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2014


Entre mémoire et histoire : les hôpitaux de guerre

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Publié le 24/12/2014

Au centre, Philippe Castel présente l'exposition (Michel des Rochettes, directeur de l'Oustal à droite).

Pour comprendre ce que sont les hôpitaux de guerre, Philippe Castel, professeur d'histoire-géographie, propose une exposition au lycée l'Oustal, au moyen de tableaux de l'ONACVG 31 (Office national des Anciens Combattants et Victimes de guerre) et de documentaires. On y voit la difficulté d'installer des hôpitaux de campagne, les conditions d'intervention, le courage et le dévouement sans relâche des médecins, des soignants, mais l'exposition insiste surtout sur des points essentiels qu'il faut rappeler.

Il s'agit surtout des percées scientifiques qui ont été réalisées. Plongés au cœur du front et devant la nécessité de venir en aide aux blessés, les chirurgiens combinent les produits anesthésiques avec les d'antiseptiques, et des thérapeutiques nouvelles sont découvertes telles les premières transfusions sanguines, l'ablation de membres pour lutter contre la gangrène ; c'est aussi le début de la chirurgie thérapeutique et la découverte des rayons X. Pour la première fois, les médecins sont intéressés au psychique des blessés : ce sont les premières études sur la psychonévrose de guerre. Enfin, est mis en avant le rôle des hôpitaux de guerre dans la résistance face à l'occupant.

En présence du chef d'établissement, Michel des Rochettes, Danielle Segaud, présidente de l'Oustal, Jean-Louis Thomas, maire-adjoint, Cécile Font de l'ONACVG, l'adjudant-chef Yann Aimable de la Légion étrangère, Louis Gibert, président du comité du Souvenir français de Castelmaurou, Georges Muratet, historien, les élèves du lycée ont découvert cette exposition. Alors que le lycée projette d'ouvrir une section jeune sapeur-pompier et qu'il forme actuellement des élèves pour les métiers à caractère sanitaire et social, Philippe Castel souligne l'intérêt de cette exposition.

La Dépêche du Midi

DVD : « La Fête sauvage », quand Frédéric Rossif célèbre la vie animale

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LE MONDE | 23.12.2014

"La Fête sauvage", de Frédéric Rossif (1976). | ZOROASTRE/STUDIO CANAL

A l’heure où La Fête sauvage, l’un des plus beaux films animaliers jamais réalisés, sort en DVD, il serait grand temps de se souvenir un peu de Frédéric Rossif (1922-1990). Quel singulier parcours que celui de cet homme ! Monténégrin d’origine, il fut légionnaire durant la campagne d’Italie pendant la seconde guerre mondiale, bibliothécaire à la Cinémathèque française après-guerre, membre de l’équipe de choc des célébrissimes « Cinq colonnes à la une » à la télévision.

L’une de ses première séries réalisées à part entière, avec la collaboration de Claude Darget au commentaire, fut « La Vie des animaux », diffusée sur la RTF puis l’ORTF de 1952 à 1966, émission pionnière qui aura éveillé l’intérêt fasciné de quelques générations pour la vie du monde animal.


Béarn : en immersion avec les anciens légionnaires

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Publié le 23/12/2014 par

Le cérémonial de la poussière, l’une des innombrables traditions de la Légion. © Photo photo David Le Deodic

Tendu, hostile, menaçant… C'est peu dire que d'affirmer que notre premier contact avec les anciens légionnaires du département a été froid. Le major François Varesano et ses hommes ont très peu goûté notre article consacré à Marcel, un ancien de la Légion habitué des bars de Pau. « Il ne représente pas la Légion » ou « salit son image », « c'est un fieffé menteur », « on a essayé de lui tendre la main mais il est irrécupérable » sont parmi les mots les plus doux entendus à cette occasion.

Rendez-vous était donc fixé avec la soixantaine d'anciens légionnaires des Pyrénées-Atlantiques pour une explication de texte. La rencontre a eu lieu le premier mardi de décembre dans le restaurant d'Artix qui sert de QG à la réunion mensuelle de l'amicale.

Tchad, Liban, Algérie

Il a bien sûr été question de notre ami commun. « Marcel ne respecte pas le code d'honneur », martelait d'emblée le major, en s'appuyant sur le point cinq du règlement partagé : « Ma tenue, mon comportement sont exemplaires en restant modeste ».

Il a surtout été question de la Légion et de ces anciens, toujours aussi fiers d'avoir œuvré en Indochine, au Congo, au Tchad, au Liban ou en Algérie. « On a ici un ancien du 1er REP qui était là au moment du putsch », assument-ils sans ambages. Partie prenante du soulèvement, le 1er Régiment étranger de parachutistes avait été dissous après l'échec du coup d'État des généraux Challe, Jouhaud, Zeller et Salan. À Artix, le plus ancien de la tablée a 84 ans. Le plus jeune, 56 ans. Des années après avoir raccroché les képis, les militaires du rang et les « sous-off'» gardent encore toute leur révérence à l'égard des anciens officiers à qui ils donnent du « Mon colonel ».

« L'amicale sert à garder le lien qui nous unit, expliquent-ils. C'est une entraide entre frères d'armes. » La Légion est une famille qui, cette année encore, fêtera Noël ensemble. Une nouvelle occasion de s'adonner à l'impressionnant rituel de la « poussière ». Une cérémonie qui rappelle que l'eau était parfois plus rare que le vin sur les théâtres d'opération.

