquelle se trouve sa 19. Armee. En effet, le Général allemand, a décidé de lancer ce qu’il avait en réserve pour reprendre Mulhouse. Le 21 novembre, des éléments de la 30. SS-Gren.Div. appuyés par des chars Panther de la Panzer-Brigade Feldherrnhalle s’en prennent au CC 1 du Colonel Sudre qui doit abandonner Vellescot, Suarce, Hirsingue et Witterdorf en laissant des Sherman en flammes sur le terrain. Waffen-SS et chars se dirigent vers Altkirch mais un mouvement tournant du CC 1 les prend à revers et les force à se replier. Quant au CC 2, il doit affronter lui aussi des Panther et des petits groupes de Grenadier sur la route Delle – Bâle durant toute la journée, afin de protéger les colonnes de ravitaillement de la 1re DB.
3 – La 5e DB butte devant Cernay
– Le 20 novembre toujours, Béthouart ordonne à Henri de Vernejoul de lancer les trois Combat Commands de sa 5e DB sur l’axe Fontaine – Cernay, après avoir franchi l’Allaine. Mais c’est la première fois qu’ils combattent ensemble et non plus de manière détachée, ce qui implique des efforts de coordination à l’échelon supérieur de la division et dans l’état-major.
Un premier groupement placé sous le commandement du Colonel Miquel comprenant son 1er Régiment Etranger de Cavalerie, 1 compagnie du Régiment de Marche de la Légion Etrangère, 1 compagnie du 96e Bataillon du Génie et 1 Escadron de M10 Wolverine du 1er Chasseurs d’Afrique, doit ouvrir la marche en direction de Fontaine et Foussemagne, afin d’établir un passage sur le canal Cernay – Neuf-Brisach. Le Combat Command 5 du Colonel Bonet d’Oléon doit se diriger vers Giromagny et le versant est du Ballon d’Alsace afin de piéger la portion de l’aile droite de la 19. Armee pressurée par le IInd Corps d’Armée. Enfin, le CC 4 du Colonel Schlesser doit remonter la RN 83 jusqu’à Cernay, pendant que le CC 6 du Colonel Tritschler doit atteindre Bernwillet et Wittelsheim.
– Mais Béthouart et de Vernejoul vont se faire surprendre par la réaction de Friedrich Wiese qui expédie d’urgence les 198. et 269. Infanterie-Divisionen, la 30. SS-Gren.Div. « Russisches Nr. 1 », ainsi que les Jagdpanther du schwere-Panzerjäger-Abteilung 654 (Hauptmann Hermann Sacthleben) contre la 5e DB. L’ensemble forme alors le LXIII. Armee-Korps commandée par le General der Infanterie Schalk. Ce dernier reçoit alors l’ordre de couper la route Delle – Bâle à hauteur de Courtelevant afin de piéger la 1re DB autour de Mulhouse.
– Le 21 novembre, le Groupement Miquel arrive devant Montreux. Mais le pont sur le canal Cernay – Neuf-Brisach a été détruit. Mais la mauvaise surprise vient du fait que des Jagdpanther surgissent et « allument » plusieurs chars légers du 1er REC. Un peloton du 3/RMLE franchit alors le canal à la nage mais se fait repousser après avoir tenté de prendre la mairie en perdant 34 tués et blessés.
La mauvaise surprise pour Henri de Vernejoul s’accentue dès lors que c’est toute sa division qui se retrouve bloquée, ne pouvant agir en coopération avec la 1re DB qui combat autour de Mulhouse. Le CC 5 de Bonet d’Oléon butte contre des Grenadiers et des Jagdpanther et le CC 4 de Schlesser piétine devant Cernay. Seule satisfaction de la journée, le CC 4 et le CC 2 de la 1re DB réussissent à dégager la route Delle – Bâle. Béthouart doit alors lancer le 1er Bataillon du 6e Tirailleurs Marocains et le RCCC dans la bataille dans le secteur de Chavannes – Chavanates – Veleescot. Sauf que Schalk lance une violente attaque dans ce secteur qui tombe aux mains des Allemands malgré la résistance française.
