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Dans les pas des hospitaliers

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Frédéric Pons le jeudi, 28/07/2011

Fidèles à une longue tradition, des milliers de personnes continuent à servir les plus fragiles, les malades, les handicapés, en toute humilité. Fer de lance de cet esprit missionnaire, l’Hospitalité bordelaise fête son centenaire. Notre reportage avec ses pèlerins.

 Jean s’est affaissé dans son chariot. Hémiplégique, le visage figé dans une interrogation permanente, l’ancien légionnaire ne contrôle plus son côté gauche. La fatigue se fait aussi sentir, à la fin de cette longue procession mariale noyée de pluie. Des rafales cinglent la capote bleue que tire un jeune hospitalier, trempé de la tête aux pieds. Engagé à mes côtés dans cette aventure, Gauthier, mon filleul bordelais, est aux petits soins pour ce malade dont il a ce soir la charge. Les autres hospitaliers autour de nous sont tout aussi attentionnés, affectueux.

Le visage luisant d’eau, Gauthier garde le sourire : « Pour moi, tout va bien, pour lui c'est quand même plus difficile." Il remonte la bâche imperméable sur les jambes inertes de Jean, redresse le cierge allumé dans la main paralysée.Bon vivant et moqueur, l’étudiant en droit a pris cinq jours sur ses vacances pour rejoindre les volontaires de l’Hospitalité bordelaise (HB) mobilisés pour ce pèlerinage annuel. « Mettre les plus fragiles au centre de nos préoccupations, ne serait-ce que quelques jours, c’est changer de logique

, nous ont prévenus les organisateurs. Ils nous révèlent nos propres limites, nous rappellent la simplicité, nous réhumanisent. » Le colloque organisé avant ce pèlerinage portait sur « La fragilité, source de richesses… »

Jean se cramponne au cierge mais son poing crispé faiblit. La flamme menace de le brûler, d’enflammer son vêtement. Il faut l’éteindre. Il grogne, fait comprendre qu’il veut garder son cierge, même éteint. C’est aussi son pèlerinage, comme celui des deux cents autres malades ou handicapés venus de Bordeaux. Gauthier comprend et lui redonne la bougie. Massif, bloqué par son handicap, l’ancien para souffre, serre le cierge éteint et esquisse un vague sourire. Espère-t-il, lui aussi ?

Créée en 1911, l’Hospitalité bordelaise fête son centenaire à Lourdes, la ville des soixante-huit guérisons déclarées miraculeuses. « Toutes les hospitalités se ressemblent, explique Jean- Jacques Labatut, président de la HB. Elles ont la même vocation : accompagner en pèlerinage des personnes malades ou handicapées et s’efforcer de les suivre tout au long de l’année. » Il n’y a pas que Lourdes au programme. Après la Terre sainte, Compostelle et Nevers, les Bordelais iront à Rome en novembre. Un avion spécial est affrété au départ de Bordeaux. « Les handicapés nous demandent toujours plus et ce sont eux qui nous portent, précise Jean-Jacques Labatut. Notre leitmotiv – “Qui porte qui ? ” – n’est pas un euphémisme. »

Ce soir-là, l’orage noie le sanctuaire marial où la Vierge apparut dix-huit fois à sainte Bernadette, du 11 février au 16 juillet 1858. L’esplanade des sanctuaires est inondée mais les Ave Maria se succèdent. Le froid et l’eau s’insinuent partout. « Peu importe, c’est

Lourdes », me sourit Jacques, ancien cantonnier à la SNCF. Un chauffard l’a fauché sur un trottoir. Amputé, il n’en veut à personne. Toujours prêt le premier au matin, il garde toute sa dignité et son humour : « C’est vrai que je ne marche plus comme à 20 ans… » Gilbert, 90 ans, approuve. Il découvrit Lourdes en 1941 au chantier de jeunesse de Saint-Pé-de-Bigorre, à deux pas de la grotte de Massabielle. Soixante-dix ans plus tard, cloué sur un fauteuil roulant, il vient toujours y prier. Pas pour lui. Pour sa femme, « partie » voici peu.