« Cela a commencé en Afrique, on rinçait les grains de sable tombés dans le verre avec un fond de vin. On a gardé cette tradition et on boit toujours la poussière », explique le major. Avant chaque repas des anciens, les verres des convives sont donc remplis d'un fond de vin. Les militaires se tiennent debout. « Attention pour la poussière ! Envoyez ! » Puis vient l'hymne immuable de la Légion, « Tiens ! Voilà du boudin ! »

>> Avant chaque repas, la tradition veut que les légionnaires entonnent le fameux "boudin" :

Des histoires de légionnaires

Ces rencontres sont surtout l'occasion pour les militaires de se raconter et raconter encore les anecdotes qui ont fait la légende de leur Légion. « Le général qui était aux côtés d'Hollande l'autre jour, c'était mon lieutenant à Kolwezi, plastronne l'un. C'est lui qui m'a appris à rédiger les citations. » Un autre raconte comment son supérieur a recousu un camarade blessé avec du fil et une aiguille, au milieu du RC4 en Indochine. « Il pensait que c'était fini et un jour, trente ans plus tard, il l'a recroisé à une cérémonie ! »

Autant d'histoires que vous pourrez écouter en vrai si d'aventure vous rencontrez les légionnaires autour du 30 avril. C'est à cette date anniversaire que la Légion étrangère commémore la bataille de Camerone, au Mexique. Chaque 30 avril, les légionnaires regagnent leur régiment d'origine pour la célébrer.

La plupart des anciens du 64 sont français mais n'ont pas fait leurs classes dans les mêmes corps. Aussi, l'amicale organise un pré-Camerone des Pyrénées-Atlantiques le 23 avril à Bayonne et le 24 avril au monument aux morts de Pau. Pour les Alsaciens, les Suisses et les Lorrains, il y aura du boudin. Pour les Belges en revanche…


Army Deserter Is Jailed for Chasing the Conflicts That Steadied His Mind

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DEC. 15, 2014
Second Lt. Lawrence J. Franks Jr. in Watertown, N.Y., as he awaited the end of his court-martial. He was sentenced to four years in prison Monday. Credit Jesse Neider for The New York Times

FORT DRUM, N.Y. — After graduating from the United States Military Academy at West Point near the top of his class in 2008, Second Lt. Lawrence J. Franks Jr. went on to a stellar career with three deployments, commendations for exceptional service and a letter of appreciation from the military’s top general.

The only problem: None of it was in the United States military.

After being sent to Fort Drum, here in the snowy farmland of northern New York, where he was put in charge of a medical platoon, Lieutenant Franks disappeared one day in 2009. His perplexed battalion searched the sprawling woods on the post for his body.

What they did not know was that he was on a plane to Paris, where he enlisted under an assumed name in the French Foreign Legion. It was only this year when he turned himself in that the Army and his family learned what had happened.

On Monday, Lieutenant Franks was sentenced to four years in prison and dismissal from the Army on charges of conduct unbecoming of an officer and desertion with the intention to shirk duty, specifically deployment.

Photo
In this photograph provided by the French military, Lawrence J. Franks Jr., back center with gun, is seen working in Mali in 2013.

At his sentencing, the lieutenant said he left because had been struggling for years with suicidal urges that had grown so intense when he arrived as a new officer at Fort Drum that he believed if he did not change his life drastically, he would have shot himself.

During the trial, the judge barred his lawyers from using doctors’ descriptions of the 28-year-old officer’s struggles with depression and suicide as a defense. Prosecutors at the trial said the lieutenant fled to avoid deployment to Afghanistan. Lieutenant Franks’s former commander, Col. Michael Loos, testified Friday that losing an officer was a burden for a battalion preparing to deploy.

“It wasn’t helpful for a unit that was mired with a lot of turbulence at the time,” Colonel Loos said. “We had a lot to do and it necessitated strong stable leadership.”

In an interview last week at a hotel near Fort Drum, where the court-martial was held, Lieutenant Franks said that he actually yearned to go to war, but that his deployment was still almost a year away and in the meantime felt he could no longer control his suicidal urges.

“I needed to be wet and cold and hungry,” he said. “I needed the grueling life I could only find in a place like the Legion.”

In hindsight, he said, there were other options, including trying to transfer to a deploying combat unit, but at the time, he thought none would be quick enough to help him.

“I feel really bad for the pain I put on my family, the disruption to my unit,” he said. “But I don’t regret what I did — any of it, good or bad — because it saved my life.”

To those who knew him, Lieutenant Franks, who grew up in Damascus, Ore., appeared to have a perfect life. The son of a neurosurgeon, intelligent, popular and captain of his high school football team, he excelled at West Point, where he graduated in the top 12 percent of his class.

“He was in top physical shape, very smart and really he was just an outstanding guy personally,” said a fellow West Point graduate, Matthew Carney, who was his roommate at Fort Drum.

Even Lieutenant Franks’s tight-knit family did not know the depths of his despair. But since early adolescence, he said, he was consumed by near-daily nightmares, unrelenting depression and a driving urge to die. Raised a Christian, he saw suicide as a sin, but said he fixated on ways to make his death appear accidental, such as driving into a tree or jumping off a cliff.

“No matter what I did, I couldn’t find peace,” he said.

The only therapy, he said, was physically punishing training exercises with other cadets.

“Some people hate to be cold or wet, but I thrived on it,” he said. “It was almost like a drug, having that challenge and focus made the depression go away.”

After graduating from West Point, he was put in charge of a medical platoon in the 10th Mountain Division’s First Brigade Combat Team at Fort Drum, where his duties consisted mainly of updating records and attending meetings.

Away from the intensity of West Point, he said, his depression grew deeper.

He did not seek counseling, he said, because as a medical officer, he had seen other troops overmedicated and shunned by their units.

In March 2009, he was put in charge of training at a pistol range, and it seemed to him that he had found a way to make his suicide appear accidental. He planned to stumble while carrying a gun on the range, pulling the trigger as he fell.

