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Lazare Ponticelli, le dernier des Poilus

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Par Sylvain Rakotoarison (son site) vendredi 22 décembre 2017

Lorsque j’étais petit, je me souviens nettement avoir fait un rapide calcul pour savoir quel âge avait eu mon arrière-grand-mère, que j’adorais et qui me le rendait bien, lorsque la Première Guerre mondiale avait éclaté : 30 ans ! Diable ! Si âgée que cela ! Presque l’âge de ma mère à l’époque du calcul. Je n’avais que 8 ans et pour moi, cette guerre était d’abord une guerre de livre d’histoire, comme celle de "70" (1870) qui a laissé des traces indélébiles dans les cœurs, même le mien, en raison de la situation géographique de la Lorraine et de la perte de l’Alsace-Moselle (dans les classes, on faisait chanter aux enfants des chansons qui dataient de la guerre de 1870). Au début de la guerre 1914-1918, mon arrière-grand-mère n’avait pas encore d’enfant (ils sont nés un, deux et quatorze ans plus tard). J’avais la photo de son mari, de deux ans plus jeune qu’elle, en uniforme, j’en étais presque fier, même si je n’ai pas eu la chance de l’avoir connu, mais il n’y avait pas de quoi être fier, tous les jeunes hommes étaient mobilisés.

C’est treize ans après mon arrière-grand-mère qu’est né Lazare Ponticelli, en Italie (il était Italien), c’est-à-dire il y a cent vingt ans, le 24 décembre 1897 dans le nord de l’Italie. Il a connu trois siècles. Son nom est devenu célèbre le 23 août 2007 lorsqu’il ne restait plus que deux Poilus ("officiels") survivants, lui et Louis de Cazenave (né le 16 octobre 1897), à la mort d’Aimé Avignon, né le 2 février 1897.

Le Président Jacques Chirac avait voulu honorer le dernier Poilu survivant en 2005, en lui réservant une place au Panthéon. Ces trois personnes furent des supercentenaires (plus de 110 ans). Lazare Ponticelli ne voulait pas d’un tel honneur mais après la mort de Louis de Cazenave le 20 janvier 2008, il ne restait plus que lui, à sa grande déconvenue. Avant d’être le dernier, Lazare Ponticelli avait fait état de son opposition à une cérémonie qu’il considérait comme injuste : « Je refuse ces obsèques nationales. Ce n’est pas juste d’attendre le dernier Poilu. C’est un affront fait à tous les autres, morts sans avoir eu les honneurs qu’ils méritaient. On n’a rien fait pour eux. Ils se sont battus comme moi. Ils avaient droit à un geste de leur vivant. Même un petit geste aurait suffi. » ("Le Monde" du 10 novembre 2007).

Issu d’une famille montagnarde pauvre et nombreuse, Lazare Ponticelli fut orphelin de père très tôt (en 1903) tandis que sa mère et ses frères et sœurs ont dû émigrer à Paris pour y gagner un peu d’argent (car sans revenu du père et du frère aîné également décédé), sans lui car ils n’avaient pas assez d’argent pour lui payer son billet de train. Ses premières années furent pour lui très formatrices, car dès l’âge de 6 ans, il lui fallait travailler : « J’ai tout appris de quatre à sept ans et, ce que mon père m’a dit, je ne l’ai jamais oublié : avec le courage, on arrive toujours à ses fins ; bien sûr, on vit des mauvais moments, mais aussi des bons. » (décembre 2006).

À l’âge de 9 ans, en 1907, Lazare a réussi à prendre le train de Piacenza, en Italie, jusqu’à Paris. Au bout de quelques jours traînant dans la gare de Lyon, il fut recueilli par un chef de gare qui l’a conduit dans un quartier d’immigration italienne. Il commença à faire des petits boulots, et c’est étrange comme la petite histoire côtoie la grande : il fut vendeur de journaux à la criée le jour de l’assassinat de Jean Jaurès, tout le monde dans la rue voulait acheter son journal, et il fut aussi garçon coursier pour la physicienne Marie Curie (qui avait déjà reçu un Prix Nobel).

Après une activité de ramonage qui prospérait avant la guerre (mais plus après), il décida de s’engager dans l’armée pour gagner sa vie. Entre août 1914 et mai 1915, Lazare Ponticelli, de nationalité italienne vivant à Paris et trichant sur son âge, s’est engagé à la légion étrangère pour combattre aux côtés des troupes françaises au Chemin des Dames, puis dans l’Argonne (région qui s’étend sur une partie de trois départements, la Meuse, les Ardennes et la Marne), enfin à Verdun. Il sauva la vie à deux soldats blessés, un Allemand et un Français.

