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Hélie de Saint Marc, les combats d’une vie 01072010

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Frédéric Pons le jeudi, 01/07/2010

 

 

Il se leva pour vivre, avec honneur et fidélité. Il le paya très cher. Il nous transmet les leçons d’une vie intense.

Marcher à la rencontre d’une légende vivante est une joie profonde, doublée d’une légère inquiétude. Je suis à Lyon, à deux pas du parc de la Tête d’Or. Hélie de Saint Marc, 88 ans, m’attend. Je le sais affaibli. Comment vais-je trouver le soldat, l’écrivain, cette autorité morale qui subjugue par une vie d’engagements et d’épreuves au service de la France ? Marqué par la souffrance dès l’âge de 21 ans, Saint Marc a raconté son destin incroyable dans deux maîtres ouvrages, les Champs de braise (1995) puis les Sentinelles du soir (1999) – « le meilleur de mes livres » –, du jeune résistant de 1941, capturé par la Gestapo puis dé­porté à Buchenwald, jus­qu’au com­mandant putschiste de 1961, condamné à dix ans de réclusion criminelle puis gracié en décembre 1966.

Les yeux disent tout. Hélie de Saint Marc me regarde avec malice et intérêt. Le regard d’azur a pâli mais livre, intacte, sa passion de transmettre et de comprendre. Il me tend son dernier livre, l’Aventure et l’Espérance (Les Arènes) : « J’approche du mystère et je me sens plus démuni qu’un enfant. »

Au soir de sa vie, « quand les ombres s’allongent et que j’essaie de comprendre », il se dit « dépositaire » : « Repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs pour que d’autres en extraient quelques grammes d’humanité, pour les repiquer ailleurs. » L’aventure ? « Je n’ai pas passé ma vie en retrait. J’ai été plongé dans l’Histoire, pendant deux décennies, avec une intensité sans équivalent. » L’espérance ? « À mon âge, c’est peut-être la seule grâce qui reste, cette flamme fragile, si bouleversante que je veux confier à mes lecteurs. »

Je m’inquiète de ne pas le fatiguer davantage. Il sourit : « Combien de fois ma vie n’a-t-elle tenu qu’à un fil  ? » Je veux poursuivre, il m’arrête. Ce grand témoin de notre histoire veut savoir comment va le monde, nos armées. L’Afghanistan le préoccupe. Il pense à ses jeunes camarades : « Vous les avez vus sur le terrain, que pensent-ils ? Sont-ils assez bien entraînés, armés ? Le soldat a besoin de vérité et de cohérence. La guerre d’aujourd’hui est brouillée et incertaine. »

Plein de sollicitude, il m’écoute, précis dans ses questions, attentif à mes réponses : « Nos jeunes soldats ne se battent pas en Afghanistan pour défendre des biens mais pour remettre le pays à des gens qui veulent la liberté, comme en Indochine. Nos épreuves vietnamienne et algérienne préfigurent peut-être les conflits du XXIe siècle. Une nation perd sa liberté le jour où elle n’a plus en son sein des hommes prêts à se sacrifier pour la liberté. »

Les rêves de sa jeunesse – Gallieni, Lyautey, Charles de Foucauld – et ses camarades de combat l’accompagnent chaque jour. Il y a bien sûr ce jeune infirmier de Buchenwald qui le sauva de la mort en détournant des médicaments réservés aux kapos ou ce Letton au nom effacé de sa mémoire qui le maintint en vie à Langenstein en faisant son travail et en lui donnant sa ration de pain. Et tous les soldats qui servirent à ses côtés, à commencer par l’adjudant Bonnin, mort au combat, « achèvement parfait du sous-officier », l’une des “étoiles” de sa galaxie militaire, avec Eggerl, Chaumelle, Prudhomme, « les véritables puissants des mondes où j’ai vécu ».

