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La belle et la bête de course

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le 12/04/2017 par Fabien Rouschop

Driss et Caroline El Himer le jurent : ils ne parlent pour ainsi dire jamais de course à pied à la maison. Et pourtant, leur quotidien, chez eux à Geudertheim, tourne majoritairement autour de ce sport qui fait d’eux l’un des couples les plus prolifiques de la discipline en Alsace.Photos  L’Alsace/ Jean-Marc Loos

Driss et Caroline El Himer le jurent : ils ne parlent pour ainsi dire jamais de course à pied à la maison. Et pourtant, leur quotidien, chez eux à Geudertheim, tourne majoritairement autour de ce sport qui fait d’eux l’un des couples les plus prolifiques de la discipline en Alsace.Photos  L’Alsace/ Jean-Marc Loos

C’est un samedi après-midi comme un autre pour la famille El Himer. Caroline prépare l’une ou l’autre pâtisserie en cuisine, Driss va bientôt s’en aller diriger un entraînement à Brumath, Jade (7 ans) est à son cours de clarinette et Maude (6 ans) fredonne un air de la Reine des Neiges dans sa chambre. Dehors, un beau soleil printanier inonde la magnifique bâtisse construite il y a quatre ans dans ce nouveau quartier de Geudertheim, coquet petit village de 2500 habitants au nord de Strasbourg.

Rien ne semble pouvoir troubler le calme apparent. Et pourtant, le quotidien des El Himer s’accélère bien plus souvent qu’à son tour, jusqu’à atteindre chaque dimanche une vitesse moyenne de 16 à 20 km/h, quand maman et papa chaussent leurs baskets et trustent les podiums des courses de la région. Pour Driss, c’est désormais un hobby après avoir été un vrai métier qui l’a vu revêtir le maillot de l’équipe de France à 27 reprises, être l’un des tout meilleurs spécialistes mondiaux de cross-country entre 1998 et 2010 et participer aux Jeux Olympiques d’Athènes sur marathon en 2004. Pour Caroline, cette passion a ressuscité il y a trois-quatre ans pour bien vite se muer en véritable razzia : depuis 2014, Madame El Himer a accumulé la bagatelle de 36 victoires sur route, renouant le fil d’un sport qui ne la comblait pas plus que ça du temps où elle s’appelait encore Caroline Gross.

« Raciste ou pas raciste, je dis bonjour à tout le monde »

C’est pourtant bien au détour d’un cross, la discipline qu’elle aime le moins, qu’elle va tomber sous le charme de son futur époux. Nous sommes à Chartres, le 7 mars 1998. La blondinette de Geudertheim, grande et fine comme les asperges qui poussent à deux pas de sa maison, se retrouve dans le même hôtel qu’un beau brun de 23 ans, soldat de la légion étrangère arrivé un an et demi plus tôt de son Maroc natal. Driss ne parle quasiment pas un mot de français, « mais c’est lui qui m’a draguée ! » , jure Caroline.

Le lendemain, elle remportera le titre de championne de France juniors par équipes avec les demoiselles de l’Unitas Brumath, avant que son légionnaire ne décroche à la surprise générale la première de ses huit couronnes nationales Élite, à la faveur d’une naturalisation express opérée quelques jours auparavant.

« Il m’a offert son bouquet de vainqueur et à partir de là, il n’a pas arrêté de m’appeler, se remémore-t-elle. On a caché notre relation jusqu’en 2001-2002. Puis, en 2003, on a emménagé ensemble à Brumath, juste après son record sur marathon à Paris (2h06’48’’) . »« Jusque-là, je venais une à deux fois par mois à Strasbourg, rappelle Driss, alors basé au 1er Régiment étranger à Aubagne. À chaque fois, c’était avion, hôtel et resto. J’étais célibataire, je gagnais plutôt bien ma vie grâce à l’athlé, donc j’utilisais mon argent pour voir Caroline dès que je le pouvais. »

L’étonnement, pour ne pas dire la désapprobation, a pris le relais quand le couple mixte s’est affiché au grand jour. « Un musulman, Marocain d’origine, parlant mal le français, soldat de la légion étrangère et dont le boulot était de courir, ça faisait beaucoup pour le milieu d’où je venais, soupire la Geudertheimoise de 35 ans. Jusqu’au lycée, j’avais surtout été confrontée aux idées d’extrême-droite. Au début de notre relation, ça a été dur, et ça l’est encore parfois aujourd’hui. » Car Driss a beau faire partie du paysage local depuis bientôt quinze ans et être Français depuis encore plus longtemps, le contexte arabo/islamophobe post-attentats et le racisme ordinaire lui rappellent régulièrement ses origines. Encore récemment, on lui a déboulonné l’une des roues de sa Twingo pendant qu’il s’entraînait et même vertement invité à rentrer chez lui au milieu d’un footing en forêt…

