Samedi, 29 Octobre 2011
Orangea, promesse de salut et cadeau de bienvenue pour les intrépides navigateurs qui ont osé affronter le Cap d’Ambre, ses courants et ses tempêtes. Et, sitôt franchie la Passe, cette longue plage de sable blanc ...
Orangea a toujours fait rêver.
Elle a surtout, très tôt, fait rêver ceux qui souhaitaient faire de la baie de Diego Suarez la place forte de l’Océan Indien.
Quelle position pour défendre l’entrée de cette immense baie qui n’ouvre sur l’extérieur que par un goulet de moins d’un km de large...
Moins romantiques, d’autres voient immédiatement en cet emplacement les possibilités qu’il offre pour la défense de la baie: « La défense de la baie n’est pas difficile...Des batteries rasantes à...la pointe d’Orangea, dans les baies intérieures, et un chapelet de torpilles immergées entre l’ilot et la pointe y suffiront »
(J.Xior).
Le site au moment de l’installation française à Diego Suarez
Il abrite déjà le « port aux boutres »ou «port des Antalaotra »ou encore « port des arabes».
Les Antalaotra « gens de la mer » sont, pour la plupart des commerçants islamisés, venus souvent de Zanzibar ou de Mayotte et parlant un dialecte swahili. Faisant du commerce dans le Nord de Madagascar, ils fournissent les populations en biens de toutes sortes: armes, produits manufacturés, et parfois...esclaves.
Leurs boutres, construits à Oman, à Mascate, en Inde ou à Nosy-Be font du cabotage le long des côtes malgaches. Dans la seconde partie du XIXème siècle, ces derniers battront souvent pavillon français, Nosy-Be étant colonie française.
Le Port des Boutres se trouve devant le village d’Orangea (actuel village de Ramena) composé à l’époque, selon la Revue de Géographie de 1988 « de quelques misérables cases indigènes »
Les installations militaires
La défense de la passe:
L’étendue de la baie et l’étroitesse de la passe comprise entre la presqu’île d’Orangea et la petite île de Nosy Volana (ilot de la lune) ont été pour beaucoup dans l’intérêt des puissances coloniales pour Diego Suarez.
Le naturaliste Kergovatz qui visita Diego Suarez en 1892, décrit ainsi l’arrivée dans la baie: « Notre bâtiment longe la côte sud du canal, où les rochers couverts d’une végétation rabougrie et malmenée par le vent du large sont déjà surmontés de longs parapets, de traverses larges comme des collines, sur lesquels s’agite une armée de travailleurs. Ce sont les batteries qui doivent achever de rendre imprenable l’arsenal de la France dans l’Océan Indien. Sur l’île de la Lune, au pied d’une colonne noire et blanche qui sert d’amer pour l’atterrissage, on commence déjà à élever d’autres batteries. Elles pourront tirer presque à bout portant sur le bâtiment qui aurait bravé leur feu pendant le long détour qu’il faut faire pour ne pas se jeter sur le récif...»
Cependant, ces travaux effectués dans l’urgence, furent rapidement jugés insuffisants, les batteries de canons étant de trop faible portée pour inquiéter d’éventuels agresseurs.
En 1894 les défenses d’Orangea furent renforcées. Le colonel de marine Piel s’occupa de couvrir par des feux convergents la ligne que devaient suivre les navires. Des batteries plus modernes remplacèrent les anciennes pièces de la batterie d’Orangea .
De nouveaux travaux confortèrent la position d’Orangea après la conquête de l’Ile en 1895.
Il fallut pourtant attendre 1900 pour que, sous le commandement énergique de Joffre, Orangea soit équipé d’une série de batteries assurant une réelle défense du front de mer.
Cependant, dès 1904, la Revue « Armée et Marine » déplorait la vétusté et l’insuffisance des batteries de côte censées défendre la passe: « aux canons de 194, modèle 1893, prévus pour la batterie de Vatomainty et la batterie est d’Orangea, on a substitué des canons modèle 75-76; aux canons de 240, du modèle le plus récent, qui devaient armer la batterie du Cap Miné, on a substitué des canons modèle 70-81 sur affûts de casemate.
On a utilisé un matériel que la Guerre avait fait construire en grande quantité et que sa médiocrité a fait proscrire des batteries de côte de la métropole »
(Armée et Marine - 9 juin 1904)
En fait, c’est en grande partie en raison de cette « vétusté » que Diego Suarez a pu garder ses canons: en effet, ils échappèrent ainsi au « rapatriement »des canons coloniaux au moment de la Grande Guerre!
Ironie du sort, les canons de la passe, qui devaient fermer la baie à toute intrusion ennemie furent impuissants à arrêter les anglais lors de l’attaque de 1942 !
En dehors de la mise en place des batteries, Orangea fut doté de moyens de transmission. Un sémaphore qui permettait de signaler les navires entrant en rade fut installé. Par ailleurs, pour aider les navires à entrer dans la passe, on construisit, au Cap Miné un phare constitué d’une tourelle métallique de 6m de hauteur, reposant sur un socle en maçonnerie de 3m de haut. Son feu blanc s’éclairait toutes les 10 secondes.
Enfin, il fallut penser à héberger les troupes stationnées à Orangea. Les premiers bâtiments construits sur la plage furent remplacés par les fameuses cases Maillard que l’on peut encore voir dans le quartier militaire . Celles-ci furent fortement endommagées par le cyclone de 1905.
On construisit également l’élégante infirmerie à arcades que nous voyons encore (pour combien de temps?) et qu’il fut question de détruire en 1927.
Mais Orangea a d’autres charmes. En 1903, le géographe Lemoyne visite une grotte que lui a signalée un militaire: il s’agit de la « grotte aux pintades »: « Elle a environ 500m de longueur et communique en son milieu avec l’extérieur par des puits d’environ 20m de profondeur régulièrement cylindriques ».
Il faudra attendre 1935 pour que la route devienne « automobilable » (suivant le jargon de l’époque) et que la plage devienne un lieu d’excursion fréquenté.
L’attrait touristique du site fut d’ailleurs très tôt mis en avant. Dès le début du siècle l’Annuaire du Gouvernement de Madagascar, signale qu’Orangea est un but d’excursion intéressant: on peut y manger chez un certain M.Jacquet et visiter les grottes : « A Orangea se trouvent des grottes curieuses qu’il est facile de visiter, à condition de s’assurer un moyen de retour, soit par mer, soit par terre. La chaloupe desservant Orangea ne s’arrête que 10 minutes dans cette localité et rentre de suite à Diego Suarez ». Gare à celui qui raterait le départ!
On notera qu’il n’est pas question de la plage, les bains de mer n’ayant pas encore l’attrait qu’ils ont actuellement. Mais les choses changent après 1925. Dans la Gazette du Nord de février 1927, on déplore que la route ne soit pas encore terminée ce qui donnerait de la valeur à Orangea: Et l’auteur ajoute: « Orangea devrait être une station balnéaire très fréquentée. Son sable fin lui attirerait une nombreuse clientèle... ». L’article déplore également le projet de détruire l’infirmerie, beau bâtiment tout en pierre dont on pourrait faire «un hôtel vaste, aéré, magnifiquement situé. »Et il termine par la phrase suivante: « Actuellement, tous les éléments semblent réunis pour faire d’Orangea un coin fréquenté par tout Diego Suarez et par les étrangers qui nous visitent... Qu’on y réfléchisse en haut lieu.»
■ S.Reut - As. Ambre.
Le phare du Cap Miné