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1947 - Début de l'insurrection malgache

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Posté le 29/03/2017

 

Le dimanche 30 mars 1947 -- il y a aujourd'hui exactement 70 ans --, les très rares possesseurs d'un poste radio à La Réunion apprennent cette stupéfiante nouvelle : une insurrection a éclaté la nuit dernière à Madagascar. À Saint-Denis, on assiste alors à la ruée des citadins vers les haut-parleurs publics qui diffusent les informations en provenance de la Grande Ile. L'inquiétude se lit sur les visages car, avec la mise en place entre l'aéroport de Gillot et Madagascar d'un véritable pont aérien chargé du transport des militaires de la Caserne Lambert, le doute n'est plus permis : à Madagascar, c'est la guerre (Photo d'illustration)

Chacun devine aisément l’angoisse que l’annonce que ce douloureux événement ne manquera pas de provoquer dans d’innombrables foyers de notre pays, en raison de l’importance du nombre de Réunionnais vivant à Madagascar, qui se chiffre vraisemblablement à plus de 50.000. Cette angoisse est partagée par la communauté  malgache de La Réunion ainsi que par les Réunionnais descendants d’anciens esclaves d’origine malgache, qui représentaient environ le tiers du peuple réunionnais en 1947.

Il est bon de rappeler que sur les 12 premières personnes à fouler pour la première fois de façon pérenne le sol de Bourbon en 1663, on comptait 10 Malgaches (7 hommes et 3 femmes), les deux autres étant les Européens Pierre Pau et Louis Payen).
Lors de l’abolition de l’esclavage en 1848, le nombre de Réunionnais d’origine malgache s’élevait à environ 50.000 sur une population servile de 62.000, la population du pays s’élevant en 1850 à 100.071 habitants (chiffre donné par le gouverneur, mais contesté par Textor — 110.891 — et Maillard — 129.700). On peut donc estimer qu’à cette époque, un Réunionnais sur deux était d’origine malgache.

Ces précisions étant apportées, ajoutons que la nouvelle de l’insurrection malgache plonge dans l’inquiétude tous les Réunionnais, car le ravitaillement de La Réunion, qui dépend de Madagascar pour la quasi-totalité des denrées alimentaires, risque de ne plus être assuré. Aux privations consécutives à la Seconde Guerre mondiale, qui perdurent après la guerre en raison de la destruction de deux-tiers de la flotte commerciale française, s’ajouteront celles du conflit malgache.
Voilà brièvement exposées les réactions provoquées par l’annonce de cette insurrection de Madagascar, qui débute le 30 mars 1947 et ne s’achèvera qu’en fin décembre 1948.

La question que chacun est fondé maintenant à se poser est de savoir les raisons pour lesquelles les Malgaches ont estimé devoir recourir aux armes en cette fin de mars 1947.
Sans la moindre hésitation, il faut répondre que les Malgaches des 18 tribus de la Grande Ile ont inlassablement et énergiquement combattu le statut de colonie française de leur pays, que la loi du 6 août 1896 votée à Paris leur a imposé par la force.

"Il nous faut Madagascar"

Comment ne pas rappeler que, "en s’installant à Madagascar, la France a trouvé non plus un peuple barbare, mais une véritable nation organisée et pensante possédant un esprit national", selon Léon Réallon, gouverneur honoraire des colonies.

Le 15 février 1867, les États-Unis d’Amérique ont signé un traité reconnaissant la souveraineté de la reine Ranavalona II sur l’ensemble de l’Ile; un traité rédigé dans les mêmes termes que le traité anglo-malgache du 5 décembre 1862.

Profitant de son court passage à la tête du ministère français de la Marine et des Colonies, le député réunionnais François de Mahy entend accélérer le processus de colonisation de Madagascar en obtenant du cabinet Fallières l’envoi en 1883 sur les côtes de la Grande Ile d’une flotte en vue de bombarder les ports de Majunga, Tamatave et Vohémar.

Cette intervention militaire est dictée selon François de Mahy par l’ambition d’accomplir à Madagascar "une œuvre de civilisation". Deux ans plus tard, le 28 juillet 1885, le président du Conseil Jules Ferry abonde dans le même sens que le député réunionnais en déclarant: "Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures". Et Jules Ferry d’ajouter à la Chambre des députés: "Les colonies sont pour les pays riches, un placement des capitaux des plus avantageux. (…) C’est pour cela qu’il nous faut Madagascar et que nous sommes à Diego-Suarez et que nous ne les quitterons jamais".

