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Légionnaire toujours...

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CAMARON

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Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche. 08/08/1925.

 

Nous devons la communication de cet article à l'obligeance de M. Daniel Halévy, qui nous explique ainsi comment il est venu entre ses mains « Quand on reçoit, par profession. beaucoup de manuscrits, de papiers d'inconnus on les lit avec un certain scepticisme. Une lettre, voici quelques semaines, retint mon attention par son tour imprévu. « Je suis sergent à la Légion étrangère », me disait-on. « Je vis avec des types bizarres je m'amuse à écrire leurs histoires. A tout hasard et sans grand espoir, je vous les envoie. » Quelle aubaine, un écrivain qui vit dans l'aventure et qui connaît, en fait d'humanité, autre chose que l'humanité littéraire! J'ai lu ces contes, je leur ai trouvé une saveur, un accent qui ne peut tromper. En voici un, et d'autres pourront suivre. D. H. »


Le 30 avril 1863, soixante-deux légionnaires. que commandaient trois officiers, ayant été attaqués au cours d'une reconnaissance; se retranchaient dans une ferme de Camaron, et y tinrent tête pendant dix heures à 2.000 Mexicains, leur tuant 200 hommes, en blessant une centaine, et ne se rendirent que lorsqu'ils eurent obtenu l'assurance qu'ils conserveraient leurs armes. Devant l'armée mexicaine étonnée, des décombres fumant sortirent une vingtaine d'hommes, emportant vingt-trois de leurs camarades blessés, et le seul officier qui leur restât, mortellement blessé lui aussi vingt sous-officiers et soldats gisaient dans la cour de la petite ferme.

Entre tant de hauts faits, la légion a retenu cet épisode des guerres du Mexique pour en faire sa fête annuelle :

Le 30 avril est, chaque année, l'occasion de fêtes partout où vivent des légionnaires.

Ceux qui eurent l'honneur de servir sous la grenade à sept branches, profitent de cette occasion de se retrouver, des banquets réunissent des hommes qui, pour une journée, frémissent de tout le passé qu'ils ne cesseront d'évoquer.

Dans une salle d'honneur d'un des régiments étrangers, j'ai regardé les photographies qu'avaient envoyées de Strasbourg, de Paris, de Lausanne, d'ailleurs, les sociétés de vieux légionnaires. Sur les vestons, sur les tuniques des fonctionnaires de l’État, que de médailles, de croix. J'imaginais, en scrutant chaque visage, la marque qu'avait imprimée la légion, les ardentes années d'Afrique ou d'Extrême-Orient, et il me semblait voir dans tous ces yeux une flamme qu'on ne voit qu'à eux.

Dans les garnisons paisibles d'Oranie, comme dans les plus dangereux bleds marocains, comme au Tonkin, comme en Syrie, le 30 avril est synonyme d'un menu somptueux, de jeux et de pinard libéralement distribué.

J'ai vu fêter Camaron à Bel-Abbès en grande pompe, chambrées décorées, quartier illuminé, merveilleux concert, et j'avais été saisi par ce faste mais la grande émotion, qui étrangle, je l'ai ressentie au Maroc, dans le bled, à quelques kilomètres en arrière des premières lignes. En de tels lieux, la légion est chez elle et sa fête revêt un caractère qui la distingue de toutes les fêtes des régiments de France.

Il y en a quatre au Maroc, deux dans le Moyen Atlas, une autre dans le Grand Atlas, sur la route saharienne et l'autre à Bou-Denibe.

C'est la fête d'une compagnie montée que je décrirai ici. Les compagnies montées de la légion sont chargées d'assurer les services de reconnaissance et la protection des convois.