– Le retard infligé aux Français permet donc au LXIII. AK d’attaquer en direction de Suarce et Lepuix durant l’obscurité. Ces deux localités tombent et la route Delle-Bâle est menacée d’être coupée dans le secteur de Courtelevant. Guy Schlesser n’a d’autre choix que de lancer 1 peloton de Sherman du 1er Cuirassiers, tous phares allumés avec des Légionnaires accrochés à la cuirasse. De violents accrochages ont lieu à Courtelevant et Réchésy durant la nuit mais les Allemands n’avancent plus. Le lendemain 22 novembre, les CC 4 et 5 contre-attaquent et reprennent Lepuix et Suarce. Dans la même journée, Béthouart envoie le 9e Régiment de Zouaves du Lieutenant-Colonel Aumeran reprendre Chavannes et Chavanattes. Avec des pertes, les « chacals » reprennent les deuc villages.
Mais Schalk ne démord pas puisqu’il lance les russes blancs de la 30. SS-Gren.Div sur Friesen, avec l’appui de 3 Jagdpanther. Les Allemands reprennent la localité qui est reprise par un assaut conjoint du 1/6e RTM et du RCCC. De Vernejoul doit déplorer la perte de 188 hommes et 4 chars. Mais les Français ont infligé de lourdes pertes au LXIII. AK, soit 200 tués, 720 prisonniers et 7 blindés. Mais Friedrich Wiese ordonne à Schalk de relancer une attaque contre Friesen. Ce sont les Marsouins Sénégalais et Français du 6e Régiment d’Infanterie Coloniale de Salan – arrivés d’urgence en renfort – qui passent à la contre-attaque. Mais ils sont durement repoussés par des Allemands lourdement armés et ne peuvent se maintenir sur les routes RN 463 et RD 24. Par conséquent, c’est le ravitaillement de la 5e DB qui se retrouve encore bloqué.
– Le 24 novembre, Antoine Béthouart ordonne à Schlesser de dégager la RD 463. Le CC 4 réussit alors à dégager Seppois et poursuit vers Dannemarie, avant de pousser sur Altkirch, suivi par le 152e RI (reconstitué) du Colonel Colliou dit « Roussel » et le Groupement mobile « Alsace-Lorraine » d’André Malraux dit « Berger ». Ils sont appuyés par les Marsouins du 2/6e RIC et les FFI de la Brigade Légère du Languedoc (Colonel Eugène Brugié). Mais ceux-ci sont sévèrement accrochés par des Allemands dissimulés dans les arbres. En revanche, à 11h30, le CC 4 réussit à dégager la RD 463. Béthouart n’hésite pas et expédie des renforts à la 1re DB qui tient encore Mulhouse.
– De son côté, Touzet du Vigier et les résistants de Mulhouse doivent résister à plusieurs dures contre-attaques exécutés par la Panzer-Brigade « Feldherrnhalle », le Kampfgruppe Diemer et 3 Bataillons de SS. Le CC 3 réussit à tenir Lutterbach et Morschwiller, même s’il doit abandonner Heimsbrunn. Mais les Allemands ne tentent plus rien.
– ¨Pour la Ire Armée Française, la campagne des Vosges est quasiment achevée. Celle d’Alsace commence bientôt avec les difficultés climatiques de cet hiver 1944.
Sources :
– BERNARD Vincent : « La bataille des Vosges », in Ligne de Front, N°45, sept-oct. 2013
– CLARKE Jeffrey L. : Riviera to the Rhine, https://www.ibiblio.org
Campagne d’Alsace 1944-1945 – Sixième partie (la Poche de Colmar)
6 – L’attaque de la 1re DMI (DFL) sur l’Ill et le combat de Grussenheim
– Le 22 janvier, Garbay et son état-major installent le PC divisionnaire dans une école de Scherwiller. Il fait toujours un temps glacial (- 23°C) et les soldats de la division, fatigués, grelottent. « Nous ne sommes pas des Russes pour attaquer par un temps pareil » écrit le Colonel Bernard Saint-Hillier. La 4e Brigade du Colonel Delange a presque disparue après les combats d’Obenheim. La division reçoit le renfort du GTV mais la coopération avec les hommes de Leclerc va s’avérer exécrable.