« J’ai été comblé par l’existence », dit Saint Marc. Je lui parle pourtant des épreuves qui ont dessiné ses rides profondes et affûté son regard sur les hommes. Il ne retient que des leçons de vie. Pour ne pas désespérer ? « L’extrême douleur m’a appris la joie de vivre, sourit-il. L’étincelle jaillit des ténèbres et de l’espérance. » Ce qui l’intéresse est « la lueur passagère où se concentre l’essentiel de nos vies ». L’a-t-il aperçue ? « Les camps de concentration et la Légion étrangère m’ont appris l’humanisme. L’homme était nu. On ne le jugeait pas sur l’avoir et le paraître mais sur sa vérité profonde. »

Cet « essentiel d’une vie » fut pour lui le chemin de l’Espagne, avant son arrestation par la Gestapo, le 13 juillet 1943, puis Buchenwald, Langenstein et sa libération le 9 avril 1945, alors qu’il avait été laissé pour mort (il ne pesait plus que 42 kilos). Ce fut aussi cette Indochine de sang où il fit trois séjours, de 1948 à 1954, pour les moments les plus forts de sa vie : les combats à la tête de ses partisans, le poste de Talong à la frontière de Chine, où il abandonna une première fois des gens à qui il avait donné sa parole d’officier de ne jamais les quitter. Un souvenir le bouleverse encore : l’aube dans un village de montagne, une fille apportant un bol de thé : « J’ai connu un moment d’éternité. J’étais encore en vie après avoir tué… »

“Le temps perdu, les vies sacrifiées, la confiance trahie…”

Les drames de l’Algérie accomplirent son destin de combattant : la mort de son beau-frère, le lieutenant SAS Yves Schoen, pure figure de héros militaire, tué le 18 février 1959 ; le putsch du 21 avril 1961 ; son procès devant le tribunal aux armées : « Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai connu pas mal d’épreuves : la Résistance, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie… »

La prison – la Santé, Clairvaux, Tulle – acheva ce parcours hors norme : « Mon passé fracassé et notre avenir qui gisait en morceaux sur le sol de notre cellule. » Combien de temps faut-il pour redevenir un homme “normal” après la prison ? « Jamais… »

Saint Marc lâche quelques regrets : « Le temps perdu, les vies sacrifiées, la confiance tra­hie. » Lui aussi connut le dé­sespoir absolu : « J’ai senti que la vérité n’est pas toujours dans la lu­mière. Dans chaque hom­me se trouvent des zones d’ombre. Il n’y a pas de grand hom­me qui n’ait été un pauvre homme. » Nous sommes de­vant le miroir d’une existence exceptionnelle en défis per­sonnels : « Le doute me brûle. Ai-je toujours été fidèle ? Ai-je toujours agi selon l’honneur ? » Pudique, le commandant s’arrête : « Il existe en chacun une dissonance, une fêlure. Il faut respecter les drames intérieurs. »

“Honneur et fidélité”. Ce combattant a toujours voulu rester fidèle à l’exigeante devise de la Légion étrangère. « Toujours servir en visant au plus haut et en s’estimant au plus juste », dit-il en évoquant « les vagues venues de sa jeunesse », « Retrouver la vérité de l’enfant que j’ai été. » Après la prison, de 1967 à 1988, ce père de quatre filles « vécut pour vivre », responsable des ressources humaines dans une entreprise métallurgique de la région lyonnaise : « J’ai dû refaire ma vie et j’ai vécu sans passion. » La politique le laissa in­différent, comme le profit : « C’est l’éthique qui est importante. Les raisons de vivre, pas les moyens de vivre. » S’il n’avait pas été marié, Saint Marc serait devenu moine au Barroux, ou mercenaire…

Chacune de ses défaites reste une douleur, intense, mais aussi une victoire, sur lui-même, ses bourreaux ou ses persécuteurs. Certains le comprirent sur-le-champ, comme le procureur Reliquet à son procès (juin 1961), qui refusa de suivre les réquisitions sévères, ou le général Ingold, démissionnaire de son poste de grand chancelier de l’ordre de la Libération.

