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Visite de Manuel Valls à Belgrade : petite histoire de l'amitié franco-serbe

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Publié le 06/11/2014

Manuel Valls et Aleksandar Vucic, à Belgrade, le 6 novembre.

FIGAROVOX/HISTOIRE - A l'occasion de la visite de Manuel Valls en Serbie, jeudi et vendredi, Jean-Christophe Buisson rappelle les liens qui unissent depuis des siècles les peuples français et serbe.

Rédacteur en chef Culture et art de vivre du Figaro Magazine, Jean-Christophe Buisson est l'auteur de plusieurs livres sur la Serbie: Mihailović, Histoire de Belgrade, Le Goût de Belgrade. Dernier livre paru: Les grands duels qui ont fait la France (direction, avec Alexis Brézet, Perrin/Le Figaro Magazine

«Aimons la France comme elle nous a aimés».

Vendredi matin, au terme de sa visite officielle de deux jours en Serbie, Manuel Valls s'inclinera devant le Monument baptisé Reconnaissance à la France, installé à l'entrée du parc du Kalemegdan, au cœur de la vieille ville de Belgrade. Oeuvre du sculpteur croate Ivan Meštrović, cette sculpture monumentale fut inaugurée en 1931 pour que jamais les habitants de la Ville Blanche, comme ceux de tout le Royaume de Yougoslavie, qui avait succédé en 1929 au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes né au lendemain des traités de paix, n'oublient leur dette à l'égard du pays qui, treize ans plus tôt les avait libérés de l'occupation germanique et bulgare. La veille, c'est-à-dire ce jeudi soir, à l'heure où François Hollande tentera de convaincre les Français des vertus de sa présidence, le Premier ministre aura assisté à une réception, à quelques mètres de là, rue de Paris, à la Résidence de l'ambassadeur de France en Serbie: un majestueux bâtiment art déco conçu - comme un symbole - par un architecte français et un architecte serbe, surmonté de trois statues symbolisant la liberté, l'égalité et la fraternité. Sans doute Manuel Valls repartira-t-il agréablement surpris de ce pays dénoncé pendant de longues années - et encore parfois aujourd'hui - comme l'antre balkanique du Diable, le repaire de néofascistes homophobes, de hooligans racistes, de criminels de guerre mafieux et de jeunes filles en fleur aux mœurs légères et intéressées. Il est vrai que dans son propre camp, massivement marabouté par Bernard-Henri Lévy, hormis François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Roland Dumas et Hubert Védrine, il n'y aura guère eu de responsable politique pour dépasser ces clichés réducteurs depuis 1991 et le début des guerres yougoslaves. Et pourtant.

Victor Hugo, qui, lors de la Crise d'Orient (1875-1878), heurté par les massacres perpétrés en Herzégovine par les janissaires albanais et les bachi-bouzouks, en appela aux chancelleries européennes pour sauver l'« héroïque petite nation serbe ». « On assassine un peuple », assurait-il.

Sans doute Manuel Valls n'aura-t-il pas le temps de retenir tout ce que ses hôtes lui auront répété pendant deux jours sur la longue fraternité unissant depuis sept siècles au moins les peuples français et serbe. Peut-être quelques mots, quelques dates, quelques noms... Ceux-ci, par exemple:

Pierre l'Ermite, prédicateur amiénois qui traversa les villes alors byzantines de Belgrade et Niš, en 1096, à la tête de Croisés en route pour Jérusalem.

La bataille de Kosovo, qui, le 28 juin 1389, opposa chevaliers chrétiens et troupes ottomanes. Sur la foi de la chronique de Philippe de Maizières, le roi de France Charles VI crut qu'elle marquait une grande victoire contre les Turcs et fit célébrer un Te Deum à Notre-Dame de Paris en sa présence.

Le Prince Eugène de Savoie, autre héros des guerres anti-ottomanes qui, administrant Belgrade pour le compte des Autrichiens entre 1718 et 1739, s'appliqua à introduire localement des éléments de civilisation française, depuis l'aménagement urbain jusqu'aux petits pains en passant par la création de la première pharmacie de la capitale serbe.