Celle dont je veux parler est de formation toute récente. Un jeune capitaine, ex-hussard, qui a tous les goûts et toutes les qualités qu'il faut pour devenir un officier « vieille légion », l'a formée à son image, si on peut dire. Le recrutement lui a été assuré, pour la plus grande part, par des prélèvements opérés sur des effectifs du régiment étranger de cavalerie qui tient l'Est et le Sud-Tunisien. Après avoir choisi les mulets, et dans la proportion d'un mulet pour deux soldats chaque homme montant une heure et marchant la suivante avec le même soin qu'il eût apporté à remonter un escadron, le capitaine dressa et entraîna ses hommes comme il eût fait ses cavaliers. Cavaliers, ils l'étaient d'ailleurs tous, et même un peu humiliés parce qu'on les avait obligés à descendre de cheval pour grimper à mulet. De la cavalerie, ils avaient l'esprit particulier qu'on voit à celle de France, panaché de l'esprit propre d'un ex-cosaque ou d'un ex-uhlan, car la plupart étaient russes ou allemands. Sur ce double esprit se greffait encore l'esprit légionnaire, naturellement, et il dominait..

Tout fut mené rondement. Au bout de six mois d'existence, la. compagnie, présentée au colonel, parut belle entre toutes celles du régiment, qui en a de remarquables. Elle quitta la vallée de la Moulouya, qui avait été son berceau, pour un secteur avancé. Elle s'établit à un passage important d'où elle pouvait aisément assurer la sécurité des convois qui vont aux avant-postes.

Elle y était depuis un mois quand j'y fus. Le camp, occupé auparavant par des troupes indigènes, avait changé d'aspect, depuis mon précédent passage. Il portait la marque de la légion, cet aspect qu'on retrouve partout où elle a travaillé, netteté des abords, rigoureuse propreté des voies, blancheur aveuglante des murs, coquetterie des arrangements jardinets, pyramide de pierre, mosaïque où se répète la grenade de la légion. C'est un camp coquet. Les gens qui l'habitent ne le sont pas moins comme le sont d'ailleurs tous les légionnaires qui aiment follement les couvre-pieds blancs, les bourgerons immaculés, les cravates en soie de parachute, les ceintures bleues et les culottes retaillées à l'anglaise.

Ajoutons que ceux-ci avaient des vêtements que le soleil n'avait pas eu le temps de blanchir, et qu'ils étaient d'anciens cavaliers. A mon arrivée, je n'avais pas laissé d'être frappé de cet air légèrement insolent qu'ils avaient tous, se promenant, les reins un peu raides, et une badine à la main. Ils brûlaient de montrer aux vulgaires fantassins qu'ils étaient quoique à mulets des cavaliers, une sorte de cavalerie in partibus.

Dès le 29 avril, une vaste tribune s'élevait à l'extrémité du manège, avec une piste d'obstacles, qui n'est pas pour rire. Drapeaux et fanions flottaient un peu partout, et le logis du capitaine, les bureaux de la compagnie avaient leurs portes et leurs fenêtres encadrées de verdure piquée de quelques fleurs timides qu'avril avait fait éclore dans ce bled flamboyant.

A l'aube du grand jour, le réveil fut sonné en fantaisie, puis clairons, trompettes et fifres reprirent le « tin, t'auras du boudin » salué par des clameurs dans les chambrées où les hommes prenaient leur chocolat accompagné des beignets traditionnels.

Autour des cuisines, s'affairaient une bonne douzaine de cuistots surnuméraires, que bousculait le caporal d'ordinaire et le maître-queux, qui, pour ce jour, portait toque et tablier immaculé, et des espadrilles passées au blanc d'Espagne.

A huit heures, il y eut collation : des saucisses, du jambon, du pain de froment sans semoule et du vin blanc, qui est le suprême coup de l’étrier de la revue.

Elle fut splendide, un vrai spectacle. Les sections arrivèrent d'un pas rapide, aisé, exécutant avec précision les mouvements réglementaires pour la formation du carré. Quand les armes furent reposées, pas une crosse ne heurta le sol.

Le capitaine était tout de blanc vêtu, pincé dans ce dolman d'avant guerre dont la coupe est si jolie, et complète si bien le pantalon demi-hussarde, qu'on commence à voir de nouveau en Afrique. Un commandement il y eut quatre murailles jaunes avec une ligne bleue au centre : les ceintures de flanelles, une ligne verte plus bas les molletières, et une ligne noire étincelante au ras du sol. Au-dessus, il y avait l'éclair des baïonnettes et en tête de la section, le fanion vert de la compagnie.