– Le 23 janvier, Garbay lance la 2e Brigade du Colonel Bavière et la 13e Demi-Brigade de la Légion Etrangère (DBLE) d’Arnault à l’assaut. En dépit du terrain boisé, Légionnaires et Tirailleurs remportent plusieurs succès. Le 1re Bataillon de la Légion Etrangère (BLE) de Gabriel Brunet de Sairigné s’empare d’Illhausern et y franchit l’Ill. En revanche, le 2nd BLE du Commandant Jean Simon échoue à déborder Elsenheim. Le 24, le 2nd BLE et le BM 11 (Capitaine Boucard) tentent de prendre la localité mais sans succès. Le BM 5 (2nde Brigade) du Capitaine Hautefeuille échoue lui aussi à franchir l’Ill. Garbay demande alors l’intervention du Groupement Tactique V mais le nouveau de cette unité mixte, Adolphe Vézinet (qui a remplacé de Guillebon), refuse d’engager ses chars et ses fantassins portés (J-Ch. Notin). La rage s’empare de l’état-major de la 1re DMI qui trouve un allié en la personne du Général Jean Touzet du Vigier, tout juste nommé Gouverneur Militaire de Strasbourg. Soldat loyal et officier résistant de la première heure (1), l’ancien commandant de la « Saint Louis » appelle Vézinet et n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’attitude de l’officier du GT V : « Que vous laissiez tuer des gens de n’importe quelle autre division de la Ire Armée, ça se comprendrait car vous ne les aimez guère. Mais pas ceux de la 1re DFL ! » Propos auxquels Vézinet rétorque qu’il n’a d’ordres à recevoir que de son chef, le Général Leclerc, qui ne lui a pas ordonné d’appuyer une attaque d’infanterie. Pour Garbay et Saint-Hillier, la coupe est pleine. En plus de l’état-major de la Ire Armée, voilà qu’il faut croiser le fer avec la 2e DB ! Finalement, Garbay et Saint-Hillier font passer le GT V (501e RCC, 3/RMT, 3/RMSM, 2/RBFM, 11/64e RA et 2/13e BG) par le secteur tenu par l’aile gauche de la 3rd US Division et le Sous-Groupement Sarazac nettoie les bois qui gênent la 13e DBLE.
– Les Allemands tenant encore Elsenheim, la 13e DBLE attaque alors en direction de Grussenheim. Le 27 janvier, le 3e BLE du Commandant Lalande progresse vers le Carrefour 177 où il effectue sa jonction avec le GT V. Le Sous-Groupement Putz doit établir une tête de pont sur la Blind au nord-ouest de Grussenheim avec l’aide d’éléments du 1er Bataillon du Génie de la DMI-DFL. La Blind est une rivière encaissée et non-gelée malgré le froid qui mesure 3-4 m de larges et 80-100 cm de profondeur. En parallèle, le 1er BLE de Sairigné arrive à pied depuis Bergheim (10 km à pied dans la neige), avant d’expédier sa 3e Compagnie et la 2nde Compagnie du 501e Régiment de Chars de Combat (Capitaine de Witasse) sur le Carrefour 177. Malheureusement, Légionnaires et équipages de chars ne tardent pas à essuyer un violent barrage de l’artillerie allemande. A 16h00, la 3/1er BLE franchit la Blind avec les chars « Ulm » et « Auerstaedt » et par le M10 « Le Phoque » du 2nd Escadron du RBFM. Plus à l’ouest, la 1re Cie du 1er BLE et la 12e Cie du Régiment de Marche du Tchad franchissent aussi la Blind pour établir une seconde tête de pont de 300 mètres de long. A 17h00, les Français s’installent et deux heures plus tard, sous le couvert de la nuit, les équipes du 1er BG commencent à installer un pont sur la Blind. Les reconnaissances lancées par le même bataillon n’indiquent aucune présence allemande.
