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Indochine: la légion des inconnus de la Wehrmacht

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Edouard LAUNET 5 mars 2014

B. D. légionnaire du 5e REI (photo de gauche, à gauche) au bord du fleuve Rouge, au Tonki, en 1951, et au sein des jeunesses hitlériennes

en Poméranie, en 1938. (Photos collection particulière.)


ENQUÊTE

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de soldats allemands faits prisonniers en France se sont engagés au côté des képis blancs dans le conflit colonial. Un jeune chercheur français retrace leurs parcours oubliés dans un livre, «l’Ennemi utile».

La guerre d’Indochine fut - aussi - une tragédie allemande, mais la plupart des Allemands, et des Français, l’ignorent. Lorsque, l’an dernier, un jeune historien français est passé au bureau des Etats de services de Berlin, organisme qui tient le registre des soldats de l’armée allemande tombés au cours des deux dernières guerres mondiales, ses interlocuteurs ont été fort surpris d’apprendre de sa bouche que plus de 2 600 de leurs compatriotes étaient «morts pour la France», et ce juste après la Seconde Guerre mondiale ! Si la chose est peu ou pas connue des deux côtés du Rhin, c’est que ces victimes-là sont restées enfouies dans une zone où l’historiographie n’avait pas beaucoup fouillé.

Waffen-SS, chevaliers prussiens

A l’issue du conflit de 1939-1945, un nombre important de prisonniers allemands s’est engagé dans la Légion étrangère. Ils se sont retrouvés presque immédiatement en Indochine. Le retrait des troupes japonaises qui occupaient la colonie française l’avait laissée dans un chaos dont le Vietminh communiste a su profiter, déclarant l’indépendance d’une partie du Vietnam en septembre 1945. Commence alors une guerre coloniale dont la Légion étrangère va être le fer de lance. Dans ses rangs, beaucoup d’Allemands, dont un nombre non négligeable de Waffen-SS. La pointe du fer de lance en Indochine, ce sera donc l’ennemi de la veille.

Combien furent-ils ? Entre 20 000 et 30 000 sur un contingent de 70 000 hommes, estime-t-on aujourd’hui, sans exclure une proportion plus forte encore. Les légionnaires allemands ont laissé derrière eux - dans les films, les romans, certains articles - d’assez belles images d’Epinal, des portraits sans nuances. Il y aurait eu, d’un côté, des chevaliers prussiens toujours prêts à démontrer leurs qualités de guerriers, comme ils l’ont souvent fait dans la Légion depuis sa création en 1831 ; de l’autre, d’anciens criminels de guerre venus se planquer dans ce corps discret de l’armée française pour tenter de se faire oublier.

Pas facile d’aller au-delà de cette iconographie saturée, entre idéalisation et diabolisation, puisque la Légion ne communique pas les dossiers personnels (1) et que, plus largement, la France a essayé de dissimuler le rôle des Allemands dans ses guerres coloniales.

Il y avait pourtant un moyen de creuser cette histoire-là : croiser les dossiers des légionnaires morts en service commandé, conservés et accessibles au Bureau des archives des victimes de conflits contemporains à Caen (Calvados), et ceux des soldats de l’armée allemande, archivés à Berlin. Cette singulière entreprise a été menée par un chercheur singulier : Pierre Thoumelin, 25 ans, officier de gendarmerie en cours de formation qui, parallèlement, travaille sur une thèse de doctorat d’histoire à l’université de Caen. La gendarmerie, «ce sera mon métier», dit Thoumelin sans l’ombre d’une hésitation. Si possible dans les enquêtes judiciaires. Il a réussi l’été dernier le concours de l’Ecole d’officiers de Melun (Seine-et-Marne). Mais l’histoire a toujours été sa passion, offrant un autre genre d’enquêtes.

Thoumelin est né au cœur du Cotentin, d’un père lui aussi gendarme et féru d’histoire. Après une prépa littéraire, il est parti faire des études à Caen. Il se dit passionné par la période contemporaine, en particulier la colonisation et la décolonisation. Sa famille n’a pas de passé avec les képis blancs, mais le fait d’ avoir grandi près des plages du débarquement et des anciens camps de prisonniers allemands l’a sensibilisé à ce sujet. «Ayant beaucoup lu sur l’Indochine, j’ai naturellement voulu savoir pour quelles raisons des Allemands étaient allés se battre là-bas», explique-t-il.

