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"On m'a volé mes rêves d'époux, de père"

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LE MONDE | 20.06.2008

On les appelle les "chiens de guerre" ou les "soldats de fortune". En langage courant : des mercenaires. Sébastien D. a été l'un d'eux, de 2001 à 2006. Pour le compte de l'armée américaine ou des puissantes sociétés militaires privées (SMP), le jeune homme, aujourd'hui âgé de 35 ans, a écumé les champs de bataille du siècle nouveau, d'Irak en Afghanistan. Comme des centaines d'autres anciens militaires d'élite, cet ex-légionnaire à la poitrine couverte de décorations a fait le coup de feu et sécurisé des zones sensibles au Qatar, en Guinée, attiré par les contrats mirobolants de plusieurs milliers d'euros mensuels. Le "job" était risqué mais payant. Sébastien s'en est sorti indemne. Mais il n'a pas résisté à la rupture sentimentale.

Lundi 8 juin, au volant d'une Peugeot prêtée par un ami, il a défoncé la devanture d'une tranquille brasserie ajaccienne où travaille celle qui est encore sa femme et veut le quitter. Cinq minutes auparavant, il l'avait appelée : "Si tu ne sors pas dans cinq minutes, je fonce avec la voiture." Les 300 secondes se sont écoulées. Sébastien a foncé. Une heure après son forfait, les policiers n'avaient pas encore fini de procéder aux constatations d'usage que la radio de l'hôtel de police d'Ajaccio grésillait : "Le conducteur du véhicule s'est spontanément présenté au commissariat."

Sébastien a tout avoué. "En soldat", a-t-il expliqué, avant de dévider le fil de sa vie. De son enfance, le jeune homme se souvient surtout des "coups de (son) père". A 3 ans, le petit garçon échoue sur les registres de la Ddass de Soissons (Aisne). Son grand frère, lui, restera avec ses parents. "Ils étaient alcooliques et ma mère était une pute", tranche-t-il au cours de son interrogatoire de personnalité. De familles d'accueil en foyers d'adoption, il finit par décrocher son BEPC avant d'entamer un tour de France entre deux petits boulots. Il a 17 ans, ne se résigne pas à sombrer. Comme des générations de réprouvés avant lui, il trouve sa voie en s'engageant dans la Légion étrangère, sous un nom d'emprunt et avec une attestation parentale trafiquée. C'est la révélation.

Coiffé du képi blanc, il découvre la camaraderie, l'entraide, la solidarité, une famille qu'il ne quittera qu'après onze années de service jalonnées de décorations et de lettres de félicitations. Aux policiers qui l'interrogent, Sébastien décline sans se faire trop prier ses "pendantes" : médaille des blessés, médaille du courage et du dévouement avec palmes, médaille d'or de la défense nationale...

Lorsqu'il quitte la Légion en 2000, à 27 ans à peine et avec le grade de sergent, il a déjà le parcours d'un ancien combattant. Un ancien combattant heureux, de surcroît : deux ans auparavant, il s'est marié avec Laurence, rencontrée au cours d'une permission. Les deux amoureux ont gagné la Corse en 2001. Sébastien connaît le pays pour y avoir servi dans les rangs du prestigieux 2e régiment étranger de parachutistes, basé à Calvi. Deux enfants naissent. Le bonheur. Sébastien multiplie alors les juteuses missions à l'étranger puis finit par décrocher après un dernier tour en Afrique. Celui de trop.

A son retour, en août 2007, Laurence le foudroie : elle exige une séparation. L'ancien soldat d'élite perd pied. Traduits en Texto, ses sentiments parviennent à raison de 15 par jour à la jeune femme, déchirants, insultants, menaçants, parfois longs de plusieurs pages mais rédigés dans un français impeccable, sans la moindre faute et avec un souci quasi littéraire de la ponctuation. Un abécédaire de la rupture douloureuse où les expressions de caserne donnent la main aux injures et aux messages d'amour : "Il faudra rectifier ça", écrit Sébastien à propos du comportement de Laurence. Puis : "Sale pute." Puis encore : "Il faut que tu te réveilles ! (...). Je ne comprends pas, je veux te récupérer."

