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Partir. Poèmes, romans, nouvelles, Mémoires, de Blaise Cendrars : Cendrars, tout au bout du monde

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28.04.11

Pendant que son légionnaire aux fesses tatouées la traite de "vérole", la vieille comédienne intellectuelle, Thérèse Eglantine, extatique entre ses bras, halète : "Emmène-moi au bout du monde !" Cette scène introduit le chef-d'oeuvre canaille qui porte pour titre cette insidieuse prière. L'action a lieu à deux pas de la porte Saint-Martin, et ne s'en éloignera guère. C'est sans doute pourquoi ce roman (paru en 1956 chez Denoël) ne figure pas dans le "Quarto", anthologie que Claude Leroy, expert de l'écrivain suisse, centre sur le thème du voyage. Mais, ne serait-ce que pour la fantaisie et l'insolence, on aurait aimé l'y trouver. Ce voyage en vaut d'autres.

"Partir !" Miriam Cendrars, dans son élégante biographie, que la collection "Découvertes" (Blaise Cendrars. L'Or d'un poète, Gallimard, n° 279, 128 p., 13,20 €) republie à l'occasion du cinquantenaire de la mort de son père, rappelle que telle était la devise du poète, surnommé par Max Jacob "le Suisse errant". Ne jamais tenir en place. L'écrivain était le premier à le souligner : "Je ne suis pas un homme de cabinet. Jamais je n'ai su résister à l'appel de l'inconnu. Ecrire est la chose la plus contraire à mon tempérament et je souffre comme un damné de rester enfermé entre quatre murs et de noircir du papier quand, dehors, la vie grouille, que j'entends la trompe des autos sur la route, le sifflet des locomotives, la sirène des paquebots, le ronronnement des moteurs d'avion et que je pense à des villes exotiques pleines de boutiques épatantes..."

Dans La Vie dangereuse (Grasset, 1938), où Cendrars, alors âgé de 51 ans, évoque, entre autres, ses explorations brésiliennes, il ne peut retenir des accents lyriques, tout en ironisant sur ses vaines rêveries. Il est à un tournant de sa vie. L'ami d'Apollinaire, des peintres et des surréalistes a fui depuis longtemps Paris. Il est plus proche d'Albert Londres. Deviendrait-il à son tour grand reporter, et rien de plus ? Il est tenté, assurément, de renoncer non à la poésie - car on ne cesse pas d'être poète -, mais peut-être à une oeuvre en bonne et due forme. Il va au hasard. Il suit le vent. Pas de la mode, mais des occasions, des rencontres, du large.

La bougeotte l'a pris très tôt. Né en 1887, à La Chaux-de-Fond, Frédéric Sauser aurait mené une existence bien sage, si son père n'avait eu la lubie des affaires et n'avait entraîné sa famille à droite à gauche (en Egypte et à Naples) avant de revenir bredouille à Bâle. Mais le pli était pris. Elève peu discipliné, "Freddy" est hâtivement propulsé dans la vie active. Il n'a pas 18 ans quand il suit un homme entreprenant vers Saint-Pétersbourg. Ce dont il se souviendra, plus tard, dans sa Prose du Transsibérien. "J'ai des amis qui m'entourent comme des garde-fous/Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus."

Il s'amourache là-bas d'Hélène, une Russe qu'il doit laisser pour retrouver sa mère mourante, en Suisse. Hélène meurt dans un incendie qu'elle provoque en renversant une lampe à pétrole. Voilà, pour le futur écrivain, une jeunesse déjà pleine et aussitôt vidée par la tragédie. Va-t-il se marier ? Oui, avec une Polonaise qui lui donnera trois enfants, mais qu'il abandonnera pour se lier avec une comédienne, Raymone, l'amour tumultueux de sa vie. Mais avant cela, la Polonaise a eu le temps de l'entraîner à New York où, en 1912, il trouve son pseudonyme. Il se rebaptise Blaise Cendrars. Il expliquera en 1929 : "Pour moi, qui n'ambitionne aucun rôle à jouer, je me borne à faire des autodafés. Ainsi, mon nom l'indique, CENDRARS/Tout ce que j'aime et que j'étreins/En cendres aussitôt se transmue..." Souvenir du bûcher d'Hélène ? Réminiscence de Nietzsche, dira-t-on.

La première guerre mondiale, comme pour Apollinaire, sera la vraie et terrible révélation. Atteint par des éclats d'obus, il perd un bras et en fera un poème, Orion : "C'est mon étoile/Elle a la forme d'une main/C'est ma main montée au ciel..." Il décrira, bien des années plus tard, l'impitoyable sort des soldats dans les tranchées et leurs intolérables souffrances dans les hôpitaux de fortune (dans J'ai saigné, témoignage d'une rare crudité, qu'il inclut dans La Vie dangereuse).

Cendrars aurait pu être notre Conrad, notre Kipling. Il les lut, mais ne les imita pas. Il est moins raconteur, moins inventeur de fictions. Il aime et revendique les "histoires vraies", mais il ne craint pas d'affabuler sur son propre compte. Ses anecdotes sont, le plus souvent, des portraits. Ce qui donnera l'effrayant Moravagine (Grasset, 1926) et la peinture de l'aventureux Johann August Suter, auquel il devra son plus grand succès, L'Or (Grasset, 1925). Il hésite entre la fascination pour les criminels et les fous, et l'admiration désolée pour les héros happés par l'échec. L'Or, traduit dans le monde entier, fait l'objet de deux films. Le cinéma lui parut, le temps d'un essai (La Vénus noire, dont les bobines ont été perdues) et sous l'instigation de Jean Cocteau, une possible vocation. Mais écrivain il est, et écrivain il restera.

A Saint-Pétersbourg, à New York, à Rio, c'est Paris qui se substitue. Même quand il se réfugiera dans le midi de la France, c'est à Paris qu'il rêvera, accompagné des images de Robert Doisneau. Et, avant que ne le paralyse la plus cruelle des maladies pour un homme d'action, une attaque cérébrale, il aura, dans Bourlinguer (1948), raconté ses voyages, dont chacun était une façon de revenir à soi.

 


PARTIR. POÈMES, ROMANS, NOUVELLES, MÉMOIRES de Blaise Cendrars. Edition établie et présentée par Claude Leroy. Gallimard, "Quarto", 1 372 p., 127 documents, 29,50 €.

 

René de Ceccatty


Traduction

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