L'adjudant s'avança, botté, sanglé, immense, un vrai cuirassier. D'une voix terrible qui sortait de sa moustache farouche, il lut le récit de la défense de Camaron, à cette troupe immobile et frémissante. Frémissante, parce que, si tous ne comprenaient pas, assez pourtant comprenaient pour que la communication s'établisse, serrant toutes les gorges, picotant tous les yeux.

Ensuite, repos et pendant ce repos, la lecture fut recommencée en allemand et en russe. C'eût été trop demander à ces hommes qu'exiger qu'ils restassent statues pendant près de trois quarts d'heure.

Le capitaine fit son petit discours pas de phrases, des mots de chaque jour, accessibles à tous. Il parlait de la légion, première infanterie du monde, de la jeune légion digne de la vieille, des camarades morts l'an dernier, à peu de distance, et dont tant de corps reposent dans le petit cimetière blanc du poste. La voix n'était pas forte, mais comme elle portait, claire, vibrante, dans le grand silence de dix heures, dans l'air cristallin et sonore. Tous comprenaient, et quand il cria pour finir « Vive la légion » on eut l'impression que ce même cri allait jaillir des bouches qu'on voyait trembler.

Après le défilé, le capitaine vint goûter la soupe que les hommes de corvée, dont on avait dû tripler le nombre, six au lieu de deux, emportèrent aussitôt. Des cris de joie accueillirent l'imposante suite des plats, et redoublèrent quand apparurent les pleins seaux du divin pinard, dont la couleur est un rouge presque violet, et la densité telle qu'on le couperait au couteau.

Gavés, tous s'étendirent sur les lits, pour digérer béatement en fumant le cigare à bague d'or qui leur donnait pour quelques instants une âme de bon bourgeois repu.

Les jeux dont le programme était fort varié devaient commencer à deux heures. A deux heures, les bancs étaient occupés par les légionnaires. A deux heures les trompettes saluèrent l'arrivée du capitaine qu'accompagnaient le toubib et l'officier des renseignements.

La présence des femmes de ces derniers, en toilettes blanches, sur l'estrade que le bureau arabe avait parée de ses glus beaux tapis, suffisait pour énerver ces deux cents hommes sevrés de chair blanche.

En tête du programme venait la voltige. Elle se fit sur un mulet sage, mais qui ne l'était pas au point de se tenir tranquille au bon moment. Les chutes furent nombreuses, au grand amusement des spectateurs. Il y eut des courses diverses les pieds dans un sac, en tenant un œuf dans une cuillère, à quatre pattes, jeux de soldats qu'on retrouve partout.

Le clou devait être une sorte de due! symbolique. Sur un pavois que soutenaient les plus costauds, se tenait un homme armé d'une lance dont la pointe était capitonnée de paille. Son écu portait une tète de mulet qu'encadraient en couronne ces mots « Ça marche becif » Cette devise veut être expliquée.

Lors de la création de la compagnie, le capitaine acheta un fanion vert sur l'un des côtés duquel il fit broder la grenade et le numéro du régiment, et, sur l'autre, l'inscription « Ça marchera becif ». Becif est un mot d'usage courant dans l'armée d'Afrique, il a à peu près le sens de « par la force » et se dit d'une chose qui sera sans qu'on puisse s'y opposer. Dans l'esprit du capitaine, il était un avertissement à ses hommes, une indication de la discipline qu'il voulait. Aussi il put, six mois plus tard, ayant en main une compagnie en ordre, modifier une syllabe et le fanion porta « Ça marche becif. »

Le légionnaire dont l'écu était timbré de la tête de mulet personnifiait la légion, et plus particulièrement la compagnie montée. En face de lui, son adversaire, hissé, lui aussi, sur le pavois, portait sur son bouclier une tête de mort couronnée de « Maroc ».

Et le combat commença, avec des alternatives de défaillances et d'avantages, puis, quand le Maroc se fut bien défendu, sur une bonne pointe de son ennemi, il chut.. De véritables hurlements de joie saluèrent la victoire de la légion, conquérante du Maroc. Pour ceux qui ne savent pas, on peut dire que si elle ne fut pas seule dans ce long combat, elle y fut, sans conteste, toujours au premier rang.

Le soleil descendait, le vin agissait. Le concours de ventriloquie et de grimaces n'eut que peu de succès.