La Constitution de la Visitation (1835), inspirée par des textes constitutionnels français. Tout au long du XIXe siècle, comme l'a brillamment démontré Dušan T. Bataković dans sa somme sur Les sources françaises de la démocratie serbe (CNRS éditions), des centaines d'étudiants serbes vinrent fréquenter nos universités (on les appelait «les Parisiens») pour s'inspirer de nos institutions et de notre droit dans la construction de l'Etat serbe moderne.

Alphonse de Lamartine, dont de nombreuses pages de son Voyage en Orient sont une ode à «ces hommes au costume semi-oriental, au visage mâle et doux des peuples guerriers» et à une littérature qui est, pour lui, «une poésie équestre qui chante, le pistolet au poing et le pied sur l'étrier, l'amour et la guerre, le sang et la beauté, les vierges aux yeux noirs et les turcs mordant la poussière». Une statue du poète romantique trône, depuis 1933, au cœur d'un petit parc de Belgrade.

Albert Malet, qui, avant de rédiger ses fameux manuels d'histoire scolaires avec Jules Isaac, fut, à 28 ans, engagé sur les conseils d'Ernest Lavisse comme précepteur du futur roi Alexandre Obrenović.

Victor Hugo, qui, lors de la Crise d'Orient (1875-1878), heurté par les massacres perpétrés en Herzégovine par les janissaires albanais et les bachi-bouzouks, en appela aux chancelleries européennes pour sauver l'«héroïque petite nation serbe». «On assassine un peuple», assurait-il.

Hippolyte Mondain, officier supérieur de l'armée française nommé rien de moins que ministre des Armées de la Serbie entre 1862 à 1865!

Georges Clemenceau (nom si agréable aux oreilles de Manuel Valls) dont le programme électoral de 1881 fut repris quasiment mot pour mot par le jeune parti radical serbe quelques années plus tard: abolition du Sénat, liberté de la presse, droit d'association garantie constitutionnellement, séparation de l'Eglise et de l'Etat, impôt progressif sur le capital et le revenu.

Jovan Skerlić, fondateur de la revue du Messager littéraire serbe, infatigable promoteur de la francophonie dont les mots prononcés en 1906 résonnent de manière étrangement douce et familière à nos oreilles contemporaines: «Certains présentent volontiers la France comme un pays au bord de la faillite dont la gloire appartient au passé.... Ce ne sont que des phrases dépourvues de sens et de contenu: la France reste toujours à la tête du progrès spirituel de l'humanité. Sa littérature sera toujours un modèle pour toutes les autres littératures. La France est la patrie de Voltaire et demeurera toujours le vieux berceau des idées, l'éternel «soldat des droits», guide des peuples dans leurs lutte pour les vérités sacrées et les idéaux humains».

Albert Malet, qui, avant de rédiger ses fameux manuels d'histoire scolaires avec Jules Isaac, fut, à 28 ans, engagé sur les conseils d'Ernest Lavisse comme précepteur du futur roi Alexandre Obrenović.

D'autres noms ont pu ou pourront être prononcés devant Manuel Valls, soulignant la force des liens entre la France et la Serbie.

Pierre Karađorđević, descendant du libérateur de la Serbie, exilé en France depuis l'installation sur le trône serbe de la dynastie rivale des Obrenović, et qui, formé à Saint-Cyr, s'engagea dans la Légion étrangère pour combattre les Prussiens en 1870. Blessé, capturé, il parvint à s'évader et à rejoindre l'armée de Chanzy pour reprendre le combat. Trente ans plus tard, cet admirateur de Stuart Mill et de Montesquieu devint roi et instaura une monarchie constitutionnelle en Serbie (1903).