À cause de l’entrée en guerre de l’Italie, la France l’a rejeté de ses troupes car il fut mobilisé dans l’armée italienne, et contre sa volonté, il a poursuivi la guerre dans les troupes italiennes contre les troupes autrichiennes entre fin 1915 et novembre 1918. Les combats furent durs, il fut blessé au visage et fut opéré sans anesthésie, et en 1918, à Monte Grappa, dans les Préalpes vénitiennes, il a vu ses camarades mourir sur le front dans des conditions atroces. Lors d’une bataille à la mitrailleuse, il a réussi à faire prisonniers 200 soldats autrichiens.

Après la guerre, il resta encore mobilisé dans l’armée italienne jusqu’en 1920. Puis, Lazare Ponticelli retourna à Paris et a créé avec ses deux frères (dont un qu’il avait retrouvé dans la légion étrangère, engagé comme lui) une entreprise de chauffage et tuyauterie dans le secteur industriel (son premier client fut Beghin, puis des raffineries de pétrole). L’entreprise a bien prospéré : devenue une multinationale, elle compte maintenant plus de 2 000 salariés français.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Lazare Ponticelli a demandé la nationalité française pour s’engager mais à 39 ans, il était déjà trop âgé et on le préférait travaillant à l’effort de guerre dans son entreprise qu’il a délocalisée dans la zone libre, puis relocalisée à Paris après l’invasion de la zone libre. Il s’engagea alors dans la Résistance en détournant des wagons d’obus et en mettant à la disposition des FFI les véhicules de sa société lors de la libération de Paris.

Lazare Ponticelli a pris sa retraite en 1960 et se retira dans une maison de campagne. Il n’a pas parlé de ce qu’il avait vécu pendant la Première Guerre mondiale jusque vers la fin des années 1990 (il était déjà proche du centenaire). On lui a remis la Légion d’honneur le 11 novembre 1995 (à l’âge de 97 ans), comme tous les autres anciens combattants de la Grande Guerre survivants (Jacques Chirac a été le premier Président qui se préoccupa de ces anciens combattants).

Peu avant ses 110 ans, Lazare Ponticelli assista comme chaque année, mais pour la dernière fois, aux commémorations de l’Armistice (le 11 novembre 2007) : « Avant de passer à l’attaque, les camarades et moi, on se disait : si je meurs, tu penseras à moi. C’est pour ça que, depuis que la guerre est terminée, je vais tous les 11 novembre au monument aux morts. » (décembre 2006). Après la mort de Louis de Cazenave, Lazare Ponticelli accepta le 23 janvier 2008 des obsèques nationales simples et dédiées aux combattants de la Première Guerre mondiale. Pas question du Panthéon, son esprit de famille lui préférant de reposer auprès des siens.

Lazare Ponticelli est mort le 12 mars 2008. Une cérémonie d’hommage a eu lieu le 18 mars 2008 dans la cour d’honneur des Invalides après une messe à la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides (le même genre de cérémonie que récemment pour Jean d’Ormesson, mais aussi Simone Veil, Michel Rocard, etc.), en présence du Président de la République Nicolas Sarkozy, de son prédécesseur Jacques Chirac, du Premier Ministre François Fillon et de la plupart des membres du gouvernement. Un ministre italien a représenté l’Italie.

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Ce fut l’écrivain Max Gallo qui prononça l’éloge funèbre en faisant référence au témoignage bouleversant de Primo Levi sur les camps d’extermination de la guerre suivante ("Si c’est un homme"). Une plaque a été posée aux Invalides : « Alors que disparaît le dernier combattant français de la Première Guerre mondiale, la Nation témoigne sa reconnaissance envers ceux qui ont servi sous ses drapeaux en 1914-1918. La France conserve précieusement le souvenir de ceux qui restent dans l’histoire comme les Poilus de la Grande guerre. ».

