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Légionnaire toujours...

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L’immortalité du service de la France

 

Ce mois-ci, j’ai mesuré “l’aubaine d’être né en ce temps” selon la belle formule de Fabrice Hadjadj. En effet, deux départs apparemment très différents m’ont donné une forme d’héritage commun, inespéré dans une actualité parfois morose.

Il s’agit du départ de deux caporaux-chefs : l’un nommé il y a un peu plus d’un mois, l’autre il y a un peu plus de dix ans ; l’âge de l’un ne suffirait pas à remplir la moitié de la vie de l’autre ; les deux étaient en opération au sein de la 13e DBLE, l’un à Bir Hakeim, l’autre à Tombouctou ; les deux partent épuisés, l’un au bout de ses 101 ans, l’autre marqué dans sa chair par une balle reçue en pleine tête. L’un a fait le grand départ, l’autre est parti à la retraite dans son pays natal. Les deux ont vécu intensément leur attachement au képi blanc, et n’emportent qu’une seule chose : leur service avec “Honneur et Fidélité”.


Le 15 octobre dernier, le Boudin a retenti dans la cour des Invalides, pour le caporal-chef d’honneur Hubert Germain qui par fidélité à ses légionnaires ne souhaitait qu’un honneur de plus, lui qui les avait tous eus : rejoindre ses chers képis blancs. Lors de la remise de son grade honorifique, Hubert Germain nous a légué un témoignage en forme d’héritage. Pris par l’émotion à l’évocation de sa vie de lieutenant de Légion, il ramena dans un mouvement interminable, ses longues et fines mains sur son visage : “pardonnez-moi, c’est trop d’émotions, mes légionnaires, je ne pense qu’à eux aux derniers moments, ceux que j’ai emmenés à la mort. La seule chose que j’emmènerai dans ma tombe c’est ce képi blanc” et puis d’ajouter en forme de pirouette, “j’aimerais tellement que mon père soit là, lui qui devant mes insolences rebelles me prédisait au mieux un avenir de caporal- chef, je voudrais qu’il voie que j’y suis arrivé !” Les linceuls n’ont pas de poches… Hubert Germain n’a emporté dans son cercueil que ce galon et ce képi de caporal-chef : “je peux mourir maintenant”, avait-il confié au major Franck Chemin peu de temps après la remise.


Le 12 octobre, je recevais le caporal-chef Gabriel Sink pour son départ à la retraite. Le COMLE remet effectivement aux légionnaires de plus de 25 ans de services ainsi qu’aux détenteurs de faits de guerre, la médaille du général marquant la reconnaissance tout entière de la Légion étrangère. Sink se présente donc avec un large sourire, dont l’éclat dissimule un côté droit figé. Nous évoquons ses 22 ans de service et bien sûr cette attaque du 14 avril 2018 sur le poste de Tombouctou. Posté sur le mirador, me raconte- t-il, le premier véhicule suicide fait exploser l’entrée principale. Les tirs de mortiers suivent, il voit un légionnaire en difficulté plus bas. Il tire “ en doublette” pour permettre le dégagement de son camarade jusqu’au moment où un effroyable choc le projette en arrière. Une balle vient de le frapper à l’œil droit. La suite, ce sera au milieu du coma, des moments de conscience où le caporal-chef Sink demandera si le poste a résisté. Il ne peut aujourd’hui poursuivre ses services, il a besoin de repos pour calmer ses maux de tête. Il part heureux, me dit-il, de son temps à la Légion : “je pars, mais s’il y a besoin je reviens mon général et s’il le faut je donnerais mon second œil pour la Légion”.


Que dire de plus pour illustrer la portée de notre devise “Honneur et Fidélité” qui anime la Légion étrangère depuis sa création et qui s’affiche fièrement sur nos emblèmes depuis cent ans. Les deux caporaux-chefs avaient un visage marqué par la vie. Les visages d’Hubert et Gabriel étaient lumineux et témoignent de l’immortalité d’un service avec Honneur et Fidélité… ainsi va la Légion.

 

 

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère


La préparation opérationnelle : le contrat de confiance

“Dans l’armée, on attend beaucoup mais on le fait tôt !”   Cette maxime, un brin moqueuse, rejoint la question du non initié : que fait le militaire lorsqu’il n’est pas en opération ?

S’il n’y a plus vraiment de “bidasse” pour témoigner des longues heures d’attente à ne rien faire, après un rassemblement aux aurores, la question autour des occupations quotidiennes du soldat reste d’actualité ; Elle m’a été posée. Que font nos légionnaires dans leur quartier ?

Ils épargnent, sans cesse, frénétiquement … de la confiance.


Pour le soldat, la confiance est l’or moral, essentiel pour vaincre au combat  : confiance dans ses techniques, ses matériels, ses procédures ; confiance aussi dans son binôme, son chef, ses voisins ; confiance dans la section d’à côté qui effectuera le meilleur appui possible  ; confiance aussi dans la “chaîne santé” qui fera des miracles pour le sauver en cas de blessure.  En définitive, confiance en lui lors du combat, puisqu’il a connu à l’entraînement une situation proche et qu’il a répété maintes fois les bons gestes. Il sait qu’il peut faire face, il sait comment faire face. Malgré le stress, la fatigue et ses capacités diminuées, il sait que les réflexes prendront le dessus et qu’il pourra concentrer ses faibles ressources physiques et intellectuelles à la gestion de l’imprévu.


Comme les militaires, les sportifs de haut niveau s’entraînent pour engranger de la confiance. Avant de s’élancer, le sauteur en hauteur joue et rejoue dans sa tête les séquences d’un saut gagnant, s’appuyant ainsi sur des repères récents. L’image d’un XV de rugby préparant le prochain match est plus exacte. Derrière leur manager, joueurs et techniciens travaillent à l’entraînement une multitude de savoir-faire individuels et collectifs, pour préparer “l’affrontement réel sur le pré”. Comme pour nos sections, la technique d’un spécialiste et le courage individuel ne suffisent pas. La victoire nécessite un jeu collectif et un esprit d’équipe.


La préparation opérationnelle est l’école du jeu collectif. Dans notre armée de Terre, elle est l’œuvre des divisions et des brigades, organisée par un commandement spécialisé et vise à multiplier les mises en situation de nos unités. L’équation d’un entraînement le plus réaliste possible est vertigineuse tout comme est vertigineux son enjeu associé. L’histoire militaire, comme les palmarès sportifs, montre à l’envie des retournements magistraux de pronostics, où le favori devient le vaincu par défaut de préparation opérationnelle. “L’étrange défaite” de l’armée française en juin 1940 est de ceux-là.


