J’ai longuement flotté sur les champs de bataille, Résistant bravement aux coups de la mitraille ; Maintes fois ma voilure épongea dans le vent Le sang des soldats morts, les pleurs des survivants.
Au sommet du pays je dressais mes couleurs, Témoignage vibrant de la Foi, de l’Honneur. Les anciens devant moi soulevaient leur chapeau, Qu’y a-t-il de plus beau que l’amour d’un drapeau ?
Mais la honte survint par un soir gris d’hiver : Ma hampe fut brisée par des mains étrangères. Lacérés, mes beaux plis sanglotaient en silence En voyant que ces doigts s’attaquaient à la France.
Devant la foule haineuse, on me jeta à terre. Un instant je pensai : « nous sommes donc en guerre ! » Mais en guerre un étendard a ses défenseurs, Ici nul n’accourut pour calmer ma douleur !
Les uniformes bleus trépignaient de colère, Mais leur chef, tout là-haut, préservant sa carrière, Me laissa sans mot dire aux mains de mes bourreaux : Je mourus sans qu’une arme quitte son fourreau.
Ce soir je regrettai de porter ces couleurs, Car une part de la France est morte dans mes pleurs. Quand mon pays me laisse ainsi succomber, seul, Je ne suis plus drapeau, mais je deviens linceul… |