AALEME

Légionnaire toujours...

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La maison du Légionnaire

Lettre à une mère.

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Le lieutenant-colonel (er) Antoine Marquet nous autorise à publier cette "lettre à une mère", romancée mais inspirée de faits réels. Une grande première inédite à ce jour, un vrai cadeau.

Chère Madame,

Me voici un peu plus libre. J’ai passé mon examen, et n’ai plus qu’à attendre le résultat. Je profite de mes loisirs pour vous envoyer le récit de la Campagne de votre fils comme je vous avais promis.

Nous partons de Melun le 25 août à midi. Dans la nuit était arrivé un ordre de départ pour mille hommes, destinés à combler les vides laissés par les combats des 21, 22 et 23 août. René, Doisneau et moi sommes volontaires et dans la même section. Doisneau vient d’être nommé adjudant et commande la section et nous deux, encore sergents, sommes en serre-files, en route pour Troyes et ensuite, destination inconnue…

Nous passons à Troyes dans la soirée. En gare, des trains remplis de blessés - première vision de la guerre. Profitant de l’arrêt, nous allons les voir. Par eux, nous avons les premiers récits des combats meurtriers qui ont fait rage pendant les trois journées fatales. « Les allemands, qui avaient étudié notre manière de manœuvrer, nous attiraient par de faibles contingents fuyant devant nous. Quand nous pensions les atteindre à la baïonnette, nous tombions sur de formidables tranchées garnies d’hommes et hérissées de mitrailleuses qui fauchaient nos rangs ». Les artilleurs, sur les quais, nous donnent de sages conseils : « Attention les p’tits gars, ne chargez pas comme des fous, attendez que nous ayons préparé le terrain ». Les commissaires de la gare écartent bien vite ces aimables conseilleurs… il ne faut pas que nous sachions ! Dans la nuit nous traversons le Camp de Châlons, le Camp de Mailly.

Nous voici maintenant en Argonne et nous débarquons le 26 à 8 heures du matin à Dombasle-en-Argonne à 18 kilomètres de Verdun. Nous assistons à la retraite du corps d’armée. Devant nous défilent pendant des heures toutes les voitures, le Génie, les aéroplanes, les parcs. Les Chasseurs à pied du 8ème passent également, ils viennent de se battre et sont gris de boue séchée et de poussière. En même temps, sur la route encombrée, cheminent de longues files de grandes voitures assez semblables à des prolonges dans lesquelles les habitants ont entassé, à la hâte, ce qu’ils ont de plus précieux. Les vieillards et les petits enfants sont sur les voitures, les valides marchent à côté, peu ou pas d’hommes parmi eux. C’est l’exode des habitants chassés par l’envahisseur. Ils viennent d’Etain – en flammes – Ce tableau est navrant et, la rage au cœur, nous avons hâte de prendre contact avec l’ennemi.

Nous partons enfin et, après marches et contre marches nous arrivons, sous la pluie, à Avocourt à 9 heures du soir. Le lendemain 27, nous repartons. Il pleut encore. A Apremont nous fusionnons avec des unités d’active et nous y cantonnons. Ce soir-là, nous sommes quatre à dormir sur la paille dans une cuisine : René, Doisneau, Lévy et moi. Toute la nuit nous entendons le canon tonner au loin. Nous sommes versés à la 5ème compagnie dont le lieutenant Laborde prend le commandement. René et moi restons dans la section Doisneau. Nous avons alors les récits des combats précédents qui furent en effet terribles. Pour reprendre les hommes en main, on nous fait pivoter et manœuvrer sans repos. Le 28 à 8 heures du soir, nous rentrons pour cantonner à Charpentry.

Pour le lendemain, ordre de se tenir prêts à partir à 3 heures du matin. Nous ne savons pas si nous aurons le temps de préparer la soupe. Nous sommes là, tous les cinq très déçus, causant en attendant le départ… C’est donc cela la guerre. Il y a René, Doisneau, Lévy, Caillat et moi. Nous souhaitons nous battre bientôt et prenons nos adresses, nous promettant mutuellement de prévenir nos familles en cas de malheur.

Sur les cinq, je resterai seul. Je viens en effet d’apprendre la mort de Lévy, au Bois de Grurie. Il avait déjà été blessé une fois et venait de repartir.