L’inversion de la courbe de confiance des soldats français a malheureusement conduit à la débâcle, en dépit de résistances locales héroïques. 
Dès lors, pour le chef militaire, la journée, ou les heures, changent d’apparence et deviennent des trésors d’instants à ne pas louper. Comme le chercheur d’or, le chef de tous niveaux manipule avec constance et détermination sa batée en espérant voir apparaître la pépite d’un temps de préparation opérationnel réussi. Alors oui, avec 24h par journée, les temps à l’entraînement ne peuvent être gaspillés et oui, mieux vaut se lever un peu plus tôt pour être certain de ne pas rogner sur l’exercice longuement préparé, demandant une conjonction de moyens rares et mutualisés. “Il n’y a pas d’hommes forts, me répétait le lieutenant en premier de ma première compagnie d’affectation, il n’y a que des hommes entraînés”.


Ce numéro de Képi blanc vous présente ainsi le quotidien du légionnaire marqué par l’entraînement au jeu collectif. Et lorsque cet entrainement laisse un temps libre, il est immédiatement occupé à cultiver l’esprit d’équipe, le second ingrédient de la victoire.


L’esprit de corps, c’est ainsi qu’il s’appelle chez nous, permet de construire une unité de combat et de lui donner sa solidité au quotidien, comme en opérations. Il est un mélange d’amitié, de respect mutuel, de camaraderie, de sympathie, de complicité et de volonté d’aller ensemble vers un même but. En puisant dans l’exemple des Anciens, il permet le coup de rein supplémentaire pour repartir à l’assaut et fabriquer de nouvelles gloires, selon l’expression du lieutenant-colonel Jeanpierre. Il est cette force d’âme qui permet de relever les défis des missions impossibles.


Comment alors allier les deux conditions de la victoire et exceller dans l’art de la Guerre ? Maîtriser les techniques nouvelles tout en entretenant l’esprit de combat, n’est pas un défi nouveau. Il se pose aujourd’hui à nos unités, lancées dans la transformation SCORPION, comme hier pour cette compagnie du 3e REI lors de la création en 1948 des légionnaires parachutistes. La compagnie Morin nous fournit les références pour relever le défi de l’art militaire qu’ils ont su magnifier. En alliant la passion et la rigueur de l’entraînement à une technique nouvelle, le parachute, et un esprit de corps indestructible, les BEP nous montrent la voie. More Majorum, les légionnaires sont à l’entraînement tous les jours et fêteront le 16 octobre, avec autant de rigueur, les 100 ans de leur devise “Honneur et Fidélité”.

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère


La Légion ultramarine : c’est d’abord la Légion

 

Drôle de titre pour un numéro de Képi Blanc Magazine. Qualifie-t-on la marine “d’ultra marine” ?

La Légion est par essence ultramarine, même si la plupart de ses ports d’attache sont aujourd’hui métropolitains.

L’acte de naissance de la Légion étrangère en a fait une troupe de combat expéditionnaire, créée pour combattre “hors du territoire continental du royaume”. L’Algérie fut son berceau. En 1831, les premiers légionnaires débarquant à Oran rejoignirent l’Armée d’Afrique pour ne plus la quitter, au moins pour ce qui concerne les traditions. Dès 1843, un “poste magasin” est créé aux portes du désert, au marabout de Sidi-Bel Abbès, dans une zone marécageuse impaludée. La Légion édifiera une ville en ce lieu insalubre et en fera sa Maison mère et le point de départ d’expéditions lointaines pour plus de 100 ans. Les légionnaires bâtisseurs renouvelleront souvent ces travaux d’Hercule comme à Kourou lorsqu’il s’est agi, à partir de 1973, d’assainir le terrain du futur centre spatial guyanais ou d’ouvrir la route de l’Est. Hubert Curien, président du CNES décernera au 3e REI en 1979 la médaille de vermeil de l’établissement, en reconnaissance du rôle joué par les légionnaires dans cette extraordinaire aventure qui dure toujours. Mais revenons à l’histoire ; la Légion s’engagera sur tous les continents. Il n’est pas une mer dans le monde qui n’est un jour vu flotter notre fanion vert et rouge : la noire, la rouge, celle d’Oman ou de Chine, des Caraïbes jusqu’à l’océan Indien et même le Pacifique qui eut son régiment dans la lointaine Polynésie de 1963 à 2000.

Les dorures de notre monument aux morts n’en sont-elles pas le témoin ?

Ultramarine, la Légion l’est donc par son Histoire, par ses gènes pourrait-on même dire. Mais elle l’est aussi et surtout, par l’esprit : mystérieuse, parfois inquiétante, toujours fascinante, comme peut l’être une autre terre au-delà de l’horizon ; aventurière comme l’explorateur décidé à aller là où les autres ne vont pas ; passionnée, prête à tout abandonner et à partir dans les lointains. Peu importe pour le légionnaire que le sel de la mer fasse place au sable du désert, à la poussière de latérite ou à la boue de l’enfer vert ! L’immensité est là et dans les têtes le départ est sans retour. Tout le nécessaire est dans le sac qui écrase les dos, donc le minimum. C’est la marque de l’aventurier de ne pouvoir tout emporter et ainsi de dépendre du milieu inconnu qui l’accueille. Si le sac n’est guère encombré, le reste, et dans ce reste particulièrement le rêve, suffit à remplir sa tête et à le faire se mouvoir.

Au-delà de la rime facile, n’est-ce pas là l’imaginaire lié à l’Outre-Mer ?

Le piment de l’Outre-Mer est indispensable à la vie légionnaire. Tout y est plus corsé, les efforts comme les amours. Tout n’y est pas traçable, le droit à l’oubli et à la deuxième chance existent là-bas.
L’Outre-Mer a d’autres règles, tout comme le légionnaire, défini comme un irrégulier par Joseph Peyré(1). “Et puis là-bas, on peut se refaire !” paroles d’un candidat à l’embarquement sur le “Patriote”, navire de l’expédition Choiseul pour la Guyane au XVIIIe siècle ou celles d’un candidat à l’engagement à la Légion étrangère ?

Étienne de Montety décrit parfaitement ce phénomène dans la préface du dictionnaire de la Légion étrangère(2). Il y cite plusieurs vers de légionnaires à l’âme de poètes, comme ceux d’Arthur Nicolet :

“Baroudeur parfumé de poudre et de tabac,

J’ai porté ma fortune et mes coups d’estomac

Aux seize vents des antipodes.

Ivre, j’ai vu griller à travers mille fleurs

Prismes chantant percés de flèches de couleurs

Les minarets et les pagodes”.

La Légion étrangère est née ultramarine, au sens de territoires français hors métropole qui lui servaient de résidence. Et si elle n’est présente aujourd’hui que dans deux territoires ultramarins sur les douze que compte la France, Guyane et Mayotte, avec seulement 7% de ses effectifs, l’esprit ultramarin y est partout présent.