But a few days later, after a routine call to his parents, he decided that he could not put his family through a suicide. After that call, he had what he described as an epiphany: He would join the French Foreign Legion.

“It was invigorating; I was really excited about something,” he said. “For the first time in years I wasn’t thinking about killing myself.” Two days later, he was on a plane.

“He knew he was deserting the Army and would be charged, but killing himself was a bigger sin,” said Brig. Gen. Stephen Xenakis, a retired Army psychiatrist who testified for the defense during the sentencing phase of the trial.

The French Foreign Legion was created in 1831 as a wing of the French Army made up almost entirely of foreigners. It was used to fight in remote reaches of the empire, and its practice of taking in almost anyone, no questions asked, earned it a reputation as a band of outcasts, failed revolutionaries and cutthroats.

Lieutenant Franks was taken in despite being wanted by the United States Army, and, like all other recruits, was given an assumed name. He became Christopher Flaherty and signed a five-year contract.

“We never ask where they come from, " a French brigadier general, Laurent Kolodziej, said in video testimony from Paris. “You have people knocking on the door, just make sure they don’t have blood on their hands, and we take them in. The Legionnaires, it’s about giving someone a second chance.”

The lieutenant became a lowly legionnaire second class. Being stripped of rank, possessions and identity, woken up in the middle of the night to run in the rain, deprived of sleep and food, marched for hours on end while singing the slow, sorrowful songs that are a tradition in the Legion and harangued by sergeants who knew recruits had no one to call to complain, took the focus off his inner demons, he said.

“Slowly, the depression went away,” he said. “I wasn’t thinking of killing myself anymore.”

Trained as a medic, Lieutenant Franks did peacekeeping tours in the Central African Republic and Djibouti. He was promoted and earned a number of awards for merit.

In 2013, after Islamic fighters linked to Al Qaeda took over northern Mali, he was tapped to be the personal security guard for General Kolodziej, who commanded the French Army’s response.

During the next five months, he was what the French call the general’s “shoulder” because he was at his side at all times.

“He is a man I will never forget and by whom I will always stand,” General Kolodziej said in his testimony. “He is more than a born soldier, he is a born gentleman. I would like to have 10 men like that in my team, and I would be the happiest of generals.”

The day Lieutenant Franks completed his five-year contract, in March 2014, he took off his Legionnaire’s red and green epaulets and white cap and turned himself in to the United States Army in Germany.

“To turn myself in was the happiest moment in my life,” he said. “Now I was coming home to my family and to take responsibility for what I had done.”

The lieutenant was found guilty by a military jury. On Monday, his lawyer, Louis Font, said the tough sentence showed that “the Army continues to be tone deaf to mental illness and suicidal ideation.”

His parents said they understood the Army’s need to discipline him. But his father, Dr. Lawrence Franks, had hoped the Army would return him to duty.

“It just seems like a waste not to make the most of someone who is so strong and gifted and generous,” he said late last week. “Still, my hat is off to my son. He thought this was the best choice at the time, and he saved his own life.”


La dernière interview de Jacques Chancel à la DH

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Publié le mardi 14 janvier 2014


Livres/BD

Dans l'ouvrage La Nuit attendra, le journaliste français évoquait, pour la première fois, sa guerre d’Indochine

Homme de radio - il a présenté des milliers de numéros de Radioscopie - et de télévision, Jacques Chancel manie aussi la plume avec dextérité depuis des décennies. Journaliste tout terrain, curieux et cultivé, il a beaucoup dit de ses années passées au service de l’information, notamment au travers de ses journaux, dont le prochain tome paraîtra cette année. Mais de Jacques Chancel, pourtant, on sait peu de choses. Parce qu’il a toujours préféré la discrétion à la lumière et le fond à la forme, il a su maintenir sur sa vie privée et intime un voile de pudeur qu’il consent aujourd’hui à lever un peu. Et si La Nuit attendra , récit de sa guerre d’Indochine, ne sort qu’aujourd’hui, plus de 60 ans après les faits, c’est parce que, dit-il, " au fond, j’avais honte d’être vivant ".

"C’est la vérité… Ce que je raconte, dans ce livre, ce sont mes 24 premières années. J’ai vécu le meilleur et le pire. Le pire étant ce saut sur un pont miné, au cours d’une opération. Après quoi, je suis resté aveugle. Je ne parlais pas de cette histoire, même à ma femme. J’avais honte, parce que les trois personnes qui étaient avec moi dans la Jeep, quand j’ai passé le pont, sont mortes. Et cela a été très douloureux, et je ne souhaitais pas y revenir. Mais je me suis délivré de ce passage et je commence à comprendre que c’est une expérience qui aura, à peu près, nourri toute ma vie."

Celui qui est revenu d’Indochine n’était plus le même homme ?

"Non, peut-être suis-je resté le même dans le sens où mon père m’avait inculqué des valeurs, comme l’importance de l’autre. Il avait une phrase, qu’il me répétait souvent, qui était "N’oublie pas de vivre"… Mais je suis rentré dans une certaine coquille, pour me délivrer de ce que j’avais vécu, pour mener une deuxième existence. En réalité, je suis né une première fois dans les Pyrénées, une deuxième fois dans le Sud-Est asiatique et une troisième fois quand j’ai quitté Angkor et que j’ai quitté la France."

Sans mauvais jeu de mots, avoir connu la cécité pendant dix mois, cela a changé votre vision du monde ?

"Oui, je crois. Dans mon journal, qui paraîtra au printemps, j’essaie de mieux dire ce que j’ai pu ressentir quand vous êtes dans le noir absolu. J’ai mené une vie intérieure. Dans la nuit, je gambergeais, je m’inventais des mondes."

