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14-18 : le fantôme des Éparges

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10 août 2013

TOUR DU FRONT - Ils gardent les lieux. Veillent sur les disparus que l'on retrouve parfois. Accueillent les pèlerins qui viennent encore. Entretiennent les pierres érigées là par les survivants. Fauchent les herbes qui repoussent sans cesse. Ce sont les "veilleurs du front". Aux Éparges, sur cette crête aux 50.000 morts au sud de Verdun, Maurice Genevoix a montré le chemin. L'académicien, disparu en 1980, a monté la garde sa vie durant pour que ces lieux témoignent de "la farce démente" qui s'est jouée là. Son livre Ceux de 14 restera le grand récit français de la guerre. Son équivalent allemand, Orages d'acier d'Ernst Jünger, a été écrit de l'autre côté de la même crête. Robert Porchon, l'ami de Genevoix, mort en février 1915, est enterré là, au cimetière du Trottoir. Sa tombe est toujours fleurie. Le colonel Pierson, un ancien légionnaire, et son épouse, Patricia, ont pris le relais. Ici, ce sont eux les derniers "veilleurs". 

"Nous sommes des manants, cela veut dire ceux qui restent." Le colonel Xavier Pierson reste. Sa terre est là. Aux Éparges, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Verdun. Chez les Pierson, sont nées cinq générations de militaires. Un aïeul dans la vieille garde de Napoléon, revenu de la campagne de Russie. Un arrière-grand-père blessé à Verdun. Un père para en Indochine. Un frère blessé au Tchad. Un fils saint-cyrien en Afghanistan. Un gendre dans la Légion. Xavier Pierson, lui, a vingt ans de Légion, dont quatre ans au 2e REP de Calvi et a ensuite été gouverneur de la place militaire de Verdun. Un pur "para". La gouaille, la poignée de main virile et un air de malice qui vont avec.

Depuis 2005, le voilà revenu aux Éparges. Les époux Pierson ont vendu la vieille ferme familiale, dans la rue principale, malcommode, et ont construit à l'entrée du village une villa vite appelée "le château" par les gens du coin. Le colonel, grand amateur de livres, a son aile avec sa bibliothèque de récits de guerre. "Il y avait cinq obus non déminés sur le terrain", dit-il. Avec sa femme, Patricia, onze fois grands-parents, ils "restent". Et à eux aussi, dans ce vallon des Éparges, le vallon de Maurice Genevoix, les derniers poilus leur parlent. "On ne comprendra jamais pourquoi ici, en 14, ils ont tenu, pourquoi ils ont fait tout cela…", admet le colonel, depuis le jardin de sa maison face à la crête. Pas de doute pourtant, lui aussi aurait chargé à la tête de ses hommes. Un pistolet à la main, et la tête nue, comme l'officier sculpté sur le monument du fameux point X, du nom de l'extrémité est de cette crête que les Français n'ont jamais pu prendre. Coupe militaire, sourire communicatif, le colonel Pierson est adulé ou détesté dans sa région. Ce légionnaire, catholique fervent, aux convictions bien trempées à droite, ne laisse guère indifférent. Ami ou ennemi. Adoré pour son dynamisme ou raillé pour ses positions radicales. Quoi qu'il en soit, Pierson a le mérite d'être là. Comme partout ailleurs sur le front, qu'ils soient de droite ou de gauche, croyants ou athées, il fait partie de ces gardiens des lieux. Des veilleurs. Ici, dans ce vallon des Éparges, Pierson veille sur un gigantesque cimetière.

50.000 pertes françaises, 14 morts par mètre

Février 1915. Maurice Genevoix et le 106e régiment d'infanterie déboulent du chemin de la relève. Il est encore là, à l'identique, ce petit chemin de bocage, qui descend en pente douce depuis la tranchée de Calonne et s'ouvre sur le vallon des Éparges. En février 1915, quand Genevoix débouche des bois depuis le chemin de la relève, le village est déjà en ruine, au milieu du vallon. En face, la crête des Éparges, que tiennent les Allemands depuis 1914. Sur la gauche, la crête tenue par les Français. Le 106e RI cantonne dans le village en ruine. Les hommes se cachent comme des taupes. "Les Allemands avaient eu tort de bombarder le village, les Français ont pu se terrer dans les gravats", explique Pierson. Puis le 17 février, toute la masse française agglutinée dans ses tranchées reçoit l'ordre de se lancer à l'assaut des positions allemandes sur la crête de droite… Celle des Éparges. "Aujourd'hui, on a tendance à croire que c'était une idée de général français, un matin, d'envoyer ses hommes se faire trouer la peau, que cet assaut n'était qu'une lubie de gradé, raconte Pierson. En fait, c'était une idée stratégique, il fallait déloger les Allemands de là et déboucher, derrière, sur la vallée de la Woëvre…" Les poilus se font faucher en nombre avant d'atteindre le pied du massif allemand. "Le ciel craque, se lézarde et croule. Le sol martelé pantelle. Nous ne voyons plus rien, qu'une poudre rousse qui flambe et qui saigne", écrit Genevoix. Son compagnon d'armes, Robert Porchon, est blessé le 19 février. Il descend se faire soigner et c'est là qu'un obus allemand le fauche.