Jacques, Gilbert, comme Jean, Guy, Paul et les autres dépendent presque entièrement de l’assistance des hospitaliers, du réveil au coucher, pour la toilette et les repas. Les hommes sont en chemisette bleu ciel, les femmes en robe et tablier blanc, avec une petite coiffe frappée de la croix de Saint-André, rappel du saint patron de la cathédrale de Bordeaux.

Ces volontaires viennent de partout : la grande bourgeoise du Bouscat côtoie le petit employé de Cenon, le retraité de la fonction publique épaule le cadre financier ou le trentenaire scotché à Facebook. La foi, l’humour et le goût du service soudent les différences. Élisabeth, chargée de communication d’un des plus prestigieux crus du Bordelais, le confirme : « Les liens entre les générations, entre valides et malades, sont très forts. Pas besoin de mots. Les gestes, les sourires, les chants suffisent. » Trésorière de la HB, cette Franco-Américaine récemment guérie d’une grave maladie en est la preuve vivante, comme Hélyette, Odile, Bibiane ou Agnès, autres hospitalières de choc.

La relève aussi est là. Des jeunes virevoltent autour des malades, veillant sur la doyenne, Marie-Antoinette, 102 ans ! Coordonnées par Perrine et Sophie, ces jeunes filles portent des “bonnets bleus”, petites taches de couleur d’où s’échappent des mèches folles et des fous rires. « Les jeunes nous font du bien », dit Georgette, approuvée par sa fille Micheline, son clone à vingt ans d’intervalle, toutes les deux en fauteuil roulant.

Ringards, ce pèlerinage et cette Hospitalité centenaire ? « Non, nous découvrons le bonheur d’être réellement utiles, me répondent les jeunes. C’est comme un voyage spirituel et humain. » Leur motivation et leur gentillesse étonnent les aînés : « Les malades nous confient le poids de leur vie, de leur espérance. Il y a beaucoup de pleurs au moment de la séparation. »

L’Hospitalité bordelaise est une association 1901, liée au diocèse de Bordeaux mais indépendante depuis 1956. Ce statut lui donne une liberté réelle et une identité particulière. Mgr Ricard, le cardinal archevêque de Bordeaux, lui apporte son appui total, comme la dizaine de prêtres et de séminaristes qui accompagnent le pèlerinage, dont un jeune abbé au physique de jeune premier : Frank, d’origine américaine, seul séminariste ordonné en juin dans le diocèse de Bordeaux.

Ces bataillons de l’Hospitalité sont la quintessence de la chrétienté girondine : fidèles, actifs, ils ne se contentent pas d’assister à la messe du dimanche. Ils pratiquent l’acte de charité avant de le réciter. À Lourdes, leurs Ave et leurs Je vous salue Marie ont la force de ceux qui s’engagent, souvent de longue date. « Ce n’est pas si difficile, car le pèlerinage est un tremplin », témoignent Philippe, Didier, Jean-Pierre, Lili : « On repart les jambes lourdes mais le coeur léger, pleins d’énergie. Nous sommes accompagnés par ceux que nous accompagnons. »

L’ampleur de ce rendez-vous annuel illustre la motivation des Bordelais : en moyenne 800 personnes, dont 200 à 250 malades ou handicapés. À leur service, près de 600 femmes et hommes, dont une vingtaine d’infirmières, aux ordres de Michelle Labrouche, et une dizaine de médecins, sous la houlette de Jean- Louis Chatelan, un médecin frotté aux opérations extérieures dans le cadre de la réserve.