Que ce soit en Guyane ou à Mayotte, les cadres et légionnaires y puisent au cours de leurs séjours les richesses des territoires. Les cadres sont à l’école des chefs et de l’autonomie, les légionnaires découvrent des milieux exigeants et s’y aguerrissent, les familles remplissent leur besace de souvenirs communs et apprennent aux enfants les difficultés du retour puisqu’alors personne ne les croira.

L’esprit de Corps se renforce spécifiquement dans les Outre-Mers. Les catégories se rapprochent, le tempo des activités s’ordonne différemment. La Légion a besoin d’Outre-Mer car elle y plonge une partie de ses racines. Elle répondra favorablement à tout projet visant à les développer.

Enfin, parler des Outre-Mer à cette période de l’année n’est pas incongrue. Le lagon de Mayotte ou les criques de Guyane produisent toujours un effet de “carte postale de vacances” ; l’occasion de souhaiter à tous un bon repos estival, bien mérité… Mais ne vous y trompez pas, pendant ce temps de relève des équipes, nos régiments des Forces de souveraineté poursuivent leur mission !

En avant,… toujours en avant !

(1) L’escadron blanc

(2) “La promesse de l’extraordinaire”, la Légion étrangère histoire et dictionnaire

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère


La cavalerie légion : 100 ans de traditions et de modernité

Avec ce numéro consacré à nos légionnaires cavaliers, la trilogie des armes composant la Légion étrangère se termine. Il manquait un horizon au combat du légionnaire. Si le sapeur est le combattant des 300 premiers mètres et le fantassin, celui des 300 derniers, cette ligne des 300 mètres se devait d’être franchie.

Partir en reconnaissance, se porter au-delà des contours mal connus du dispositif ennemi afin d’en révéler la réalité, telle est fondamentalement la caractéristique du cavalier léger. Cette mission de reconnaissance marque fortement les unités et les soldats qui s’y consacrent. À s’y exercer, les légionnaires cavaliers cultivent plus qu’ailleurs esprit d’initiative, goût de l’autonomie,  sens de l’innovation et un certain panache qui n’est pas sans rappeler celui des mousquetaires. Au risque de contrarier la doctrine de l’arme blindée et cavalerie, notre légionnaire au galon blanc et au couvre képi en toile est donc le combattant des 300 prochains mètres.  Faut-il chercher ici, l’aptitude toute particulière du 1er Régiment étranger de cavalerie à allier tradition et modernité et cela depuis 100 ans ?

Baptisé dans le sang en Syrie, sur les traces des Légions romaines et des Croisés, confirmé dans les sables du Maroc, le Royal étranger sera aux avant-postes pour emporter la victoire de la Tunisie à l’Allemagne, avant de s’adapter toujours et encore à de nouveaux milieux, de nouvelles missions, de nouvelles montures,  de nouveaux matériels en Indochine, en Algérie, au Liban et plus récemment au Sahel.  Mais pour bien répondre à cette question, je voudrais m’appuyer sur le magnifique ouvrage réalisé à l’occasion du centenaire du 1er REC : “Royal étranger 1921-2021” (1). Dans sa préface, le général d’armée Burkhard défi nit ce régiment à nul autre pareil :

“Le 1er REC est probablement trois choses : une tradition, un outil de combat et un esprit de famille… Cette sacralité de la tradition se lit dans l’attitude martiale de cette troupe rassemblée autour de son hymne, La Colonne,  où tout est dit en quatre couplets : la bravoure, le sacrifice, la camaraderie et la fidélité … Puissance de feu, agilité manoeuvrière, adaptation permanente à l’évolution des conflits, voilà les qualités d’un régiment qui a traversé de nombreux engagements de notre histoire militaire… Un esprit de famille, enfin. Sens de l’accueil, éducation permanente des jeunes chefs, forte proximité entre des hommes soudés par un esprit d’équipage, participation des familles à la vie du régiment, telle est la marque de fabrique d’un esprit de corps puissant. Légionnaires cavaliers, vous êtes à l’avant-garde dans la bataille, soyez-le dans la tactique, dans l’expérimentation et dans l’innovation…”

On ne parle pas après son chef, dans notre Institution !

Au-delà de la boutade, tout est dit pour notre régiment centenaire. Cette longue citation me donne également l’occasion de remercier le général Burkhard pour son attention jamais démentie pour la Légion étrangère et pour sa bienveillance envers les Légionnaires. Ces derniers sont fiers de le voir endosser, sur les traces du général Jeannou Lacaze, le rôle de chef d’état-major des Armées, le tout premier des soldats français ! La Légion sera là demain comme hier et aujourd’hui pour répondre aux besoins des Armées.

Il me reste à souhaiter un joyeux anniversaire au “Royal étranger”.  Les bougies seront soufflées le 14 juillet, sur la plus belle avenue du monde !

 

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère


Nos légionnaires ne manquent pas de génie

Ce numéro de Képi blanc fait donc la part belle, à une part qui ne l’est pas moins de notre Légion étrangère : “nos fantassins sapeurs”.

 

"Nos légionnaires ne manquent pas de génie". Cette sentence, un peu facile, s’est imposée lors d’un déjeuner groupé du stage des futurs commandants d’unité. Souhaitant rendre ma table plus représentative de la Légion étrangère, je réquisitionnais un futur commandant d’escadron et un capitaine de l’arme du Génie : “il y a, sinon, un peu trop de fantassins à cette table !” Notre capitaine sapeur rétorqua : “mon général, je ne vais pas bouleverser la donne puisque comme vous le savez, un sapeur est en fait, un fantassin… intelligent.” Le premier pot était trouvé !

Ce numéro de Képi blanc fait donc la part belle, à une part qui ne l’est pas moins de notre Légion étrangère : “nos fantassins sapeurs”.

En effet, initialement formés au combat débarqué, tous nos légionnaires, sapeurs en tête, évoluent au gré de leurs mutations et de leurs activités, dans un monde de mêlées et d’assauts. C’est particulièrement vrai, lors des phases de préparation opérationnelle, comme en opération, mais aussi dans les régiments du socle et outremer où les armes se mêlent au quotidien.

Cette proximité, entre le sapeur et le fantassin en particulier, est naturelle à la Légion étrangère. Nos pionniers, soldats et bâtisseurs sont de la Légion et non d’une Arme. Vous pourrez découvrir dans ce numéro, le fort ancrage historique de la double dotation du légionnaire : l’épée ou le fusil dans une main et la pelle ou la hache dans l’autre, “ense et aratro”, (par le fer et par la charrue), selon la devise du maréchal Bugeaud.

