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14-18 : Verdun, chronique d'un fiasco annoncé

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3 août 2013

Ils ne sont pas passés. Verdun. La capitale des poilus. L'épicentre du front. Un champ de bataille inviolé depuis un siècle, un rectangle de forêt de 10 km sur 20. Mais en cent ans, rien n'a bougé. Ou presque. À part les arbres qui poussent en silence, seuls les monuments érigés après-guerre par les poilus eux-mêmes témoignent encore. Le petit musée de Fleury, construit pour le cinquantenaire, en 1967, va fermer en septembre pour travaux, et il manque encore des fonds pour financer son extension. Ici, en Meuse, conseil général et mairie de Verdun se chicanent. Personne n'a voulu racheter la collection de Jean-Pierre Verney… qui a permis à Meaux de faire un musée. Pourtant, Verdun mérite mieux que cet immobilisme de clocher. À quand un grand musée d'État, une plate-forme d'accueil digne de ce nom, pour guider les visiteurs dans ce grand théâtre du front à ciel ouvert ? Les poilus attendront encore. 

10.000 hectares de champs d'honneur intacts. Huit villages engloutis. 6 kilos d'obus au mètre carré. 20.000 tombes devant l'ossuaire de Douaumont. Un site pour l'éternité, où des milliers de poilus français et de feldgrau inconnus reposent encore, sous les grands arbres qui repoussent lentement. Un vaste cimetière, et un lieu de mémoire comme aucun autre en France. Verdun. Six lettres qui sonnent encore comme un coup de canon. Et pourtant, à un an du centenaire de 1914… rien n'est prêt. Ou quasi rien, tellement les querelles picrocholines entre élus, associations, territoires locaux et guerre d'ego de pacotille font encore rage dans l'envers du décor de cette "terre sacrée", comme disaient les poilus. Rien n'est prêt parce que depuis toujours, le site est divisé en chapelles et en pré carrés.

Déjà en 1967, un an après le cinquantenaire, les associations d'anciens combattants ont dû batailler pour avoir leur mémorial. Aucun musée n'avait été installé en cinquante ans. Presque un demi-siècle plus tard, rien ne semble avoir changé. L'évêché et une association d'adhérents d'un certain âge tiennent les rênes de l'ossuaire de Douaumont et veillent sur les tombes. Le ministère de la Défense est propriétaire des deux forts qui se visitent encore, Douaumont et Vaux, mais a cédé la concession au conseil général de la Meuse. La tranchée des baïonnettes, une escroquerie historique, puisque aucun poilu n'est mort enseveli à cet endroit, fait figure de haut lieu de la visite… Un comble. Ici, un dédale d'organismes, d'associations, d'amicales se partage les entretiens des monuments épars. Un seul restaurant pour "pèlerins", hors d'âge, lui aussi. Aucun passe ne permet de visiter d'un coup l'ensemble. Aucun panneau – ceux de 1997 ne sont plus lisibles –ne permet de suivre un chemin de découverte dans la forêt. Et puis, de toute façon, depuis la ville de Verdun, en contrebas, il faut un GPS pour être sûr de rejoindre les champs de bataille tellement les panneaux indicateurs sont rares. Poussivement, 300.000 visiteurs par an arpentent les lieux ; 125.000 visitent le mémorial, un petit musée usé et fatigué. Un chiffre de fréquentation dérisoire pour ce haut lieu de la mémoire française. Pourtant, en 1916, 70 % des poilus sont passés en roulement par les tranchées de Verdun. Toutes les familles françaises ont versé du sang ici.

Pendant 300 jours et 300 nuits le front tiendra

Les Allemands attaquent le 21 février par un assaut de 1.000 canons dans le bois des Caures. En face d'eux, les chasseurs du colonel Driant. Le premier héros de Verdun. Après le déluge de feu, sur ses 1.200 hommes, 400 sont encore en état de combattre. Terrés dans des trous d'obus. Driant les galvanise depuis son PC, un bunker à côté de la route, à 100 mètres de sa tombe actuelle, un monument mal installé aujourd'hui dans un virage dangereux. Driant et ses hommes tiendront deux jours. Et permettront aux troupes françaises, surprises par l'attaque allemande, de colmater le front. Verdun tiendra. Pendant 300 jours et 300 nuits, le front tiendra. Dans cette forêt, chaque débris de casemate, chaque barbelé en témoignent encore.

Comment commémorer ces lieux ? À un an du centenaire de 14, et à trois ans de l'anniversaire du début des combats… le site ne bouillonne pas de projets concrets. Quand, dans la Somme, terre de combats anglaise, tous les gîtes sont réservés pour les cinq ans qui viennent et ou deux élèves de toutes les classes britanniques se rendront sur les traces de leurs héros… Ici, à Verdun, rien n'est encore totalement décidé. Ou presque. "Le conseil général vient de voter une délibération pour une nouvelle signalisation", promet le colonel Alain Artisson, le Monsieur Mission histoire du conseil général. "Nous serons prêts", promet ce militaire surtout soucieux de ne froisser personne. Prêts pour quoi ? Une cérémonie franco-allemande en 2016 avec François Hollande et le chancelier du moment. Assurément. Toutes les années en "6", depuis cent ans, chaque président français fait le pèlerinage de Douaumont. Des cérémonies militaires ? Assurément. Sur le plateau de Verdun, il y en a 60 par an, tous les ans. Et puis quoi d'autre, pour ce centenaire de l'enfer de Verdun ? Qui décidera enfin de mettre en place un unique organisme en charge de gérer l'ensemble des lieux ? Et de concevoir un accueil du public digne de ce nom ? "Tout est paralysé depuis longtemps, reconnaît sous couvert d'anonymat, un acteur local. Et puis le président du conseil général, à Bar-le-Duc, est en guerre ouverte avec le maire de Verdun… Tout est toujours bloqué." Signe de cette guérilla interminable, il y a dans la ville de Verdun en contrebas, face à face, un office et une maison du tourisme, l'un géré par le conseil général, l'autre par la ville…