Enfin à 10 heures du matin, le ventre vide, nous repartons et après avoir encore marché et pivoté toute la journée, nous arrivons à la tombée de la nuit à Saint Julien-sous-les-Côtes. De là, on nous envoie prendre les avant-postes. Nous nous arrangeons pour rester ensemble, René, Doisneau et moi. La nuit est froide et l’humidité rend le froid plus pénible encore. Chacun sort ses provisions et nous soupons en commun à l’orée d’un bois où nous avons établi nos petits postes. Nous passons la nuit à nous relayer pour veiller puis, nous recevons l’ordre de rejoindre l’unité.

Nous sommes le 30 août. La chaleur est accablante. Nous marchons toujours, laissant du monde en route. Le soir, vers six heures, le capitaine Savanne qui commande le bataillon, nous tient le discours suivant : « Une grande bataille vient de se livrer, les allemands sont battus et nous allons apporter notre concours pour transformer leur retraite en déroute ». Et nous voilà repartis, ardents quoique fourbus. Au bout de deux heures d’une marche forcée, nous arrivons sur le terrain. Là, nous recevons le baptême du feu.

Le champ que nous avons à traverser est criblé d’obus de toute sorte ; un gros percutant tombe près de nous et ensevelit Doisneau qui se relève indemne - simple émotion. Nous sommes en rangs serrés et le commandant du bataillon se démène pour que nous restions en ordre sous la mitraille comme à l’exercice. Notre général de brigade est blessé au pied. Nous nous rangeons sur son passage et lui rendons les honneurs, sous le feu, en présentant les armes. Nous continuons notre marche en avant. La nuit est maintenant presque complète. Nous marchons sur des cadavres allemands. Au loin, sonne la retraite allemande, lugubre, traînarde. Nous entendons la charge d’un de nos régiments qui se précipite sur les boches en hurlant. « En avant à la baïonnette », commande le capitaine Savanne. Il fait nuit noire. Ce que nous faisons est fou, il nous sera impossible de reconnaître l’ennemi.

A ce moment notre chef fait sonner la charge par un clairon. Devant nous retentit la même sonnerie. « Nous les tenons » dit le capitaine et « voilà du renfort » crie-t-il. Comme nous allons atteindre le bois où nous pensons nous joindre à des forces amies, nous entendons des commandements en allemand. Une vive fusillade et le feu des mitrailleuses nous accueillent. Ce sont les boches qui ont sonné la charge pour nous attirer et nous sommes tombés dans leur piège. Une panique folle s’ensuit. Me ressaisissant, j’avise dans l’obscurité un vallonnement où je me couche à l’abri et je rassemble autour de moi un grand nombre de fuyards désemparés que je fais coucher également. La position est intenable car un régiment français qui croit à un retour offensif des boches nous tire sur le flanc droit. Je peux enfin, après de nombreuses émotions, rejoindre le point de rassemblement, semant encore pas mal de gens en route. Il est plus de minuit, nous faisons des tranchées et nous endormons sur place.

Vers trois heures du matin, réveillés par la fusillade suivie d’un feu d’artillerie très bien réglé, nous devons nous replier. Je retrouve une partie de la compagnie avec le lieutenant Laborde et René qui a pu s’en tirer dans les mêmes conditions que moi. Toute la journée, à Fossé, nous combattons l’un près de l’autre, échangeant de temps à autre nos impressions. Le soir, nous bivouaquons à 2 kilomètres en retrait de ce village. Nous n’avons pas été ravitaillés de deux jours. Nous retrouvons Doisneau et partageons ce qui reste de nos maigres provisions. Nous nous couchons côte à côte, nous serrant pour avoir moins froid, car si les journées sont torrides, les nuits sont extrêmement froides.

Nous partons le 1er septembre avant le jour. Nous reformons les sections très amoindries et nous sommes alors séparés. Je vais dans la section Lévy mais nous ne sommes pas loin l’un de l’autre. Nous défendons Apremont-en-Argonne où nous étions déjà passés le 27 août. Toute la journée, nous tirons sur les masses allemandes et couchons sur nos positions. Le lendemain nous continuons. Je m’installe avec Lévy dans le cimetière dont nous crénelons les murs. Doisneau défend une ferme et René une autre un peu plus loin.

