dimanche 04.07.2010
LE VISAGE DU DIMANCHE
Rue de Wattignies, à Moulins, quatre frères dominicains forment la communauté du 28. Depuis trente-deux ans, ce lieu atypique offre une écoute et une aide à tous les cabossés de la vie, qu'ils soient alcooliques, sans-papiers, anciens taulards
ou mal-logés. Rencontre avec Michel Froidure, 77 ans, cofondateur de la communauté, homme de foi et âme rebelle.
PAR HERVÉ NAUDOT
Ses yeux rieurs s'en amusent encore. Sorti de HEC à 21 ans, Michel Froidure aurait dû devenir, en toute logique, grand patron ou banquier. Mais la guerre d'Algérie, qu'il a vécue de 1956 à 1958, en a décidé autrement. « J'ai su à cet instant que ma vie opposerait la fraternité universelle à la violence. » Un électrochoc qui précipite sa vocation.
Il sera donc dominicain, et prêtre ouvrier. Sur le terrain. À Strasbourg, où il s'occupe de l'aumônerie des étudiants après 1968, il décide de devenir maçon, et d'alphabétiser les travailleurs immigrés. Mais travailler sur un chantier et habiter dans un couvent, « ça ne collait pas. Il était évident qu'il fallait s'installer dans un quartier populaire ». Ça tombe bien : en 1978, son ami Philippe Maillard, ancien aumônier de la prison de Loos et fondateur de la communauté du 28, s'installe rue de Wattignies, à Moulins. Michel Froidure le rejoint. Ils veulent aider le « quart-monde », ceux qui vivent au milieu des rats dans les courées insalubres, ceux qui sombrent dans l'alcoolisme, et être pour eux une « présence silencieuse », autrement dit une porte toujours ouverte. L'arrivée au 28 a d'ailleurs commencé dans « un sourire cocasse. Les voisins ont d'abord pensé que Philippe et moi étions homos. C'est quand ils ont vu l'évêque pousser notre porte qu'ils ont compris... » Philippe s'occupera de la réinsertion d'anciens détenus Michel, des problèmes de logement et d'alcoolisme, à travers son groupe de parole « Vivre sans alcool », toujours actif. « Je me suis retrouvé embarqué là-dedans par hasard, en devenant le curateur d'une femme alcoolique qui devait arrêter de boire pour récupérer ses trois gosses. Ce qu'elle a fait. » À l'étage, une chambre d'amis accueille d'anciens détenus, ou des sans-papiers, venus ici « par le bouche à oreille, ou sur le conseil des travailleurs sociaux, des associatifs ». Car les frères, qui sont quatre aujourd'hui, n'ont jamais fait de porte-à-porte pour repérer les âmes abîmées. De même, « on ne fait pas la charité, qui pervertit les relations humaines », dit-il, même s'il avoue qu'une partie de sa retraite de maçon (500 E) sert de temps en temps à payer les factures d'eau et d'électricité des plus dému nis. « Ici, on ne parle pas le langage du pape ou des ecclésiastiques, mais celui de la pratique. Notre langue est celle de la solidarité, la réciprocité et la tendresse. » La communauté pallie-t-elle les carences des politiques ? Une chose est sûre, en tout cas : Michel Froidure a fait voeu de chasteté et de pauvreté, pas celui de « fermer sa gueule. On a une fonction de porte-parole.
Avec Pierre Mauroy, les relations étaient compliquées. Avec la municipalité actuelle aussi, parfois. Et les offices HLM ne nous aiment pas ». Qu'importe : les copains, comme il les appelle, sont là.
Tous les mercredis soir, une messe réunissant une soixantaine de personnes se tient dans la minuscule chapelle attenant à la maison. On y croise un ancien adjudant de la Légion étrangère, un pompier médecin, un protestant, une femme musulmane que la communauté a relogée... L'office n'a rien de classique : « C'est très joyeux. Il y a des gens qui ne sont pas religieux. Avant la messe, on prend des nouvelles des uns et des autres. La parole circule.