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Carnet de France de Jean-Pax Méfret. La grande misère des armées françaises

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Mardi 12 Novembre 2013 


Cérémonie de remise du képi aux légionnaires du 1er régiment étranger de cavalerie dans le théâtre antique d'Orange, le 29 janvier dernier. Le départ du 1er Rec suscite l'indignation des habitants de la ville, où le régiment était installé depuis quarante-sept ans. Photo © MaxPPP/Photo © Collection particulière.

 

Grand reportage. La loi de programmation militaire, qui prévoit la suppression de 34 000 postes dans les armées, passe mal dans les casernes. Les prises de parole des grands anciens ne suffisent plus à faire baisser la tension. À Orange, la colère gronde.

Né un 30 avril, jour anniversaire de Camerone, le général Raymond Lorho est légionnaire dans l’âme. À 20 ans, en 1945, aspirant à la tête d’un peloton du 1er régiment étranger de cavalerie (Rec), il a perdu sa jambe droite sous le feu de mitrailleuses lourdes sur le pont d’Einzbern, en Allemagne. Cette patte en moins — comme il dit — ne l’a pas empêché de continuer à servir la France pendant près de quarante ans, dont la moitié sous les couleurs vert et rouge, une carrière couronnée par deux ans à Orange comme “patron” du Rec, de 1973 à 1975 et quatre ans à Aubagne, en tant qu’adjoint du commandant de la Légion étrangère.

Le 30 avril 2011, c’est lui qui — honneur ultime — portait le coffret renfermant la main en bois du capitaine Danjou lors de la traditionnelle cérémonie de commémoration du combat de Camerone.

Le général Lorho est devant moi, assis dans un fauteuil roulant, installé dans un modeste studio d’une résidence médicalisée d’Orange où, depuis huit ans, une avenue est baptisée de son nom. L’homme, parfaitement lucide à près de 90 ans, perd le calme des vieilles troupes lorsqu’il évoque le prochain départ du 1er Rec annoncé début octobre par le ministère de la Défense.

« C’est mon coeur qui parle, dit-il d’une voix nouée par l’émotion. Comme plus de 300 anciens légionnaires, j’ai choisi Orange pour y vivre, pour y mourir près de mon régiment. Ma femme est enterrée ici, mes enfants habitent la ville. La Légion est une partie de nous-mêmes », rappelle l’ancien chef de corps du 1er Rec en posant sa main sur l’étendard du régiment qui trône près de lui.

Son regard est nostalgique. Il esquisse un sourire et hoche la tête en soupirant. « Rien ne justifiait cette décision, s’énerve-t-il. D’importants travaux de rénovation ont été menés, il y a quelques années, au quartier Labouche, la caserne du Rec. Qu’est-ce qu’ils vont foutre à Carpiagne, où les bâtiments sont en mauvais état ? Pour remplacer le 4e dragons, dissous neuf ans après avoir été recréé, et l’envoi au garage d’une cinquantaine de chars Leclerc, ils pouvaient y transférer un régiment des Bouches-du-Rhône ou du Gard ! À la surprise générale, ils ont choisi le Rec, installé depuis près d’un demi-siècle à Orange. C’est insensé ! Comment vont faire les sous-officiers d’active pour reloger leur famille, mettre leurs enfants dans les écoles ? Où leurs épouses vont-elles trouver du travail ? La déchirure à venir est terrible, car le départ du “royal étranger” ne concerne pas seulement ceux qui, comme moi, y sont attachés par des liens affectifs. Toute la zone est concernée par la catastrophe économique qui menace. Huit cents personnes actives, dont deux cents avec familles et enfants, qui quittent une ville, ça provoque un sacré vide. Et tout ça, bien sûr, s’est fait sournoisement. »

La rumeur enflait dans la ville depuis quelques semaines. Le maire et député du Vaucluse, Jacques Bompard, avait vainement essayé d’obtenir un rendez-vous avec le ministre de la Défense. Finalement, le 2 octobre, c’est par un simple appel téléphonique du préfet qu’il lui fut confirmé que le gouvernement avait effectivement décidé de mettre fin, en 2014, à quarante-sept années de présence à Orange du 1er régiment étranger de cavalerie. Et ce, sans explication ni concertation avec les élus concernés. Sur le mode “silence dans les rangs, rompez !” Trois jours plus tard, le maire appelait à un rassemblement de protestation. Conscients des dégâts sur l’opinion locale de la décision ministérielle, même les responsables de partis de gauche y ont participé ! Des représentants de l’importante amicale des anciens de la Légion étrangère du Vaucluse étaient là, également. En anonymes. « Pour minimiser la symbolique de leur présence, le commandement de la Légion avait demandé aux anciens de ne pas porter les attributs de l’amicale : béret vert, cravate et blazer à blason », regrette Raymond Lorho, qui est président d’honneur de l’association.