Lazare Ponticelli fut un miraculé multiple. Car il faut savoir vivre jusqu’à 110 ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Et déjà survivre à 16 ans en pleine guerre : « J’ai eu de la chance. Des dizaines de balles me sont passées entre les jambes, aucune ne m’a touché. (…) Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous. » ("L’Express" du 12 mars 2008). Au-delà de l’héroïsme du soldat en 1914, du résistant en 1942, il fut aussi l’une des preuves éclatantes d’une immigration réussie puisqu’il a toujours considéré que sa patrie était la France, pour laquelle il était prêt à perdre la vie, et un entrepreneur à succès puisque sa petite entreprise est devenue un grand groupe.

Selon l’Encyclopedia Britannica, plus de 65 millions de personnes ont combattu lors de la Première Guerre mondiale et 9,8 millions de militaires en sont morts. On a dénombré plus de 4 000 anciens Poilus en novembre 1995, 191 en novembre 2001, 87 en novembre 2002, 52 en novembre 2003, 24 en novembre 2004, 12 en novembre 2005, 8 en novembre 2006 et 4 en novembre 2007.

Après la mort de Lazare Ponticelli, il y a eu encore deux anciens combattants français qui n’ont pas eu le "statut" de combattant car ils sont restés moins de trois mois au front : Fernand Goux, né le 31 décembre 1899 et mort le 9 novembre 2008 (il arriva au front le 3 novembre 1918), et Pierre Picault, né le 27 février 1899 et mort le 20 novembre 2008.

Lazare Ponticelli était le dernier combattant français mais pas le dernier combattant tout court. Le dernier engagé dans ce conflit fut une vétéran britannique, Florence Green, née le 9 février 1901, engagée en septembre 1918, et morte le 4 février 2012.

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Après la mort de Lazare Ponticelli, entre ces deux dates, 2008 et 2012, il y a eu encore quinze anciens combattants survivants supercentenaires (ou pas loin), dans d’autres pays : Yakup Satar, né le 11 mars 1898 en Crimée et mort le 2 avril 2008, fut le dernier combattant ottoman ; Franz Künstler, né le 24 juillet 1900 et mort le 27 mai 2008, fut le dernier combattant austro-hongrois ; l’Ukrainien Mikhaïl Kritchevski, né le 25 février 1897 et mort le 26 décembre 2008, fut le dernier combattant de l’armée impériale russe ; Francesco Chiarello (atteint de paludisme en 1918 en Albanie), né le 5 novembre 1898 et mort le 27 juin 2008, et Delfino Borroni, né le 23 août 1898 et mort le 26 octobre 2008, furent les deux derniers combattants italiens ; Waldemar Levy Cardoso, né le 4 décembre 1900 et mort le 13 mai 2009, fut le dernier combattant brésilien (devenu maréchal de l’armée brésilienne en 1966) ; Sydney Lucas, né le 21 septembre 1900 et mort le 4 novembre 2008, et John Campbell Ross, né le 2 août 1899 et mort le 3 juin 2009, furent les deux derniers combattants australiens ; John Babcock, né le 23 juillet 1900 et mort le 18 février 2010, fut le dernier engagé canadien (il n’a pas combattu au front) ; Frank Buckles, né le 1er février 1901 et mort le 27 février 2011, et Andrew Rasch, né le 5 octobre 1901 et mort le 10 décembre 2011, furent les deux derniers engagés américains ; les quatre derniers combattants britanniques furent Henry Allingham, né le 6 juin 1896 et mort le 18 juillet 2009, Harry Patch (le dernier survivant à avoir combattu dans les tranchées), né le 17 juin 1898 et mort le 25 juillet 2009, Claude Choules, né le 3 mars 1901 et mort le 5 mai 2011, enfin, Florence Green, déjà citée. Quant au dernier combattant allemand, Erich Kästner, né le 10 mars 1900, il est mort avant Lazare Ponticelli, le 1er janvier 2008.

Mais ces derniers étaient des survivants. Pour se souvenir des combattants morts pendant cette guerre tragique, des plaques commémoratives qui ont énuméré leurs noms ont été posées dans toutes les communes de France. Histoire de dire que ce serait la "der des ders"…

Note historique sur le siècle antérieur : Les deux derniers vétérans survivants de l’armée française lors des guerres napoléoniennes (entre 1792 et 1815) furent le Français Louis-Victor Baillot (considéré comme le dernier survivant de la Bataille de Waterloo), né le 9 avril 1793 et mort le 3 février 1898, et le Néerlandais Gerrit Adriaans Boomgaard, né le 21 septembre 1788 et mort le 3 février 1899 (considéré comme le premier supercentenaire "homologué").


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