Si cette double dotation est historique, c’est par nécessité opérationnelle : “la montagne nous barrait la route. Ordre fut donné de passer quand même. La légion l’exécuta”. Cette phrase gravée dans la pierre à l’entrée du tunnel de Foum Zabel est devenue célèbre car elle symbolise l’esprit légionnaire. Le combattant sait que sa survie dépend de sa liberté d’action, laquelle dépend elle-même de sa mobilité et de l’entrave de celle de l’ennemi.

Le sapeur garantit justement la liberté d’action de ses camarades cavaliers ou fantassins. Appui à la mobilité, aide au déploiement, franchissement, contre mobilité, fouille opérationnelle, reconnaissances spécialisées, la palette de “l’offre génie”, dans tous les milieux géographiques, est extrêmement large et adaptable, à l’image de la multitude des métiers que le sapeur doit maîtriser.

Les 18 Bataillons et compagnies de génie Légion d’Indochine, d’entretien, de camions-bennes, de bateaux pliants, de bateaux blindés, l’ont démontré avec éclat de 1946 à 1954.

Nos deux régiments de génie ouvrent donc la route à la Légion avec “honneur et fi délité” : honneur de prendre si souvent la tête de la colonne et fidélité, à l’école de Sainte-Barbe, au régiment soutenu comme à la mission reçue. Ces deux régiments ont en commun ce même esprit sapeur qui allie rigueur et initiative. Leur forte capacité intégratrice apporte beaucoup à la Légion.

Ils se différencient par leur milieu de prédilection qui marque les caractères. Le trident pour l’un, le piolet pour l’autre, nos régiments de génie Légion relèvent avec brio les défis des engagements modernes. Appui à la mobilité et actions de contre IED en BSS, aide au déploiement et déminage au Liban, interventions sur les catastrophes naturelles dans la vallée de la Roya ou lors de la tempête Alex, technologiques comme dans le port de Beyrouth, reconnaissances et destructions de sites illégaux en Guyane, 2020 a confirmé le besoin de Génie.

Alors que répondre à notre capitaine de popote ?

Si le fantassin est le soldat des 300 derniers mètres, le sapeur est pour ce qui le concerne celui des 300 premiers. Je ne sais pas dire si l’un est plus intelligent que l’autre.

 

 

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère


L’arme des 300 derniers mètres

La Légion restera une troupe d’infanterie dans l’ère Scorpion. Elle fera valoir son esprit de corps, son esprit combatif, sa rusticité, sa compréhension du monde et sa maîtrise de la force.

 

La Légion est une troupe d’infanterie

Des générations de cadres ont retenu cette aphorisme lors de leur apprentissage du combat d’infanterie. Cependant, puisque notre époque n’est plus, comme le dit Fabrice Hadjaj, « essentiellement celle de l’idéologie mais de la technologie », cette notion des 300 mètres n’est-elle plus qu’un mythe qui nous renvoie à des combats légendaires ?  Ainsi de la bataille des Thermopyles, du combat des 300, des chocs de Tolbiac et de Bouvines, du face-à-face de Marignan, des charges d’Austerlitz jusqu’au « miracle » de la Marne et, finalement, aux furieux corps-à-corps de Dien-Bien-Phu...

A l’heure du numérique qui abolit les distances, des robots, de l’intelligence artificielle, qui décomposent chaque phénomène en fonctions calculables, jusqu’à l’humain, que vaut un fantassin, fut-ce dans les 300 derniers mètres ? La reine des batailles a-t-elle encore sa couronne ?

Il ne m’appartient pas, ès qualités, de répondre seul à cette question, bien qu’elle soit d’importance pour la Légion étrangère.  En effet, la Légion est sans contestation une troupe d’infanterie. Elle l’est par son recrutement, par la combativité qui la caractérise, par sa rusticité et sa capacité d’adaptation.

Quatre régiments étrangers sur huit formations opérationnelles sont composés de combattants débarqués. Dans leurs spécialités, ils couvrent tous les milieux, qui sont autant de sanctuaires potentiels pour l’ennemi : désert, ville, montagne, forêt. Ils utilisent tous les modes de déplacement pour approcher de l’ennemi, au plus près et le plus rapidement.

De plus, la Légion étrangère sélectionne sans exception ses candidats à l’engagement sur les critères sévères de l’infanterie française, au plan physique, médical et psychologique. Elle forme ensuite ses recrues au creuset de l’école exigeante du combattant débarqué, aux prises avec la rudesse du terrain, elle les prépare aux situations locales encore plus imprévisibles, elle les amène au dépassement de soi et finalement elle les initie à l’imbrication, à la prise de décision isolée, à la maîtrise de la force jusqu’au sacrifice.

Que signifie, alors, "être fantassin" dans le système de combat Scorpion ?

La mise en réseau des informations dissipera en partie le brouillard de la guerre, accélèrera la manœuvre et augmentera les distances du contact, posant ainsi la question de ces fameux 300 derniers mètres. Dans ces conditions, doit-on encore préparer les esprits et les corps au prochain Camerone ?

L’Ecole de l’infanterie de Draguignan, experte de cette fonction, prend position dans un document très éclairant : « L’infanterie moderne se définit tout à la fois par le caractère intemporel de son combat, à courte distance, jusqu’à affronter le regard de son ennemi, mais aussi par l’impérieuse nécessité de maitriser parfaitement les atouts de la haute technologie mise à sa disposition. Dans ce domaine, Scorpion permettra à l’infanterie de démultiplier ses aptitudes sans pour autant changer la nature de son combat »[1].

Ce document définit ensuite les qualités de l’infanterie à conserver ou à développer en vue des engagements futurs : rusticité, cohésion, confiance mutuelle, rectitude du commandement, protection individuelle, précision et rapidité des tirs, supériorité informationnelle, combinaison interarmes, mais aussi compréhension du milieu et de l’environnement humain.

L’expérience nous rappelle le besoin d’allier technologie et combativité pour obtenir les effets que seul le contact direct, le duel, peut produire. Le monde numérique n’apporte pas, seul, la supériorité au contact de l’ennemi. Le combat d’infanterie restera souvent affaire de précision dans l’exécution de tâches élémentaires, d’initiatives et de courage collectif.

La reine des batailles n’a donc pas fini de régner et, si nécessaire, une parole d’un autre expert, Michel Audiard, devrait nous en convaincre définitivement : « A l’affut sous les arbres, ils auraient eu leur chance ; Seulement de nos jours, il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied. L’esprit fantassin n’existe plus, c’est un tort ».

La Légion restera une troupe d’infanterie dans l’ère Scorpion. Elle fera valoir son esprit de corps, son esprit combatif, sa rusticité, sa compréhension du monde et sa maîtrise de la Force.

 

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

[1] Concept général de l’infanterie de 2018.


« Faire Camerone »

Depuis 1863, la légion ne dit pas « lutter jusqu’au sacrifice total » mais « faire Camerone ». Depuis 158 ans, l’exemple des hommes du capitaine Danjou n’a cessé d’habiter l’âme légionnaire !