« La Légion, c’est une grande famille, et quand on perd un membre de sa famille, on a toujours de l’amertume, mais nous sommes venus en tant que citoyens », confirme d’une voix grave l’ancien président de l’amicale, le major Franco Petrali, trente quatre ans de service. Son successeur, Cristobal Ponce-Y-Navarro, major également, rappelle : « Oui, le 1er Rec va quitter le quartier Labouche, mais l’étendard est sauf ! C’est le plus important pour nous, légionnaires. Il continue à vivre. Les problèmes que pose son départ, c’est autre chose… »

Dans cette ville de 30 000 habitants, des pétitions rassemblant près de 10 000 signatures réclamant le maintien du 1er Rec à Orange sont déjà parvenues à la mairie. Rayées d’un trait noir de deuil, des photos du régiment sont affichées sur les vitrines des commerces ou exposées sur un présentoir aux alentours du théâtre antique, construit au Ier siècle par la 2e légion romaine. Tout un symbole. Tous les 30 avril, le 1er Rec y célèbre l’héroïque résistance du capitaine Danjou et de ses légionnaires, assiégés par 2 000 cavaliers dans une hacienda du petit village de Camerone, au Mexique, en 1863.

Et l’an prochain ? « Inch Allah ! » me lance le major Petrali. Ponce-Y-Navarro, lui, en est convaincu : « Le Rec fêtera la Saint-Georges et commémorera Camerone à Orange, en avril 2014. » Dans la ville, les avis sont partagés. « Ça aurait de la gueule ! Ça nous permettrait de témoigner une dernière fois par des adieux solennels notre attachement au régiment. » Est-ce que le ministre de la Défense le souhaite ? Rien n’est moins sûr…

Nombreux sont ceux qui considèrent que la surprenante décision de transférer le régiment est une manoeuvre politique destinée à affaiblir la prédominance de Jacques Bompard sur Orange. Pour sa part, le général Lorho en est « intimement persuadé ». « Ils se sont dit : “Le moyen de flinguer Bompard et sa Ligue machin [la Ligue du Sud, le parti politique préside par Jacques Bompard, NDLR], c’est de lui retirer la Légion.” Eh bien, ils verront aux prochaines élections qu’ils se sont trompés ! »

Il suffit de se promener dans Orange pour s’en convaincre. La ville soutient massivement son maire dans le « baroud d’honneur » qu’il dit avoir engagé. Aux terrasses des cafés, les conversations portent sur « le coup de poignard du gouvernement » qui frappe Orange, où le chômage est déjà d’environ 17 %. Selon la chambre de commerce et d’industrie du Vaucluse, 4 000 à 5 000 emplois indirects sont liés au fonctionnement de la caserne. Sept cents à mille emplois pourraient disparaître. La représentante de la gauche occitane écologiste tente d’en rendre Bompard responsable, en lui reprochant de ne pas avoir anticipé les conséquences économiques d’un éventuel départ du 1er Rec ! Mais le piètre argument n’a pas d’impact sur la population, qui continue de dénoncer « un règlement de comptes idéologique derrière l’application de la loi de programmation militaire », qui prévoit la suppression de 34 000 postes au cours des six prochaines années.

Le 1er Rec, forgé de valeurs et de traditions, ne mérite pas ce qui lui arrive. Ses hommes de force, de fer et de feu se battent pour la France, non pour un parti. Ils ne doivent pas servir d’enjeu politique et être utilisés pour de basses besognes partisanes.

Un sentiment de défiance se développe dans l’armée. Il est rapporté par les anciens de la “grande muette”, qui commencent à donner de la voix. « Ne soyez pas sourds, car nous ne sommes pas muets, demande aux journalistes l’ancien général de corps d’armée (2S) Dominique Delort, président de la Saint-Cyrienne, dans le dernier numéro du Casoar, la revue trimestrielle de l’association des anciens de Saint-Cyr. Il est facile de savoir que le moral n’est pas bon, il est facile de savoir que les inquiétudes sont grandes concernant l’outil de défense et la réforme en cours au ministère de la Défense […] »

Dominique Delort s’adresse aussi à ses frères d’armes et rappelle : « À défaut d’être suffisamment entendus, il appartient aux plus hauts responsables militaires d’élever raisonnablement la voix quitte, en leur âme et conscience, à choisir de partir, car l’enjeu est grand. Nous sommes nombreux à ne pas baisser la garde, par devoir, car dans la cacophonie générale où tous les sujets s’entrechoquent sans ordre d’importance ni mise en perspective, c’est bien de la défense de la France qu’il s’agit. »...Lire la suite...


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