Toute la journée, leurs positions sont criblées d’obus. Le soir, ils partent avant moi et rejoignent la colonne. Je dors dans la forêt d’Apremont et les retrouve tous deux le lendemain sur la route de Clermont-en-Argonne. Là, notre commandant de bataillon, le capitaine Savanne, se casse la jambe en tombant de cheval. Le soir nous faisons la popote à Clermont et couchons tous trois dans une grange. Le 4 septembre, pas de combats. Après une longue marche de retraite, nous dormons cette fois-ci dans une grange à Waly. Le lendemain, nous refaisons une longue marche, toujours en retraite, et arrivons à Louppy-le-Château. Je prends la garde au poste de police sans avoir réussi à me débrouiller pour trouver de la nourriture, étant tenu de rester au poste. René, lui, a pu faire la popote avec Doisneau. Ils m’envoient de quoi me restaurer ainsi qu’une bouteille de mousseux, que j’accepte avec joie.

Nous repartons à deux heures et demie le lendemain matin. Nous marchons vite, serrés de près par l’ennemi. A Laheycourt nous nous heurtons à lui par surprise et lui faisons face pour arrêter sa marche en avant. Toute la journée nous livrons un combat acharné. Nous essuyons, pendant six heures, un très violent feu d’artillerie. Nous dormons sur place et le lendemain, avant le jour, nous suivons la route de Bar-le-Duc. Nous prenons position sur des lisières de bois à environ huit kilomètres de cette ville, face à Fontenoy. Nous tenons bon et repoussons les attaques allemandes. René et moi commandons chacun un peloton de la 5ème compagnie et ne nous quittons plus, nos tranchées se faisant suite sur la même lisière. Il pleut sans arrêt depuis deux jours et nous sommes traversés.

Impossible de faire du feu, les allemands sont trop près. Nous passons la journée du 8 à repousser des attaques partielles sur notre front et à démolir des patrouilles allemandes. Au 9ème emplacement, après avoir tiraillé toute la matinée, nous subissons vers midi une attaque que nous repoussons. Après nous avoir bombardés pour se venger, les allemands reviennent à la charge vers 4 heures. Nous les repoussons encore, en leur infligeant de lourdes pertes. A ce moment nous recevons l’ordre de nous replier, René et moi décidons de ne pas bouger. Nous en avons assez de toujours battre en retraite. On nous en intime l’ordre une seconde fois. Nous demandons alors un ordre écrit qui nous est donné. Il faut obéir. Nous sommes furieux, les hommes aussi. Nous voyant sortir de nos tranchées, les allemands dirigent sur nous un feu violent. Nous nous en sortons et rejoignons le bataillon où nous sommes fort mal reçus.

Arrive un ordre, correspondant aux directives de Joffre, de tenir les positions jusqu’au bout. Nous comprenons qu’il n’y a plus qu’à reprendre nos tranchées. Les hommes refusent. René et moi faisons de notre mieux pour entraîner nos hommes et réussissons à convaincre une vingtaine d’entre eux. Laborde, resté en arrière, rallie à nous peu à peu, tous ceux qu’il peut empêcher de fuir. L’instant est critique, les boches sont là, à deux cents mètres, la tranchée juste au milieu… Qui arrivera le premier ? Nous tirons debout et en marchant sans songer à ceux qui tombent alentour. La tranchée est maintenant à dix mètres de nous, à plus de cinquante mètres des allemands. Nous faisons un feu d’enfer et ce qui reste de l’ennemi s’enfuit poursuivi par nos tirs. Nous sommes désormais maîtres du terrain. René et moi nous nous serrons les mains avec effusion, une fois encore nous sommes saufs.

Le soir nous sommes proposés comme sous-lieutenants et sommes nommés deux jours plus tard. Le lendemain, le 10, nous nous écartons un peu plus à droite pour laisser la place à des unités renvoyées à l’arrière. C’est une aubaine car les boches, furieux de l’échec de la veille, bombardent l’emplacement que nous venons de quitter. Ils tuent et blessent malgré tout, beaucoup des nôtres. Nous sommes toujours trempés jusqu’aux os et n’avons rien de chaud dans le corps depuis dix jours. On s’habitue à tout et notre amitié nous réconforte. Les nuits sont de plus en plus fraîches et nous nous attendons à tout moment à l’attaque des allemands. Tous trois, avec Doisneau, nous passons de longues heures à veiller et à causer de nos familles et de Paris. Pendant ce temps nous oublions nos maux. Le 2 septembre, nous recevons l’ordre d’attaquer mais cette attaque ne se fera que lorsque le canon aura soigneusement battu le terrain, en avant de nos positions.