Pour preuve aussi, les travaux du mémorial, qui doivent commencer en octobre 2013, ne sont pas encore totalement financés. Il manque un bon million d'euros au colonel Xavier Pierson, qui gère l'endroit, pour boucler un chantier de 12 millions. Le seul musée actuel du champ de bataille va donc fermer ses portes en septembre 2013. Si tout va bien, le nouveau mémorial, avec 750 m² supplémentaires, sera prêt pour 2016. Si tout va bien… Xavier Pierson promet que le futur musée proposera un hall d'accueil sur tout le plateau de Verdun pour orienter les visiteurs, leur proposer des guides, des parcours ou des visites adaptés à leur temps sur place. En aura-t-il les moyens ? "On essaye de faire exempter les travaux de TVA… En 1967, lors de la construction, Giscard, ministre des Finances, l'avait fait", espère le colonel, un ancien légionnaire, habitué "à faire avec les moyens du bord". Mais en bon militaire, pas question de le faire parler sur les querelles de clocher des environs. "Motus"

Des pins d'Autriche au titre des réparations de guerre

En attendant, une demi-douzaine d'hommes en vert de l'ONF (Office national des forêts) gèrent la vie qui continue sur ces terres calcaires. Joël Day est de ceux-là. Agent de l'office national des forêts depuis 32 ans, en poste à Verdun, cet arrière-petit-fils de poilu mort devant Douaumont connaît tous les arbres de son secteur comme sa poche. Il gère à lui seul, autour du fort de Vaux, 2.000 hectares de forêt. Joël Day a déjà planté des milliers d'arbres (jusqu'à 4.000 à l'hectare) et à terme, quand ils seront tous à maturité, il veillera sur 250 arbres à l'hectare, soit 500.000 arbres à lui tout seul. "Après-guerre, les anciens combattants ont souhaité planter des résineux, parce que sous eux rien ne pousse et pour que l'on continue à voir le sol bouleversé. Des pins noirs d'Autriche sont venus par wagons entiers d'Allemagne, au titre des réparations de guerre", explique-t-il. Cent ans plus tard, ces pins meurent doucement. Les épicéas qui leur ont succédé sont de plus en plus souvent foudroyés par un insecte l'Ips typographus, qui creuse des galeries en forme d'écriture et tue un arbre en moins de deux mois. Les hêtres et les frênes ont pris le relais. Les érables aussi. Avec les bouleaux, la forêt de Verdun fournit Ikea. Avec ses meilleurs frênes, de la pâte à papier pour les billets de la Banque de France. Certains érables finissent en violoncelle. "À l'ONF, nous comblons les interstices entre tous les autres organismes du site, explique Frédéric Hinschberger. Nous avons pour projet de faire classer ce site “forêt d'exception”, ce qui permettra de coordonner les chantiers." Le dossier sera ficelé en septembre. L'ONF devrait, ensuite, proposer des parcours de découverte dans les bois.

En forêt de Verdun, les arbres parlent. Par exemple, ce poirier, surgit de nulle part, derrière un cantonnement des lignes arrière françaises. "Il a presque 100 ans, s'émerveille Joël Day. Sûrement un pépin de poire d'un poilu." Plus loin, un pommier, fils de trognon de poilu. À d'autres endroits, de vieux chênes, mitraillés, coupés en deux par les obus, sont repartis tout seul. "Les arbres d'époque sont de moins en moins nombreux", confie Frédéric Hinschberger. Dans les recoins de son secteur, Joël Day bichonne les siens. Un triangle inversé sur un hêtre veut dire "qu'on ne le touchera pas parce qu'avec ses trous, il permet aux oiseaux de nicher". Un grand R en rouge sur un frêne le sauvera aussi : "Cela veut dire réservé. On le laissera mourir ici de sa belle mort. On laisse un arbre à l'hectare mort sans y toucher. Aussi bien pour permettre aux insectes de s'y loger qu'aux pics de se faire le bec."

La forêt réserve aussi d'autres trésors : les crapauds sonneurs, au ventre jaune, qui adorent les trous d'obus remplis d'eau. Espèce protégée. Une quinzaine de variétés d'orchidées sauvages, venues, elles aussi, sur les talus des bombes, sont aussi protégées. Comme les chauves-souris qui vivent encore dans les abris. La vie a repris son cours. La forêt nivelle lentement le terrain lunaire du champ de bataille d'autrefois. Encore une centaine d'années et les cratères ne se verront plus guère. Resteront les tombes, les restes de béton et de ferraille, disséminés ici et là, et les forts en ruine. Restera aussi la bêtise des hommes. Intacte cent ans après, à voir les désaccords pour aménager les lieux. Celle-là, au moins, ne tue plus personne.


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