Le colonel Xavier Pierson, au sommet de la crête des Éparges. (Crédit : Bernard Bisson/JDD)

Les survivants du 106e RI tiendront des débris de tranchées, à flanc de crête, pendant cinq jours. À en devenir fous. Ils ne seront que 20 en descendant. Des miettes de régiment : 50.000 pertes françaises au total sur ce petit monticule… long de 1,4 km et large de 500 m. Autant de pertes allemandes. Quatorze morts par mètre. Aujourd'hui encore, ce massif, même si des gamins du coin font du VTT dans les entonnoirs, reste un cimetière tant le nombre de "disparus" y a été important. Sur celui dit du Trottoir, à ses pieds, 3.000 poilus dorment pour l'éternité. La tombe de Robert Porchon, que Genevoix est venu fleurir toute sa vie durant, l'est encore. C'est la seule avec ses deux fleurs. "Dans une nécropole militaire, normalement, c'est interdit, tous les morts doivent être égaux, précise Xavier Pierson, mais pour celle-là, il y a une exception." Une croix blanche comme toutes les autres. "Mort pour la France". Robert Porchon avait 21 ans. Maurice Genevoix l'a pleuré jusqu'au bout. "J'ai vu M. Genevoix deux fois, c'était dans les années 1940, se souvient Bernard Pancher, l'actuel maire des Éparges, un ancien policier, petit-fils du maire de 1919. Après je suis parti des Éparges, mais l'académicien est venu souvent", dit-il. Notamment des soirs de 10 novembre, quand avec une flamme allumée à Paris, sous l'Arc de triomphe, puis à Verdun, les anciens des Éparges remontaient la crête à pied, des flambeaux à la main.

Mina a porté toute sa vie la bague de son fiancé disparu

"Après-guerre, seulement cinq familles sont revenues dans le village, alors qu'ils étaient plus de 300 en 1914…", raconte Patricia Pierson. Cette Provençale, épouse du colonel, a fait de cette terre de Meuse sa terre d'adoption. Élue au conseil municipal en 2008, avec son mari, Patricia Pierson garde, elle aussi, des lieux. "Les gens d'ici n'ont rien dit pendant des années, rien raconté, comme si une grande chape de plomb s'était abattue que cette vallée." Sa première découverte, en 2008, en se plongeant dans les archives du conseil municipal, est de tomber sur le rôle d'Andries Van Wezel. Une vielle plaque de remerciement rouillée à son nom dormait dans le grenier de la mairie. "C'était un juif hollandais qui n'avait pas d'enfant et dont le fils de ses meilleurs amis, Robert Dreyfus, était mort ici. Il a fait un don de 500.000 francs or de l'époque pour reconstruire le village. Sans lui, tout aurait été laissé en ruine. Grâce à lui, les maisons ont été remontées."

(Crédit : Bernard Bisson/JDD)

En 1921, en venant inaugurer la première pierre de la mairie des Éparges, Andries Van Wezel décède d'une crise cardiaque sur le bateau qui l'amène de Hollande. La plaque à son nom, restaurée, est désormais apposée sur le mur de la mairie. Patricia Pierson découvre aussi le rôle de la comtesse de Cugnac. Une belle histoire… Mina, future comtesse de Cugnac, quitte son fiancé, René, en septembre 1914. Il sera porté disparu sur la crête des Éparges le 20 février 1915 mais son décès ne sera officialisé qu'en 1923. Elle non plus ne l'oubliera jamais, et portera, sa vie durant, sa bague de ce dernier printemps. Mina, infirmière pendant la guerre, épouse un grand blessé, le comte de Cugnac, en 1925. En souvenir de René, elle sculptera le petit monument "À tous les morts sans tombe", installé au point X. Au centre de la fresque, le visage d'officier, à la tête de ses hommes, est celui de René. Son corps ne sera retrouvé qu'en… 1935. Tous les dimanches de Pentecôte, toute la famille de Mina, décédée en 1983, vient encore en pèlerinage.

L'abbé cherchera des corps à la pelle pendant des années

Patricia Pierson n'oublie pas non plus l'abbé Henri Triped, l'ancien curé des Éparges. En 1914, il est parti avec ses paroissiens, en exode en Savoie, puis il est revenu… Pendant des années, dans les ruines du village et des environs, l'abbé part chaque matin avec une toile de tente et une pelle, à la recherche de corps. Il tiendra un guide, à l'usage des familles des 10.000 disparus de la crête. Dans l'église des Éparges, reconstruite dans les années 1920, une petite chapelle, et ses 57 ex-voto, témoigne de ses recherches. Parmi eux, le capitaine Louis de Poulpiquet de Brescanvel, du 51e RI… "tué au ravin de Sonvaux".

L'abbé a disparu depuis longtemps, et aujourd'hui, les familles ne cherchent plus leurs morts, mais le site des Éparges accueille encore du monde. "Trois mille personnes par an, je dirais, impossible de savoir", admet le colonel. Sa femme a entrepris d'aménager l'ancienne salle d'école, fermée depuis 1963, pour installer un premier lieu d'accueil. Les travaux sont en cours. Avec sa poignée de bénévoles, elle édite Le Petit Journal de l'Esparge, trait d'union entre l'histoire et la vie d'aujourd'hui. L'association propose des visites des lieux, avec guide. Des panneaux signalétiques, sept au total, doivent être installés sur la crête dans les mois qui viennent. Et pour le centenaire, un buste de Maurice Genevoix, commandé à un sculpteur, devrait être installé devant la mairie, sur la place qui porte déjà son nom. Depuis 1980, Maurice Genevoix, lui non plus, ne vient plus. Il ne réserve plus sa chambre au Coq hardi, l'hôtel de Verdun, qui n'a guère pris une ride depuis la guerre. "M. Genevoix avait toujours la même chambre, indique la propriétaire. Il s'installait là, à côté de la grande cheminée derrière vous et passait des heures à écrire." L'académicien a été enterré au cimetière de Passy, à Paris. Si François Hollande le décide, il entrera au Panthéon l'an prochain. Et avec lui, quelques-uns des fantômes de cette terre des Éparges.

Le fantôme des Eparges, raconté en vidéo :

Laurent Valdiguié, envoyé spécial aux éparges (Meuse) - Le Journal du Dimanche


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