Nous assistons au plus beau feu d’artifice qui soit. Pendant plusieurs heures les obus pleuvent sans arrêt devant nous, bouleversant les tranchées ennemies, faisant sauter les boches en l’air. Le mouvement d’offensive se fait sur la gauche. Nous restons sur place. Ce n’est que le lendemain, en avançant, que nous constatons les dégâts faits par nos 75. Il y a là des monceaux de cadavres, nous avançons sans combattre, l’ennemi est en pleine déroute. Nous trouvons des fusils, des casques et des équipements ; il y a là également des munitions, cartouches et obus, en nombre considérable. Le soir nous dormons en plaine, sous une pluie torrentielle et glaciale, renforcée par un vent violent. Nos vêtements à peine secs des pluies des jours précédents, que nous voilà à nouveau trempés. Nous repartons de bonne heure et traversons des villages pillés, brûlés, rasés. Les boches ne laissent que ruines sur leur passage. Tous les soirs devant nous, de grandes lueurs embrasent l’horizon. Ce sont les villages qui flambent. Ce soir du 13 septembre nous dormons dans une grange à Belval. Nous pouvons enfin faire du feu, nous sécher et nous réconforter. Le 14, nous repartons. Il pleut encore et nous sommes trempés à nouveau. Il n’y a pas d’ennemi en vue, la route est libre. Le soir nous pouvons dormir à nouveau dans une grange, à Froidos. Nous avons traversé de nombreux villages sans nous y arrêter. Tout est dévasté, il n’y a pas d’abri.

Le lendemain, après une longue marche, nous arrivons au bois de Cheppy au sud de Monfaucon. Nous recevons quelques coups de fusil, patrouillons devant nos positions, et après avoir reconnu les avant-postes ennemis, nous nous reposons dans le bois par une nuit pluvieuse. Le jour suivant, le 16, la pluie tombe sans arrêt. Nous sommes exténués et recevons un déluge incessant  d’obus. La section de René est particulièrement éprouvée, mais nous restons sur nos positions. A ce moment, on nous fait relever par le 3ème bataillon pour nous mettre en repos, mais l’unité ne tient pas sous le feu et nous devons retourner à nos tranchées. Nous n’avons rien bu depuis deux jours, les bidons sont vides.

Le ruisseau qui coule à proximité de nos lignes est plein d’animaux crevés et il est défendu d’utiliser cette eau. Toute la journée du 17 nous résistons sous une avalanche d’obus qui blessent et tuent nombre d’entre nous, mais nous ne bronchons pas. A 8 heures du soir on nous donne l’ordre d’aller nous reposer à Avocourt, à quelques kilomètres en arrière. Nous y arrivons tard dans la nuit car la route est un véritable bourbier. A 2 heures du matin, nouvel ordre de départ. Nous n’avons pas eu le temps de nous reposer. La route est pénible et nous aurions préféré ne pas quitter nos tranchées. Nous allons reprendre position face à Monfaucon. La pluie n’a pas cessé, et la boue atteint le haut de nos chaussures. René commande alors la 5ème compagnie. J’ai la 6ème et Doisneau la 7ème. Nous nous installons à côté l’un de l’autre, sur des crêtes bombardées sans arrêt. Les 19 et 20 nous restons sur place.

Nous sommes couverts de boue, les tranchées sont inondées et les nuits de plus en plus froides. Le canon tonne sans interruption du côté allemand et nous n’avons pas d’artillerie lourde pour leur répondre, mais ne bronchons pas. Enfin, le 21, on nous annonce que nous partons au repos. Nous faisons une longue marche très pénible, toujours dans la boue. Le colonel s’installe dans une ferme et nous à l’extérieur. Nous pouvons tout de même nous sécher et nous restaurer un peu, mais au début de la nuit il se remet à pleuvoir. Le matin du 22, départ précipité. Nouvelle attaque violente des allemands que nous repoussons. Enfin, le soleil brille. Ce n’est pas trop tôt, nous nous sentons à bout de forces et ce rayon de soleil nous fait le plus grand bien. Nous établissons nos tranchées au bord d’un chemin derrière une haie. René est un peu en avant, à la ferme de la Neuve Grange, mais sa position est intenable et il revient près de nous. L’endroit se trouve à Verny. Monfaucon, occupé par nous, est en avant d’Avocourt, tenu aussi par les nôtres.