Le 24 juin 1845, le conseil général de La Réunion s’était déjà prononcé pour la colonisation de Madagascar afin "d’assurer les chances d’avenir de nos enfants… et de voir s’élever la fortune de la France et s’accroître ses richesses".
Désormais tout devient clair : Madagascar, un pays souverain, qui ne menace aucun autre pays, doit s’attendre à la fin du 19ème siècle à une occupation militaire dont le seul but est l’exploitation de ses richesses naturelles ainsi que l’exploitation de la force de travail des Malgaches.

Une répression "extrêmement pénible"

L’attente sera de courte durée : dès 1895, à la tête d’un corps expéditionnaire, le général Duchesne débarque à Madagascar. Il sera suivi du général Galliéni, dont le rôle est de s’opposer par la force à l’insurrection qui éclate sur tout le territoire de la Grande Île en vue de combattre la colonisation.

Il s’ensuit une répression, qui, de l’aveu même de Galliéni, sera "extrêmement pénible". Cette répression s’accompagne du massacre de la famille royale et de l’exil de la reine Ranavalona III. Cette féroce répression provoquera la mort de 100.000 à 700.000 Malgaches selon les sources. Dans son ouvrage intitulé ‘’9 ans à Madagascar’’ (1896 – 1905), Galliéni nous apprend que "des pourparlers en vue d’une entente pacifique furent entamés avec les tribus insoumises, mais ils se heurtèrent partout à des refus". Cela prouve l’attachement viscéral des Malgaches à la terre de leurs ancêtres. Cela explique aussi que "l’œuvre de pacification" ait duré 20 ans, malgré les moyens mis en œuvre.

À l’oppression par les armes, s’est ajoutée l’oppression culturelle : la langue malgache, parlée par toutes les tribus, fut remplacée par la langue française.

Des espoirs déçus

Nous en arrivons à l’année 1945, date ô combien importante dans l’histoire de Madagascar. En effet, le 21 octobre 1945, a lieu dans la Grande Île — comme dans tous les pays de l’Empire colonial français — l’élection à la première Assemblée nationale constituante. En dépit de scandaleux truquages, qui sont à l’époque caractéristiques de toutes les élections dans les colonies françaises, Joseph Raseta et Joseph Ravohangy (tous deux médecins), qui se présentent sous l’étiquette ‘’Restauration de l’indépendance malgache’’, enlèvent les deux sièges à pourvoir dans le collège des "non citoyens".

Dès leur arrivée au Palais Bourbon, ils demandent à s’entretenir avec le ministre des Colonies, Marius Moutet, qui refuse de les recevoir. Le 8 décembre 1945, ils déposent sur le bureau de l’Assemblée la proposition de loi suivante : "Article 1 : la loi du 6 août 1896 est et demeure abrogée. Article 2 : Madagascar est un État libre… au sein de l’Union française".

Cette fois, ils se heurtent au refus d’imprimer et de diffuser leur texte. Le président de l’Assemblée, Vincent Auréol, leur déclare que leur proposition de loi "est un appel à la révolte".

Les deux propositions de résolution que les députés malgaches déposent un peu plus tard ne sont pas mieux accueillies que leur proposition de loi.

Les deux parlementaires se tournent alors vers leurs électeurs. Afin de populariser davantage leur revendication, ils fondent le 11 février 1946, le Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache (MDRM). En vue de réduire l’audience de cette formation politique, l’administration coloniale presse les colons ainsi que quelques malgaches de créer le Parti des Déshérités Malgaches (PADESM).
L’élection à la seconde Assemblée constituante du 2 juin 1946 permet à chacune de ces formations de mesurer son audience : le MDRM recueille 78 % des voix (contre 54 % le 21 octobre 1945) et enlève les deux sièges de députés.

"Il faut abattre le MDRM par tous les moyens"

Irrité par un tel succès, Marius Moutet adresse le 9 octobre 1946 à Marcel de Coppet, conseiller d’État, Haut-Commissaire de la République à Tananarive, le télégramme suivant : "Il faut abattre le MDRM par tous les moyens". À la veille de l’élection législative du 10 novembre 1946, Marius Moutet s’adresse encore à De Coppet pour souligner l’importance de cette élection car, affirme-t-il, "c’est l’avenir de la souveraineté française qui est en jeu".