Au début de l'année, à bout de nerfs, la jeune femme est allée déposer plainte à la brigade de gendarmerie de Peri, près d'Ajaccio. Convoqué par les militaires, Sébastien a tout reconnu sans faux-semblants ni échappatoires, les menaces, les promesses de "roustes", les engueulades monstres. Il a même plongé les gendarmes dans l'embarras en couchant sur procès-verbal les détails les plus intimes de la vie privée du couple à la dérive. "Ma femme est manipulable, hédoniste, adultère", conclut-il à la manière d'un improbable Guitry, lors d'une audition à la gendarmerie, le 17 février.

Ni les mises en garde des gendarmes ni une condamnation à six mois de prison avec sursis pour "menaces" par le tribunal correctionnel d'Ajaccio au mois de février n'entameront sa détermination. "Je ferai tout ce que je peux pour les récupérer", martèle-t-il à propos de ses enfants. Le droit de visite réduit aux mercredis et aux week-ends ? L'ancien gosse de l'Assistance ne peut l'admettre. Le magistrat des affaires familiales qui l'a reçu, confie-t-il, ne l'a pas entendu "plus de dix minutes".

"On m'a enlevé mes rêves d'époux, de père, de vie de famille", s'est-il désespéré face aux gendarmes. Oubliées, les soldes astronomiques de ses contrats de soldat de fortune : son boulot de travailleur acrobatique dans la région d'Ajaccio lui rapporte à peine 1 200 euros par mois alors que les dettes s'accumulent. Depuis le mois de février, il dort dans une voiture prêtée par un ami. "Je suis un SDF et je ne le supporte pas. La Corse est une prison", déclare-t-il aux policiers qui l'interrogent après son rodéo sauvage.

En pleine audience du tribunal correctionnel d'Ajaccio, le lendemain de son "pétage de plombs", Sébastien n'a pas davantage toléré les paroles de l'avocat du gérant du Lantivy, la brasserie qu'il a dévastée au volant de sa voiture. "Mon client est pacifique. D'autres que lui auraient pu...", a commencé Me Jean-Claude Manenti. Au comble de la nervosité, l'ex-militaire n'a pas laissé le temps au juriste d'achever sa plaidoirie. "Je n'ai peur de personne et je suis prêt à mourir pour mes fils !", a-t-il rugi avant de faire un pas en direction de l'avocat. Mais face aux uniformes des policiers, il a retrouvé ses réflexes pavloviens devant l'autorité et retourné sa rage contre un panneau de porte, défoncé d'un seul coup de poing. Quelques minutes plus tard, il s'excusait en larmes, pour son comportement "inadmissible".

"C'est un ancien soldat d'élite, un homme qui n'a pas retrouvé les repères de la vie spartiate et disciplinée qu'il avait connus jusque-là", analyse Me Manenti. L'avocat, que tout désignerait pour enfoncer l'homme qui a ravagé la devanture de son client, préfère s'interroger : "Comment la République peut-elle permettre à ces hommes dont les idéaux sont souvent nobles et qui se sont battus pour elle, de retourner à la vie civile sans perspectives et avec des soldes dérisoires ?"

"Personne ne parvient à détester mon client", enchaîne Me Antoine Vinier-Orsetti, le défenseur de Sébastien. Le jeune avocat, désigné d'office, a pratiquement le même âge que son client : "On me demande de ses nouvelles dans la rue, ce qui n'arrive pratiquement jamais ici. Il traverse une période de détresse, il est seul et a vu sa vie basculer. Il mérite une chance."

Le 22 juillet, le tribunal correctionnel d'Ajaccio décidera de la "chance" du mercenaire déchu. Sur procès-verbal, face à des enquêteurs plutôt compréhensifs, Sébastien D. s'est rappelé sa vie d'avant, ses retours en Corse entre deux missions au Moyen-Orient. "Je gagnais 12 000 euros par mois", se souvient-il. Puis, il ajoute : "Ma femme m'aimait beaucoup."

Antoine Albertini - BASTIA CORRESPONDANT


Traduction

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