La France sortait de la Seconde Guerre quand, en 1948, vous êtes parti pour l’Indochine. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

"Je n’ai pas vraiment connu la guerre : j’en ai entendu les rumeurs. J’étais en zone occupée, au fin fond de la France. À la libération, mon père m’a fait faire 14 heures de marche dans la montagne, pour m’éviter de voir les résistants de la veille… Peut-être que mon envie de partir en Indochine est venue de tout ce que j’ai lu. Et aussi de la présence de mon oncle qui était inspecteur général des forêts d’Indochine et de ma tante qui y était proviseur général d’un lycée. Elle a d’ailleurs été le professeur du roi Sihanouk. Ils rentraient en France tous les deux ou trois ans et cela a nourri mon imaginaire. Je suis parti pour fréquenter un ailleurs, pas pour faire une guerre."

Un stylo pour toute arme

Quand il débarque, jeune ingénieur, en Indochine, frais émoulu de l’école des ponts et chaussées, Jacques Chancel a à peine vingt ans. "On est très égoïste, à cet âge-là", dit-il, évoquant le chagrin de sa mère qui le voit partir dans un pays en guerre. On sent, d’ailleurs, un forme d’insouciance, on lit l’inconscience qui le pousse à parcourir le terrain, encadré d’autres journalistes alors en poste dans le pays. "Nous étions habitués à la guerre, c’est ça qui est terrible. On profitait à la fois de la douleur et de la légèreté… J’ai entraîné Lucien Bodard dans des endroits insensés. C’était cette inconscience qui nous faisait aller jusqu’au bout de nos missions. Chaque correspondant de guerre était un peu affilié à une troupe. Moi, j’étais avec la Légion étrangère. La seule différence entre eux et nous, c’est qu’ils étaient armés et nous pas. Moi, j’avais mon matériel d’enregistrement qui pesait une tonne… et mon style. Si on était attaqués, ce n’est pas avec ça que j’allais me défendre. Mais nous n’étions pas de passage, nous étions dans la guerre. Vous parlez d’inconscience : je peux partager cette opinion."

D’Indochine, le journaliste ne pense pas avoir ramené des outils qui lui ont servi dans sa vie professionnelle. En revanche, il a ramené des documents sonores sur lesquels il ne parvient plus à remettre la main dans le chaos de son grenier pyrénéen. "Mais c’est là que j’ai fait mon apprentissage de la radio", dit-il. "Curieusement, je ne suis pas revenu avec une langue. Pourtant, j’aimais ce pays et ces gens. Quand je suis reparti, je ne connaissais que deux mots : vite et arrête ! Mais les gens parlaient français…"

Pour évoquer ceux qui ont couvert cette guerre avec lui, Jacques Chancel parle encore de génération sacrifiée. "Des jeunes de vingt ans qui, pour la plupart, sont restés là-bas. Militaires, jeunes officiers : j’en ai vu beaucoup, toutes les nuits, cernés par les Viets. Ce moment est un grand cimetière… La plupart de mes copains sont morts. On a enterré Jean Lartéguy en 2011. Nous y étions tous les trois, Pierre Schoendoerffer, Raoul Coutard et moi. Pierre est mort. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que deux… Je ne sais plus véritablement comment raconter cette histoire. Mais j’ai tenté de raconter ces 24 premières années comme je les ai vécues. Et je m’en suis enfin délivré."

Jacques Chancel, La Nuit attendra, Flammarion


L'écrivain et journaliste Jacques Chancel est mort

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Le Monde.fr | 23.12.2014

Jacques Chancel, en octobre 2011. | AFP/FRANÇOIS GUILLOT

Journaliste et écrivain, grande figure de l'audiovisuel, Jacques Chancel – de son vrai nom Joseph Crampes – est mort le 23 décembre, à Paris, à l'âge de 86 ans. Porté par une insatiable curiosité et doté d'un sens de l'écoute peu commun, il était devenu, au fil de ses deux émissions phares – « Radioscopie » sur France Inter et « Le Grand Echiquier » sur Antenne 2 –, le confident le plus célèbre de la radio et de la télévision, où il accueillit des milliers de personnalités des arts et de la politique pour des entretiens dont la somme constitue un pan de notre mémoire collective.

Jacques Chancel « coachait » encore, à 80 ans passés, les jeunes présentateurs d'i-Télé, auxquels il enseignait l'art et la manière de « savoir raconter une histoire ». La sienne avait débuté à Ayzac-Ost (Hautes-Pyrénées), où il naquit le 2 juillet 1928. Tout au moins selon ses papiers d'identité, sur lesquels il aurait obtenu, grâce à son instituteur, d'être vieilli de trois ans alors qu'il était adolescent afin de partir en Indochine. Un exil de huit années qui ne lui avait pas fait oublier sa Bigorre natale, à laquelle il resta fidèle jusqu'à la fin de sa vie.

Ses parents étaient issus de deux de ses vallées : son père, artisan escaliériste, et sa mère, qui l'a tant choyé et couvé ; « trop », jugeait-il a posteriori. Enfant, la lecture lui donna « le goût de l'errance ». Il y ajouta une envie : celle de « ne pas arriver ». « Si on achève quelque chose, c'est qu'on prétend être au bout de la course. L'achevé, c'est la mort », confiait-il en 2010 à l'écrivain Florian Zeller dans un documentaire de la collection « Empreintes » (France 5) retraçant son parcours.

