27/12/09
« La Croix » a suivi la première visite pastorale de Mgr Luc Ravel, nouvel évêque aux Armées, en Afghanistan dans chaque base où sont actuellement présentes les forces françaises
Froide et étoilée, la nuit de Noël est tombée sur Tora, « base opérationnelle avancée » (FOB, en anglais) à six kilomètres de la ville de Surobi. Tout autour, les sommets caillouteux de l'austère Afghanistan se dressent dans le silence nocturne. Sur la place d'armes, le clairon retentit, précédant l'arrivée du général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées françaises, venu de Paris pour passer Noël avec le groupement tactique interarmes du district de Surobi (GTIA de 800 hommes).
« Pendant cinq mois, vous avez mené avec succès des opérations difficiles de guerre contre l'insurrection, lance le général aux neuf compagnies au garde-à-vous. Cette guerre est la plus difficile de toutes, parce que l'adversaire, sournois et souvent lâche, se dissimule parmi la population, et parce qu'elle ne peut être gagnée que si la population a confiance dans les forces venues la protéger et l'aider. »
Des propos que prolonge à sa manière Mgr Luc Ravel, en invitant les 200 militaires participant à la messe de la nuit de Noël à se laisser gagner par « la paix que Dieu donne et qui arrive, non par nos blindés ou nos stratégies, mais à travers nos coeurs purifiés ». C'est en Afghanistan que le nouvel évêque aux Armées françaises a choisi de célébrer la joie de Noël, en sachant se faire proche, au cours de sa première visite pastorale, des 3 750 Français actuellement engagés dans la Force internationale d'assistance à la sécurité (Isaf), loin de leurs familles et confrontés presque quotidiennement à des situations dangereuses. « Auprès de vous, je me retrouve comme en famille », confiera à plusieurs reprises ce nouvel évêque, lui-même fils de général.
Concours de crèches de la Légion
Dans l'après-midi, Mgr Ravel avait participé au concours de crèches de la Légion étrangère. Plus qu'une tradition - puisque l'esprit de la « famille légionnaire » s'y reflète -, ce rituel amène chaque compagnie de légionnaires à déployer des trésors d'ingéniosité pour établir un lien, à travers divers sketchs, montages ou vidéos, entre leur vie de soldats et la naissance de Jésus. Le jury, habituellement composé des officiers et du « Padre », s'est enrichi cette année du nouvel évêque, visiblement ému.
Autour du colonel Benoît Durieux, qui commande le GTIA Surobi depuis juillet, les jurés notent les huit crèches en lice, puis délibèrent avec sérieux afin de récompenser les trois plus belles. Cette année, deux premiers prix sont attribués : l'un à la Compagnie de commandement et de logistique, qui a su raconter la magie de cette nuit pas comme les autres à travers un bivouac dans la montagne afghane ; l'autre à la 3e compagnie d'infanterie, qui a lu une lettre adressée à sa mère par un légionnaire montant la garde, la nuit de Noël, sur le « Mont-Saint-Michel » dominant la FOB Tora. « Un jour, l'Afghanistan, saigné par des années de guerre, sortira de sa torpeur, et je pourrai dire : j'en étais », exprime avec fierté le lecteur.
Une fierté que l'on retrouve dans les propos du colonel Durieux qui, cartes à l'appui, explique la sécurisation progressive des trois vallées de Jagdaley, Tizin et surtout Uzbin, où dix militaires français ont trouvé la mort lors d'une embuscade en août 2008. « Après une préparation de l'élection présidentielle fin août, puis une phase de contacts patients avec les autorités locales, nous menons une troisième phase, plus active, dans des zones où nous n'étions pas encore allés. »
Une nouvelle route
En cinq mois, cette FOB Tora, initialement conçue pour 250 hommes, s'est élargie afin de pouvoir accueillir un millier de militaires. « Nous construisons en dur, car tout reviendra à l'armée afghane quand nous serons partis », explique le colonel Cyril Youchtchenko, bras droit du chef de corps Durieux, rappelant que « les légionnaires sont aussi des bâtisseurs ».
Mgr Ravel n'aura toutefois pas le temps d'assister à la remise des prix à Tora. À peine la messe de Noël célébrée, il s'envole en hélicoptère vers Nijrab, au nord de la province de la Kapisa. C'est dans cette vaste FOB de 24 ha et d'un millier d'hommes (dont 800 Français, provenant essentiellement du 13e bataillon de chasseurs alpins de Chambéry), qu'est installé l'état-major de la Task Force La Fayette.
Pour sécuriser la région et permettre à la population encore sous l'emprise des talibans et insurgés de se tourner vers le gouvernement afghan, les Français de Nijrab participent, aux côtés des Américains, à la construction d'une nouvelle route relayant Surobi à Nijrab sans passer par Kaboul. « Cette route nord-sud va certes permettre un meilleur flux logistique, mais aussi un développement économique local », insiste le colonel Dominique Jacqmin. Et de souligner que le tracé et autres sujets concernant cette route ont été validés par des shoura (assemblées traditionnelles afghanes).
Associer les "locaux"
Ce souci permanent d'associer les « locaux » et les malek (anciens) se retrouve chez la plupart des officiers français actuellement sur le théâtre afghan. Notamment les responsables des Operational Mentoring and Liaison Teams (OMLT), chargés de former et d'accompagner les officiers de l'Armée nationale afghane (ANA), et les gendarmes des Police Operational Mentoring and Liaison Teams (POMLT) qui sont, eux, chargés d'encadrer les policiers afghans.
« Les Afghans, qui voient de nombreux pays à leur chevet, se vivent un peu comme un problème pour le monde entier, explique le colonel Philippe de Beauregard, responsable des OMLT à Tagab, seconde FOB de la province de Kapisa. Or il s'agit de leur donner envie de se prendre en charge. »
Dans cette province de la Kapisa, le P. Renaud, aumônier catholique du régiment du 4e chasseur de Gap, se partage entre Nijrab et Tagab, dans des conditions de vie rustiques. Logés à six dans des tentes « winterisées » (isolées et chauffées pour l'hiver) ou des casemates sommaires, les militaires doivent supporter, pendant leurs six mois de mission, la promiscuité, les températures extrêmes (jusqu'à - 15° l'hiver et 45° l'été), la poussière qui irrite la peau
« Moi qui aime la figure de Charles de Foucauld, je vis ici un dénuement comparable, je crois, à celui qu'il a pu connaître », estime le P. Renaud, ordonné prêtre en avril et qui vit ici sa première « opex » (opération extérieure) en tant qu'aumônier militaire. « Si nous voulons être à la pointe d'une armée au service de la paix, du bien et des droits de l'homme - ce pourquoi nous sommes ici -, reprendra Mgr Ravel dans son homélie du 25 décembre dans le réfectoire de la FOB Nijrab, sachons accueillir la paix de Dieu et le chemin qu'elle a pris il y a vingt siècles : l'homme. »