Malgré tous les moyens mis en œuvre par le Haut-Commissaire pour favoriser les candidats du PADESM, on assiste le 10 novembre au triomphe des trois candidats du MDRM, qui recueillent 71 % des voix.

En prévision du scrutin du 12 janvier 1947, la soif de revanche conduit Marius Moutet à adresser à Paul Ramadier, président du Conseil des ministres, un rapport dans lequel il insiste sur "l’urgence de l’envoi à Madagascar d’unités métropolitaines dotées d’un armement moderne… ainsi qu’une unité navale importante dans les eaux de Madagascar".

Là encore, nouvelle déception pour Marius Moutet : malgré le charcutage auquel donne lieu le découpage de Madagascar en 5 provinces — un charcutage condamné par la Commission des territoires d’Outre-Mer de l’Assemblée nationale —, malgré les arrestations préventives des militants du MDRM et malgré la mobilisation des fonctionnaires d’autorité comme agents de propagande des candidats du PADESM, le MDRM obtient à l’élection aux assemblées provinciales 64 sièges sur 92. Ce qui ouvre automatiquement les portes du Conseil de la République (l’actuel Sénat) aux trois candidats du MDRM à l’élection du 30 mars 1947.

Les verdicts successifs des urnes sont tels que les dirigeants du MDRM  se mettent à espérer qu’ils parviendront à arracher l’indépendance de leur pays par la voie légale. Tel n’est pas l’avis d’un certain nombre de militants MDRM, qui s’en tiennent strictement au bilan d’un demi-siècle de régime colonial et rejoignent les sociétés secrètes très structurées qui font de la situation à Madagascar la même analyse qu’eux.

Les causes de l’insurrection

Ce bilan est effectivement calamiteux car, après un demi-siècle de régime colonial, le traitement infligé aux Malgaches est sensiblement le même que celui réservé aux esclaves. Ils sont privés de liberté en raison du "régime de l’indigénat" institué depuis 1904, qui permet "d’emprisonner quiconque déplaît à l’administration"; en raison aussi du "travail forcé" institué en 1926 et qui rend possible tous les excès. Aux Malgaches sont réservés les travaux pénibles et très mal payés refusés par les immigrants, majoritairement des Réunionnais, dont beaucoup n’aspirent qu’à quitter leur île pour "aller faire fortune à Madagascar".

À partir de novembre 1942, "l’effort de guerre" qui est demandé aux Malgaches se traduit par une aggravation de leurs conditions d’existence. Un seul exemple suffit pour étayer cette affirmation : "l’effort de guerre" oblige les Malgaches à vendre à ‘’l’office du riz’’ la totalité de leur récolte. Pour se procurer cette denrée de base de leur nourriture, ils doivent l’acheter à ‘’l’office’’ plus cher qu’ils ne le vendent. Le Haut-commissaire Marcel de Coppet admettra beaucoup plus tard, le 3 mars 1949, que les sacrifices demandés aux Malgaches "n’étaient pas justifiés par l’effort de guerre. Quant aux prestations, elles perdirent leur caractère d’impôts en nature pour s’apparenter à la corvée".

De son côté, le président de la République française, Vincent Auriol, se range à l’avis de De Coppet lorsqu’il déclare devant le Conseil des ministres du 9 avril 1947 : "il est impossible de laisser les grandes sociétés… exploiter les indigènes de l’île (de Madagascar) et réaliser les gros bénéfices qu’elles exportent sans rien faire pour le territoire".

Bref, on peut affirmer sans risque d’erreur qu’à l’origine de l’insurrection malgache de 1947 – 48, il y a l’effroyable misère des autochtones, l’attitude méprisante et brutale de l’administration coloniale française et le comportement de la majorité des colons qui traitent les Malgaches en sous-hommes. À cela s’ajoute évidemment le refus du gouvernement français de dialoguer avec les parlementaires malgaches.

C’est dans un tel contexte qu’éclate l’insurrection dans toute la région orientale de Madagascar.

