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"La Légion ne pleure pas ses morts, elle les honore" : en Franche-Comté, dernier hommage à Kevin Clément, tombé au Mali

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Publié le 02/09/2020 Par Vladimir de Gmeline

"La Légion ne pleure pas ses morts, elle les honore" : en Franche-Comté, dernier hommage à Kevin Clément, tombé au Mali

Kévin Clément.

Il avait vingt-et-un ans, était légionnaire et originaire d'un petit village de Franche-Comté, Abelcourt, près de Luxeuil-les-bains. Il est tombé au Mali le 4 mai. Trois mois plus tard, ceux qui n'avaient pas pu lui rendre hommage à cause du confinement se sont retrouvés ce samedi 29 août.

 

C'est un coin de campagne pluvieux, un samedi matin de la fin du mois d'août, entre Luxeuil-les-bains et le petit village d'Abelcourt, au cœur de la Franche-Compté. C'est loin, c'est beau, et à l'aube, dans l'avenue des Thermes encore faiblement éclairée par le halo des lampadaires, d'élégantes vieilles dames tenant leur petit sac de sport se rendent à leur séance de cure. La station de Luxeuil est réputée pour la douceur de son eau et ses bienfaits pour la peau.

Des immeubles fatigués, des hôtels fermés, signes d'une prospérité passée, comme dans beaucoup de ces villes à l'écart des grands axes, mais où l'on sent pourtant l'énergie de ceux qui continuent d'y croire. Le casino, son cinéma, les restaurants, et les adolescents qui filent à deux sur un vélo, à fond dans la pente une fois la nuit tombée. Kevin était sans doute de ceux-là, rêveur, enthousiaste et avide de sensations. Le 4 mai, alors que la France confinée espérait retrouver la vie à l'air libre, il a donné la sienne, loin dans les sables du Mali. Il avait vingt-et-un ans, il était légionnaire, et Luxeuil-les-bains a perdu un enfant du pays.

Kevin Clement, en mission au Mali - DR

« Kevin !? J'ai été son surveillant au lycée Lumière, pendant trois ans, de la seconde à la terminale. On discutait beaucoup, il était plus mûr que les jeunes de son âge ». Guillaume Locatelli, le chauffeur de taxi, a appris la nouvelle par les réseaux sociaux, comme tout le monde. Aujourd'hui, on apprend tout par les réseaux sociaux. Il porte un masque pour conduire, et tous les participants à la cérémonie de ce matin en porteront un. Les funérailles du brigadier Kevin Clément, tué lors d'un accrochage avec les jihadistes de l'EIGS, dans le Liptako Gourma, dite région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina-Fasso), se sont faites en mai dans la plus stricte intimité, Covid oblige. Aux Invalides et à Carpiagne, où est stationnée son unité, le 1er REC (Régiment étranger de cavalerie).

"il était affirmé, avenant"

Jean-Marc, son père, Christine, sa mère, et Morgane, sa petite sœur, y avaient rencontré, unis dans la peine, les parents du brigadier Martynyouk, ukrainien appartenant lui aussi au REC, mortellement touché quelques jours plus tôt par l'explosion d'un IED (Improved explosive device), une bombe artisanale. Trois mois plus tard, en ce jour où le nom de Kevin sera dévoilé sur le monument aux morts de son village d'Abelcourt, aux côtés de ceux de 14-18 et de 39-45, et de Luxeuil, où il sera le seul sur la nouvelle stèle « Opex » qui vient d'être dressée, les visages seront toujours dissimulés. Mais les proches, les amis, les anonymes et les légionnaires, en service et anciens, venus de toute la France, seront là.
« Il était affirmé, avenant, ce n'était pas le genre de gars qui posait de problème », continue l'ancien pion du lycée, « pendant trois ans, de tous les élèves, c'est celui dont j'ai été le plus proche, avec lequel j'ai le plus échangé. Je crois qu'il était plus avancé dans ses choix, dans ses projets, il cherchait la compagnie des adultes, des conseils. » Son désir de s'engager dans la Légion étrangère, comme son père Jean-Marc, vétéran de la première guerre du Golfe, il en parlait souvent : « Quand il m'a annoncé qu'il partait, j'étais content pour lui. Dans sa tête, c'était ça ou rien. Il n'aura pas profité longtemps de son rêve... »

"Kevin voulait faire carrière"