La fête reprit à la nuit. Des lampions multicolores illuminaient la place comme dans une fête de village. Dans la nuit silencieuse et claire une mélodie russe s'éleva, chantée par un groupe d'hommes qui mettaient dans cet air de route la nostalgie que cette fête ravivait.


Prière, tantôt sourde, soumise, tantôt passionnée et suppliante, qui paraissait faite de beaucoup de sanglots et finissait soudain brusquement dans un cri. Personne n'applaudit. Obscurément, tous sentaient que cela n'était pas une chanson quelconque à laquelle convenait des claquements de main, mais quelque chose de très haut, comme l'évocation soudaine d'une patrie et tous ces gens qui n'en avaient plus en furent pour quelques instants troublés.

Vêtu de la blouse nationale, mollets bottés, un danseur parut. Agile, gracieux. il s’avança sur les pointes, 'les bras à demi croisés. Ce furent alors des bonds, des entrechats, une mimique, qu'accompagnaient de- discrètes musiques, et un chœur reprit à mi-voix, sautillant, virevoltant, avec de soudains abandons.

Les Allemands, groupés autour d'un vieux sergent, serviteur de quinze années, que je vis pleurer ce jour là, chantèrent voix merveilleusement justes, admirablement fondues, qui indiquaient les plus fines nuances. Ils chantèrent sur un air de chez eux des paroles qu'un légionnaire, dont on ne sait pas le nom, composa, et que personne n'ignore de ceux qui parlent allemand dans les quatre régiments.

En voici la traduction, à qui il manque : et le rythme et cette puissance des mots qui est intraduisible

Au Maroc, à l'abri des rochers,

Un légionnaire veille

Son camarade que la balle a mortellement blessé.


Celui qui va mourir dit :

Mon camarade, cher camarade,

Une prière, une prière à toi qui va retourner au pays,

Au pays que je ne reverrai plus.


Va dans le petit village, tout en haut.

La dernière maison est neuve, toute blanche,

Entre et prononce mon nom.

C'est là qu'habite la fiancée qui m'attend.


L'anneau qui est à mon doigt,

Prends-le,

Prends l'anneau d'or qu'elle me donna.

Porte-le lui comme un dernier gage d'amour.

Sur ses boucles blondes, mets ce baiser, mon dernier adieu.


Dans le petit village, près de l'église,

Vit un vieillard, aux cheveux d'argent,

C'est mon vieux père qui m'attend,

Apporte-lui mon dernier adieu.

Dis-lui, dis-lui bien que son fils est tombé fièrement.


Dis-lui, dis-lui bien que comme moi,

Avec la même ardeur,

Tous les légionnaires meurent,

Mais faiblir ou reculer, cela ils ne le font jamais.


Simple mots, mais lourds de tout le sens que leur donnait ces morts reposant à deux pas, et cette assurance qu'avaient ces légionnaires de dire, peut être bientôt, à l'ami fidèle, les mêmes paroles.

Pour dissiper l'émotion, il ne fallut rien de moins que 'le « Tin, t'auras du boudin » dont l'effet est certain. Avec les accents les plus singuliers, le refrain fut clamé « Pour les Belges, y en a plus, pour les Belges, y en a plus parce qu'ils sont trop tireurs au c.. » La gaîté était revenue. Un accordéon joua le premier air de danse, Danube bleu. Les couples se formèrent dans l'ombre bleue, sur le sol dur, ces hommes tournèrent jusqu'à une heure avancée de la nuit. Des lambeaux de mélodie flottaient, apportés et repris par le «vent qui balaie, toutes les nuits, la plaine des chacals glapissaient. Et parfois, de l'est, arrivait la détonation claire d'un coup de fusil, suivi de l'éclatement sourd des grenades.

Sur la terre nue, aux sons de l'accordéon, qui est l'instrument le mieux fait pour saisir et émouvoir des simples et pour donner aux plus fins une mélancolie dont ils ont quelque honte, les couples dansaient, sans joie. La gaîté ne dure jamais longtemps à la légion. Les visages détendus reprennent vite le masque. Pour ces hommes, les jeux mêmes sont de nouvelles raisons d'éveiller le cafard qui feint parfois de s'assoupir.

Manue.


Traduction

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