Dans la nuit du 29 au 30 mars, ce ne sont pas moins de 2.000 à 3.000 hommes équipés d’un armement rudimentaire qui attaquent le camp militaire de Moramanga, à 80 km de Tananarive. Ils tuent une partie de la garnison, s’emparent des armes et mettent le feu à la poudrière avant de se replier sur la voie ferrée reliant Tananarive et Tamatave, qu’ils rendent inutilisable. Prenant ensuite la direction de Tamatave, ils font irruption dans les fermes des gros colons et tuent leurs propriétaires. Simultanément, les mêmes scènes se produisent en de nombreux points de l’Est du pays. Les insurgés commettent des sabotages destinés à ralentir la progression des militaires français chargés de les traquer et se rendent rapidement maîtres d’environ un sixième de l’île.

À vrai dire, cette insurrection ne surprend personne. À Tananarive, les plus hautes autorités de l’île avaient été informées par leurs agents de renseignements de la date exacte de la révolte ordonnée par les sociétés secrètes. Ces autorités se sont bien gardées de prendre toutes les mesures qui s’imposaient car l’occasion s’offrait enfin à elles "d’abattre le MDRM" en le rendant responsable de l’insurrection, qui devait faire très officiellement 89.000 victimes du côté des insurgés, 1.900 tués du côté des troupes coloniales (composées essentiellement de tirailleurs sénégalais et algériens) et 550 tués européens, dont 350 militaires.

Une telle disproportion s’explique par le fait que les insurgés ne disposaient que de sagaïes, de coupe-coupes, de haches, de pioches et de 250 fusils pris lors des attaques de garnison.


Les horreurs de la répression

Dans les heures qui suivent l’attaque du camp de Moramanga, l’appareil répressif se met en marche dans les régions occupées par les insurgés. On y assiste alors à une répression d’une cruauté absolue. Début août, avec l’arrivée en renfort des parachutistes et de la Légion étrangère, ces régions sont quadrillées par les militaires qui procèdent nuit et jour à des exécutions sommaires, à des scènes de pillages, à l’incendie ou au mitraillage de villages, obligeant les populations à se réfugier dans les forêts. Les immigrés, de leur côté, s’organisent en groupes d’auto-défense, qui tuent systématiquement des otages malgaches.

De toutes ces scènes d’horreur — qui conduisent l’avocat et député sénégalais Lamine-Guye à déclarer : "à Madagascar la répression a pris la forme d’un assassinat collectif" —, deux méritent d’être relatées.

1) La tuerie de Moramanga, telle qu’elle a été rapportée par des historiens.

"Le 5 mai 1947, avant l’aube, 166 otages sont transférés à la gare d’Ambatondrazaka et enfermés dans trois wagons plombés, affectés d’ordinaire au transport des bestiaux. Le convoi s’ébranle et arrive en début de l’après-midi en gare de Moramanga. Vers minuit, (…) les militaires de garde reçoivent l’ordre de faire feu sur le train (…) . Les 71 rescapés de cette tuerie sont aussitôt transférés à la prison de Moramanga où pendant 2 jours ils sont soumis à la question (c’est-à-dire la torture). Reconduits à nouveau dans les wagons et laissés sans nourriture, ils en sont extirpés (…) le jeudi 8 mai dans l’après-midi pour être conduits vers le peloton d’exécution (…). L’ordre d’exécution est signé du général Casseville (…). Les otages sont aussitôt abattus sur le bord d’un charnier où s’empilent leurs cadavres".

Ce récit a pu être fait grâce à un blessé qui a pu s’échapper du charnier à la faveur de la nuit.

2) La tuerie et les "bombes vivantes" dans un port de la côte Est.

Le 1er avril 1947, un jeune lieutenant venu de la caserne Lambert (La Réunion) est affecté dans un port de la côte Est de Madagascar. Dès son arrivée, il fait procéder au rassemblement d’une centaine de suspects sur une place publique et donne l’ordre d’ouvrir le feu sur ces derniers.

Dans les jours qui suivent, des prisonniers sont largués vivants d’avions survolant le port. Ces "bombes vivantes" ou "démonstratives" seront périodiquement lâchées sur des "villages dissidents" en vue de terroriser les populations.
Ajoutons que les prisons où sont parqués des milliers de suspects s’apparentent à des camps de la mort.

La lourde responsabilité du gouvernement français

Pendant de longs mois, les responsables de l’administration coloniale française se sont obstinés dans leur tentative de rejeter sur le MDRM la responsabilité de l’insurrection de 1947 et 1948. Mais la vérité finira par s’imposer : les coupables sont à rechercher au sein de l’administration coloniale de la Grande Île et au sein du gouvernement français qui s’est constamment solidarisé avec son ministre de la France d’Outre-Mer, Marius Moutet, auquel il nous faut consacrer une place dans le présent dossier.

