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Par Véronique Laroche-Signorile Publié le 02/11/2018
Guerre d'Indochine: bataille de Diên Biên Phu: assaut du Viêt-Minh donné contre la colline Béatrice: lieu où fût déclenchée le 13 mars 1954 l'attaque contre le camp retranché français. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE
LES ARCHIVES DU FIGARO - Édouard Philippe se rend le 3 novembre 2018 à Dien Bien Phu, au Vietnam. C'est là que se déroula la dernière grande bataille de la guerre d'Indochine en 1954: deux mois de combats acharnés qui se terminèrent par la défaite de l'armée française, piégée dans la «cuvette».
L'héroïque résistance française. Le 7 mai 1954, le camp retranché français de Dien Bien Phu tombe sous l'assaut des troupes du général Giap, commandant de l'armée Viêt-minh. C'est la fin de la plus longue et la plus meurtrière bataille de l'après Seconde Guerre mondiale. Et la dernière grande bataille de la guerre d'Indochine (1946-1954). Mais cette défaite cuisante pour la France sonne aussi le glas de la présence coloniale française en Asie.
C'est en 1953 que le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) établit un camp retranché dans la vallée de Diên Biên Phu -traversée par la rivière Nam Youm- dans le pays Thaï, près de la frontière laotienne et chinoise. Le but est d'arrêter l'avancée des troupes du Viêt-minh Hô Chi Minh vers le Laos. La position retenue est une plaine (le terme de «cuvette» est resté associé à Dien Bien Phu) de 16km sur 9, entourée par de petites collines -sur lesquelles sont construits des points d'appui qui portent des prénoms féminins («Gabrielle», «Béatrice», «Dominique», «Eliane», «Claudine»…). Le PC est installé au centre de la cuvette et au sud se trouve la base «Isabelle».
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57 jours de combats acharnés
La bataille de Dien Bien Phu débute véritablement le 13 mars 1954 avec l'assaut du Viêt-minh contre le point d'appui «Béatrice». Le camp est dirigé par le général de Castries. Les combats font rage pendant deux mois. Progressivement les troupes ennemies encerclent les positions françaises, dont les effectifs et le matériel sont numériquement plus faibles. Les blessés sont soignés sur place par l'infirmière Geneviève de Galard. Après une résistance héroïque -avec des combats au corps à corps- le camp retranché tombe le 7 mai 1954, jour de l'assaut final des forces du général Giap. Le cessez-le-feu est annoncé à 18 heures mais le dernier point d'appui, «Isabelle», n'est pris que le lendemain. Le 21 juillet 1954 les accords de Genève mettent fin à la guerre d'Indochine.
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Les pertes sont lourdes. Au total plus de 15.000 militaires français ont participé à la défense du camp: plus de 3.300 sont morts ou portés disparus, 10.300 soldats sont faits prisonniers -dont 4.400 blessés- et internés dans des camps mais seuls 3.300 reviendront en France. Côté Viêt-minh: 70.000 combattants, environ 8.000 morts et 15.000 blessés.
Retouvez les dernières heures du camp retranché français grâce au récit de l'envoyé spécial du Figaro Yves Desjacques, au travers des derniers échanges radio entre le général de Castries et le général Cogny le 7 mai 1954.
Article paru dans Le Figaro du 10 mai 1954.
Les derniers moments de Diên Biên Phu
Le silence est retombé sur la cuvette sur la cuvette du pays thaï qui fixa pendant deux mois l'attention et l'inquiétude du monde.
C'est uniquement par radiotéléphonie, communément appelée «courants porteurs», que l'état-major du général Cogny, à Hanoï, a suivi les dernières heures du camp retranché. Vendredi matin, au début de matinée, le général de Castries appela l'état-major d'Hanoï afin de réclamer surtout des munitions et rendre compte de la situation.
«Cela va mal, très mal, dit Castries. Pour les stopper, il me faudrait six mille coups de mortier, deux mille obus. Nos canons ne tirent plus, nous manquons de munitions, nous sommes obligés de faire sauter les pièces pour éviter qu'elles ne tombent aux mains des Viets. Sur la face est, les points d'appui tombent les uns après les autres. Je voudrais empêcher les Viets d'arriver sur la Nam-Youm à cause de l'eau. Je n'ai plus assez d'effectifs. Que voulez-vous faires contre des gens qui ont tout et qui ne manquent de rien?»
Castries avait demandé à l'aube, de toute urgence, 120 tonnes de munitions. Quand il comprit que la situation était sans espoir, il décommanda les munitions et demanda qu'on parachute à la place du ravitaillement conditionné pour que ses hommes continuent de «tenir». Quelques instants après, le général Cogny appelait l'héroïque défenseur de Diên Biên Phu. La conversation fut singulièrement poignante: «Allô! Castries? —Allô! mon général, ça va mal, je suis attaqué sur trois faces, je perds sans cesse des points d'appui. Sur la face est, le quatrième vient de tomber il y a quelques minutes.» Le général de Castries énuméra alors les points d'appui tombés: «Deux à Eliane, quatre à Claudine, etc.»
«Je sens que la fin approche, mais nous nous battrons jusqu'au bout.»
Le général de Castries.