« J’étais de garde sur le Chiquihuite avec deux escouades de ma compagnies, commandées par un sergent, quand le 29 avril, vers 11 heures du soir, l’ordre nous vint de rallier aussitôt nos camarades qui campaient dans le bas. »

Les lecteurs avertis, reconnaitront le début du récit du combat de Camerone, livré par le capitaine en retraite, Maine[1].

Peu connus, les souvenirs du survivant de la campagne du Mexique éclairent le récit officiel, solennellement lu les 30 avril dans chaque stationnement de la Légion étrangère. Parfois anodins, « nous avions la tenue d’été : petite veste bleue, pantalon de toile et, pour nous garantir du soleil, l’énorme « sombrero » du pays en paille de latanier, dur et fort qui nous avait été fourni par les magasins militaires », ils fournissent surtout des éléments essentiels à la compréhension des conditions de ce combat. J’incite nos jeunes officiers à lire ce témoignage. Ils découvriront, par petites touches, un magnifique portrait du capitaine de la 3ème compagnie.

« Sorti l’un des premiers de l’Ecole de Saint-Cyr, jeune encore, estimé de ses chefs, adoré des soldats, le capitaine Danjou était ce qu’on appelle un officier d’avenir. Grièvement blessé en Crimée et resté manchot du bras gauche, il s’était fait faire une main articulée, dont il se servait avec beaucoup d’adresse, même pour monter à cheval… ». La figure du capitaine Danjou est omniprésente dans le récit des dix premières heures du combat, de la mise en mouvement de la compagnie à 1 heure du matin le 30 avril, aux 11 heures du matin où le capitaine tombe, frappé en pleine poitrine. Habile à la manœuvre, Danjou est rapide et sûr dans ses décisions. Rebroussant chemin pour déjouer une embuscade, il commandera la manœuvre surprise permettant à sa compagnie de bousculer l’ennemi et de prendre pied dans la seule bâtisse susceptible d’amoindrir un rapport de force désastreux. Le même, lors du premier carré formé pour repousser l’assaut de cavalerie, fait attendre les 60 mètres pour commander un feu nourri : « le capitaine avait dit de ne point tirer : aussi les laissions-nous venir sans broncher, le doigt sur la détente ; un instant encore et leur masse comme une avalanche, nous passait sur le corps ; mais au commandement de feu une épouvantable décharge, renversant montures et cavaliers, met le désordre dans leurs rangs et les arrêtent tous nets ». Le même toujours, organise minutieusement la défense de l’hacienda, puis galvanise la troupe : « calme, intrépide au milieu du tumulte, le capitaine Danjou semblait se multiplier. Je le verrai toujours avec sa belle tête intelligente, où l’énergie se tempérait si bien par la douceur ; il allait d’un poste à l’autre, sans souci des balles qui se croisaient dans la cour, encourageant les hommes par son exemple, nous appelant par nos noms, disant à chacun de ces paroles qui réchauffent le cœur et rendent le sacrifice de la vie moins pénible, et même agréable, au moment du danger. Avec de pareils chefs, je ne sais rien d’impossible ».

L’impossible fut fait justement. Comprenant l’issue inéluctable, mesurant l’importance du temps gagné sur cet ennemi fixé, le capitaine fit ce que l’honneur lui commandait et posa l’acte fondateur de la Légion étrangère. Il fit promettre à ses légionnaires de se défendre, tous, jusqu’à la dernière extrémité : « nous l’avions juré » dit le capitaine Maine, ils l’ont fait. La fidélité est le souffle de l’honneur.

Il est bien compréhensible, de fait, que notre devise « honneur et fidélité » et le nom du combat de Camerone soient inscrits ensembles sur nos drapeaux et étendards. Il est bien juste, en outre, que la main articulée du capitaine Danjou soit la relique vénérable de ce combat et le symbole de la geste Légion : le caractère sacré de la mission, la fidélité à la parole donnée et l’exemplarité du chef.

Cette année, pour marquer les cent ans de la devise « honneur et fidélité », la main du capitaine Danjou remontera la voie sacrée comme un drapeau, portée par un légionnaire d’exception, le général Tresti. Même s’il s’en défend, son histoire est un concentré d’honneur et de fidélité. Italien, il s’engage pour 5 ans à titre étranger, en 1958. Formé à l’école de Sidi Bel Abbes, il gravira tous les échelons de grades, poursuivant sa formation à l’école de guerre. En 1987, lointain successeur du lieutenant-colonel Rollet, il prend le commandement du 3eREI. En 1996, il est nommé général. Je vous laisse découvrir cette belle personnalité, ainsi que ceux qui constitueront sa garde au fil des pages de ce numéro. Portant la main, il sera en effet entouré d’une garde de légionnaires de tous temps, valides ou blessés, anciens au premier rang, d’active au second, de tous grades, de toutes les nationalités et de tous les régiments. Tous membres de l’ordre de la Légion d’honneur, tous choisis comme exemple de fidélité à la parole donnée, ces six officiers, sous-officiers et légionnaires sont les mêmes que ceux de Camerone, décrits par le capitaine Maine : « il y avait là de tout comme nationalité, des Polonais, des Allemands, des Belges, des Italiens, des Espagnols … le voisinage du danger avait assoupli les caractères, effacé les distances, et l’on eût cherché vraiment entre des éléments si disparates, une entente et une cohésion plus parfaites. Avec cela, tous braves, tous anciens soldats, disciplinés, patients, sincèrement dévoués à leurs chefs et à leur drapeau ».

Nos six légionnaires, le général Tresti, l’adjudant-chef Ende, le légionnaire Tepass, le chef de bataillon Tanasoiu, l’adjudant-chef Dektianikov, et le caporal-chef Emeneya sont les témoins vivants de l’esprit de Camerone. Le 30 avril, ils auront cette tâche magnifique de présenter notre relique aux troupes mises à l’honneur cette année : le 4ème Etranger qui a 100 ans comme notre devise, le 1er Etranger de cavalerie, centenaire lui aussi et enfin, honneur et fidélité obligent, un carré de représentants de notre force spéciale, plus que centenaire : la cohorte des légionnaires d’honneur. Si l’honneur est définitivement attaché à leur grade, c’est pour reconnaître leur fidélité, définitivement attachée à la Légion étrangère. Ils sont de toutes les missions spéciales, de la valorisation de nos vignes à la défense des droits des légionnaires, de la mise en valeur de notre patrimoine à l’emploi opérationnel de nos unités, œuvrant sans esprit de recul. Le centenaire de la devise Honneur et Fidélité est aussi leur anniversaire.