La Première Guerre Mondiale, ciment principal de l'amitié franco-serbe, d'une fraternité d'armes qui, aujourd'hui encore, hante nos mémoires collectives. Qui ignore que c'est pour honorer son alliance avec la Serbie attaquée par l'Autriche-Hongrie que le président Poincaré a signé la déclaration de guerre? Quelle famille française n'a pas entendu parler de «la journée serbe» de 1915 et de 1916, instituées dans les écoles françaises pour récolter des fonds et des vêtements à destination des dizaines de milliers de Serbes orphelins, blessés ou chassés de leur pays par les offensives germano-autrichiennes? Ce sera ensuite la résistance héroïque de Belgrade grâce aux canons Schneider-Creusot et aux aviateurs du capitaine Rochefort, puis la terrible retraite en Albanie à l'issue de laquelle l'armée française prendra sous son aile réparatrice les restes de son homologue serbe pour lui permettre de se reconstituer et de reconquérir son territoire à l'été 1918, poussée aux feux par le général Franchet d'Espèrey (le seul commandant étranger qui recevra après-guerre le titre de voïvode en remerciement de son engagement aux côtés des Serbes durant la Grande Guerre et qui, de son côté, décorera en 1921 Belgrade de la Légion d'Honneur pour son héroïsme). Entretemps, Poilus d'Orient français et serbes auront combattu côte à côte dans les tranchées de Macédoine face aux Bulgares. Parmi eux, le prince-régent Alexandre qui, un jour, les larmes aux yeux, offrit sa Croix de Karađorđe épinglée sur son manteau à un aviateur français blessé au combat: «Pardonne-moi de te donner si peu, toi qui as tout donné pour ma Serbie». Quelques années plus tard, le 9 octobre 1934, c'est à Marseille, que le premier roi de Yougoslavie trouvera la mort, abattu par un tueur macédonien aux ordres des oustachis croates financés par l'Italie fasciste.

D'autres noms ont pu ou pourront être prononcés devant Manuel Valls, soulignant la force des liens entre la France et la Serbie.

Ceux des artistes vivant et travaillant entre Paris et Belgrade depuis des décennies: les peintresVladimir Veličković (membre de l'Académie des Beaux-Arts) et Ljuba Popović, le violoniste Nemanja Radulović, (qui a sûrement croisé plus d'une fois Anne Gravoin , l'épouse du Premier ministre), le dessinateur Enki Bilal, les cinéastes Aleksandar Petrović et Emir Kusturica ou ces dizaines de footballeurs qui ont illuminé le championnat de France (du Vert Čurković au néo-gone Biševac).

Malgré le dépit et la colère des Serbes en 1999, quand la France participa aux bombardements de leur pays par les avions de l'OTAN, l'intensité des rapports entre nos deux pays, unis à travers les siècles contre le péril turc, l'impérialisme germanique ou la barbarie nazie, n'aura sans doute pas échappé à Manuel Valls.

Ceux de ces soldats français de la KFOR qui, après 1999, oeuvrèrent pour protéger églises, monuments et populations serbes menacés ou attaquées par les extrémistes albanais.

Celui, enfin, du général monarchiste Draža Mihailović, qui mit en place le premier mouvement de guérilla militaire antiallemande en Europe occupée, retardant par sa résistance au printemps 41 l'invasion de la Russie soviétique par Hitler et par ses opérations de sabotage l'envoi de troupes et de matériel à Rommel via la Yougoslavie et la Grèce. «La résistance yougoslave et l'action du général Mihailović sont pour le peuple français un exemple et un réconfort», déclara le général de Gaulle le 29 novembre 1942. Après 1945, le chef de l'Etat français refusa systématiquement de rencontrer Tito, coupable d'avoir fait exécuter celui qu'il considérait, selon Alain Peyrefitte, comme un «frère d'armes».

Malgré le dépit et la colère des Serbes en 1999, quand la France participa aux bombardements de leur pays par les avions de l'OTAN (le monument Reconnaissance à la France du Kalemegdan fut à cette occasion recouvert d'un crêpe noir…) , l'intensité des rapports entre nos deux pays, unis à travers les siècles contre le péril turc, l'impérialisme germanique ou la barbarie nazie, n'aura sans doute pas échappé à Manuel Valls. Comme il ne lui aura pas échappé que les couleurs du drapeau serbe ont été choisies en référence à celles du drapeau français. Mais dans un ordre différent…


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