D’autres mirent des années à le comprendre. En 1995 encore, il se trouva quelques gaullistes pour protester contre l’attribution du premier prix Erwan-Bergot de l’armée de terre à Saint Marc pour ses Champs de braise. Le pardon des hommes, la portée humaniste de sa vie ont apaisé les passions. Saint Marc en a tiré une leçon : « Les témoins sont le sel d’un pays. De près, ils brûlent la peau car personne n’a envie de les entendre. »

L’une de ses plus belles récompenses fut sans doute sa conférence aux Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan, devant un millier d’élèves officiers subjugués. Le saint-cyrien de 1948, le commandant banni puis pardonné fut acclamé. Jamais le grand amphi Napoléon ne connut une telle écoute admirative.

Je quitte Hélie de Saint Marc. Le soleil illumine les grilles du parc de la Tête d’Or. Ma joie ressentie avant la rencontre est encore plus profonde. Une phrase du commandant m’accompagne : « Le souvenir n’est pas une tristesse mais une respiration intérieure. » Je crois lui avoir dit un adieu définitif mais ce grand soldat ne cessera jamais de se battre. Je le revois quelque temps après. Ce jour-là, il rit avec malice de son amusant sweat-shirt bleu ciel, si bien assorti à ses yeux : « Une idée de Manette, mon épouse… »

Je repartirai avec d’autres anecdotes, d’autres leçons de vie, comme une empreinte indélébile sur la mienne. Et aussi cette certitude absolue, dictée à Manette en dédicace sur son dernier livre, avec sa signature tremblée, “Hélie” : « Dans la suite des temps et la succession des hommes, il n’y a pas d’acte isolé. Tout se tient. Il faut croire à la force du passé, au poids des morts, au sang et à la mémoire des hommes. »   Frédéric Pons

A écouter :
“Ce que je crois”

Il y a le texte, l’image, mais voici la voix d’Hélie de Saint Marc. Sa voix, dans un long entretien accordé à Guillaume Roquette et Inès de Warren, illustré par deux brefs intermèdes musicaux, le Je ne regrette rien de Piaf et la Messe de gloire de Puccini. Hélie de Saint Marc y parle de lui, de son expérience de la vie, mais plus profondément de sa réflexion sur la foi et l’espérance, la souffrance, le doute, le pardon et la beauté, la peur et le courage – « de toutes les vertus la plus importante ». Un éclat de lumière lorsqu’il raconte le plus beau souvenir de sa carrière militaire, mêlant l’esthétique à la grâce, la jeune fille indochinoise qui vient lui servir un thé du matin après trois nuits de combats. Un moment d’émotion intense lorsqu’il relit les Béatitudes de Péguy – « Mère voici tes fils qui se sont tant battus ». Et puis la pudeur dans laquelle baigne cette grande leçon de fidélité aux rêves de son enfance. D’où lui viennent donc, à lui le soldat plongé dans l’action, cette qualité d’expression, cette précision de la langue, l’étendue de la pensée ? « Mais j’ai fait cinq ans de prison, dit-il, de 1961 à 1966, et ce fut un temps de réflexion après une vie d’une incroyable richesse et le commandement d’hommes étranges et rudes. La prison peut pourrir ; elle m’a permis de beaucoup travailler. » Il avait sur sa table Péguy et Aragon (« Cette vie fut belle »), Vigny et Hugo, mais aussi Kipling, Conrad et Duras – Un barrage contre le Pacifique, le livre de l’enthousiasme et de l’utopie. Il y a, confie-t-il, des plaies refermées et d’autres dont on ne guérit jamais. F. D’O.
“Ce que je crois…”, Hélie de Saint Marc, avec Guillaume Roquette et Inès de Warren.

Un CD  à commander à Valeurs actuelles : 


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