LES ANNÉES INDOCHINOISES

Parce que l'un de ses oncles vivait en Indochine, c'est là-bas, dans un pays en guerre, que débarqua le jeune Joseph Crampes, 17 ans, au terme d'un voyage de cinquante-deux jours en bateau qui le conduisit de Sète à Saïgon. Pour travailler à Radio France Asie (et Paris Match) comme correspondant de guerre, il prit le pseudonyme de « Jacques Chancel ». Le jeune homme fit la connaissance du Tout-Saïgon, des salons mondains aux coupe-gorge, des fumeries d'opium aux cercles sportifs, cette société coloniale à la fois huppée et interlope dont il fit très tardivement la peinture dans La nuit attendra, un livre de souvenirs sur cette période paru en 2013 chez Flammarion.

Pendant plusieurs années, il anima deux émissions quotidiennes, ainsi qu'un autre programme, pour lequel il recevait des vedettes de l'étranger dans un grand cinéma de Saïgon, sorte de préfiguration – bien avant l'heure – du « Grand Echiquier ». A la même époque il se lia avec ses confrères correspondants, comme le célèbre Lucien Bodard, ainsi qu'avec Pierre Schoendœrffer, alors cinéaste aux armées et qu'il ne parvint pas à dissuader de se faire parachuter sur Diên Biên Phu alors que la bataille, de même que la guerre, était déjà perdue.

Gardant pour lui la violence de ces années de conflit dans le Sud-Est asiatique, Jacques Chancel en revint, à la fin des années 1950, avec l'impression d'avoir déjà tout appris. Dans son journal qu'il tint quotidiennement depuis l'âge de 15 ans – et qu'il publia beaucoup plus tard –, il écrivait : « J'ai tout connu, tout vécu, tout souffert. Aujourd'hui, avec un peu de suffisance, je me dis que mon existence est finie : j'ai 24 ans. »

L'épisode le plus marquant de ces années indochinoises, survenu en 1952, il ne le révéla que soixante et un ans plus tard, dans La nuit attendra, ainsi intitulé parce qu'il avait cru définitivement perdre la vue. Accompagnant comme correspondant de guerre des troupes de la Légion étrangère, le jeune journaliste se trouvait avec des officiers à bord d'une Jeep qui franchissait un pont lorsque le véhicule sauta sur une mine. Grièvement blessé, il se réveilla à l'hôpital après plusieurs jours de coma. Aveugle. Il lui fallut près d'un an pour, très lentement, sortir de cette « nuit » et recouvrer la vue. Les soldats qui étaient avec lui sont tous morts. « J'ai toujours été handicapé par cette mémoire, j'avais comme une honte et je ne pouvais pas en parler, c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps pour le faire », expliqua-t-il en 2013 lors de la parution de son livre.

« RADIOSCOPIE » ET « LE GRAND ÉCHIQUIER »

S'il conserva sa vie durant le sentiment d'avoir été « vieux trop tôt », sa passion pour le journalisme et la radio, sa volonté farouche d'être une « courroie de transmission » étaient pourtant intactes lorsqu'il revint en métropole. Tourné vers l'action comme le lui conseillait son père – « tu seras ce que tu fais », lui disait-il –, il entame une nouvelle vie.

Après quelques années passées dans la presse écrite, notamment à Paris jour et à Télé magazine, il retrouva Radio France, où il entra grâce à Roland Dhordain. L'aventure de « Radioscopie » démarra en octobre 1968. Sur France Inter du lundi au vendredi, de 17 heures à 18 heures, Jacques Chancel recevait des invités. Des anonymes au tout début, puis, très vite, des personnalités. Un indicatif (La Grande Valse, de Georges Delerue), suivi d'un mot, « Radioscopie », prononcé d'une voix chaude, s'installent dans les foyers. En vingt ans et quelque 6 826 émissions, ce sont plusieurs générations d'auditeurs qui ont ainsi été bercées au son d'une écoute attentive, curieuse et bienveillante.


Aux côtés de Marcel Jullian, il participa à la création d'Antenne 2, en 1975. Il y poursuivit une autre aventure, télévisuelle celle-là, lancée trois ans plus tôt sur la deuxième chaîne de l'ORTF. « Le Grand Echiquier », à l'instar d'« Apostrophes », ou des « Dossiers de l'écran », allait devenir l'une des émissions phares d'Antenne 2. Trois heures d'antenne, des décors soignés et personnalisés dans le studio 15 des buttes Chaumont, des invités prestigieux (Brel, Brassens, Montand, Ferrat, Ventura, etc.) installèrent ce rendez-vous hebdomadaire jusqu'au dernier numéro du 7 décembre 1989, organisé autour du chanteur d'opéra Ruggero Raimondi.

DIRECTEUR DE FRANCE 3

Connu du grand public pour sa présence sur les ondes et les antennes, Jacques Chancel affermit également son influence sur le versant institutionnel de l'audiovisuel. En 1989, il arrêta ainsi ses émissions pour devenir directeur des programmes, puis de l'antenne, de France 3. Lorsqu'il quitta France Télévisions à la fin des années 1990, après avoir effectué toute sa carrière sur le service public, ce proche de Nicolas Sarkozy était encore « rattrapé » – selon son mot – par le président de Canal+, Bertrand Méheut, qui le nomma conseiller. C'est dans ce cadre qu'il enseignait encore le métier, il y a peu, aux jeunes recrues d'i-Télé.

Avec Jacques Chancel disparaît une mémoire de l'audiovisuel et de la culture dite « populaire ». « Aimer et faire aimer » – si possible au plus grand nombre – était son credo. Par tous les moyens et médias existants, radio, télévision et livres (il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages), Jacques Chancel a toujours voulu transmettre le fruit de ses rencontres. « Ma chance, disait-il à Florian Zeller, aura été d'avoir une bonne relation avec l'autre. Ça me paraît plus important que d'avoir une bonne relation avec soi-même. »


Des décorations de Noël disparaissent

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Le Creusot

le 21/12/2014

Cette année encore, la commune déplore un nouvel acte de vandalisme sur les décorations de Noël. Le légionnaire, l’un des personnages en bois installés, a disparu.