– Mais à 22h30, les Allemands déclenchent un violent tir de barrage sur les Français avec mortiers, obusiers et mitrailleuses lourdes. Une section du Génie est anéantie et l’ennemi lance une contre-attaque de nuit avec Grenadiers lourdement armés portant des capes blanchs et Jagdpanther du Pzjäg-Abt. 654 bien dissimulés sous le couvert des arbres et des aides. Légionnaires et Fantassins portés du Tchad luttent comme ils le peuvent Les Howitzer M1 de 105 mm du 11/64e Régiment d’Artillerie qui assurent la couverture ouvrent le feu à l’ouest de Grussenheim, pendant que ceux du 1er Régiment d’Artillerie déclenchent leur tir sur la zone sud sur la rive est de la Blind. Les fantassins de Séraigné et ceux du RMT réussissent finalement à repousser les assaillants à l’arme légère mais subissent de lourdes pertes. Le 1er BLE a eu près d’une centaine de tués. Le GT Vézinet déplore la perte de 180 hommes dont le Lieutenant-Colonel Joseph Putz, l’un des premiers ralliés à la France Libre. Le 30-31 janvier, Garbay et Leclerc décident d’arrêter temporairement les frais. Leurs hommes sont fatigués et le temps est toujours aussi sibérien. C’est le 1er février que le SG Sarazac, les Tirailleurs du BM 21 (Commandant Oursel) et des éléments du 1er Régiment de Fusiliers Marins (Pierre de Morsier) finissent par prendre Elsenheim et Marckolsheim.
– Mais l’épreuve des armes ne calme pas les esprits dans les états-majors, comme le note toujours Jean-Christophe Notin (2). Le 29 janvier, au regard des pertes, Leclerc demande que le GT V ne soit engagé qu’avec le soutien de 2 Bataillons d’Infanterie « en bon état » et avec le soutien des chasseurs-bombardiers. Bernard Saint-Hillier enrage alors contre le chef de la 2e DB qu’il accuse d’attaquer seulement quand bon lui semble et surtout quand il est sûr de remporter un succès. Le jugement est bien sévère car Leclerc a bien fait donner sa cavalerie dans les combats de janvier 1945. En revanche, l’animosité des vieux FFL va toujours à Joseph de Goislard de Monsabert, accusé une fois de plus d’avoir gaspillé les forces de la 1re DFL. C’est dans les rangs des Légionnaires que l’on en veut le plus au chef du IInd Corps, le Commandant Arnault, patron de la « 13 » refuse catégoriquement de lui serrer la main après la prise d’Elsenheim. Pour la DMI-DFL, la campagne d’Alsace va s’arrêter là. Elle doit être retirée en vue d’un redéploiement contre les Poches de l’Atlantique. Sauf que ce sont les Alpes-Maritimes (Authion) qui lui sera attribuée. Néanmoins, – toujours pour reprendre les propos de Notin – la plupart des anciens d’Afrique, d’Italie et de Provence percevront ce nouveau comme une injustice. Eux qui avaient formé la première unité combattante contre les Nazis et leurs Alliés, voilà qu’on leur refusait le franchissement du Rhin et l’entrée en Allemagne. Certains en voudront énormément à de Gaulle de ne pas les avoir défendus et ce, au profit des forces de de Lattre.
[Suite]
(1) : Voire sur ce même blog : Jean Touzet du Vigier, commandant de la Saint-Louis
(2) : In NOTIN J-Ch. : Le Général Saint-Hillier. De Bir-Hakeim au putsch d’Alger, Perrin
Remerciements tout particuliers à Patrice S. pour ses précieuses informations.
Serval ou le succès des armes
Par le Général de division (2S) Alain Faupin
Saint-Cyrien (Bugeaud 58-60), le général Faupin a servi dans des unités de cavalerie à cheval, puis de reconnaissance en Algérie, au Sahara et en France au sein de la Légion étrangère. De cette expérience, il a notamment retiré l’importance de l’entraînement pour combattre sur un théâtre aussi exigeant que l’est le Mali à l’heure actuelle. Mais dans cet article introductif, il rend également hommage à la qualité des hommes qui ont commandé et mis en oeuvre Serval.
Le nom des généraux qui ont commandé en chef l’opération Serval au Mali, resteront attachés à ce qui peut être considéré, sans flagornerie ni anticipation, mais sans référence politique non plus, comme un réel succès des armes de la France. Envers et contre tout. Les difficiles conditions de l’engagement, dans l’espace et le temps, dans les domaines diplomatiques, environnemental, technique et humain ont mis en valeur les qualités traditionnelles des forces françaises confrontées à une gageure sans autre précédent dans notre histoire que notre implication dans les mêmes régions il y a un siècle de cela. Que ce soit le fait d’une armée de métier, riche de l’expérience d’opérations extérieures nombreuses et variées, est indéniable ; mais il est arrivé que des armées de professionnels échouent, faute de moyens suffisants, d’une préparation adaptée et d’un commandement compétent. D’un seul coup, cette opération a tout validé, avec panache, brio, efficacité, discrétion et dignité. Mais il est deux noms de généraux auxquels cette opération et son cadre font penser à deux titres différents. Maréchaux l’un et l’autre. Vainqueurs eux aussi : Foch et Lyautey. Il n’est pas question ici d’hagiographie, mais de réalisme.
