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ALBERT ERLANDE

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Il y a beaucoup d’écrivains en vers, mais il y a peu de poètes. Pour ma part, je n’en vois presque pas aujourd’hui parmi les jeunes. Non pas que je les dénigre, étant moi-même de leur génération et n’ayant jamais commis, autrefois, que quelques mauvais vers, à la manière des magistrats dans leur adolescence. Mais simplement parce que j’assiste, depuis la fin du symbolisme, à une singulière stérilité poétique. Notre génération littéraire a beaucoup de dons mais elle ne brille ni par l’enthousiasme, ni par l’abondance des idées et des sentiments. Elle est fort adroite et connaît merveilleusement les ressources de la rhétorique. En revanche, en dehors du roman, où elle excelle, et de la critique, où elle sévit, je ne vois pas qu’elle ait grand’chose à dire.

Après tout, c’est bien naturel. Le reflux succède au flux. Après le mouvement qui nous a donné Verhaeren, Régnier, Merrill, Jammes. Mauclair, Elskamp, Vielé-Griffin, Jean Dominique, Klingsor, etc., il y eut une réaction qui, menée par des gens sans verve poétique ni intuition musicale, est systématiquement retournée, en prosodie, aux vieilles formes fixes dont l’harmonie mathématique et monotone tient lieu de tout lyrisme, et, en inspiration, aux sujets, aux anecdotes, aux idées développables par des artifices logiques. La poésie actuelle est redevenue de la littérature ordinaire, écrite en vers classiques.

Car sauf des exceptions comme M. Milosz (dont les lieds sont étonnants), les poètes en vers libres sont peut-être plus pauvres encore que leurs confrères néo parnassiens : rien n’est plus lamentable qu’une idée prosaïque développée selon des rythmes qui veulent être libres mais qui ne parviennent qu’à être irréguliers, amorphes et faux.

Cet état de choses n’est triste que pour ceux qui considèrent la littérature comme une propriété rurale devant rapporter, bon an, mal an, un certain nombre de produits. Cette conception est naïve. Pour qui fréquente les classiques et qui sait par quelle sévère sélection aux sacrifices innombrables ils sont devenus tels, la stérilité relative d’une époque, durât-elle cinquante ans, n’offre aucune espèce d’importance.

Cependant au milieu de cette pénurie de poètes, il se présente d’heureuses surprises. M. Albert Erlande en est une.

Savez-vous que ce jeune homme, dont on a relativement peu parlé parce que, quoique connaissant admirablement les dessous de la vie de Paris et peut-être même à cause de cela, il n’a point voulu faire les démarches et consentir aux concessions que l’on y demande à tout esprit libre et fier, savez-vous qu’avant de publier le Défaut de l'armure (1), ce livre généreux, cruel et violent sur les déboires qui attendent à Paris un écrivain ingénu et de talent, il avait déjà écrit trois romans fort curieux, méprisants des formules consacrées jusqu’à la maladresse, mais à tout instant traversés d’intuitions rares, de belles images, de tragiques péripéties : Le Paradis des Vierges sages (2), la Tendresse (3), et surtout Jolie personne (4), livre bizarre entre tous? Savez-vous qu’avant cela, et en même temps, il écrivait, avec une abondance que d’aucuns trouvaient excessive mais au milieu de laquelle se présentaient toujours des choses intéressantes et belles, des poèmes qui furent réunis en volume sous ces titres : Les Échos et les Fleurs, Hélène (5), Odes et Poèmes (6), le Coeur errant (7), les Hommages divins (8). etc. Et je ne parle pas de la trilogie que depuis longtemps il prépare : Le Chant, la Détresse, la Flamme, drames dont je ne sais rien expressément mais qui doivent être remarquables s’ils, se contentent seulement de continuer l’évolution vers le pathétique et la grandeur que présageaient les pièces que  j ’ai lues autrefois de lui, mais qu’il n’a jamais voulu publier, les jugeant insuffisantes.

C’est dans ses poèmes surtout que se manifestait son tempérament. Et ce tempérament était absolument à part.

Malgré qu’il n’ait jamais innové en matière technique (ce qui est curieux de la part d’un poète aux inspirations aussi neuves et ce que, pour ma part, je regrette, car je ne sais pas jusqu’où aurait atteint la magnétique beauté de son talent s’il avait donné à la brûlante matière de ses odes une forme adéquate et nouvelle), malgré qu’il se soit restreint à l’emploi des expressions habituelles : alexandrin et octosyllabique, Albert Erlande a néanmoins montré à ceux, très rares, qui ont su le lire, qu’il était dans la plus pure et la plus essentielle tradition de la poésie.

