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Algérie 1830-1962: l'engrenage et la déchirure

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publié le 13/05/2012par Éric Bietry-Rivierre

Moghaznis de la Section administrative spécialisée (SAS) de Pirette en Kabylie, en 1956.

Crédits photo : ECPAD

Aux Invalides, l'armée française revient sur ses 132 années de présence en terre algérienne. Sans condamner ni s'absoudre, mais sans rien omettre non plus.

Cinquante ans seulement après les accords d'Évian, et alors que les législatives confirment à Alger un FLN toujours maître du jeu politique, s'ouvre après-demain aux Invalides la première exposition d'ampleur consacrée à la présence militaire française en Algérie.

Bien qu'élaboré par un collectif d'historiens comme une synthèse des plus objectives - loin de toute visée hagiographique en tout cas -, le rappel de ces 132 années souvent violentes et toujours injustes (puisque, dans l'Algérie devenue département français, le vote musulman n'a jamais eu le même poids que dans l'Hexagone) risque de réveiller bien des tensions. Au point, peut-être, de brouiller le message pédagogique. Pour parer à cet écueil, plusieurs précautions ont été prises.

D'abord celle de faire appel à Jacques Ferrandez, auteur de Carnets d'Orient, une bande dessinée en dix tomes sur une famille de futurs pieds-noirs. Cette saga, fictionnelle, mais basée au plus près d'une réalité complexe et ambivalente, permet un résumé clair et sensible de toute la période. Un peu comme dans Les Chevaux du soleil, le roman de Jules Roy dont on retrouve ici des extraits de l'adaptation télévisée.

Les planches originales de Ferrandez sont installées dans chacune des neuf sections chrono-thématiques, offrant un contrepoint aux objets - uniformes, armes, dessins, tableaux - dont la valeur anecdotique ou symbolique a besoin d'être relativisée pour mieux en saisir l'intérêt historique.

Car autrement, sans commentaire ou explication, sans la «recontextualisation» nécessaire, la casquette du père Bugeaud, le caftan d'Abd-el-Kader, la vareuse de Salan ou un drapeau rapiécé du FLN pourraient n'être que des reliques. D'un autre genre sont les documents (parfois tout juste déclassifiés!), les films et les photos. À jamais pièces à charge pour les bourreaux des deux bords.

Ferrandez a également travaillé avec les scénographes pour habiller les nombreux textes introductifs (en français, en anglais et en arabe) ce qui renforce la cohérence d'ensemble. Le recours à la BD présente enfin l'avantage de la neutralité, les autres médias - de la peinture aux actualités filmées - ayant alors largement été utilisés à des fins de propagande comme on peut le mesurer au fil du parcours.

La deuxième précaution visant à désamorcer les polémiques a été de concevoir l'Algérie française comme un tout. «Revenir sur la conquête, c'est d'emblée mieux comprendre les drames et déchirements vécus au moment et après l'indépendance», soutient un des commissaires, le lieutenant-colonel Christophe Bertrand.

Toutefois, pour des raisons pratiques, le parcours est scindé en deux. Une première aile, plus colorée du fait de la présence de nombreuses et belles toiles orientalistes ainsi que des uniformes si exotiques de zouaves, spahis et tirailleurs, va ainsi de 1830 à 1914. Tandis que la seconde, nettement plus gris-vert, évoque l'importante implication des forces algériennes dans les deux guerres mondiales et se poursuit par la guerre d'Algérie jusqu'à l'Indépendance. Au demeurant, ce qu'a d'implacable l'engrenage des causes et des effets apparaît surtout dans cette deuxième partie.

Souvenirs douloureux

La troisième option fédératrice a été de laisser les avis diverger en conclusion: «Le Musée de l'armée ne prétend pas réconcilier, dit avec honnêteté et modestie son nouveau directeur, le général de ­division Christian Baptiste. Mais il se doit de proposer le récit des faits sans rien ­occulter.»

Rien? Les souvenirs sont encore très douloureux et les horreurs très présentes. Les questions comme la torture ou le sort des harkis sont abordées mais «sans s'appesantir avec complaisance au risque de blesser inutilement. Nous laissons la parole à des témoins de tous bords. Simplement nous leur avons posé strictement les mêmes questions», ajoute le colonel Christophe Bertrand. Elles sont d'ordre général. Ils y répondent dans des vidéos. Les écrans sont placés côte à côte. ­Certains verront dans cette stricte égalité de traitement de l'impartialité, une marque de courage. D'autres dénonceront un renvoi dos à dos, une forme de lâcheté. Au moins le temps des mots a succédé au temps des coups.

«Algérie 1830-1962, avec Jacques Ferrandez», du 16 mai au 29 juillet au Musée de l'armée - Hôtel national des Invalides, 129 rue de Grenelle Paris (VIIe). Catalogue Casterman 256 p., 29 €. Tél.: 08 10 11 33 99. www.invalides.org

(1) Carnets d'Orient-Intégrale, de Jacques Ferrandez, Casterman, Premier cycle (368 p.) et Second cycle (320 p.), 45 € chacun


Cinq sujets sensibles

• La torture

Après débat au sein du comité scientifique, la présence d'une gégène dans les vitrines n'a pas été retenue. «Il s'agit en fait d'une dynamo électrique manuelle pour alimenter les téléphones de campagne de l'armée française. Son utilisation première a été dévoyée et elle n'apparaît ainsi que de manière guère probante sur les rares photos de séances de torture existantes», dit Christophe Bertrand. Quatre images noir et blanc où tous les visages ont été floutés sont en revanche accablantes. Présentées à proximité d'un exemplaire de l'édition originale de La Question, d'Henri Alleg, qui révéla le phénomène de la torture en Algérie, elles constituent autant de preuves incontestables. Il en va de même pour la lettre du colonel Amirouche, le «Loup de l'Akfadou» de l'Armée de libération nationale. Il y prescrit de torturer les captifs avant de les abattre.

• L'OAS

L'exposition explique, au­tour d'une tenue du général putschiste Raoul Salan, d'un uniforme de légionnaire du Ier REP, d'affiches et d'archives surtout filmées, comment une infime partie des officiers présents en Algérie, parmi les plus passionnés de cette terre, a décidé de ne plus obéir à Paris. «Depuis 1940, ils avaient passé leur vie à combattre. Ils ne voulaient pas renouveler la défaite subie en ­Indochine. Ils tenaient compte de cet enseignement et ont tenté d'appliquer les principes de la guerre révolutionnaire, commente Christophe Bertrand. Certains étaient d'autant plus frustrés qu'ils avaient favorisé le retour de De Gaulle en 1958. Ils croyaient qu'il était garant d'une pérennisation de l'Algérie ­française.»

• Les harkis

L'exposition montre l'importance de ces soldats indigènes intégrés dans l'armée française. En fin de parcours, une salle est dédiée à leur sort tragique au lendemain de l'indépendance. Elle ne porte toutefois pas sur la situation actuelle. Par ailleurs, le destin des pieds-noirs n'est que brièvement évoqué car l'ex­position porte avant tout sur l'armée.

• La colonisation positive

Seuls les chantiers auxquels l'armée a contribué sont traités. Une section du parcours porte sur les bureaux arabes, lieux privilégiés de rencontre entre militaires et indigènes.

• Les chiffres

Chaque fois, le nombre des victimes est donné. Souvent ce sont des fourchettes. Et parfois, comme pour les massacres de Sétif, en 1945, où les historiens divergent, les différentes comptabilités sont détaillées.


Traduction

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