Depuis 1863, la légion ne dit pas « lutter jusqu’au sacrifice total » mais « faire Camerone ». Depuis 158 ans, l’exemple des hommes du capitaine Danjou n’a cessé d’habiter l’âme légionnaire : Tuyen Quang 1885, El Moungar 1903, Rachaya 1925, Bir Hakeim 1942, Ha Giang 1945, Phu Tong Hoa 1948, Dong Khe 1949, Cao Bang 1950, Na San 1952, Dien Bien Phu 1954…

 

Encore et encore nous célèbrerons Camerone et si la mission l’exige, encore et encore nous ferons Camerone.

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

 

[1] Il est rapporté que ce témoignage fut obtenu après de nombreux refus de l’ex caporal Maine, tant ce souvenir, disait-il, si honorable qu’il fut, ne laissait pas de lui être pénible.


La Légion étrangère, une institution de 190 ans

À l’instar d’autres pays, la France a toujours recruté des étrangers dans ses armées. Depuis le Moyen-Âge, tous les régimes sans exception ont fait appel, souvent de manière massive, à des soldats étrangers. Cet article revient sur les motivations qui ont poussé le pouvoir à créer, en 1831, une troupe composée d’étrangers.

Le Maréchal Soult, ministre de la Guerre est chargé de réorganiser l’armée de ligne par le roi Louis-Philippe

Méfiance à l’égard des troupes étrangères

Les Libéraux qui portent Louis-Philippe au pouvoir par la révolution de Juillet[i] obtiennent que le roi stipule dans la Charte constitutionnelle « qu’aucune troupe étrangère ne pourra être mise au service de l’État qu’en vertu d’une loi » (article 13). Mais, très vite, le manque de troupes inquiète au plus haut sommet du royaume[ii] et l’envoi de renforts, pour assurer la présence française en Afrique du Nord, presse. Devant l’urgence de la situation, les parlementaires étudient la possibilité d’appeler 80 000 hommes de la classe 1830, mais la complexité du système bloque toute entreprise d’envergure…

Ambiances sociale et politique délétères

Le roi est devant une situation intérieure compliquée : une crise sociale et politique couve depuis l’automne 1830 et, à la suite des révolutions belge (25 août 1830) et polonaise (29 novembre 1830), l’afflux inhabituel d’étrangers se fait ressentir à Paris (jusqu’à 10 % d’une population de 785 000 habitants). Le grand nombre d’anciens officiers, leaders potentiels dans ce magma de réfugiés, interpelle de nombreux parlementaires, d’autant que des émeutes éclatent un peu partout dans Paris, et notamment le 14 février 1831 en l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois. Il est urgent d’agir !

Louis-Philippe, inquiet de ne pouvoir s’appuyer que sur la Garde nationale pour maintenir l’ordre public, attend des propositions fortes de la part de Soult, son ministre de la Guerre. Le maréchal est chargé de réorganiser l’armée de ligne. Il rédige alors un rapport au roi dans lequel il critique la loi Gouvion-Saint-Cyr de 1818 sur le recrutement. Il démontre que le système de volontariat combiné au tirage au sort et à la possibilité de se faire remplacer n’a pas permis d’augmenter suffisamment les effectifs, et montre que les procédures d’avancement contribuent à maintenir le « surencadrement ». Les lignes directrices de son projet sont arrêtées fin février 1831 et les moyens précisés : doubler l’effectif de l’armée de la Restauration, qui ne comptait qu’un peu plus de 200 000 hommes.

 

Discussions parlementaires

Cette situation délicate milite pour la création d’une « légion d’étrangers ». Un projet de loi est déposé à la Chambre le 4 février 1831 et la discussion par les députés commence le 12 du même mois. Le 1er mars, c’est au tour de la Chambre des Pairs (chambre haute du parlement) d’examiner le texte présenté par le maréchal Soult. Ce dernier donne des assurances sur l’emploi de cette légion d’étrangers dont la mise sur pied est envisagée deux mois après le licenciement de la légion de Hohenlohe (ordonnance du 5 janvier 1831). Dans les deux assemblées, les débats mettent en lumière l’enjeu premier de cette création qui divise l’opinion éclairée sur le fond : canaliser l’afflux des réfugiés étrangers pour assurer la tranquillité publique, et assumer le poids des dépenses engagées pour leur porter secours.

Le rapporteur de la commission de la chambre basse n’avait-il pas conclu son exposé du 12 février en insistant sur « les considérations d’humanité, d’ordre public et d’économie » qui avaient inspiré les rédacteurs du projet gouvernemental ? Rassurés sur les intentions du ministre, pairs et députés, soulagés de pouvoir se débarrasser de cette population « dangereuse » et de réduire les dépenses consacrées à son secours, approuvent le projet dans une belle unanimité. La solution militaire rallie tous les suffrages : ceux du gouvernement, du haut commandement, comme du Parlement.

 

Création temporaire ?

Lors de la séance du 5 mars 1831, la Chambre des Députés vote le texte, amendé par les pairs, et permet la formation d’une « légion composée d’étrangers ». La loi est promulguée le 9 mars par Louis-Philippe. La « légion d’étrangers (…) ne pourra être employée que hors du territoire continental du royaume » (article premier). Une instruction du 18 mars ajoute qu’aucun Français ne sera admis dans cette légion, à moins d’une autorisation spéciale du ministre de la Guerre.

Ordonnance du 10 mars 1831

 

Engagez-vous !

Dès sa création, la Légion étrangère ouvre des postes de recrutement disséminés sur le territoire en fonction de la nationalité des candidats[iii]. Strasbourg, Metz et Lille reçoivent les engagements pour trois ans des volontaires d’Allemagne, de Belgique et de Hollande, tandis que ceux de Suisse sont reçus à Auxerre et Besançon. Les Espagnols et Portugais se rendent à Agen, Périgueux ou Bourges, les Polonais à Valenciennes et les Italiens à Mâcon. Tous ces engagés sont ensuite dirigés vers les dépôts en charge de la formation des bataillons nationaux. Les trois premiers bataillons, allemands, sont regroupés dans un premier temps sur Langres puis à Bar-le-Duc. Le 4e bataillon, espagnol, attendra, pour des raisons politiques, l’année 1834 pour être formé. Son numéro est donc pris par le bataillon polonais qui était le 7e au début de la mise en œuvre du dispositif. Le 5e est italien et le 6e est destiné aux Belges et Hollandais. Les Français souhaitant rejoindre la Légion doivent s’adresser à un maire ou à un sous-intendant pour signer un acte d’engagement. Toulon devient alors le dépôt principal de la Légion et le lieu d’embarquement des unités constituées et des renforts pour l’Afrique du Nord. Ici, les engagés sont habillés, armés et reçoivent les premières bribes d’instruction militaire.