Devant nous se trouve un troupeau de moutons. J’ai appris ensuite que ces moutons étaient conduits par des allemands, des espions, et marquaient l’emplacement de nos positions. Les obus allemands s’abattent juste sur nos lignes et nous déplorons d’importantes pertes. Vers midi, Doisneau est sérieusement blessé à la cuisse. Caillat tombe mortellement frappé. L’endroit est mauvais mais nous y passons toute la nuit et tout le jour suivant. Le 23 sera le jour fatal à mon pauvre ami. Dans la matinée, alors qu’il est assis au bord de la tranchée, une balle perdue le frappe au côté. Il tombe évanoui. Ses hommes, dévoués, le transportent sur des fusils.

Je vois le médecin qui me rassure en me disant qu’aucun organe vital n’est touché. Ce n’est que plus tard, en cherchant à avoir de ses nouvelles, que j’apprends qu’il a, à Clermont-en-Argonne, succombé à sa blessure. Son départ me cause une profonde tristesse. Ses hommes, auxquels il a toujours donné le plus bel exemple de courage, d’endurance et de bonne humeur malgré notre pénurie et nos misères, sont profondément affectés.

Je vous suis très reconnaissant de m’avoir offert son portrait. C’est désormais pour moi une précieuse relique, qui me permettra de conserver intact, le souvenir de mon cher frère d’armes.

Veuillez agréer, chère Madame, avec mes hommages, l’assurance de mes sentiments de sympathie.

Antoine Marquet
Sous-lieutenant au 31e d’infanterie à Melun.


Science fiction: Moi, je...

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Certaines personnes ont le don de captiver un auditoire. Je revois et entends encore ces vieux légionnaires qui nous racontaient des histoires fabuleuses qui monopolisaient nos attentions, nous étions bouche bée.

Quand on leur demandait si c'était vraiment vrai, ils répondaient: "Ceux qui ne savent raconter que la vérité, ne méritent pas qu'on les écoute."

Les "Moi, je" ont tellement d'histoires à nous raconter...

« Moi, je », ce pléonasme tant entendu, est surtout utilisé par mes camarades légionnaires d’origine étrangère au moment où ils maitrisent un peu la langue de Voltaire.

Mais je constate, en regardant la télévision ou en écoutant la radio, que c’est le début de phrase le plus utilisé avec « écoutez » : « moi je pense que…» puis: « écoutez ».

J’ai ainsi différencié les gens qui m’entourent. Il  y a les : « moi, je » et les autres !

Les « moi, je » ont tous quelque  chose  à dire et parmi eux, j’ai connu de merveilleux mythomanes, de ceux qui vous font rêver, mais aussi en contrepartie les plus efficaces emmerdeurs, de ceux qui vivent leur racontars minables qui n’intéressent personne qu’eux-mêmes.

C’est ainsi que commence mon récit :

Ecoutez, moi je vais vous parler d’Auriol en imagination pure, type récit de science-fiction :

«La rouille ne laisse plus guère de place à la peinture d’origine, une grille en fer forgé, ouverte est figée sur ses gonds… Quelques souvenirs laissent toutefois, encore, l’illusion d’un passé radieux. La façade grise d’une grande bâtisse, se dresse sur la hauteur d’un jardin en friche. Elle n’attire pas le soleil ; la lumière peine à éclairer une végétation sauvage, dense et persistante qui regorge  d’ombres noires autant que de mystères. Les nuages passent au  loin, caravane indolente qui revient d’un long voyage. Lorsque l’on franchit la grille, une curieuse émotion vous saisit. Etrange sensation qui se dégage d’ici, comme si des regards enfouis dans l’ombre des arbres ou dans les vitres sombres, sales et glacées des fenêtres, saisissaient l’image furtive et implacable d’un  temps trop vite passé.

Tout sera détruit, démantelé, au profit de nouvelles constructions.

Juste retour des choses ? N’a-t-il pas été de même lors de l’installation des vieux légionnaires dans ce domaine de Vède, qui avait déjà l’empreinte indélébile, la marque  de l’histoire des gens qui y avaient vécu avant eux ?