L’aventure plutôt que le retour

Thoumelin s’embarque donc dans une thèse de doctorat au Centre de recherche d’histoire quantitative de Caen, avec pour thème «Les légionnaires allemands et la guerre d’Indochine 1946-1954», sous la direction de Michel Boivin. Il crée des bases de données, trie les dossiers des soldats par classes d’âge, tente de recouper les éléments issus de ces deux grandes sources, interviewe une trentaine d’anciens légionnaires. Ce travail est suffisamment avancé pour qu’il fasse l’objet d’un livre (2) et bientôt d’un documentaire, diffusé en mai sur France 3, à l’occasion des 60 ans de Diên Biên Phu. Conclusion de son enquête : dans leur majorité, les légionnaires allemands partis en Indochine étaient des types qui cherchaient simplement à s’en sortir. Souvent, plus rien ni personne ne les attendait après la guerre en Allemagne où les conditions de vie étaient très difficiles. Alors, ces jeunes hommes vaincus ont choisi l’aventure plutôt que le retour. «Des SS se sont glissés à travers les mailles du filet : leur proportion au sein des légionnaires allemands est aux alentours de 8 à 10%, dans les classes d’âges inférieures. Cependant, même si la Légion n’a pas été très regardante, il est faux d’aller jusqu’à dire que l’Indochine a été le point de ralliement des anciens nazis», souligne Pierre Thoumelin. Ainsi le cliché du criminel de guerre allemand recyclé par l’armée française dans la Légion est-elle largement un mythe. Il n’en a pas moins nourri quelques articles de presse, notamment dans l’Humanité de l’après-guerre, et certains ouvrages, comme la Garde du diable : des SS en Indochine, du Canadien Georges Robert Elford.

En revanche, il est avéré que la présence de combattants allemands a été déterminante en Indochine. Ces derniers ont été très présents parmi les instructeurs et l’encadrement de la Légion, ce qui ne posait guère de problème puisque 70% des légionnaires servant en Indochine étaient germanophones. C’est que les képis blancs ont eu une forte culture germanique dès la création du corps en 1831 : trois des sept bataillons initiaux étaient constitués uniquement d’Allemands.

En 1940, l’une des premières demandes de l’Allemagne nazie au gouvernement de Vichy fut de lui remettre les légionnaires allemands, dont le nombre était alors estimé à 10 000. Ainsi, nombre de traditions de la Légion sont d’origine germanique, en particulier les chants.

En Indochine fut mise à profit l’expérience d’anciens membres d’unités d’élite, comme les parachutistes de la Luftwaffe, qui s’étaient illustrés dans les batailles de Normandie et de Monte Cassino. C’est ainsi que l’«ennemi héréditaire» est devenu l’«ennemi utile». Ceci n’a pas aidé au rapprochement entre la France et l’Allemagne dans l’après-guerre. «Nous avons pu retrouver dans les fichiers de décès de légionnaires allemands des demandes de familles formulant expressément le souhait que la mention "mort pour la France" soit retirée du dossier de leur fils», écrit Pierre Thoumelin. Dès lors, la France s’en est souvent tenue à la mention «mort au champ d’honneur». Cela explique en partie la surprise des Allemands face au nombre de ses victimes en Indochine. Le parcours de ces légionnaires est parfois très complexe. Kurt K., né en 1924, comptait à sa mort, en mars 1953, deux citations au titre de la Wehrmacht ainsi que, dans l’armée française, trois citations à l’ordre du régiment en Indochine, une croix de guerre avec étoile de bronze et la médaille coloniale pour l’Extrême-Orient. Certains furent prisonniers en France à la fin de la Seconde Guerre, puis légionnaires en Indochine au service d’une guerre coloniale française, avant de déserter en passant au service du Vietminh et de l’anticolonialisme, et seront finalement renvoyés soit en Allemagne de l’Ouest, où ils se feront aussi discrets que possible, soit en Allemagne de l’Est, où ils seront accueillis comme les héros d’une guerre communiste, et du coup contraints de participer à des meetings politiques pour dénoncer les abus de la France coloniale. Sans surprise, beaucoup choisirent le silence.

Changement de camp

In Foreign Service, documentaire diffusé par Arte en 2005,Marc Eberle a retracé quelques-uns de ces parcours hallucinants. L’un des anciens légionnaires confie que, lorsqu’il a été fait prisonnier par un groupe vietminh, il a été mené droit au capitaine… qui était allemand. Selon Eberle, 1 400 légionnaires allemands auraient changé de camp. La guerre d’Indochine fut le conflit au cours duquel la Légion étrangère a connu ses plus grosses pertes (plus de 10 000 hommes), devant la Première Guerre mondiale, souligne Pierre Thoumelin. A Diên Biên Phu, elle avait engagé six bataillons, dont 1 600 Allemands qui, pour beaucoup, sont morts durant la bataille ou la longue marche qui suivit.

Il reste au chercheur quelques pistes à creuser, en particulier le parcours des anciens légionnaires rentrés en RDA, ou encore le destin de ceux qui, rentrés en RFA, se sont engagés dans la Bundeswehr. Mais il a établi l’essentiel : les combattants allemands ont joué un rôle plus important qu’on ne pensait dans la guerre d’Indochine, longtemps ignoré parce que leurs parcours étaient trop en contradiction avec le discours alors dominant sur les relations franco-allemandes. «Comment évoquer l’esprit de camaraderie entre légionnaires allemands et soldats français à une époque où l’opinion était encore profondément marquée par les années d’occupation ?» souligne le gendarme-historien.

(1) Les archives de la Légion qui ne sont pas reversées au Service historique de la Défense ne peuvent être consultées, et leur déclassification n’est pas prévue.

(2) «L’ennemi utile», de Pierre Thoumelin. Editions Schneider Text, 184 pp., 14,90 €.


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