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Dans la Légion étrangère, la guerre russo-ukrainienne n’aura pas lieu

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Alexandre Lévy, Aubagne Publié mardi 1 mai 2018

Près de 40% des recrues de la Légion étrangère en France sont aujourd’hui originaires de l’ex-URSS. Parmi elles, de nombreux Russes et Ukrainiens dont la solidarité – et pour certains l’amitié – a survécu à la détérioration dramatique des relations entre leurs deux pays

Deux hommes à la carrure imposante prennent place en silence d’un côté de la table. A l’invitation de Vladyslav, le sergent-chef du service de communication de la Légion étrangère, ils arrachent d’un geste sec de leur poitrine le scratch qui indique leur nom de famille et leur groupe sanguin. Cela doit rester confidentiel. Iouri, 43 ans, dont presque vingt ans de Légion, est originaire de Moscou. Volodymyr, 41 ans dont quinze sous le képi blanc, est, lui, Ukrainien. Il vient d’un petit village près de Dnipropetrovsk, dans l’est du pays. «Et maintenant vous aimeriez qu’on s’en mette plein la gueule, c’est ça?» demande très sérieusement Iouri, puis les trois hommes en treillis éclatent de rire.

Nous sommes à Aubagne, dans le sud de la France, dans le centre de commandement de la Légion étrangère, ce corps si particulier de l’armée de terre française qui, depuis 1831, accueille dans ses rangs des étrangers prêts à se battre – et à mourir – pour un pays qui n’est pas le leur. Depuis la chute du mur de Berlin, les Européens de l’Est y constituent près d’un tiers des recrues, atteignant certaines années les 40%.

«Il n’y a qu’une seule nationalité: légionnaire»

Un peu comme avec les demandeurs d’asile, les vagues successives correspondent ici aux soubresauts récents de l’histoire du Vieux-Continent. Ainsi, au début des années 1990, les Polonais se sont effacés au profit des ex-Yougoslaves, puis sont arrivés les Bulgares, les Russes, les Biélorusses, les Ukrainiens ou les Moldaves. Aujourd’hui, les ex-Soviétiques représentent le gros des troupes: Slaves et orthodoxes dans leur immense majorité, ils parlent presque tous le russe.

Pour ce qui concerne la génération de Iouri et de Volodymyr, ils sont aussi nés et ont grandi dans un seul et même pays, aujourd’hui défunt, l’URSS. «Ici, il n’y a qu’une seule nationalité: légionnaire», précisent les deux hommes de concert. Leur code d’honneur dit: «Chaque légionnaire est ton frère d’armes quelles que soient sa nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille.»

Les officiers français ne cachent pas leur admiration devant ces hommes venus de l’ex-URSS. «Ils sont d’excellents combattants et ont une grande capacité de résilience et d’adaptation», témoigne le capitaine Cédric, qui prépare une prochaine mission en Géorgie. Ils sont aussi soulagés que le conflit russo-ukrainien n’ait pas eu d’effet sur leur loyauté, et aiment mettre en avant le rôle égalitaire mais aussi prodigieusement intégrateur de la Légion.

«Guerre médiatique»

Iouri et Volodymyr sont là pour en témoigner. Tous les deux se souviennent de ce jour de 2014 où leurs deux pays sont devenus ennemis. L’annexion de la Crimée, puis la guerre du Donbass… «Un mauvais film», affirme Volodymyr. «Un cauchemar», renchérit Iouri. Les deux hommes disent avoir suivi l’actualité à la télévision, se méfiant de la propagande et de la désinformation. Face à cette «guerre médiatique», ils se sont retranchés dans leur francité (ils ont été naturalisés tous les deux au bout des cinq ans réglementaires), leur famille et leur travail.

Leur amitié — Iouri est le parrain des enfants de Volodymyr et vice versa ­ — est restée intacte, même si les deux hommes n’ont, visiblement, pas été touchés de la même façon par les événements chez eux. Alors que Iouri, avec sa petite famille, continue de rendre tous les ans visite à ses parents à Moscou, Volodymyr, lui, n’est rentré qu’une seule fois pendant toutes ces années, et c’était pour enterrer son père. A l’écouter, on a l’impression que la révolution de Maidan et tout le reste s’est passé sur une autre planète et ne le concerne pas; en revanche, la paupérisation de l’est de l’Ukraine est bien réelle. «Personne n’abandonne son pays s’il peut y vivre décemment», dit-il.

De rares embrouilles

Vladyslav, le sergent-chef de la com, lui-même originaire d’Ukraine, assure qu’il n’a pas connaissance d’embrouilles ou même de tensions entre Russes et Ukrainiens de la Légion. A une ou deux exceptions près, assez «pitoyables» affirme-t-il, aucun d’entre eux n’est parti se battre sur place comme l’avaient fait il y a une décennie leurs camarades d'ex-Yougoslavie, lors de l’implosion de leur pays. Certains d’entre eux s’étaient alors illustrés de manière particulièrement sanglante dans cette guerre fratricide, à l’instar du Serbe Milorad Ulemek («Legia») ou du Croate Ante Gotovina.

En plus d’une tête bien vissée sur les épaules, Iouri et Volodymyr ont peut-être aussi un autre secret pour ne pas basculer dans la haine: la musique. Tous les deux sont des légionnaires combattants à part entière (à ce titre, ils effectuent ensemble des opérations Sentinelle sur le territoire français), mais le front sur lequel ils brillent le plus est la célèbre fanfare de la Légion. Une soixantaine de musiciens de choc qui défilent avec les célèbres «pionniers» (affublés de tabliers orange) tous les ans sur les Champs-Elysées. Ils ont aussi fait le tour du monde, en ambassadeurs de la France et de leur unité, et assurent l’animation lors de la plus grande fête de la Légion, Camerone, qui s’est tenue le 30 avril pour commémorer le sacrifice des leurs lors de la bataille mythique du même nom au Mexique en 1863. Iouri tient la trompette, Volodymyr le trombone. Parce que leur «véritable combat, c’est la musique».


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