Pouvions-nous changer le déroulement des choses, un destin implacable ne saurait empêcher l’aspiration monstrueuse vers le vide de toute chose vivante ? Sommes-nous, par ailleurs, autre chose que les rêves que nous poursuivons sans cesse tout au long de notre existence et l’espoir qui les anime ?»

Science-fiction ? Prémonition ? Réveil !

Signature MOMO

J'allais devenir légionnaire...

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Marchant d’un pas lent sur la plage, je voyais la mer et le ciel disparaitre à l’horizon et se confondre dans une opacité trouble,  un  pastel monotone,  accouplement  furtif  qui se perdait dans l’infini. Mes joues, caressées par les derniers rayons d’un soleil moribond s’enflammaient sous les gifles du vent du Nord. L’instant était bousculé par le tournoiement des envolées de sable fin, figures imaginaires que semblaient habiter des fantômes familiers.

La lune se levait derrière la dune. Mon esprit s’évada, aspiré  par une interrogation lointaine, comme attiré par l’espoir d’une aventure, qu’accentuait encore une impression intime, imprégnée d’une douce odeur de ressac, effluves iodées de vagues houleuses, sculptures animées des plages des eaux de la Terre.

Ce parfum enivrant de vent marin, soulignait encore la frustration d’inaccessibles rêveries, pour un adolescent, obsédé par la découverte d’images nouvelles. Le mirage s’évanouissait dans un léger brouillard, mariage incestueux de la mer et du ciel avec une dame de leur âge: la Terre. Cette harmonie envoutante, était la toile d’arrière-scène d’un théâtre  où les acteurs involontaires affichaient leur propre jeu de rôle, et où s’exprimait la nostalgie du temps qui passait. Sempiternelle comédie humaine, source perpétuelle d’inspiration,  qui faisait inlassablement se regrouper les vieilles femmes sur un banc du bord de mer, véritables chefs des familles matriarcales du Nord, directrices de conscience d’une société sans fragrance,  fidèles  à un passé qui se vivait  trop au présent pour construire l’avenir, mais aussi, source d’insatisfaction, d’ennui, de lassitude, de tristesse…

Voici le décor et la mise en bouche…

C’est ainsi qu’un jour, qui ressemblait aux autres jours… je réalisais que je ne pouvais plus supporter cette vie si courte mais si longue à la fois, à force de lenteur, de manque d’événements trépidants et qui devenait, parfois, insupportable. Elle se déroulait, toujours semblable, avec la mort au bout. On ne pouvait l’arrêter, ni la changer, ni la comprendre. Souvent une révolte indignée nous saisit devant l’impuissance de notre effort à provoquer un changement. Quoi que nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous croyions, nous mourrons. 

Malheureusement, il semble bien que nous mourrons demain sans rien connaître encore, bien que désabusés par tout ce que nous connaissons.   Nous nous sentons écrasés par le sentiment que « tout n’est qu’une éternelle misère », tout n’est qu’impuissance et monotonie.

Alors, nous nous levons, nous marchons, quand nous sommes las du matin au soir, las des choses familières, de sa maison, de sa rue, las de soi-même, de sa propre voix, des choses qu’on répète sans cesse, du cercle restreint de ses idées. Il faut partir, entrer dans une autre vie, changer l’image projetée de son ombre.

Au  moment de la décision, l’aventure prend  la forme d’une espèce de porte par où l’on sort de la réalité, pour pénétrer dans une autre, inexplorée, qui n’est encore qu’un rêve.

C’est dans une gare, dans un port, un train, un grand navire qui halètent d’impatience et qui vont fuir là-bas, quelque part, n’importe où, vers des pays nouveaux, régénérateurs.

Ainsi, je quittais ma région natale par un jour de septembre de fin d’été, animé par la volonté de voir une terre de soleil, dans l’éblouissement fulgurant d’une lumière inconnue.

Je souhaitais de toute mes forces voir le midi du désert qu’incarnait, de façon quasi magique, l’image du légionnaire saharien qui représentait, dans ma naïveté juvénile, l’exemple de ce que pouvait être la liberté, sans horizons.

