Ô mes compagnons Légionnaires
Dont une balle
Une volée d’éclats
Le fracas d’une mine
Ont foudroyé la progression hautaine
Un tiers de siècle
N’a rien estompé de vous
En mon affection, ni en ma mémoire.
Nous sommes à jamais frères par l’agonie.
Je vous garde en moi
L’un sans jambes, l’autre sans mains
Tel tranché d’un demi-visage
Toute
L’intensité de son expression
Toute sa chaleur
Toute
Sa gouaille
Rassemblées dans l’œil indemne.
Tu me hantes, Kurt, le torse balafré d’une rafale
De trous à l’écume sombre.
Je revois
Avec effarement
Le peu de corps qu’il restait à certains d’entre vous
Pour partir.
Je me repenche d’amour
Sur vos gosiers appliqués à grogner leur message.
Si je répétais mot pour mot
Ce que vos bouches tordues par l’urgence
M’ont grimacé
Dans un sourire de caillots et de bulles,
Si josais dévoiler
A la recherche de quelles clés
Votre ultime regard
A fouillé mon regard avant de se figer,
Si j’avouais qu’à l’un d’entre vous
Qui réclamait, crochant mon bras, le mot de passe
Je confiais avec cette attention
Qu’appelle chez l’officier, une confidence :
- Tu dis Légion !
Puisque c’était notre religion commune,
Seigneur-Dieu,
A part Vous et eux
Qui donc me croirait ?
Aussi bien quelle importance !
Eric, koob, Gino Caraï, Brémar, Klug,
Wirtz, Landefeld, Wolfschmidt, Ferrigo, Varrotsis
Et les autres
Vous aurez mon témoignage quand il le faudra.
Je ne cacherai pas
Les larmes inconvenantes
Qui me viendront aux yeux
Délayant sur plusieurs ciels tant de visages confondus.
L’histoire est injuste
Qui ne retient pas les morts humbles à ses cribles
Quelle que soit leur étoffe.
Elle est – c’est connu – moins faite des sacrifices
Que des commentaires élevés qu’ils inspirent.
Ô mes compagnons Légionnaires
Dont une balle
Une volée d’éclats
Le fracas d’une mine
Ont foudroyé la progression hautaine
J’ai, grâce à vous,l’honneur
De savoir
Qu’une mort souriante est affaire de prince.
Jean-Marie SELOSSE
Marseille 1979