Les historiens militaires retiennent les conditions très particulières de la création de ce corps militaire par l’État dont les préoccupations, une fois encore, étaient de pallier, dans l’urgence, les insuffisances d’un système militaire défaillant, et de résoudre un problème de sécurité publique. Alors même que des députés avaient émis le vœu que cette unité soit dissoute au terme de vingt-deux mois d’existence, alors que les menaces de suppression n’ont pas cessé depuis de peser sur son maintien au sein de l’armée française, l’histoire semble avoir donné raison aux inspirateurs de l’ordonnance du 10 mars 1831. C’est ainsi, qu’à part quelques modifications dues aux changements de régime et de législation, la Légion poursuit son chemin au service de la France, depuis maintenant 190 ans.

 

Major Frédéric AMBROSINO,

COMLE/DRP/centre de documentation et de recherches historiques de la Légion étrangère

 

[1] Cette révolution porte sur le trône un nouveau Roi, Louis-Philippe 1er, à la tête d’un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui succède à la Seconde restauration. Cette révolution se déroule sur trois journées, les 27, 28 et 29 juillet 1830, dites « Trois glorieuses ».

[2] Après la Révolution de 1789, sur les 150 000 hommes de troupe dont dispose le gouvernement, près du tiers est étranger. Par la suite, des légions batave, italique, liégeoise ou irlandaise voient le jour. À l’issue de la dissolution des armées impériales, la Restauration forme, en 1816, la Légion royale étrangère baptisée du nom de son chef, Hohenlohe. Ces troupes seront dissoutes à l’issue de la révolution de 1830.

[3] Le principe retenu est donc une Légion « par nationalité ». Il faudra attendre 1835 pour que le principe dit de « l’amalgame » soit mis en place par le colonel Bernelle. À partir de cette date, les bataillons deviennent « mixtes » en termes de nationalité et groupe linguistique, favorisant l’esprit de corps.

Bibliographie :

La Légion étrangère d’André-Paul COMOR (collection Que sais-je ?), PUF, 1992.

Monsieur légionnaire du général HALLO, Charles-Lavauzelle, 1994.

La Légion étrangère, histoire et dictionnaire, Robert Laffont, 2013.


La Légion étrangère à New-York

La tournée de la Légion étrangère de New York à Québec en octobre 1918 ; une étonnante aventure menée par les plus décorés des maréchaux de la Légion dans le but d’obtenir un soutien financier à l’effort de guerre de l’armée américaine, engagée dans le premier conflit mondial depuis avril 1918.

Publié le 26/02/2021 à 08:45 | DRP

 

 

L’entrée en guerre des États-Unis ayant été décidée le 6 avril 1917, un premier appel à la générosité du peuple américain pour financer l’effort de guerre en Europe fut lancé. Les deux premiers emprunts passèrent relativement inaperçus et les sommes collectées furent modestes, inférieures à celles espérées. C’est pourquoi lors du troisième emprunt, le Department of State eut l’idée de faire venir de valeureux soldats français.



Défilé de la Légion étrangère à la Nouvelle-Orléans. Les plus observateurs reconnaîtront le légionnaire Zinoview sur le deuxième rang de la première colonne.

Mobilisation de la Légion
Après les chasseurs alpins, les autorités militaires françaises décidèrent d’envoyer aux États-Unis la Légion étrangère. Deux documents nous ont permis de reconstituer l’aventure américaine de la Légion étrangère : tout d’abord, la lecture du compte-rendu officiel de cette mission, le rapport du capitaine Chastenet de Géry qui consigne avec précisions le déroulé des événements et constitue la trame de notre propos. Puis, la traduction récente des écrits du carnet d’Alexandre Zinoview, qui en relatant les étapes parcourues lors du voyage aux États-Unis, établit le baromètre au quotidien de l’état d’âme du légionnaire et livre ses sentiments avec force et vérité.
Le 19 août 1917, le directeur de l’Infanterie, annonce la mobilisation de la Légion. Pour former ce détachement, le Général Cottez, fait appel au 1er régiment étranger, au 2e régiment étranger et au dépôt du Régiment de marche de la Légion étrangère de Lyon. Deux détachements seront formés : un détachement « en armes » pour les parades et défilés, un « sans armes » pour accompagner et surveiller une exposition itinérante de matériel au sein de villes américaines.


Sélection des candidats
Le 1er régiment doit fournir 2 officiers, 5 sous-officiers, 1 caporal et 12 légionnaires. Le 2e régiment doit fournir 1 officier, 3 sous-officiers, 1 caporal et 11 légionnaires. C’est le dépôt du Régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) de Lyon qui envoie le plus de personnel pour cette mission avec 3 officiers, 5 sous-officiers, 3 caporaux et 42 légionnaires. Il faut désormais sélectionner les candidats. Ils doivent être bien notés, décorés et chevronnés, et en plus être capables de défiler parfaitement. Quelques connaissances en langue anglaise seraient appréciées, comme il est indiqué dans la dépêche ministérielle.
L’ensemble du détachement est doté de la tenue de drap kaki adoptée par la Légion à partir de 1915. Quant à la coiffe, on leur remet le bonnet de police kaki. Pour la traversée, l’intendance demande qu’une tenue de toile soit fournie aux légionnaires. Avant le départ, le ministre de la Guerre ordonne de verser 500 francs à chaque officier, 100 francs à chaque sous-officier et 50 francs à chaque légionnaire. Le détachement d’Algérie embarque à Oran le 29 août 1918 pour Port-Vendres et pousse jusqu’à Bordeaux par le train, où ils sont rejoints par le détachement de Lyon. Le capitaine Chastenet de Géry, officier d’envergure, qui suite à une terrible blessure le 27 septembre 1915 en Champagne a subi l’amputation de la jambe droite, prend le commandement du détachement.


« Une compagnie de légionnaires part pour l’Amérique », écrit Zinoview.
Le 8 septembre 1918, les légionnaires partent en ambassadeurs promouvoir la cause de la France aux États-Unis. Parmi eux, figure le 2e classe Zinoview qui dessinera ses camarades, dont les légionnaires Voutaz, Alcayde, Soubiez et le célèbre caporal Arocas qui s’était illustré pendant les combats des Monts de Champagne en avril 1917 et fait chevalier de la Légion d’honneur pour sa bravoure. La traversée dure dix jours. Le 18 septembre 1917, le détachement arrive au large de New York mais ce n’est que le lendemain matin que les légionnaires posent le pied sur la terre ferme d’Amérique.
« Les festivités en notre honneur se sont succédé sans discontinuer. On nous a promenés à travers New York en automobile. Nous avons vu la 40e rue, on nous a photographiés, filmés. On nous hélait de gauche et de droite. Partout des cris et un tonnerre d’applaudissements saluaient notre passage. Quand nous sommes entrés dans un restaurant hier soir, toute la foule s’est levée et a frappé dans les mains. L’orchestre a joué la Marseillaise. »