De l’importance du commandement
Pourquoi Foch ? Simplement parce qu’il exigeait de ses subordonnés, mais aussi de ses pairs et des responsables politiques – de lui même sans doute aussi – qu’ils sachent tout de la mission ; qu’ils aient pris le temps de la situer dans l’espace et le temps ; qu’ils aient clairement identifié les obstacles et leurs adversaires. Sa question était simple et banale, non pour éviter d’être dérangé ou de se perdre dans des demandes d’éclaircissements, mais pour aller droit au but sans détours de pensée, sans perte de temps et sans erreur : De quoi s’agit-il ? En l’occurrence, il est évident que la question a été bien posée et que les réponses ont été de la qualité que l’on connaît. Pourquoi Lyautey ? Cet hyperactif était plus sensible aux évolutions des sociétés qu’aux effets de mode, et sa devise « Manifester la force pour en éviter l’emploi » pourrait figurer en exergue de toutes les missions de pacification et de retour à la paix. C’est l’homme de l’Algérie, du Maroc et du Sahara, tels que nous les connaissons aujourd’hui. Le temps, un siècle exactement, n’a rien changé à leurs frontières et leurs confins, à leurs territoires, à leurs ethnies, à leurs spécificités culturelles, à leurs réalités économiques et sociales, à leurs tensions traditionnelles. Mais la mondialisation, intervenant après la décolonisation, commence à faire exploser ce cadre. Les conditions de la conquête, à l’époque, étaient aussi dures, sinon plus que celle des opérations aujourd’hui. Mais l’adversaire était tout aussi déterminé, plus nombreux, moins fanatisé et moins bien armé. L’eau était la clé de la vie et de la survie, comme elle le demeure. Et l’opposition entre nomades et sédentaires, entre Touaregs et Ksouriens, entre individus de langue tamachek et ceux de langue bambara, se retrouve intacte, avec la seule différence aujourd’hui que les premiers ont en grande partie perdu leur mode de vie et leur “raison d’être” d’éleveurs et de caravaniers. Le milieu a donc changé sous son apparente immobilité et sous un soleil qui y est toujours aussi écrasant.
La conquête s’était accompagnée d’aménagements que les vieilles cartes portent encore, sans que les nouvelles aient jugé bon de les reprendre : ce sont les innombrables points d’eau qui ont été creusés et aménagés par des détachements spéciaux du génie. Faute de suivi, et sans doute de moyens, bon nombre se sont ensablés, puis taris. Il y eut également de nombreuses constructions pour s’abriter du soleil et trouver refuge contre les rezzous. Certaines demeurent, d’autres, plus nombreuses, sont réduites à l’état de ruines mais conservent néanmoins de quoi abriter les naufragés du désert, les touristes en mal d’aventure ou les terroristes en mal de cachette. Avec plus de 2 500 000 km2, le Sahara et le Sahel ne se laissent pas facilement apprivoiser, car ils demeurent une zone de transit, une zone de repli et, l’affaire du Mali, comme celle du Polisario et celle de Libye le montrent à l’évidence, un terrain d’affrontement entre les États et des entités mafieuses, terroristes et criminelles.
