Prises d'armes, kermesses et libations: mardi, c'était jour de fête à la Légion étrangère. A Aubagne (Bouches-du-Rhône) comme «sous le soleil brûlant d'Afrique», les képis blancs célèbraient l'anniversaire de Camerone, cette bataille perdue au Mexique en 1863. Assiégés dans une hacienda à El Camaron par des Mexicains hostiles à l'empereur Maximilien, 65 légionnaires refusèrent de se rendre; le soir venu, 60 d'entre eux avaient été tués. Cet épisode symbolise «l'image d'une troupe capable du sacrifice suprême», selon l'historien américain Douglas Porch.

De sacrifices, il n'en est plus question aujourd'hui, alors que l'armée de terre va se professionnaliser et «réduire son format». Bien au contraire. La Légion aimerait s'agrandir. Depuis l'intervention du chef de l'Etat le 22 février, les officiers de la Légion étrangère font remarquer à qui veut les entendre que la Légion, elle, n'a pas de soucis de recrutement. «Huit candidats pour chaque poste», précise un officier. Des candidatures deux à trois fois plus nombreuses que pour les autres corps de l'armée de terre. A la différence de la «régulière», la Légion peut en effet embaucher dans le monde entier. On s'y précipite d'Europe de l'Est (un quart des effectifs). Des Japonais et des Américains s'y engagent. Et le béret vert ne laisse pas non plus les Français indifférents. Ils représentent un peu moins de la moitié des légionnaires, inscrits comme Belges, Suisses ou Monégasques.

Les légionnaires sont aujourd'hui 8.500. Ils étaient plus de 20.000 dans les années 30. De là à penser qu'il serait possible de gonfler les effectifs à 10.000, voire 12.000, il n'y a qu'un pas de légionnaire. Sous les képis, on s'est pris à rêver d'un nouveau régiment de génie d'assaut ou d'infanterie mécanisée. C'était sans compter sur la «colo», les troupes de marine, l'ennemi juré qui veille au grain. «Vous imaginez l'effet politique d'un accroissement des effectifs de la Légion alors que le président de la République a décidé la professionnalisation des armées? On voudrait donner l'impression de rompre le lien entre l'armée et la nation qu'on ne s'y prendrait pas autrement», dit un général qui a commandé un régiment de troupes de marine. «Cela donnerait l'image d'une armée de mercenaires», ajoute un officier des chasseurs alpins, très attaché à la conscription. Des généraux reprochent même à Pierre Messmer, ancien officier de Légion qui a l'oreille de Jacques Chirac, d'être à l'origine d'une réforme de l'armée de terre qu'ils réprouvent.

Prudemment, la Légion a fait machine arrière. «Nous représentons environ 3% de l'armée de terre. C'est peu et cela nous permet de rester une élite, note, pince-sans-rire, un colonel. Si nous augmentons nos effectifs alors que l'armée réduit les siens, nous pourrions finir par être proportionnellement trop nombreux. Impossible de rester une élite dans ce cas...» Pourtant, la Légion ne désespère pas de rapatrier son 5e régiment étranger, aujourd'hui basé à Mururoa, où il a réalisé la plus grande partie des infrastructures du Centre d'expérimentations du Pacifique. Après avoir pensé à la Corse, au plateau d'Albion, voire à Djibouti, la Légion ne sait plus trop où le mettre. Peut-être dans un des grands camps de manoeuvre en Champagne, où, de régiment de travaux, il deviendrait régiment blindé. «Dur à avaler, répond un officier de cavalerie. On créerait un nouveau régiment de chars, alors même qu'on va en dissoudre plusieurs.»

Au COMLE (Commandement de la Légion) d'Aubagne, on finira par se faire une raison. Cas unique au sein de l'armée de terre, la Légion devrait passer au travers des restructurations sans y laisser de plumes, ce qui devrait faire quelques jaloux dans les casernes.

MERCHET Jean-Dominique