Rappelons que ces derniers ont été faits par les jeunes d’établissements spécialisés (ESAT, IME, CAT…) dans le cadre de l’association Les Papillons Blancs.

Gageons que la personne qui l’a emprunté le remettra à sa place.


Colonies et Grande Guerre en question

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Haute Côte-d'Or

le 21/12/2014

Gilles Manceron, historien et conférencier. Photo Lucia Rambaud

Des élèves de première du lycée Désiré-Nisard ont assisté à une conférence sur le sort des troupes coloniales animée par l’historien Gilles Manceron.

À l’initiative de la section châtillonnaise de la Ligue des droits de l’homme (LDH), quatre-vingt-dix élèves des classes de première S et ES du lycée Désiré-Nisard ont suivi la conférence de Gille Manceron, historien, spécialiste du colonialisme français, membre du comité central de la LDH.

Cette conférence a porté sur des points “aveugles” de la mémoire collective qui se réveille avec les commémorations du centenaire de la Grande Guerre : les troupes coloniales durant la guerre de 14-18, l’injustice militaire, les fusillés pour l’exemple, les cours martiales et exécutions sommaires, l’emploi des troupes coloniales et l’emploi des étrangers vivant en France enrôlés dans les troupes de marche de la légion étrangère. Gilles Manceron a ainsi évoqué ces points obscurs de la mémoire collective et les campagnes de réhabilitation (les fusillés de Vingré, les caporaux de Suint) menées par La LDH et des associations d’anciens combattants.

Il a surpris son auditoire en parlant de « classification raciale » à cette époque, à l’origine du traitement particulier pour les étrangers, la distinction entre engagés volontaires étrangers et conscrits, donnant en exemple les tirailleurs dits « Sénégalais » utilisés dans les opérations risquées, distinctions qui marquent encore notre société. Les élèves ont posé des questions sur l’absence de pensions aux veuves de soldats coloniaux, sur leurs noms, non inscrits sur les monuments, si les engagés volontaires dans les autres armées (allemandes, italiennes, britanniques) subissaient le même sort ou encore sur les choix aléatoires au sujet des fusillés pour l’exemple…


Repas de Noël pour les anciens de la Légion à Pérols

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le 21/12/2014

L'Amicale des Anciens et Amis de la Légion Étrangère de Montpellier et Environs (AALEME) a célébré la fête de Noël dimanche 14 décembre, à l'Eurotel de Pérols.

Après la poussière (apéritif des combattants), ils ont dégusté un bon repas, où les jeunes côtoyaient les Anciens, dans une ambiance chaleureuse et conviviale.

François Le Testu, président, a souhaité à tous de très bonnes fêtes de fin d'année et donne rendez-vous à tous les membres de l'AALEME le 9 janvier au local pour préparer l'assemblée générale.

Cendrars et la Suisse, l’amour vache

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Mis en ligne le 18.12.2014

Trajectoire. Né Frédéric Louis Sauser à La Chaux-de-Fonds, mort français, Blaise Cendrars a vécu une relation orageuse avec son pays d’origine. A l’occasion de l’exposition «Blaise Cendrars au cœur des arts» à La Chaux-de-Fonds, Christine Le Quellec Cottier, directrice du Centre d’études Blaise Cendrars, nous la raconte.

Christine Le Quellec Cottier

Appartenances

Ce 1er août 1952, Cendrars note dans son mémento, en le soulignant trois fois et avec un point d’exclamation: «Ecrivain suisse!» Il vient de lire l’article que le photographe et journaliste valaisan René Caloz lui consacre dans L’illustré, et la formule l’amuse visiblement. L’appartenance helvétique est suivie, à la même date du calepin, du titre Emmène-moi au bout du monde!…, le «roman-roman», comme il l’appelle, qui ne paraîtra qu’en 1956.

L’écrivain, né le 1er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds, a presque 65 ans et suffisamment vécu pour que cette récupération helvétique ne le foudroie pas. Pour Cendrars, le bout du monde est multiple, et sans doute la Suisse en est-elle une possibilité parmi tant d’autres: dans le roman qu’il est en train d’écrire, le bout du monde, c’est Paris, la ville de tous les désirs, celle qu’il a définie comme son lieu de naissance à la poésie, au «229, rue Saint-Jacques»; mais le bout du monde c’est aussi la Chine, l’absolu lointain qui désigne ce que la Russie a représenté durant trois années de son adolescence; tout comme New York, où la vie est «pire qu’en Suisse», selon ses notes de voyage de 1912, année du choix de son pseudonyme. Avec Cendrars, l’espace se déploie sur la carte de géographie au rythme de ses bourlingues, mais il est surtout au cœur de la page, celle que je découvre avec fascination: que le texte évoque Rio, la Patagonie, Sacramento ou le Transsibérien, il m’embarque et ce que je savoure au cœur des lignes est chaque fois un nouveau monde.