Devant le cimetière où attend déjà la foule, il y a Théo, Judikael et Julien, trois copains de lycée et de fête. Ils se connaissaient depuis leur adolescence, et Théo, qui s'est ensuite engagé dans un régiment du Génie, a servi avec lui comme sapeur-pompier volontaire : « La dernière fois qu'on l'a vu, c'était l'année dernière, à Fresse-sur-Moselle. » « Quand on faisait une soirée, il était présent » sourient-ils, « il savait déconner, mais dans la journée il était droit. Une fois engagé, on l'a trouvé encore plus mature, ouvert, épanoui, il nous racontait sa passion, ce qu'il faisait en dehors, des tas d'anecdotes. » Théo se souvient des gardes, de leur dernière intervention sur un feu de cheminée, de son goût pour l'organisation et l'encadrement, de sa transformation physique après ses classes au 4ème RE (Régiment étranger) de Castelnaudary, la maison mère, là où passent tous les futurs képis blancs - les légionnaires : « Kevin voulait faire carrière, aller plus loin. Il voulait écrire son parcours. » Quelques jours avant l'accrochage, ils se parlaient « sur snap », évoquaient la soirée qu'ils feraient au retour de leur ami : « Quand on a appris la nouvelle, on n'y croyait pas, on a dû relire plusieurs fois l'article. Voir des gens partir au combat et ne pas revenir, on sait que ça arrive, mais quand c'est un proche... »
Le lieutenant Leconte, le chef du centre des sapeurs-pompiers de Luxeuil, évoque la photo de Kevin qui devrait bientôt orner le hall de la caserne, à côté de celle du sergent Bonnot, un autre volontaire, mort au feu en 1959 : « Kevin, on avait du mal à l'imaginer dans la Légion, il avait une tête d'enfant. » Une tête d'enfant, oui, mais sur toutes les photos, au milieu de ce visage poupin, il y a ce regard bleu incroyablement décidé. Cette détermination, c'est ce dont se souvient aussi le maréchal des logis Arnaud, son chef de groupe au REC, un jeune homme originaire de l'Ile Maurice, discret mais bloc de muscles, arrivé par le train de Marseille : « Je voulais être là, aux cotés de la famille et de son père, avec lequel je communique régulièrement par Skype. Kevin, quand il est arrivé, il était timide, et puis il s'est affirmé. On a tellement de souvenirs ensemble, le stage d’aguerrissement aquatique en Martinique, il était leader, toujours volontaire, emmenait tout le monde sur le même chemin. » « Son père, il en parlait tout le temps, il en était très fier » continue-t-il, « et puis Kevin il avait quelque chose de particulier, c'était un des rares Français képi blanc. Chez nous, l'écrasante majorité est d'origine étrangère. »
Quand Kevin a été touché à la tête, le maréchal des logis était détaché sur un autre élément du GTD (Groupe tactique désert) Montclar : « J'étais sur Carmin, avec les fantassins du 2ème REI (Régiment étranger d'infanterie), lui était avec Jaune. On a appris qu'il y avait un blessé « alpha ». On savait que c'était grave. Quand j'ai su que c'était lui, j'étais mal, je ne vais pas mentir. Kevin c'est un de mes légionnaires, mais c'est aussi un ami. Mais je commande des bonhommes, on est au combat, je ne pouvais pas être affaibli. » Il reprend : « C'est une grosse perte pour la Légion. Il aurait pu faire carrière facilement. Il avait tout. »