Le bénévolat est total. Chacun prend sur ses vacances, sur son temps libre. En plus de la cotisation annuelle, qui permet de payer une partie des frais des malades, il faut régler son voyage et l’hébergement. La quête organisée chaque année peut rapporter entre 30 000 et 40 000euros. Pour tous, ce pèlerinage est « un moment exceptionnel » : « Il nous fait sortir de nos rassurantes habitudes et partir vers de nou velles rencontres. »

Les motivations sont diverses. Certains, arrivés à l’âge de la retraite, reconnaissent s’ennuyer un peu et veulent continuer à servir, « être utile ». D’autres suivent des amis et s’attachent à la cause. Agnès et Philippe viennent en couple, soudés dans le service aux autres, heureux d’introniser des “nouveaux” dans la galaxie HB. « Quand on a chopé le virus, on n’en sort plus », m’assure Philippe, mon chef d’équipe. Il a fait voeu d’engagement, après trois ans de présence consécutive, comme l’atteste sa petite décoration rouge épinglée à sa chemisette.

Derrière les chants et bannières, nos racines chrétiennes

Quelques-uns exaucent un voeu : pour un fils atteint d’un cancer, une épouse soudainement paralysée, une survie presque miraculeuse à un grave accident. La plupart veulent simplement donner du sens à leurs prières : « Que de surprenantes rencontres, que de grâces reçues et de chemins retrouvés. »

La notion de service rassemble tout le monde. L’abbé Pierre Nguyen, 31 ans, prêtre saïgonais appelé en terre girondine, l’explique dans un sourire malicieux : « Le service peut être la bonne porte d’entrée dans la foi. » Les hospitaliers approuvent : « Si on sait expliquer aux cathos qu’on a besoin d’eux pour aider des personnes en difficulté, ils sont nombreux à répondre oui. »

La preuve : bon an, mal an, 70 à 80 “nouveaux” rejoignent la HB – ils sont même 98 cette année. Tous ne sont pas pratiquants. Beaucoup redécouvrent le site marial et comprennent qu’ils peuvent s’“enrichir” en allant à la rencontre des malades. Cela se fait dans l’humilité, la gaieté. Alors que je leur parle de mon malaise devant les enfilades d’hôtels et de boutiques de bondieuseries, ils me rassurent : « Lourdes ne se visite pas, mais se vit ! » Je confirme. Les plus jeunes parlent, eux, de la découverte d’« un monde d’extraterrestres… » Les aumôniers avouent « se ressourcer ».

Il faut de l’endurance, de la patience et même de la force – lever ou coucher un handicapé de 100 kilos doit se faire à deux ou à trois. Dans ce service aux plus fragiles, les hospitaliers oublient leurs propres soucis de santé, leurs galères sociales, leurs misères familiales. On n’en parle pas. On rit, beaucoup. « Notre statut indépendant favorise cette bonne humeur, ce dynamisme, souligne Jean- Jacques Labatut. Cet état d’esprit est une véritable culture. »

La joie est présente, constamment : « L’Hospitalité est solide et, cent ans après sa création, tous sont tellement heureux de se mettre au service de leurs frères, comme l’ont fait leurs milliers de prédécesseurs. » L’humour propre aux gens du Sud-Ouest et les sympathiques apéritifs au saint-émilion ou au médoc expliquent aussi cette ambiance. Les longues journées, commencées auprès des malades dès 6 h 30 du matin, rarement finies avant minuit, ne sont jamais tristes. Les prières et les messes non plus, à ma grande surprise.

Pour qui aurait oublié ce qu’est de chanter avec coeur et en choeur, un pèlerinage de la HB offre une bonne séance de rattrapage. On y chante à renverser les Pyrénées. Pour peu que des groupes d’Italiens, d’Espagnols et d’Irlandais retrouvent les Aquitains dans l’immense basilique Saint-Pie-X – 20 000 places – , « c’est énorme », comme on dit au rugby. Derrière les chants et les bannières, les racines chrétiennes de l’Europe y prennent alors tout leur sens. Frédéric Pons, de Lourdes

www.hospitalité-bordelaise.com


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