Choisir

Frédéric Sauser, devenu Blaise Cendrars, fait partie de ceux qui sont partis: la Suisse et ce qu’il nommait ses hypocrisies et sa sérénité bourgeoise, il ne les supportait pas. Il ne s’est plus jamais arrêté, même enfermé entre quatre murs: son monde et sa vie ont été recomposés par l’écriture, choix existentiel et poétique qui lui a sans doute permis de traverser le réel, de le réinventer pour le supporter. Brisé par le décès accidentel d’une jeune fille aimée en Russie, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, puis par celui de sa mère en 1908, le jeune homme est un éclopé de la vie avant même de s’engager comme volontaire étranger en 1914. Incorporé dans la Légion étrangère, il est grièvement blessé sur le front de Champagne le 28 septembre 1915 et doit être amputé: il perd sa main droite, sa main d’écriture. Celle-ci aura été le prix exorbitant payé à une nation qui lui offre la nationalité française en 1916. Dès lors, et tout en conservant son passeport suisse, il se place au cœur du système littéraire français. Au début du XXe siècle, Paris est le centre absolu du monde littéraire, et seul ce point focal peut offrir la reconnaissance convoitée. Pour lui, l’appellation «littérature romande» ne fait pas sens et, bien qu’ayant publié en 1929 dans la revue Aujourd’hui dirigée par Ramuz, il n’évoquera le Vaudois que pour rappeler son «visage hanté d’effroi»… Quant à sa longue amitié avec Charles-Albert Cingria le cosmopolite, elle ne le rapproche pas de la Suisse en tant que telle, mais reste une affaire d’humeur, d’ailleurs très aléatoire.
C’est pourtant à Sigriswil, dans l’Oberland bernois, village de ses ancêtres Sauser, qu’il se marie le 27 octobre 1949 avec Raymone Duchâteau, sa muse depuis 1917. Il a raconté de façon burlesque ses retrouvailles avec ce village de «révoltés» et s’est amusé à commenter sa naissance «par hasard» à La Chaux-de-Fonds, à un pâté de maisons de l’ami Le Corbusier, né un mois plus tard. Dès ce «retour à Sigriswil», Cendrars est régulièrement invité par Radio-Lausanne et Radio-Genève pour diverses interviews et se prête volontiers au jeu des questions sur ses origines suisses que les journalistes ne manquent pas de lui poser. Installé au château d’Ouchy, il se promène, déguste le «meilleur vin blanc du monde», selon une carte envoyée à Miller jusqu’en Californie, et continue à écrire Emmène-moi au bout du monde!… A cette époque, Cendrars est un auteur français célèbre dont la renommée est faite depuis longtemps. Il est sorti indemne de la Seconde Guerre durant laquelle il s’est extrait de la scène littéraire, alors que son éditeur, Robert Denoël, a été assassiné en 1945 et que Bernard Grasset est dans la tourmente depuis 1948. Parler de ses origines suisses devient une distraction… tant qu’on ne vient pas lui mettre sous le nez son certificat d’état civil!

Construire

C’est en 1943 que Cendrars a repris la plume et commencé ses «mémoires qui ne sont pas des mémoires», où les filiations imaginaires croisent les faits survenus, sans que jamais Frédéric Sauser ne réapparaisse. Le passé est bâti sur un mode analogique qui ne se soucie pas de vérité biographique: l’écrivain est libre de sa vie, parce qu’il la rêve autant qu’il la vit. Etonnamment, cette relecture de soi avait été amorcée par deux publications en Suisse romande, Une nuit dans la forêt, premier fragment d’une autobiographie (Ed. du Verseau, Lausanne) en 1929 et Vol à voile - Prochronie, publié en 1932 par Les Cahiers romands, qui avaient demandé à Cendrars ses souvenirs de Neuchâtel. De fait, la ville disparaît du récit lorsque le «héros» fugue en sautant du balcon de la maison familiale pour prendre le premier train en partance. Le mouvement perpétuel est ainsi amorcé, en associant vie personnelle et écriture: le départ pour la Russie des tsars est bien réel mais, de façon plus prosaïque, il s’agit d’un projet organisé et planifié par la famille, en 1904, pour que le jeune Freddy devienne commis bilingue français-allemand chez M. Leuba, horloger-bijoutier suisse à Saint-Pétersbourg. Les archives mettent peut-être à mal la légende, mais elles ne l’empêchent pas d’exister: ce que Cendrars nous offre est un texte littéraire, et c’est lui qui nous séduit et nous intrigue, en tant que chercheur et lecteur. Dans Vol à voile, la fugue est donnée comme source vive de l’œuvre à venir par l’auteur-narrateur de 45 ans convoquant ses années de jeunesse: «En somme, rien n’est inadmissible, sauf peut-être la vie, à moins qu’on ne l’admette pour la réinventer tous les jours!… Propos d’après boire, dira-t-on. Oui, peut-être, mais aussi dangereuse boutade d’un esprit enthousiaste, insatiable et insatisfait dont je subis la fascination et sentis le souffle m’enfiévrer, car, comme d’un briquet biscornu peut jaillir une étincelle précaire, mais suffisante pour déclencher un incendie dans un milieu approprié, cette simple boutade d’ivrogne suffit pour ravager mon adolescence et me brûler toute ma vie.»

Quand tu aimes, il faut partir

L’œuvre de Cendrars est truffée de personnages, de lieux ou de références qui attestent de sa connaissance du pays, mais il n’est guère pertinent de les inventorier pour pouvoir affirmer que Cendrars est bel et bien Suisse! Il n’a eu de cesse de passer les frontières, qu’elles soient identitaires, géographiques ou génériques, refusant toute catégorie pour pouvoir rester maître de lui-même. Cosmopolite sans doute, transnational certainement, Cendrars s’est construit une place à sa démesure.