«Je vais tâcher de tenir sur la rive est de la rivière.» Le général de Castries fit ensuite le tableau de ses effectifs: «Sur tel point d'appui, au bataillon légionnaire de parachutistes, il reste une compagnie, et par compagnie il faut maintenant comprendre soixante à quatre-vingts hommes. De même pour les bataillons de parachutistes et pour les tirailleurs. Je n'ai plus assez de forces pour contre-attaquer. II me reste quelques centaines d'obus. Je n'ai presque plus d'autres munitions. Je vais essayer de tenter une sortie à la faveur de la nuit. Je garderai un rideau de troupe pour donner le change aux Viets et je resterai avec les blessés.»
Le général Cogny, la gorge serrée par l'émotion, approuva les intentions du général de Castries et annonça qu'il continuait à envoyer des munitions et des vivres. Le général de Castries termina alors la communication en disant: «Voilà, mon général, ce que j'avais à vous dire... avant la fin.» Il était environ 10 heures.
Vers 15 heures, un message annonçait que les Viets entouraient le centre de résistance principal où se trouvait le P.C. du général de Castries et qu'ils se trouvaient à 300 mètres des mitrailleuses et des armes braquées pour garder les abris et les blockhaus. À 16 h40, le général de Castries communiquait pour la dernière fois avec le général Cogny. «La situation est extrêmement grave. Les combats sont confus et se livrent partout, les Viets encerclent tous les points d'appui. Je sens que la fin approche, mais nous nous battrons jusqu'au bout.» Cogny: «Bien compris, vous vous battrez jusqu'à la fin. Pas question de hisser le drapeau blanc sur Diên Biên Phu, après votre héroïque résistance.» Castries: «Bien compris. Nous détruirons les canons, les chars et tout le matériel de radio. Le poste des «porteurs» sera détruit à 17 h30. Nous nous battrons jusqu'au bout; au revoir, mon général. Vive la France.» Ce furent les derniers mots du général de Castries.
Les légionnaires parachutistes qui formaient le dernier carré tentèrent vraisemblablement une sortie pour rejoindre le point «Isabelle». Mais le Viêt-minh a annoncé que personne n'avait pu briser le cercle établi autour des assiégés.
La fin d'«Isabelle»
Avec «Isabelle», à quelques kilomètres plus au sud, la liaison se poursuivit à Hanoï jusqu'au milieu de la nuit. Castries avait demandé que les «105» de cette position tirent sur son P.C. et sur le centre de résistance central après l'occupation par les Viets; les artilleurs d'«Isabelle» exécutèrent la mission. Les légionnaires parachutistes et tirailleurs tentèrent une sortie aux environs de minuit. À 1h50, «Isabelle» lançait un dernier message recueilli par les aviateurs: «La tentative de sortie a échoué.»
«Dans deux minutes je ne pourrai plus communiquer avec vous. Nous faisons tout sauter.»
Un sergent radio.
Le colonel Lalande avait préparé la sortie de sa garnison à la faveur de la nuit. Les 1.500 hommes qui lui restaient tentèrent de se frayer un passage vers le sud et la jungle, à la grenade et au couteau de tranchée, au travers des lignes viets. Mais après avoir péniblement parcouru une centaine de mètres, furieusement disputés, ils durent rebrousser chemin. Les communistes les talonnaient et les corps à corps se sont déroulés jusqu'à l'aube dans les retranchements bouleversés. À 1h50, samedi, un sergent radio lança ce dernier message au Dakota qui survolait: «Dans deux minutes je ne pourrai plus communiquer avec vous. Nous faisons tout sauter.»
Les partisans thaïs explorent la jungle
Malgré tout, il est possible que des poignées d'hommes aient réussi à franchir le cercle infernal de l'adversaire. Ils gagneront les massifs montagneux et essaieront de rejoindre les éléments de la colonne «Crévecœur» dans la nature, au Nord-Est de Muong-Khoua, entre 50 et 60 kilomètres de Diên Biên Phu. Des centaines de partisans thaïs ont reçu la mission de sillonner les pistes de la montagne pour porter éventuellement secours aux rescapés. Avant la chute de la forteresse, les axes de retraite avaient été désignés aux soldats de l'Union Française et des parachutages de vivres ont été faits sur certains villages dont les populations feront le maximum pour aider les survivants.
En fin d'après-midi, vendredi, plusieurs aviateurs remarquèrent que les combats se poursuivaient encore sur certains points d'appui; sur d'autres, des explosions soulevaient la terre et de longues colonnes de fumée montaient dans le ciel.
Selon les premières estimations, une quinzaine environ de bataillons de troupes de l'Union Française, comprenant des légionnaires, des parachutistes, des tirailleurs marocains et algériens, des unités thaïs et un bataillon de l'armée nationale vietnamienne se trouvaient à Diên Biên Phu. Dans le bilan des pertes, il faut comprendre le matériel qui est tombé aux mains de l'ennemi, mais dont la plus grande partie fut sabotée et mis hors d'usage.
C'est l'élite des bataillons de choc du corps expéditionnaire qui vient de disparaître. Lorsqu'on en parlait ici, il était coutume de les désigner par le nom de leur commandant, «le patron». Un fer de lance du commandement français s'est rompu, mais le combat continue et ces vétérans de Na-Sam, de Nghia-Lo, de Lang-Son, de Seno se sont sacrifiés jusqu'au dernier. Ils rejoignent dans l'histoire leurs aînés de Camerone, de Verdun, de Bir-Hakeim, d'Italie et d'Allemagne.
Par Yves Desjacques