De l’importance de l’entraînement
Ce bref retour au passé n’est pas vain car il permet de recadrer et de relativiser les choses. Il faut d’ailleurs retenir des propos du général de Saint Quentin son recours à sa propre expérience des opérations extérieures et sa remarque sibylline mais parfaitement juste que « nous n’avons rien inventé » (grâce aux leçons du passé) « et avons dû inventer » (face aux contraintes inédites). Et c’est bien à leur réaction à l’imprévu que l’on juge un chef, un commandement, une troupe. Dans le cas présent, l’imprévu était de taille : l’urgence absolue de la mission. Il fallait donc être prêt. C’est, avec la logistique et l’adéquation des moyens, la grande leçon de cette belle histoire. L’entraînement est capital si l’on veut pouvoir déployer un contingent aguerri sous vingt quatre heures en n’importe quel point de la planète. Du climat glacial de l’hiver afghan, à la moiteur étouffante du golfe de Guinée, la transition n’est pas aisée. Quant à la vie en opération par 45 degrés celsius, voire plus, pendant une longue – trop longue – période, elle réclame une accoutumance hors de pair aux épreuves physiques qui ne peut s’acquérir que par l’entraînement et la participation fréquente à ce type d’opérations. Il y faut aussi un moral d’acier qui se fonde en partie sur la reconnaissance exprimée par la Nation pour les tâches accomplies dans des conditions qui, en matière de pénibilité, dépassent de très loin celles des métiers réputés pénibles exercés par la société civile. Disponibilité immédiate, entraînement permanent, moral élevé, certes, mais il faut également à une troupe engagée si loin pour une tâche si difficile les moyens logistiques et opérationnels pour la mener à bien. L’expérience vient de montrer que nombre de nos matériels sont à bout de souffle et qu’il manque, à nos prétentions de projection extérieure, les moyens de l’exécuter. Le transport de l’eau, vitale, suffit à nous faire comprendre la réalité du problème, et notre incapacité à le régler seuls et durablement. En bref cela justifie un budget conséquent si, forte de cette expérience très positive sur le plan international, la France veut poursuivre sur cette voie. Le budget actuel de la défense est, dans sa distribution entre les différentes composantes, trop juste pour assurer le renouvellement, l’adaptation, l’acquisition et l’étude des matériels dont nos armées auront besoin pour les missions de demain qui ont toute chance de se passer loin du territoire européen. Il est certain que la conjoncture économique n’est pas favorable ; mais il convient peut-être de faire le dos rond pendant quelque temps jusqu’à ce que revienne la croissance, sans hypothéquer l’avenir en réduisant inconsidérément des forces aguerries, entraînées et volontaires. Irremplaçable sur court préavis et même sur le moyen terme, la formation des hommes, des sous- officiers et des officiers est œuvre de longue haleine et un claquement de doigt ne suffit pas à mobiliser une armée.
« (…) c’est bien à leur réaction à l’imprévu que l’on juge un chef, un commandement, une troupe. Dans le cas présent, l’imprévu était de taille : l’urgence absolue de la mission. Il fallait donc être prêt. C’est, avec la logistique et l’adéquation des moyens, la grande leçon de cette belle histoire. L’entraînement est capital si l’on veut pouvoir déployer un contingent aguerri sous vingt-quatre heures en n’importe quel point de la planète. »
Une partie de la solution se trouve probablement dans une meilleure coopération européenne en matière de politique et de défense. Aux aides ponctuelles apportées à l’opération Serval par quelques rares membres de l’UE, voire de l’OTAN, aurait pu se substituer un effort commun résultant d’une réelle prise de conscience de ce que représentent les “zones grises de la mondialisation” [1] pour la sécurité européenne et régionale en termes de dangers, de menaces et de risques. Même au terme de l’opération Serval proprement dite, même après le rapatriement du dernier de nos soldats engagés à ce titre au Mali, même après la mise en place de la MISMA sous chapeau de l’ONU, le problème géostratégique demeurera. Il se compliquera sans doute de dossiers non encore réglés- AQMI, le Sahara occidental et la Libye-ou totalement explosifs tels que la Syrie et la rébellion au nord du Nigeria, sur fond de compétition pour les ressources naturelles du sous-continent. La convoitise de pays avidement émergents et les besoins de notre continent ne peuvent nous laisser insensibles au sort de cette région.
Nous pouvons d’autant moins baisser la garde que nous avons montré, qu’à l’instar de Foch et de Lyautey, nos généraux et nos forces ont su faire la démonstration de leur efficacité par un des rares succès militaires de l’après-guerre froide. C’est à présent à la politique de prendre ses responsabilités. Évitons, par l’impéritie et le manque de vision, de nous trouver dans le cas qui, au XVIIIe siècle, faisait réagir le maréchal Maurice de Saxe en ces mots : « Nous autres militaires, nous sommes comme ces manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie… »
[1] Patrice Gourdin, Des hommes bleus dans une zone grise, Diploweb du 5 mai 2013
Crédits photos © Brigadier-chef Julien, 515e RT, Tombouctou, 9 avril 2013
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