On peut raisonnablement penser que le socialiste Marius Moutet, grande figure de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), connaît bien les dossiers de l’Outre-Mer français pour avoir été ministre des colonies de juin 1936 à 1938 dans le cabinet Léon Blum. La Seconde Guerre mondiale terminée, il a conservé ce portefeuille de l’Outre-Mer français dans les cabinets Félix Gouin, Georges Bidault et Paul Ramadier jusqu’à la démission de ce dernier en novembre 1947.

L’attachement du ministre au vieux système colonial

On est fondé à penser que Marius Moutet n’était pas favorable aux évolutions qui devaient marquer l’Outre-Mer français après la guerre de 1939 – 45. Limitons-nous à trois faits qui se sont produits en 1946 et 1947.

1) Le 2 septembre 1945, a lieu la proclamation de l’indépendance de la République du Viet-Nam. Indépendance reconnue par le gouvernement français le 6 mars 1946. Cela n’empêche pas le bombardement de Haïphong les 20 et 23 novembre 1946 par trois navires de guerre français. Un bombardement qui fait 20.000 victimes et qui marque le début de la guerre d’Indochine, précédée normalement d’une courte période de négociation. Mais le 4 janvier 1947, Marius Moutet déclare : "Avant toute négociation, il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une décision militaire". La France se trouve alors engagée dans un ruineux confit, qui ne s’achèvera que le 8 mai 1954.

2) Le 14 mars 1946, se déroule à l’Assemblée Nationale le débat relatif à la transformation des "quatre vieilles colonies" en départements français. À la surprise générale, Marius Moutet déclare : "Pour les vieilles colonies il ne peut y avoir de législations différentes de celles de l’Algérie". Il exprime ainsi sa volonté de ne pas traiter les Guyanais, les Guadeloupéens, les Martiniquais et les Réunionnais à égalité avec les citoyens français et de s’opposer au combat de ces derniers pour la décolonisation de leur pays.

3) À Madagascar, Marius Moutet nomme en mai 1946 au poste de Haut-Commissaire Marcel de Coppet, un haut fonctionnaire auquel il a une totale confiance et qui, comme lui, a adhéré à la SFIO en 1920. Partisan farouche du maintien dans la Grande Île du régime colonial, il n’hésite pas à faire du Haut-Commissaire l’exécuteur sur place de toutes ses volontés. Le 9 octobre 1946, rappelons-le, il adresse à De Coppet le télégramme suivant : "Il faut abattre le MDRM par tous les moyens". Il n’ignore sans doute pas qu’il demande ainsi au représentant de la France à Tananarive de violer la Constitution d’octobre 1946, dont le préambule est clair : "La République n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple". C’est, au demeurant, des forces armées supplémentaires pour Madagascar qu’il réclame au Président du Conseil, Paul Ramadier.

Début avril 1947, Marius Moutet demande à De Coppet de faire procéder à l’arrestation des 5 parlementaires malgaches présents dans l’île. Là encore, il ne peut ignorer qu’il viole la Constitution française, qui prévoit expressément que toute arrestation de parlementaire ne peut avoir lieu avant la levée de leur immunité. Ce qui lui a valu d’ailleurs "une plainte en forfaiture retenue par le Parquet" mais probablement enfouie ensuite dans les tiroirs du ministère de la Justice…

En vue sans doute d’amener Marius Moutet à abandonner ses fantasmes en matière de politique coloniale, Marcel de Coppet lui adresse en juillet 1947 le rapport suivant, dont voici de courts extraits :

"La première constatation que la révolte malgache aura permis de faire, c’est que le sentiment patriotique des Malgaches est profondément ancré, non seulement dans l’âme des élites de ce pays, mais aussi dans les couches sociales les plus humbles. (…) Ce sentiment patriotique a pris racine dans le sol même de la terre des ancêtres. (…) On peut affirmer, sans risque d’erreur, que toute la population autochtone de Madagascar aspire à l’indépendance totale de la patrie malgache. (…) On peut également avancer qu’il n’est pas de force matérielle, de domination oppressive (…) qui puissent jamais contraindre les Malgaches à renoncer à leur idéal car, à leurs aspirations patriotiques, ils ont fait par avance le sacrifice de leur vie. On ne vient pas au bout d’un sentiment national populaire par la violence. L’indépendance de Madagascar sera, quoi qu’il arrive".

