Posté le 21 mai 2015
Il était « le der des ders ». Lazare Ponticelli, mort en 2008, à l’âge rare de 110 ans, surtout après une vie d’une grande complexité, avait reçu alors des obsèques nationales en souvenir des millions de morts de « cette sale et abominable » guerre de 14-18. Le « dernier des poilus », l’ultime rescapé parmi les 8,5 millions d’hommes mobilisés en bleu horizon, a été honoré, ce matin, à Toulouse, par l’inauguration d’une place en son nom au bout des allées Jules-Guesde, à côté des établissements universitaires voulues par Jean-Jaurès, alors adjoint à Toulouse, à une époque où le jeune immigré italien, arrivé en France ne sachant ni lire, ni écrire, et encore moins parler français, vendait à la criée des journaux, et notamment celui annonçant l’assassinat de …Jaurès, comme l’a rappelé Jean-Luc Moudenc, écouté religieusement par sa petite-fille, et une partie de sa famille, venus pour la circonstance à Toulouse.
IL TRICHE SUR SON AGE POUR ALLER A LA GUERRE
Jusqu’à la fin, ce survivant assemblait à des photos défraîchies de pioupious en capote, les bandes molletières tire-bouchonnées sur les brodequins, à des images tournées à la manivelle d’hommes hirsutes, le regard vide, enterrés vivants dans les tranchées. Avec sa disparition, la première guerre mondiale s’était un peu plus noyé dans les brumes du passé.Avant de connaître l’engagement, les tranchées, les blessures, du sang non français coulé pour la France, Lazare Ponticelli, c’est surtout la vie agitée d’un émigré italien illettré, enfant de rien devenu patron d’une multinationale. Un « Rital » qui voulait se battre pour cette France qui l’avait toléré, puis renié, enfin reconnu sur le tard comme un des siens.
Lazare longtemps Lazzaro, enfant d’une famille pauvre de sept. La sœur aînée emmène une partie des siens « au paradis », là où il y a du travail, en France. A 9 ans, Lazare décide aussi de rejoindre la terre de Molière. Il prend le train pour Paris, débarque gare de Lyon, devient ramoneur et crieur de journaux. Dès la déclaration de guerre, trichant sur son âge, l’Italien s’engage. Il intègre le premier régiment de marche de la légion étrangère de Sidi Bel Abbes, y retrouve par hasard son frère Céleste. « J’ai voulu défendre la France parce qu’elle m’avait donné à manger », expliquait-il alors.
Naturalisé français en 1939, il gèrera, après la Libération, la société Ponticelli frères, qui ne cessera d’aller crescendo en chiffres d’affaires. Avec les travaux publics et l’extraction pétrolière, la Ponticelli connection atteint une dimension internationale. Le groupe pèse aujourd’hui 480 millions d’euros et emploie 3800 salariés.
Du ciel, il peut en être fier. Les siens pensent à lui. Ne disait-il pas à ses compagnons de tranchées: « Quand nous montions à l’assaut, nous nous disions : Si je meurs, tu penseras à moi. »
« Savoir, c’est se souvenir », écrivait Aristote. Toulouse savait qui il était, et l’honore pour que l’on se souvienne du parcours fabuleux du « dernier poilu ».
Laurent Conreur