Si, comme le prétend avec une justesse indiscutable M. Camille Mauclair, qui est le meilleur et à peu près le seul esthéticien de notre temps, « la poésie est cette chose mystérieuse qui naît lorsque l’érudition, la logique, la composition, l'idéologie ont fini de parler et ne semblent plus laisser de place qu’au " silence , Albert Erlande est un vrai poète, car il n’a précisément élevé la voix que pour chanter des états d’âme que l’érudition, la logique et l’idéologie ne peuvent même pas deviner et devant lesquels ses contemporains sont restés silencieux. Ce sont des rêveries élyséennes et hors la vie ; vous y rencontrerez si peu d’anecdote, de réalisme et, pour tout dire, de prose, que si vous n’êtes pas attentif vous trouverez cela vague, indistinct et presque incompréhensible. Mais, si, réagissant contre la médiocrité de la versification actuelle à sujets fixes et à formes banales, vous avez envie de comprendre et d’aimer, de trouver quelque chose de nouveau, alors vous serez infiniment et subtilement séduit par ce lyrisme à la Shelley, purement spirituel, aux images grandioses et indéterminées. C’est une poésie d’âme, chaste et blanche, légère, envolée, mystérieuse. Tout y est amorti : passion, colère, amour, mélancolie, comme les bruits et les formes dans la neige, et tout y prend un sens nouveau, à peiné tracé, aérien, étrange. Ici le mot « comprendre » perd sa densité et sa valeur puisqu’il s’agit de tout autre chose que d'intelligence et d’idéologie et de développement rhétorique. C’est s e n tir qu’il faut, et si vous ne sentez pas, vous êtes perdu, égaré dans un paysage imprévu. Lorsque vous tenez une image, ne cherchez pas à la suivre jusqu’au bout de sa logique mais laissez-vous conduire, avec une volonté moins âpre, moins prosaïque d’arriver à une conclusion matérielle. Alors cette' image, se défaisant graduellement, vous mènera par des chemins pareils à ceux où vous errez dans les rêves à une autre image, et ainsi de suite. Et lorsque vous aurez fini, il ne vous restera pas dans l’esprit cette satisfaction glacée d’avoir compris les idées générales du poème, analogue au morceau de charbon qui est non seulement la preuve et le déchet du feu, mais le souvenir ébloui et vague d’une flamme qui a passé, sans traces mais indubitable.

Une telle poésie, très semblable, je le répète, à celle des lyriques anglais, de Shelley à Browning, ne pouvait avoir de succès en France, où l’on n ’aime que l'éloquence, où Hugo, — c’est tout dire, — passe pour être notre plus grand poète.

Elle n ’en eut pas, en effet, et c’est pour nous que je le regrette, car Albert Erlande a reçu sa meilleure récompense du seul fait d’avoir pu rêver et écrire ses beaux vers. Mais je vois que je ne vous ai pas parlé de son dernier roman, L e Défaut de l'Armure . Eh bien, voici :
Imaginez qu’un poète, un vrai, vienne à Paris et essaie d’y imposer son nom, mais plus encore son idéal. Il se heurtera à la sottise payée de la critique, à la lâcheté de ses rivaux, à l’ignorance du public. Sa maîtresse le trompera, ses amis le trahiront, la vie du boulevard rongera ses énergies. Il ne verra partout que le triomphe de la médiocrité et de la vilenie. Les hommes de génie qu’il admire, la misère les tuera, tandis que la tourbe des gens de lettres, vaniteux, bêtes, voleurs d’idées, sans style, ni générosité, ni grandeur, réussiront, c’est-à-dire obtiendront l’argent, les places, les décorations, le succès et la célébrité.

Écœuré, il partira. Mais cette quotidienne confrontation au vice et à la bassesse parisienne l’aura à ce point déprimé qu’il ne sera plus capable d’effort ni pour le travail de l’esprit, ni pour son propre bonheur) personnel, et que, pauvre cœur tendre et enthousiaste, blessé au défaut de l’armure, il deviendra la proie d’une idée, celle du suicide, bientôt triomphante.

La mentalité du héros de ce livre s’éclaire soudain, lorsqu’on a lu les poèmes d’Albert Erlande, d’une lueur inattendue, car l’insuccès des vrais poètes n’est pas un fait matériel, mais bien purement spirituel, et la vraie poésie, toujours, partout, — qu’elle soit de forme fixe ou libérée, qu’elle soit tendre, confidentielle ou abstraite, — si elle est pure, si elle est vivante, si elle est sincère, si elle vient du mystère de l’âme, si elle est la p o é s ie , est destinée à l’incompréhension éternelle des peuples à qui elle s’efforce de parler.
 Francis de Miomandre
(1) A lbert Erlande. Le Défaut de l'Armure. Paris, Sansot.
(2) Id. Le Paradis des Vierges sages. Paris, Mercure de France.
(3) Id. La Tendresse. Paris, Ollendorff.
(4) Id. Jolie Personne. Paris, Mercure de France.
(5) Id. Hélène, poèmes. Paris, Mercure de France.
(6) Id. Odes et Poèmes. Paris, Mercure de France.
(7) Id. Le Coeur errant, poèmes. Paris, Mercure de France.
(8) Id. Les Hommages divins, poèmes. Paris, Sansot.

Traduction

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