Depuis le «bout du monde», il est progressivement revenu en Suisse, d’abord par son mariage, ses séjours réguliers durant les années 50, puis à travers ceux qui se sont intéressés à son œuvre en créant des associations, en organisant des colloques, des spectacles, des lectures ou encore des expositions… Depuis le centenaire de sa naissance, en 1987, Cendrars a réintégré une Suisse qui s’était métamorphosée pour l’accueillir, grâce à un beau syllogisme: Cendrars est un exilé, un passeur de cultures, un écrivain polyglotte; la Suisse est un lieu de passage, un lieu de refuge pour les exilés et simultanément un espace multilingue, donc Cendrars est Suisse! Après une telle pirouette, plus personne n’a besoin de partir puisque le pays est une Cendrarsie qui s’ignore…

Laissons la boutade et retrouvons Nicolas Bouvier qui, en 1996, faisait l’éloge des Suisses pérégrins dans son Echappée belle: «Je veux célébrer ici une Suisse dont on parle trop peu: une Suisse en mouvement, une Suisse nomade depuis deux mille ans par la tentation et la passion «d’aller et venir». Ce silence et cette omission m’irritent. Ce nomadisme m’intéresse.»

Bouvier en appelle à un changement de perspective qui fait écho au rire de Cendrars notant «écrivain suisse» en 1952: à cette époque encore, les lettres romandes se définissaient sous le signe de l’introspection et de l’enracinement, représentées par Ramuz, Amiel ou encore Gustave Roud. Avec Cendrars, tout comme avec Bouvier, le regard s’est tourné vers un ailleurs à vivre autant qu’à imaginer. Bouvier veut faire surgir ceux qui, comme lui, sont partis depuis la Suisse: ces pérégrins permettent d’enrichir le portrait de la suissitude littéraire, capable de produire autant «de malades de l’introspection» que de fugitifs irréductibles.

Point d’exclamation

Il faut se réjouir de la reconnaissance que la Suisse peut accorder à l’un des plus grands écrivains de langue française du XXe siècle, sans la lier à la nécessité d’avoir habité le sol confédéral. Notre pays s’est souvent senti peu autorisé à reconnaître une puissance créatrice et ne s’y prêtait qu’une fois la renommée établie à l’étranger. Sans doute Cendrars n’a-t-il pas facilité les choses en renvoyant l’image d’un aventurier-bonimenteur, d’un raconteur d’histoires qui ne correspondait guère à la catégorie «homme de lettres» et n’était pas faite pour rassurer. Le portrait avec borsalino et cigarette au bec aura longtemps fait diversion, permettant à chacun de s’en faire une idée sans avoir lu les textes. Mais n’était-ce pas là déjà une modernité médiatique?! Il n’est pas abusif de faire de Cendrars un précurseur, ayant agi tant sur les processus d’écriture que sur la réception de celle-ci.

Aujourd’hui, ses nombreux lecteurs découvrent une œuvre que les éditions critiques ainsi que les recherches menées depuis trente ans ont largement cartographiée, en transformant le portrait de l’auteur et en proposant des voies d’accès au foisonnement de ses textes. Les archives de l’écrivain, grâce à des aléas qu’il n’avait sans doute pas imaginés, sont devenues propriété de la Confédération suisse en 1975 et le fonds Blaise Cendrars est l’un des plus importants des Archives littéraires suisses de la Bibliothèque nationale. Cet ensemble est un monde vivant qui permet de nouvelles éditions des textes, telle l’entrée récente des Œuvres autobiographiques dans la Bibliothèque de la Pléiade ou de volumes de poche, mais aussi une meilleure connaissance de l’auteur en lien avec son époque, grâce à l’initiative des Editions Zoé qui publient ses correspondances avec des personnalités très diverses: l’Américain Henry Miller par exemple, ou le prolétarien Henry Poulaille, sa femme Raymone, durant les années de guerre, ou encore, correspondance de toute une vie, son frère Georges Sauser-Hall, devenu professeur de droit international à Genève. Toutes les pièces de ce puzzle recomposé que sont les archives actualisent sans cesse l’œuvre et offrent un espace de découverte exceptionnel qui projette tout chercheur au bout du monde.

Dès lors, quelle n’a pas été ma surprise quand Pro Helvetia, qui représente les arts du pays hors de nos frontières en ayant une vocation transnationale fondamentale, a refusé en 2013 son soutien à un projet d’exposition et de colloque, en Russie, à l’occasion du centenaire du premier livre simultané, Prose du Transsibérien, en me répondant avec conviction: «L’écrivain est mort…» Le point d’exclamation initial, celui de Cendrars, ne suffit plus à rendre compte de ma stupeur: ne devrait-on pas considérer qu’un écrivain est mort lorsqu’il n’a plus de lecteurs?

Il faudra sans doute du temps avant que cette question, désormais de gestion institutionnelle, soit posée de façon plus officielle. D’ici là, je me réjouis que la ville natale de l’écrivain le mette à l’honneur durant tout cet hiver, après Le Corbusier et Chevrolet. Né au 27, rue de la Paix, Cendrars revient «au cœur du monde» tout en emmenant les habitants de la ville et ses visiteurs dans le monde entier: il a quitté La Chaux à l’âge de 7 ans et n’y est plus revenu. Quelle importance? Exposer l’œuvre de Cendrars, la faire lire et la faire aimer, c’est choisir un point focal et rayonner à partir de celui-ci: à La Chaux-de-Fonds aussi, on est «emmené au bout du monde!…»

A voir: «Blaise Cendrars au cœur des arts». Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds. Jusqu’au 1er mars.

A lire: «De Frédéric Sauser à Blaise Cendrars. Résonances à La Chaux-de-Fonds et en Suisse». De Laurent Tatu et François Ochsner. Editions G d’Encre, 112 p.


L’auteure Christine Le Quellec Cottier

Maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne et directrice du Centre d’études Blaise Cendrars. Auteur notamment de Blaise Cendrars, un homme en partance, PPUR, Savoir suisse, 2010, et Aujourd’hui Cendrars, Champion, 2012. www.cebc-cendrars.ch


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