Décision irrévocable qu’imposaient à mon inconsciente rêverie les écrits de Flaubert : « On peut se figurer le désert, les pyramides, le sphinx, avant de les avoir vus ; mais ce qu’on ne s’imagine pas, c’est la tête d’un barbier Turc accroupi devant sa porte ». Il me fallait aller à la rencontre de ces personnages.

C’est ainsi, tableau rapidement brossé, que j’arrivais devant le bureau de recrutement  et m’engageais pour cinq ans, ce n’est pas rien, au titre de la Légion étrangère

De  la terrasse du Bas-Fort « Saint Nicolas » à Marseille, je  sentais mon cœur  emporté par une sensation nouvelle devant cette ville,  porte d’aventures, qui palpitait sous le soleil encore estival, riante, avec son port de plaisance bordé de grands cafés pavoisés, ses gens pressés, affairés et bruyants à souhait. Elle semblait ivre, avec un accent que tout le monde faisait sonner comme un défi à la morosité. Marseille transpirait et manquait de soin, elle sentait l’ail. Mais elle vivait !

Au loin, dans le bassin de la Joliette, les lourds paquebots, le nez tourné vers l’inconnu, attendaient.

Après un bon mois de séjour lié  aux formalités administratives, c’était le départ pour la Corse, début d’une instruction programmée, formation indispensable pour faire de moi cet autre homme, ce légionnaire apte à servir en tout lieu, à tout moment, là, où la Légion interviendrait de par le monde.

J’embarquai sur le « Napoléon Bonaparte ». Le vaste navire quittait son point d’attache, passait doucement au milieu de ses congénères encore immobiles, sortait du port. L’aventure commençait pour moi, je me sentais libre comme jamais.

J’allais devenir légionnaire !

Chef de bataillon (er) Christian Morisot


Visiteurs des hôpitaux

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Presque brut de fonderie cette lettre. Lors d'une réunion du comité d'entraide social de notre "Fédération des Anciens de la Légion étrangère", j'ai rencontré ce personnage qui comme notre ami Peter, Marie ou encore Guillemette, visitent les plus malheureux d'entre-nous: nos amis hospitalisés.

Une vraie leçon, il ne suffit pas toujours de dire que le social c'est avant tout de l'argent, il y a bien autre chose et c'est encore heureux !

Un petit clin d’œil à tous ces visiteurs qui ont du cœur.

 

Il est une mode indémodable, celle qui peut être considérée comme moderne et éternelle à la fois : avoir des problèmes et   se retrouver quelque peu blasé de sa propre existence, l’âge venant…

 Pour accentuer encore ce mal-être, pollution parmi les pollutions, nous sommes envahis du bruit des autres, de leurs vociférations hystériques, des cris vulgaires en tout genre. C’est un horrible brouhaha. Même un musicien ne trouverait pas dans cette énorme cacophonie, la moindre note harmonieuse et sereine.

Cette forme de pollution était mon lot quotidien après mon service légionnaire. Rapidement, c’était devenu une obsession, il me fallait trouver une atmosphère sonore plus convenable. Il m’était indispensable de trouver une parade, même si je possédais « l’atout » du  handicap professionnel de tout ancien militaire « qui se respecte » : se retrouver plongé dans le monde fermé des sourds chroniques, conséquence  de séances de tir sans protection auriculaire.

Je m’étais isolé, retranché  dans une bulle insonore, et lorsqu’il m’arrivait de mettre mon nez dehors, je m’affublais, enfin, mieux vaut tard que jamais, du casque anti-bruit.

Dans mes lectures de jeunesse, j’avais appris que la terre était ronde, que le monde qui m’entourait avait la dimension d’un tout petit atome dans un univers illimité, dans lequel je n’étais même pas une poussière. De quoi m’indisposer, assurément, par une sorte de vertige persistant. Ma dimension humaine me faisait peur, asphyxié par un trop plein de rien du tout : le temps libre. Je pris l’option de me laisser vivre, oisiveté soutenue par une “rente” d’ancien légionnaire, qu’alimentait régulièrement une dette dite publique me concernant. Enivré de désœuvrement, de paresse - cette ignoble mère de tous les vices - j’affectais prétentieusement d’aimer ce genre de vie, et d’être parfaitement heureux en compagnie de camarades de rencontre sur ma dernière route, que je  fréquentais au grand dam de mon organe hépatique, petite chose très fragile qui me faisait souffrir par crises aigües douloureuses, et m’alertait ainsi sur mon précaire état de santé, signe de vie raccourcie.