Sergent Temperli
Du 19 septembre 1917 jusqu’à la fin du voyage, les légionnaires vont parcourir près de 12 000 kilomètres, visiter la Maison Blanche (ils sont reçus en personne par le président Wilson qui veut serrer la main de chaque légionnaire), vont se recueillir sur la tombe de Washington, à Mount Vernon, au cri des « Vive France », partir au Texas, en Louisiane, dans le Tennessee, l’Ohio, la Pennsylvanie... Les hommes sont épuisés, certains attrapent la grippe espagnole.
À Kansas City, le 27 septembre, le sergent Temperli souffrant de fièvre est laissé au Christian Church Hospital où il mourra le 3 octobre. Le 6 octobre 1917, le sergent Temperli eut donc droit à une cérémonie digne d’un général de corps d’armée. Porté sur une prolonge d’artillerie, son cercueil arrive au Colisée de Washington escorté par un régiment au complet et est acclamé par une foule de 12 000 personnes. Après l’office religieux, on le transfère par train à Indianapolis où ses camarades de Légion lui rendent les derniers honneurs au son de la marche de la Légion. Sa dépouille sera enterrée au cimetière d’Arlington.
L’aventure allait se terminer pour nos légionnaires, mais le pays voisin, le Canada, se sentant de reste, organisa à son tour un Victory loan et désira recevoir et acclamer nos braves. Seul le détachement de Lyon va prolonger du 7 au 15 novembre 1917 la mission de propagande en allant à la fois à Montréal et à Québec. Quant au détachement constitué des légionnaires du 1e et 2e régiment étranger, sous les ordres du capitaine Drulang, il embarque à bord du Chicago et arrive à Bordeaux le 18 novembre. La guerre est bien finie.


Commandant Domenech

COMLE/DRP/Musée


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Sources :
Centre de documentation de la Légion étrangère Journal de marche et des opérations du détachement de NY (cote Z 30-Z31 L 19B ).
Quatrième carnet de Zinoview (collection privée P. Carantino).


La fidélité est le souffle de l’honneur

"La fidélité est le souffle de l’honneur : elle l’anime. Elle en est même un principe", "elle est un élan du cœur et de la volonté qui autorise tous les héroïsmes"... voici quelques pensées que le généal Alain Lardet, COMLE, livre à la réflexion de chacun dans son éditorial sur la Fidélité.

 

 

Il y a cent ans, nos drapeaux arboraient pour la première fois, sur décision du ministre de la Guerre, la devise “Honneur et Fidélité”. En accédant à la demande du lieutenant-colonel Rollet, la France renoue fin 1920 avec une vieille tradition, révélatrice de l’engagement des étrangers au service de la France.  Dès le XIXe siècle, les contrats d’engagement des légionnaires sont signés avec la promesse de servir avec “Honneur et Fidélité”. Cette fidélité qui “tient lieu de patrie aux heimatlos venus ici de tous les mondes chercher dans le service de la France un havre à leurs misères et donner une activité à leur fougue, du pain à leur faim, des aventures à leurs rêves(1). Les légionnaires ne sont pas des apatrides et la Légion ne leur demande en aucun cas de renier leur patrie d’origine, encore moins de la combattre. Pour autant, Émile Henriot a bien noté que cette fidélité, inscrite dans la devise du régiment de Diesbach, inspirateur de la Légion, était la marque des étrangers au service de la France.

Là où est l’honneur, là où est la fidélité, là seulement est la patrie”, (Louis d’Estouteville, gouverneur militaire du Mont-Saint-Michel pendant la guerre de Cent Ans). Comment combattre avec plusieurs patries, plusieurs fidélités au cœur ? Quelle est cette fidélité associée depuis toujours à l’honneur de combattre pour la France ? Il est un livre d’or, dans tous les sens du terme, détenu par le président des sous-officiers de la Légion étrangère qui en dit long sur l’âme légionnaire. Il recueille les mots d’adieux des sous-officiers partants, les “maréchaux de la Légion”. Il dessine peu à peu l’empreinte de l’âme légionnaire. En le parcourant, j’ai mesuré la place que la fidélité tenait pour ces étrangers, fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé. Derrière l’imperfection de la langue française, ces mots confiés à la postérité, écrits en regard de deux photos parfois éloignées de plus de trente ans, l’une à l’engagement, l’autre au moment du départ, en disent plus sur la place de la vertu de fidélité que toutes les réflexions philosophiques. En voici quelques traces, indélébiles :

- “Mes pensées iront éternellement vers vous ; honneur et fidélité” ;

- “Le lien de cœur avec la France et son armée et naturellement avec la Légion en particulier, sera impossible d’effacer ; avec honneur et fidélité” ;

- “La légion m’a donné cette opportunité d’une nouvelle vie et pour cela je restais toujours fidèle à ses valeurs” ;

- “C’est la vraie voie sacrée, celle que la Légion m’a fait parcourir ;  j’ai donné fidélité et notre maison m’a rendu Honneur”.

Ce dernier témoignage, d’une certaine manière, clôt mes réflexions sur l’association entre honneur et fidélité. J’y trouve le ressort de notre devise.

 

La fidélité est le souffle de l’honneur : elle l’anime. Elle en est même un principe. Elle prend de ce fait une toute autre dimension que l’aspect statique, froid ou austère qu’elle semble revêtir aujourd’hui.

Car au contraire, la fidélité est une disposition initiale qui ouvre les portes de l’aventure et de l’inattendu.

Elle est un élan du cœur et de la volonté qui autorise tous les héroïsmes.

Contrairement au diagnostic actuel qui affirme que la fidélité aurait tendance à disparaître d’un monde qui promeut tous les vagabondages, à en croire cette faculté de notre temps à “laisser tomber” à la moindre difficulté, à la moindre lassitude, cette vertu est l’arme de la résilience, si convoitée. De fait, elle se fait source de paix dans un contexte tourmenté. C’est la fidélité qui permet de remplir la mission jusqu’au bout : fidélité à son engagement, à ses chefs, à ses principes. Pour reprendre les mots du général Gillet dans son ouvrage déjà cité, la fidélité est la “vertu qui permet de conquérir la ligne de crête d’après ou de tenir dix minutes de plus(2).

La fidélité est assurément une valeur de l’avenir. Elle est pour nous au cœur de notre engagement : “Notre honneur, c’est de faire notre travail de notre mieux ; notre fidélité, c’est de le faire au moins aussi bien que nos anciens(3).

Legio Patria Nostra

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

(1) Émile Henriot, Vers l’oasis (1935), cité dans le dictionnaire de la Légion

étrangère au chapitre Honneur et Fidélité

(2) Qui est comme Dieu ? Pierre Gillet, Editions Sainte-Madeleine, p 111

(3) Ibid


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Traduction

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