Pas du genre à s’apitoyer, le gamin de Tiflet, à 50 kilomètres de Rabat, prend les choses avec philosophie. « Raciste ou pas raciste, je dis bonjour à tout le monde, ça fait partie de mon éducation, indique-t-il posément. Et puis, je n’ai rien à me reprocher… » Caroline, elle, s’est réconciliée avec la société grâce au Théâtre national de Strasbourg, où elle fait carrière depuis 2003 dans les ressources humaines. « Je m’occupe notamment des contrats des intermittents. Je me suis très vite sentie à l’aise dans ce milieu où on se fiche pas mal que tu sois blanc, noir, arabe ou gay. »

« Driss, plus t’es nul, plus tu l’intéresses »

Pour ne rien gâcher, son emploi du temps lui permet de s’entraîner entre midi et deux, après l’avoir longtemps fait en poussant la charrette dans laquelle ses deux petites filles s’endormaient au bout de quelques centaines de mètres. « Cette charrette, c’est le seul élément de la petite enfance de Maude et Jade que j’ai gardé, sourit la fille du maire de Geudertheim, tellement mordue qu’elle se cache parfois pour aller s’entraîner, de peur de se faire gronder par son coach de mari. Driss était très souvent absent à l’époque, alors ces sorties avec les filles, c’était un moyen pour moi de m’évader, de respirer. Je n’allais quand même pas payer une nourrice pour que ‘‘madame’’ aille courir… Et puis, en 2012, l’envie de faire de la compétition est revenue, après huit ans de pause. La charrette m’avait renforcée physiquement. Alors quand j’ai fait le 10 km des Courses de Strasbourg 2013 en 50 minutes en poussant les filles, je me suis dit que ça pouvait valoir 40 minutes toute seule. » Trois ans plus tard, Caroline El Himer a porté son record à 35’41’’ lors des Foulées de Rosenau et compte bien l’améliorer ce samedi au même endroit.

Driss, parrain de l’épreuve frontalière, sera là aussi, mais « à la cool ». Désormais bien plus intéressé par l’avenir de ceux qu’il entraîne que le sien, l’international tricolore se contente de quatre petites sorties par semaine. « Aujourd’hui, c’est au feeling, mais bon, quand on passe de 12-13 séances hebdomadaires à quasiment plus rien, on le sent, indique-t-il malicieusement. À mon âge (43 ans) , c’est surtout la récupération qui est difficile. Mais bon, tout ça ne me manque pas, surtout pas le monde du haut niveau, tellement hypocrite et ingrat. Mon petit plaisir à moi, c’est juste de réussir encore à courir un 10 km en 30 minutes et à battre des petits jeunes de temps en temps. »

Parallèlement, son auto-entreprise de coaching a vu près de 230 adultes faire appel à ses services, entre deux groupes à Strasbourg, trois à Mommenheim et un dernier, exclusivement féminin, à Eckwersheim. Sans compter les cours individuels et ces quelques amis qui lui ont demandé de les préparer au prochain marathon de Berlin. Soit un temps plein « de 40 heures par semaine » , entièrement dédié à des coureurs amateurs. « Driss, plus t’es nul, plus tu l’intéresses » , résume Caroline.

« On passe pour les fous du village »

« Entre les filles, le boulot et les entraînements, on est au taquet du matin au soir, constate le natif de Khezazna. On passe un peu pour les fous du village à courir partout tout le temps. Mais on n’a rien sans rien. » Tant pis pour le jardin qui n’en est toujours pas un derrière la maison et tant pis pour ces retrouvailles devant la télé, le soir vers 22 h, qui les voient généralement sombrer au bout d’un petit quart d’heure… « Cela dit, on a toujours fait passer la famille avant, affirme Caroline, dont la progéniture se voit pour l’instant plus sur le podium de « The Voice » que celui des courses de Schirmeck. On est bien organisé, on cuisine tous les jours, on reçoit nos amis, on se fait inviter et on ne se refuse rien. Bref, on ne vit pas que pour la course à pied… »

La preuve, l’autre dimanche, ils sont allés courir un 10 km à Paris - Caroline a fini 1re féminine, Driss 2e masculin - avant d’emmener Jade et Maude à Disneyland. « Dans ce cas-là, il faut prendre un peu sur soi pour faire la queue pendant 50 minutes alors que t’as les jambes en compote… (rires) Quand on est rentrés, on était rincés. » Et, comme chaque fin de dimanche ou presque, les deux gazelles de Geudertheim se sont regardées : « Dis, c’est toi qui fais les pâtes ce soir ? »


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