A l’amicale d’anciens légionnaires que je fréquente depuis peu, j’ai la chance de rencontrer des amis, anciens légionnaires comme moi. Certainement,  lors de nos parcours réciproques, nous nous sommes   croisés. J’ai plus, dans ma tête, la mémoire des visages que celle des noms. Grâce à eux, je laisse mon foie vivre tranquillement sa  retraite, bien méritée.  Je vis en   accord harmonieux avec mes nouveaux compagnons, et la partition qui se joue dans l’air du temps, est une mélodie fantastique, un véritable petit bonheur, alimenté par le partage et les échanges d’hommes de bonne volonté. C’est un tempo magique d’un enrichissement mutuel, partagé. Depuis, je me rends utile, je visite les malades dans les hôpitaux, c’est pour moi un sentiment indescriptible, surtout que je me suis pris d’amitié avec eux. Voilà donc ma nouvelle vie, je suis guéri du bruit des autres, ma vie reprend des couleurs, j’existe encore pour quelques uns d’entre eux, ceux qui ont besoin de mes visites régulières pour leur faire oublier leur misérable condition humaine.

Christian MRT


lettre à moi-même

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Lettre à moi-même,  futur jeune retraité :

Prendre sa retraite, mon cher Camarade, n’est pas une petite affaire, bien au contraire. C’est se glisser dans un costume très particulier qui n’est rien. Ni classe, ni condition et certainement pas une profession.

Depuis que tu es inscrit sur le « grand livre de la dette publique », tu vis un peu dans un rêve. Tu sais aujourd’hui, qu’il est très facile d’en faire un drame et de passer à côté de beaucoup de choses sans les voir, si tu ne réagis pas rapidement car, après la retraite, il n’y a plus rien… « Dommage que ça finisse si mal »  disait François Mauriac.

Alors il faut que tu fasses en sorte que la retraite ne soit pas une mise en retrait.  Mise à l’écart de la société, même si elle te fait passer du statut d’actif à celui d’inactif, expression presque infamante pour tout ancien légionnaire qui, par construction, a vécu en  nomadisme permanent.

Pourtant, la retraite devrait être formidable, devrait être un moment privilégié de liberté totale. Jusqu’à une date très récente, on était vieux à 60 ans, dépendant de sa famille ou de la charité publique. Ceux qui passaient le cap, étaient heureux si la maladie ne transformait leurs « vieux jours » en une longue souffrance, centre quasi exclusif de leurs préoccupations et leurs conversations quotidiennes.

En fait, la retraite est le moment où nous prenons  conscience de notre fragilité. Nous sommes, la plupart des retraités, incapables de nous projeter dans l’avenir. Notre futur se rétrécit, adossé à notre passé. C’est l’affaire la plus sérieuse d’une vie, celle qu’il ne faut pas confondre avec de grandes vacances   ou envisager comme un repos.

Ce repos forcé, où tous les jours pourraient sembler gris, vides et tristes,   peut être   fertile et constituer un capital formidable.  Il serait stupide de le laisser en friche. Il faut se faire violence et ne pas se considérer sur une voie de garage ou pire, déjà au tombeau.

Retraité de la Légion étrangère ! Cela représente certaines valeurs qui peuvent s’appeler maturité, sagesse, équilibre et, pourquoi pas, culture.

La retraite ne doit pas être une fin, mais un fabuleux commencement. Contrairement à leurs jeunes, les retraités ne sont pas individualistes et la vie associative est là pour le démontrer, si besoin était.

Pour les anciens légionnaires, la retraite est le dessert du banquet de la vie. C’est le final d’une longue course pour cicatriser les blessures et apprécier les « petits bonheurs ». L’avenir leur appartient, ils se retirent dans la grotte du temps, car ils savent par expérience, qu’une certaine « lenteur » est le meilleur antidote à la terrible pression que la vie moderne impose à tous.

Sans nous arrêter, laissons du temps au temps et, dans un même élan, repoussons de toutes nos forces la tentation de l’inaction, ce repos malsain ; chacun doit faire face à ses misères plus ou moins importantes.  Au fur et à mesure que nous prenons de l’âge, des clignotants d’alerte se multiplient, aucun ne saurait  nous empêcher de vivre !

N’aye pas peur !

CBA (er) Christian Morisot 

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