En dépit de ce courageux rapport, Marius Moutet s’obstinera à violer les institutions de la République. Ainsi, le 16 juillet 1947, il télégraphie au Haut-Commissaire : "Poussez les magistrats à faire leur devoir et ceux qui ne le font pas, signalez-les moi. Je suis prêt à les envoyer devant le Conseil Supérieur de la Magistrature".

Une semaine plus tard, le 24 juillet 1947, Marius Moutet fait devant le Conseil de la République cette déclaration stupéfiante : à Madagascar, "il faut occuper le terrain par la vieille méthode de Galliéni, qui a fait ses preuves…". Marius Moutet exprime ainsi sa volonté de massacrer tous les opposants à sa politique coloniale, en violation de l’engagement pris par la France à San-Francisco le 26 juin 1945 de "tenir compte dans ses colonies des aspirations politiques des populations".

Un mois après l’envoi de ce télégramme, du 14 au 17 août 1947 se tient à Lyon le Congrès socialiste, dont voici un extrait de la résolution finale : "Le Congrès condamne plus que jamais le vieux système colonial… qui n’avait pour but que l’exploitation des terres et des peuples".

La résolution du Congrès socialiste allait-elle conduire Marius Moutet à renoncer à sa politique coloniale et à son désir d’éliminer définitivement le MDRM de la scène politique ? La réponse est non !

Le soutien de Marius Moutet au tortionnaire Baron

Non, parce qu’informé par son ami Gaston Deferre (en mission à Madagascar en juin 1947) des "méthodes scandaleuses" utilisées par le Chef de la Sûreté Baron pour bâtir le dossier qui devait justifier l’arrestation, puis le jugement des responsables du MDRM par la Cour criminelle de Tananarive, il n’eut pas un seul mot pour condamner le tortionnaire Baron, qui put en conséquence continuer à torturer et à faire torturer tous les Malgaches convoqués comme témoins ou inculpés au siège de la Sureté à Tananarive.

Pire, lorsque fin juin Baron, inquiet après le passage de Gaston Deferre à la Sûreté, proposa sa démission, le ministre intervint pour qu’il reste à son poste sous le prétexte que le départ de Baron aurait provoqué une explosion de colère chez les Européens; explosion de colère pouvant tourner à l’émeute à Tananarive. Baron put donc ficeler le plus important dossier présenté par l’accusation lors du "honteux procès" des parlementaires malgaches, considéré à juste titre comme une "affaire Dreyfus à l’échelle d’un peuple".

Il faut savoir que Baron a été muté à Paris au ministère de l’Intérieur fin 1947, après la démission du cabinet Ramadier. Il n’y est toutefois pas resté, rappelé à Madagascar par des "amis" qui tenaient à lui exprimer leur gratitude en lui offrant un poste important à la tête d’une grande compagnie coloniale. Une telle récompense se passe évidemment de commentaires.

Avant de refermer ce dossier relatif à l’insurrection malgache de 1947-48, je crois devoir dire que mon seul souci en évoquant ce douloureux événement de l’immédiat après-guerre a été d’apporter ma contribution à l’appropriation de leur histoire par les Réunionnais. Car l’histoire de Madagascar est aussi l’histoire de notre pays. Les échanges entre ces deux îles si proches géographiquement ont été tellement fréquents et importants au cours des derniers siècles, qu’aujourd’hui, la culture créole réunionnaise est fortement imprégnée de culture malgache. Ce constat doit nous inciter à être très attentifs au renforcement de la coopération solidaire entre nos deux pays. Notre avenir comme celui de Madagascar en dépend.

Eugène Rousse

Notes bibliographiques :
• "Massacres coloniaux" de Yves Berrot. Éditions La Découverte.
• "La Réunion Républicaine au 19ème siècle" de Yvan Combeau et Prosper Ève. Collection Futur Antérieur.
• "L’insurrection malgache de 1947" de Jacques Tronchon. Éditions Carthala.
• "Contribution à l’histoire de la nation malgache" de Pierre Boiteau. Éditions Sociales.
• "La SFIO et Madagascar 1947" de Jeanine Harovelo. Collection Repères pour Madagascar et l’Océan Indien, L’Harmattan.
• Annales de l’Assemblée Nationale.


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