Le manque d'un fils

Du cimetière au monument aux morts, où la sonnerie retentit, jouée par deux hommes d'un régiment de zouaves en uniforme traditionnel, puis à Luxeuil dans l'après-midi, les discours se succèdent, maire, sous-préfet, préfet, sénateur, député. Le maire d'Abelcourt, évoque la famille, la mère qui travaillait au centre communal d'action sociale, ces gens que tout le monde ici a toujours connu, au milieu de ces champs et de ces bois, devant cette église : « Pour nous, ce nom inscrit au monument aux morts de la commune a un visage : Le visage de l’enfant qui jouait avec ses camarades dans les rues. Le visage de l’adolescent qui a 14 ans s’engageait chez les pompiers. Le visage du jeune homme qui a 19 ans s’engageait dans l’armée française quittant ses parents, sa famille, ses amis. Le visage du militaire, venu d’un petit village de Haute-Saône, qui est mort pour la France en opération dans le désert malien à 3.500 km de chez lui. »
Sur les rangs, impeccablement alignés et visages burinés, des bikers en gilet de cuir. Ce sont les membres du « Béret vert Brotherhood », des motards, anciens légionnaires ou sympathisants cooptés. Une confrérie créée en mémoire du sergent Penon, du 2ème REP (Régiment étranger de parachutistes), tué le 18 août 2008 lors de l'embuscade d'Uzbin, en Afghanistan. Une trentaine de passionnés, venus de toute l'Europe. Gone, Pat, Porter, Doume et Padre ont roulé sous la pluie, sur leur Harley, pour venir soutenir Jean-Marc, leur frère d'armes dont les yeux ne cessent de rougir, et qui lutte contre la culpabilité d'avoir fait naître chez son fils le désir de porter l'uniforme.
Kevin et Jean-Marc prenaient leurs gardes ensemble à la caserne de Luxeuil, où le père, qu'on appelle « le vieux », est une institution, comme le raconte Fabien, volontaire qui ne se voyait « pas ne pas venir aujourd'hui ». Une culpabilité dont le général Mistral, qui commande la Légion étrangère et est arrivé comme jeune lieutenant au régiment quand Jean-Marc le quittait, en 1991, et ses camarades, ses amis de partout, cherchent à le débarrasser. Mais outre ce sentiment, on sent surtout ce manque d'un fils qui était aussi un frère, avec lequel il partageait passions et enthousiasmes, goût du service, des autres et du pays, un amour de la France qui pousse à l'oubli et au don de soi.

"Cette fraternité, c'est essentiel"

« On est là pour ça », dit Padre, barbu souriant qui fut dans le même escadron que Jean-Marc, qu'il n'avait pas vu depuis 1989. Après la cérémonie au village, le vin d'honneur prévu a été annulé en raison des « conditions sanitaires ». Mais dans le hangar de la maison de Jean-Marc, qui travaille comme conducteur de chaudière dans une scierie voisine, on s'est arrangé... On a garé les Harley à l'extérieur, sous le grenier où dort le « Brotherhood » dans ses duvets, comme avant. « Cette fraternité, c'est essentiel » continuent-ils, « on sera toujours là, on est marqués à vie et on se reconnaît. Il faut se rappeler de deux choses : « La Légion ne pleure pas ses morts, elle les honore ». Et « Legio Patria Nostra » : la Légion est notre patrie. » Ils sont civils maintenant, travaillent dans le transport, les assurances et la sécurité, mais de leurs valeurs, rien n'a bougé.
Le capitaine Baudouin, trente-deux ans, était le commandant d'unité de Kévin. Ce Saint-Cyrien déjà aguerri, avec trois séjours au Mali, appartient à ces nouvelles générations d'officiers qui, depuis le début des années 2000, ont accumulé les missions de combat. Son escadron faisait partie des deux qui, avec une compagnie du 2ème REP, ont été déclenchées pour partir et renforcer le dispositif français à la suite du sommet de Pau : « J'ai rappelé Kevin, qui était en stage de brigadier à Catelnaudary, pour qu'il participe à la mission. Sa spécialité d'auxiliaire sanitaire était précieuse. Cet escadron, mélange de jeunes et d'anciens, a très bien fonctionné, et nous avons travaillé avec les Maliens et les Nigériens, qui sont très bons et montent en puissance. »
Il évoque les liens très forts noués entre ces hommes qui souvent n'ont pas de famille et qui en trouvent une à la Légion, l'importance de fêter Noël tous ensemble pour ne laisser personne, seul au quartier, la responsabilité et les questionnements du chef : « On a énormément bougé durant cette mission, cinq mille kilomètres dans le Liptako-Gourma. Kevin, je le connaissais bien. Parce que c'était un garçon marquant, tourné vers les autres. Il allait bientôt être affecté à l'infirmerie. Des accrochages, avec des groupes de djihadistes en pick-up et à moto, nous en avons eu une demi-douzaine. » Ce n'était pas le baptême du feu de Kevin, qui s'était déjà battu quelques jours plus tôt : « Le jour où il a été touché, c'est nous qui les avons débusqués dans un village et les avons poursuivis. » A ses camarades, le jeune capitaine a dit que sa mort, pour combattre les djihadistes, loin de chez eux, loin de chez lui, « avait du sens ».
Devant le hangar, avant de rejoindre Luxeuil pour la cérémonie de l'après-midi, les bikers ont fait tourner les moteurs et emmené ceux qui le voulaient faire un tour. Morgane a adoré. Ils lui ont promis qu'ils l'emmèneraient à nouveau. Et chez eux, les promesses, on n'a pas besoin de les répéter.

Traduction

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